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Sacrée musique que cette musique sacrée !1 : La Petite messe solennelle de Rossini

Chœur de l'Opéra de Dijon. Photographie © Gilles Abbeg.

Dijon, Auditorium, 18 septembre 2016, par Eusebius ——

Premier concert de la saison, avant un Orfeo attendu avec curiosité, l'Opéra de Dijon nous propose la Petite messe solennelle de Rossini. Plus souvent illustrée au disque qu'au concert, pour n'être pas aussi célèbre que ses opéras, elle mérite d'être mieux connue. « Petite » ? Certainement un trait d'humour du compositeur puisqu'elle dure une bonne heure quarante-cinq. « Solennelle » ? Simplement par l'ajout de l'Offertoire et du O salutaris à l'ordinaire traditionnel. Singulière messe en effet que celle-ci. Par son effectif (quatre solistes, huit choristes,  deux pianos et harmonium)2,  par sa destination (la chapelle privée de l'hôtel particulier de la Comtesse Pillet-Will) et, surtout, par son style. Rossini, dans son œuvre ultime, associe tout ce qui caractérise la musique catholique de l'époque, y compris dans ses tendances opposées. Le mouvement cécilianiste, qui prône le retour à la tradition palestrinienne, et le courant symphoniste, hérité du monde germanique, italien, et français dans une moindre mesure, avec la porosité du théâtre lyrique, qui faisait fureur. Ainsi se succèdent des pages marquées par l'influence de Donizetti, Palestrina et Bach, mais surtout par le sceau unificateur du génie de Rossini.

L'opéra n'est jamais très loin, particulièrement dans nombre de numéros où le, la, ou les solistes déploient leur art. Futilité brillante où le bel canto troque le costume de scène pour le surplis, ou expression d'une foi sincère ? Là est le piège, dans lequel tombent aisément la plupart des interprètes, y compris les plus grands : la trivialité opératique, les formules d'accompagnement renvoyant à la danse si on n'y prend garde, et ce dès l'introduction du Kyrie. Ainsi, ce continuo du piano, qui selon les lectures peut aller du grave, inquiet, tourmenté, au rappel d'une danse à laquelle certains donnent un tour guilleret.

Anass Ismat et Nicolas Chesneau (3) ont fait le choix d'une version recueillie et forte. Ce parti pris ne se démentira jamais. Le Christe, beau double canon alla Palestrina, a cappella, confirme les qualités rares du chœur. Le Gloria, très développé, théâtral, éclatant, va permettre aux solistes de briller. Le trio du Gratias est très contenu,  le ténor, Yu Chen, nous offre un Domine Deus brillant, jamais vulgaire, où tant de grands chanteurs se complaisent.  Les deux voix de femme du Qui tollis sont également convaincantes, Aurélie Marjot et Delphine Ribemont-Lambert s'accordant merveilleusement. Le Quoniam, nous permet d'apprécier Rafael Galaz, basse sonore, prometteuse,  à la voix bien projetée. Le Cum sancto spiritu associe les solistes au chœur, avec un Amen fugué de belle facture4. On se retient d'applaudir tant cette dernière pièce, au centre de l'œuvre, est impressionnante par sa dynamique, sa clarté, le phrasé autonome de chaque partie. Un régal.

Après l'affirmation du Credo homophone, le Crucifixus permet à la soprano, pleinement épanouie, de donner toute sa mesure. L'Et resurrexit, remarquablement conduit, la belle fugue de l'Et ascendit, et celle, double et jubilatoire, de l'Et vitam venturi sont un pur bonheur : une écriture admirable, chantée merveilleusement. Le Preludio religioso, Offertoire, confié ici au seul piano, renvoie à Bach, que pratiquait alors Rossini. Nicolas Chesneau nous en offre une version qui, à elle seule, justifiait le déplacement. Le Sanctus, comme l'avait été le Christe, est confié au chœur a cappella. Surprenant par ses chromatismes et ses modulations, le O salutaris est chanté par la soprano. Mais c'est à la voix chère entre toutes au compositeur, au contralto, et au chœur  qu'est confié l'Agnus Dei. La mélodie des trois invocations, harmonisée chaque fois de façon différente, se conclut par le poignant Dona nobis pacem.

Intime, délicate et puissante, d'une dynamique inaccoutumée pour le temps (du quadruple piano au fortissimo), cette magnifique page est interprétée magistralement.  À la perfection, au fini de l'exécution, on imagine le travail accompli en amont et l'engagement de chacun. La direction d'Anass Ismat, sobre et efficace, est un modèle du genre, elle impose un modelé, des phrasés, des accents et des progressions rarement entendus. Le piano de Nicolas Chesneau n'est pas en reste, au toucher exemplaire.  Rien que du bonheur.

Eusebius
19 septembre 2016

1. Rossini écrivait le 3 avril 1864 : « Bon Dieu… la voilà terminée, cette pauvre petite messe. Est-ce bien de la musique sacrée que je viens de faire, ou bien de la sacrée musique ? J'étais né pour l'opera buffa… »

2. La partie de second piano, faisant office de ripieno, renforce simplement celle du premier dans les passages qui le requièrent, et, compte tenu de la puissance des instruments modernes, on en fait le plus souvent l'économie. L'effectif choral, doublé, se justifie par la taille de la vaste salle de l'Auditorium. L'harmonium, lointain descendant de la régale, hérite de ses anches libres et de son timbre, qui ne sera confondu avec celui de l'orgue que par le néophyte. Si Rossini choisit l'harmonium, né dans la première moitié du XIXe siècle,  plutôt que l'orgue (celui de salon était aussi répandu), c'est pour ses couleurs singulières. Une des rares réserves du concert réside  dans l'usage d'un synthétiseur dont l'échantillonnage rappelait davantage l'orgue. Par ailleurs, la balance entre le piano et cet instrument était par trop défavorable au second : sauf dans le Crucufixus, et dans son solo du Sanctus, seules les tenues finales étaient vraiment perceptibles, ce qui est bien dommage lorsqu'on sait que l'écriture de sa partie complète plus qu'elle ne duplique celle de piano.

3. On connaissait le chef de chant, le chef (dont la dernière production de Curlew River, de Britten, avait fait forte impression), on découvre un pianiste digne d'Anne Le Bozec, qui fut son mentor.

4. À la création, un banquet, rassemblant les auditeurs, dont Auber, Carafa, Ambroise Thomas et Meyerbeer, intervint avant le Credo. Mondanités obligeaient.

 

Eusebius, eusebius@musicologie.org, ses derniers articles : Commémorations de 2017, il n'y a pas que Monteverdi…Les oubliés du Grand siècle, avec Les MeslangesL'opéra autrement, avec Rigoletto à SanxayLes Musicales de Châteauneuf s'ouvrent magistralement avec Juliette MazerandAntoine-Esprit Blanchard : la révélation d'un sous-maître — Sonya Yoncheva, merveilleuse Iris candide et solairePlus sur Eusebius.

 

 

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bouquetin

Mercredi 21 Septembre, 2016 0:49