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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : Un parcours découverte : la musique instrumentale entre le temps de Bach et celui de Mozart : France

L'œuvre instrumentale de Michel Corrette

corrette

« Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité… » : cette formule ne peut que venir à l'esprit au moment d'évoquer ce musicien touche-à-tout qui fut avant tout un homme de son temps. En effet, Michel Corrette « peine à se débarrasser de son étiquette de musicien populaire, léger, prolifique et complaisant ; peut-on comprendre que l'auteur de méthodes pour le violon, l'alto, le violoncelle, la contrebasse, le pardessus de viole, la vielle à roue, la guitare, la mandoline, la harpe, le clavecin, la flûte à bec, la flûte traversière, le basson et le chant n'ait suscité que méfiance de la part des musicologues et des interprètes ? Dès le XVIIIe siècle, on déclarait de lui : Corrette a beaucoup composé, mais ses ouvrages sont morts avant lui. »1

On en oublierait presque que, dans ses jeunes années rouennaises, il acquit un solide métier auprès de son père, l'organiste et compositeur Gaspard Corrette, dépositaire d'une grande tradition illustrée par Titelouze, Boyvin et d'Agincourt, et que, plus tard, une fois établi à Paris, il allait durablement exercer des fonctions d'organiste, en consacrant à l'orgue une part significative de sa gigantesque production. Cela devrait suffire à le prendre au sérieux, et pourtant on a tendance à retenir avant tout l'image du compositeur de « concertos comiques » et de vaudevilles forains, bref, celle d'un amuseur de foules, ce qu'il fut également. Il nous reste un musicien attachant, un peu marginal sans doute, mais qui, justement par son esprit facétieux et ses penchants populaires, a toute sa place dans notre patrimoine musical.

Œuvres pour orgue

Trois livres d'orgue (1737, 1750, 1756), un livre de Noëls pour orgue ou clavecin (v. 1740), six concertos pour orgue ou clavecin (1756), douze Offertoires (1766), et des Pièces dans un genre nouveau (1787), non compris certains recueils perdus, dont un second livre de Noëls : décidément, tout au long de sa longue existence, notre musicien est resté fidèle à l'instrument sur lequel il  avait fait ses classes.

Dans ce vaste catalogue, où Corrette a obéi à des préoccupations multiples, tout n'est pas impérissable, loin s'en faut. « Compositeur trop prolixe, il n'a pas pris le temps de polir chaque pièce mais, en refusant la sclérose, en tentant la quadrature du cercle — respecter la pérennité cultuelle tout en bousculant le poids de la tradition —, il est pleinement homme de son temps. »2 Un temps où certains en venaient à demander de ne pas abuser des fugues à l'église, car « l'ennui n'est bon nulle part », et à appeler de leurs vœux une musique d'orgue plus en phase avec les goûts de la foule des fidèles, au risque de s'attirer les foudres des élites qui allaient bientôt, en réaction, lancer « des cris d'alarme en stigmatisant les ariettes, rigaudons, tonnerres et autres péchés mignons des organistes. »3

Des trois livres d'orgue, on peut vite oublier le troisième où Corrette élargit tellement ses préoccupations à la pédagogie qu'il en réduit la musique à la portion congrue. Les deux premiers, tout en restant des œuvres mineures, retiennent davantage l'attention : le musicien, en enchaînant une série de Magnificat dans les huit tons liturgiques, donne l'impression de vouloir cultiver la tradition du XVIIe siècle français, mais « le ton dérive vers l'anecdote italianisante (duos…) ou dans un pathétique qui pose au Grand Siècle (tierce en taille du Magnificat du premier ton, plein jeu du sixième), sans parvenir à en imposer. C'est plus l'atmosphère d'un heureux divertissement qui séduit Corrette, portée par une superbe invention mélodique (cromorne en taille du troisième et quatrième tons), et des recherches de timbre hédonistes (concerts de flûtes des troisième, quatrième et septième tons). »4

Michel Corrette, Magnificat du VIIIe ton, par André Isoir , orgue de Poitiers (Plein jeu, Duo, Trio).

