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Martin Stadtfeld et la question de l'interpré-tation

 

Martin Stadtfeld au Goethe Institut de Paris, 3 février 2016. Photographie Jean-Marc Warszawski.

Paris, Goethe-Institut, 3 février 2016, par Strapontin au Paradis ——

Quelles interprétations originales et insolites ! Telle est l'impression que provoque le récital du pianiste allemand Martin Stadtfeld mercredi 3 février au Goethe Institut de Paris. Né en 1980, il a été couronné par quatre prix ECHO-Klassik, et a enregistré une douzaine de disques chez Sony Classical. Malgré son intense activité dans des pays germanophones et en Asie (Corée du Sud, Japon, Chine), le pianiste est très peu connu en France. C'était donc une occasion pour aller écouter son récital dans le cadre de la série « Piano mon amour » de la Fondation Blüthner.

À l'issue de son concert, nous restons très perplexe. Son interprétation est souvent métronomique, froide, malgré un déploiement massif d'octaves à fortes décibels (Prélude chorale de sa composition, sur le sujet de L'Offrande musicale, et chaconne de Bach) ; les pièces que Mozart a écrites en 1764 à Londres, révélant l'incroyable maturité musicale d'un enfant de 8 ans, sont jouées avec beaucoup de pédale forte (d'ailleurs, l'utilisation de deux pédales est abondante chez Martin Stadtfeld) et de manière très romantique, avec des couleurs offrant parfois l'illusion furtive d'un prélude de Rachmaninov ou d'une étude de Scriabine ! Après son arrangement orchestral et postromantique de la chaconne, avec quelques ajouts au début et à la fin, il enchaîne avec la polonaise héroïque de Chopin (à la place de la sonate no 2 de Scriabine initialement annoncée) qu'il joue dans un tempo extrêmement lent. Toujours très mécanique et cadencée comme dans des exercices de doigts chez soi, cette lenteur interpelle et déstabilise, tellement la musique de Chopin sonne différemment de ce qu'on a l'habitude d'entendre. Dans la partie médiane, à la succession des quatre notes descendantes répétées à l'octave à la main gauche, il accélère comme si on actionnait un moteur d'avion de chasse ; à la coda, il change radicalement le tempo, pour un molto vivace, qui crée plus qu'un contraste avec le reste.

Martin Stadtfeld au Goethe Institut de Paris, 3 février 2016. Photographie Jean-Marc Warszawski.

Comment réagir à une telle proposition ?

Il est hors des sentiers battus, c'est certain, mais interpréter ainsi, sans considération envers les consencus stylistiques, est-ce tolérable ? Ou bien, est-ce la manifestation d'un génie que lui seul peut assumer ? Pourquoi joue-t-il de façon si métronomique, sans intonation ni exaltation ? C'est comme s'il s'était enfermé dans un univers, comme s'il refusait de communiquer avec la salle… Autant de questions nous viennent à l'esprit, malgré les bravos ! de l'auditoire qui l'acclame avec des applaudissements nourris.

Finalement, son interprétation, franchement dérangeante, pose des questions fondamentales : qu'est-ce que l'interprétation ? Qu'est-ce qu'un style ? Des centaines de milliers de professeurs de piano et de musique enseignent à leurs élèves le sens de phrasé, de style selon les époques et les pays, les bases d'interprétation qu'il faut connaître pour « bien » jouer  Bach, Beethoven, Chopin, Ravel, Prokofiev, et autres compositeurs, bref, un « bon goût » ; et certains d'entre eux, qui forment des pianistes concertistes, diront à quel moment il faut commencer le crescendo ou une accélération, à quel endroit il faut utiliser les pédales, de quelle façon, etc., pour donner un relief à la pièce. Mais tout cela n'est qu'une convention si celui qui joue ne le « sent » pas ainsi.

Martin Stadtfeld semble proposer la musique tel qu'il « sent », peu importe si cela sort de l'acception sytlistique habituelle. Oui, son interprétation dérange. Mais il nous fournit matière à réflexion. Dans ce sens, il s'agit d'un musicien extrêmement intéressant.

plume Strapontin au Paradis
3 février 2016

Programme

Martin Stadtfeld, Prélude choral sur un thème de Bach.

Johann Sebastian Bach, Ricercare à trois voix, extrait de L'Offrande musicale BWV 1079.

Wolfgang Amadeus Mozart, Pièces du « Cahier d'esquisses londonien ».

Johann Sebastian Bach, Chaconne, extrait de la Partita no 2 pour violon seul, BWV 1004 (arragement de Martin Stadtfeld).

Frédéric Chopin, Polonaise héroïque, opus 53.

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