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Dijon, Auditorium, 14 janvier 2017, par Eusebius ——

Bach dans ce qu'il a de plus intime, plus que jamais…

Anna-Lucia Richter. Photographie © D. R.

Le programme s'intitulait « Musique de la Réforme, J.-S. Bach / G.C. Schemelli »1. Heureusement Andreas Staier, maître d'œuvre, avait organisé son propos en dépassant le stade de la Hausmusik.

Le quatrième des six petits préludes, en majeur, d'apparence modeste, ouvre magistralement le concert : Andreas Staier joue, au plein sens du terme, les phrasés sont exemplaires, la polyphonie évidente par sa lisibilité. La cantate Der Friede sei bei dir (BWV 158), rare, est un régal. Georg Nigl2 nous ravit par son chant, expressif à souhait, par sa souplesse et son articulation. Anna-Lucia Richter n'intervient que pour les chorals (le cantus firmus de Welt ade, ich bin dein müde, et un couplet de Christ lag in Todesbanden). Son legato vivant et très soutenu, la couleur chaude de  la voix sont la promesse d'une belle soirée. Et ce fut en effet une magnifique soirée.

La tradition des Gesangbücher — plus que centenaire lorsqu'est publié le recueil de Schemelli (1736) — a été illustrée par pratiquement tous les musiciens réformés et luthériens.  Les volumes étaient destinés à la pratique familiale, le plus souvent conduite par l'épouse du chef de famille. Les chorals, réduits à leur ligne mélodique et à une basse continue, sont simples et très brefs (ils comptent rarement plus de 40 mesures)3.  Nous en écouterons quatre, confiés tour à tour à chacun des solistes. Retenons les deux Vergiss mein nicht (BWV 504 et 505), qui n'ont en commun que l'incipit littéraire. C'est l'occasion pour la soprano de nous révéler combien sa pratique d'une ornementation appropriée peut faire de ces petites pièces des moments de ravissement.

La cantate Ich habe genug est surtout connue confiée à une basse. On ignore souvent que, dès 1725, Bach en intégra, transposés, le récitatif initial suivi de l'aria « Schlummert ein » dans le second Notenbüchlein pour Anna Magdalena, pour soprano donc, avant de réviser toute la cantate pour cette voix, en 17314. La réduction de l'orchestre au clavecin, au violon et au violoncelle rend une forme de sincérité humble à ce chef-d'œuvre.  Un sommet de cette soirée, sinon le sommet. La voix ample, sonore, bien timbrée d' Anna Luisa Richter5 lui donne toute l'expression appelée tant par le texte que par la musique. Ce ne sont pas moins que cinq extraits de cantates, judicieusement choisis, que nous écouterons ensuite, parfois enchaînés, mais aussi faisant place à des pièces instrumentales. Ainsi la sarabande de la cinquième suite pour violoncelle seul, le cantabile de la sonate BWV 1019 pour violon et clavecin6, qui illustrent à merveille l'art du baroque instrumental. Ainsi le prélude de choral Wer nun den lieben Gott lässt walten BWV 691, par Andreas Staier.  Naturellement, chacune des parties s'achève par un duo. D'inspiration piétiste fondé sur le dialogue entre l'Ame et Jésus, où ce dernier prodigue le réconfort, le duetto (no 8) de la cantate Ich hatte viel Bekümmernis, Komm, mein Jesu, und erquicke, est empreint d'une sérénité confiante. L'aria et le récitatif dialogué (Meine Glaube hat mich selbst so angezogen) de la cantate BWV 49 concluent ce moment de bonheur partagé pour lequel Andreas Staier  et ses amis ont donné le meilleur d'eux-mêmes.

Eusebius
14 janvier 2017
Tous ses arcicles

1. Ce qui était très fallacieux : Bach, si immense que soit son œuvre, ne peut  à lui seul résumer musique de la Réforme, fut-elle limitée au mode germanique,  de Walther à Mendelssohn, voire au-delà. D'autre part, si Schemelli fut compositeur, ici son seul rôle fut de compiler Bach. « Les mélodies ont été en partie entièrement recomposées et en partie améliorées pour ce qui est de la basse continue par Monsieur Jean-Sébastien Bach » (préface du recueil). Le programme imprimé, certainement rédigé avant que soit connu le détail des œuvres jouées, limite son commentaire au recueil de Schemelli.  Dommage. On regrette par ailleurs que les textes chantés (ou leur résumé) n'aient pas été publiés. Inconnus de la quasi-totalité du public, malgré l'excellente articulation des chanteurs, on sait combien ils sont essentiels, au sens le plus fort, en dehors de toute illustration figuraliste.

2. Il y a deux ans, ici même, Georg Nigl et Andreas Staier avaient fait très forte impression dans un tout autre répertoire, Winterreise5. Dont nous avions rendu compte

3. En 1978, Peter Schreier  enregistrait des chants spirituels du recueil de Schemelli, avec Karl Richter à l'orgue (Archiv). Le chant simple, naturel de Schreier souffrait de la réalisation de la basse continue, prétexte pour Richter de démontrer son savoir-faire.

4. Quatre versions de la cantate nous sont parvenues : la première pour basse, hautbois cordes et basse-continue ; la deuxième pour soprano, où la flûte traversière remplace le hautbois ; la troisième pour mezzo, avec hautbois ; la quatrième enfin pour basse, avec l'ajout d'un second hautbois (da caccia).  Sans compter la version du Petit livre d'Anna Magdalena.

5. Anna-Lucia Richter, rare en France, s'est déjà assurée une solide réputation partout ailleurs. Avec un très large répertoire, de la musique baroque à la contemporaine. Wolfgang Rihm, après l'avoir écoutée, écrivit à son intention son cycle Ophelia sings dont elle fut la créatrice.

6. L'aria « Auch mit gedämpften, schwachen Stimmen » de la cantate BWV 36 est aussi l'occasion pour le violon solo, avec sourdine, de s'illustrer en énonçant la ritournelle et en enlaçant la ligne vocale de ses arabesques.

« Musique de la Réforme » : Anna-Lucia Richter (soprano), George Nigl (baryton), Petra Müllejans (violon), Robert Dieltiens (violoncelle), Andreas Staier (clavecin et direction).

Eusebius, eusebius@musicologie.org, ses derniers articles : American Classics, avec Sharon Kam et l'Orchestre Dijon-BourgogneDes pissenlits par la racine, ou Orphée dans la taupinièreTriomphale création française de Sheherazade 2, de John AdamsFlamboyante Magdalena KozenaÉblouissant Thomas Enhco & CoChouchane Siranossian : Ange ou diable(sse) ?La saturnale dijonnaise du Kronos QuartetUne Création de Haydn achevée et rayonnante à DijonPlus sur Eusebius.

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