 

Michel Corrette, Récit de trompette, musette, grand jeu, que l'on peut jouer à l'Offertoire, par André Isoir

À l'évidence, le musicien est beaucoup plus à son affaire dans son livre de Noëls. « Spontanément sensible à la veine rustique, il a souvent sacrifié à l'attrait des timbres de la Nativité dont maints textes gentîment salaces avaient de quoi mettre en joie cet auteur de vaudevilles. » [Et en effet] « il excelle à déployer un arc-en-ciel de coloris et d'atmosphères, à monter les crescendos agogiques propres aux variations de Noël, à introduire musettes et tambourins. C'est tout un petit monde de pastoureaux, de santons  en terre cuite qui s'agite, danse et se réjouit. La veine facile du musicien, sa tendresse à fleur de peau trouvent là un terrain idéal. »5

 

Michel Corrette, Où s'en vont ces gais bergers ? Par Stéphane Béchy, orgue de Saint-Merry, Paris.

 

Michel Corrette, Écoutez Merveilles, par Stéphane Béchy, orgue de Saint-Merry, Paris.

Dans ses six concertos pour orgue (Concerti a sei strumenti, cimbalo o organo obligati, tre violoni, flauto, alto viola e violoncello), qui, à l'exception du troisième, peuvent se jouer « sur l'orgue sans symphonie », Corrette se livre « sans frein à sa passion pour le concerto italien, et plus particulièrement pour les concertos d'orgue à la manière de Händel. […] Les tutti et soli alternent avec enjouement ; les allegros rivalisent de virtuosité joyeuse et de marches d'harmonie rebondissantes ; quelques adagios en mineur introduisent une note plus sentimentale dans la bonhomie générale. »6

 

Michel Corrette, Concerto opus 26, no 1, en sol majeur, I. Allegro, par René Saorgin et l'ensemble Baroque de Nice.

 

Michel Corrette, Concerto opus 26, no 1, en sol majeur, II. Gavotte, par Olivier Vernet et le Lachrimae Consort.

Dans ses ultimes Pièces pour l'orgue dans un genre nouveau, le compositeur, « au meilleur de sa forme créatrice, concilie dignité et fraîcheur et passe avec aisance de la douceur d'un andante haydnien à la verve d'un allegro alla Cimarosa, de la noblesse surannée d'un plein-jeu  Grand Siècle au charme des nouveaux Récits de hautbois (gloire du facteur F.H. Clicquot). Mieux, ces sources hétérogènes trouvent le moyen de former un tout cohérent, représentatif, à sa modeste échelle, de l'idéal d'universalité des Lumières finissantes. Mais le clou réside dans le Grand jeu et les deux Offertoires avec tonnerre. C'est là que les chalands attirés par le titre en auront pour leur argent. Corrette y livre à la connaissance du public ébaubi la recette pour contrefaire l'orage et le tonnerre… »7

Michel Corette, Grand jeu avec tonnerre par Marko Hakanpää, orgue de San Pietro in Montorio, Rome

Œuvres pour clavecin

Outre quelques petites pièces didactiques, on ne dispose de Corrette que de deux recueils pour clavecin seul  son premier livre de clavecin (1734) et ses Divertissements (1779), œuvres tardives qu'il est permis d'oublier. D'une fréquentation agréable, sans plus, le premier livre révèle dans le jeune musicien « un fidèle disciple de l'école française de l'instrument. Sa nature domine pourtant : il ne faut pas chercher en effet derrière les titres de ses pièces comme Les idées heureuses, Les Giboulées de mars ou Les Fanatiques autant de savantes recherches harmoniques ou rythmiques que chez Couperin. Ludique, sa musique demeure, dans son côté descriptif, très au premier degré. Les danses sont bien galbées mais pas de barricades mystérieuses, peu d'exploits digitaux ni d'évocations poétiques dans ces suites. »8

Michel Corette, « Les étoiles », du 1er Livre, suite III, par Skip Sempé.

Œuvres de chambre 

Dans divers opus, Corrette a cultivé, en suivant largement la mode italienne, les différents genres habituels à son époque (sonate en trio, sonate pour clavecin avec accompagnement d'un instrument mélodique, sonate pour un instrument avec basse continue). Il y montre de nouveau une réelle habileté et une grande veine mélodique, mais ces musiques essentiellement divertissantes ne suscitent de véritable intérêt que lorsqu'elles en appellent à l'humour et au pittoresque. A cet égard, c'est peut-être dans les suites pour musette et basse continue (opus 5), dans les fantaisies pour vielle à roue et basse continue (opus 6) ou dans La Belle Vielleuse, autant de pièces illustrant l'ascension sociale de deux instruments longtemps relégués dans les  bas-fonds de la cité, que l'amateur verra le mieux sa curiosité récompensée.

Michel Corrette, Suite III, opus 5, pour musette (Gigue).

 

Concertos et Symphonies

Ici, à côté des concertos pour orgue déjà cités et d'autres concertos (pour flûte traversière, pour musette ou pour cor de chasse), ce sont bien sûr les Concertos comiques qui captent l'attention. Ainsi nommés parce qu'ils servaient d'intermèdes à l'Opéra-Comique, et probablement écrits entre 1732 et 1757, ces vingt-deux « ouvrages très amusants et récréatifs » (selon les propres termes de l'auteur) sont composés sur des thèmes de chansons populaires (J'ai du bon tabac, Ma mie Margot, Tante Tourelourette, V'là c'que c'est q' d'aller au bois…). Leur séduction tient en partie à leur variété sonore, mais au moins autant à d'autres éléments : « leur concision, leur verve, la simplicité de leur thème et de leur développement ».9

Michel Corrette, Concerto comique no 24, «  La Marche du Huron », pour flûte, cordes et basse continue, par Claire Guimond et Cie.

 

Michel Corrette, Concerto comique no 7, « La servante au bon tabac » par par Claire Guimond et Cie.

On y associera, car ils sont tout aussi plaisants, les recueils de Symphonies de noëls arrangés en quatuors. Dans ces œuvres qu'il publia en 1781, Corrette nous promène entre la France et différents pays sur divers thèmes de Noëls traditionnels, et on y retrouve des airs qui nous étaient familiers (Joseph est bien marié, Or nous dites Marie, Où s'en vont ces gais bergers, Une jeune pucelle…).

Symphonie des noëls no 2 en re majeur (I. Allegro ; Où s'en vont ces gais berger ; II. Largo, Noël polonais ; III. Allegro ; Laissez paître vos bêtes, par Claire Guimond et Cie.

Biographie de Michel Corrette

Notes

1. Gregory Serge, dans « Répertoire » (163), décembre 2002.

2. François-Sappey Brigitte, dans GIlles Cantagrel (direction), « Guide de la Musique d'orgue », Fayard, Paris 2003, p. 284.

3. Ibidem, p.284.

4. Desmet Marc, , dans « Le Monde de la musique » (241), mars 2000.

5. François-Sappey Brigitte, op. cit., p. 285-286.

6. Ibidem, p.286

7. Ibidem, p.287

8. Macia Jean-Luc, , dans « Diapason » (480), avril 2001.

9. Parouty Michel, dans François-René Tranchefort (direction), « Guide de la Musique symphonique », Fayard, Paris 2002, p.194.

voir : Jacques Duphly  (1715-1789)Michel Blavet  (1700-1768)Armand-Louis Couperin  (1727-1789)Claude-Bénigne Balbastre (1727-1799) Pancrace Royer (v.1705-1755)Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772)Jean Barrière (1707-1747)Louis-Gabriel Guillemain (1705-1770)Nicolas Chedeville (1705-1782)François-André Danican, dit Philidor (1726-1795Joseph-Marie Amiot (1718-1793.


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Mardi 24 Janvier, 2023