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Dijon, Auditorium, 7 février 2017, par Eusebius ——

Mariam Batsashvili et Gábor Takács-Nagy, ou l'excellence épanouie

Mariam BatsashviliMariam Batsashvili. Photographie © D. R.

Les premiers accords de l'ouverture des Créatures de Prométhée suffisent à présumer d'un orchestre et de sa direction. Le plus souvent, une ouverture en guise… d'ouverture du concert symphonique est le moyen de chauffer l'orchestre avant d'attaquer le plat principal, et on attend, curieux mais quelque peu blasé. Ce soir, rien de tel : les attaques, comme les fins, sont exemplaires de précision, de couleur et d'intensité, l'orchestre se révèle embrasé par l'énergie du chef, qui dirige du corps, du regard,  à mains nues. Les phrasés, l'articulation sont superbes, les équilibres forcent l'admiration, avec  une dynamique qui ne se démentira jamais. Un Beethoven comme on l'aime, puissant, souple, contrasté, qui nous enivre.

Si la partition du concerto pour piano, opus 7,  de Clara Schumann était connue de longue date, elle semblait dédaignée. C'était oublier que Clara ne fut pas seulement l'auteur de nombreux Lieder (dont certains toujours attribués à Robert), la collaboratrice active de ce dernier, mais aussi la compositrice de nombreuses œuvres pour piano, d'un trio, de romances pour violon et piano, sans oublier des cadences pour deux concertos de Beethoven et  pour le K 466 (en ) de Mozart. Ce concerto, achevé en 1836, reprend pour allegro final, une pièce écrite alors qu'elle avait douze ans.

L'introduction du premier mouvement (allegro maestoso), puissante, grandiose plante le décor. L'écriture pianistique, virtuose, sent quelque peu Chopin et permet à la soliste de faire montre d'une large palette expressive aux touchers riches et variés. Le second thème annonce ou rappelle Schumann et Mendelssohn1. Les progressions sont remarquablement conduites, l'orchestre somptueux. Le mouvement lent, infiniment romantique, commence par un ample solo de piano, fluide, léger, insistant comme lyrique, qui appelle le violoncelle à se joindre à lui pour une belle page de musique de chambre, intimiste. Un duo d'amour comme la musique instrumentale en compte  peu. Un simple roulement de timbales permet une sorte de coda-transition au finale. Celui-ci nous offre  à travers ses épisodes variés, une collection de pièces contrastées révélatrices de l'air du temps : l'héroïsme, la fougue s'y marient aux danses de salon, aux romances d'un lyrisme parfois convenu, pour une conclusion grandiose, qui appelle les acclamations d'un public conquis.

Gábor Takács-NagyGábor Takács-Nagy. Photographie © D. R.

D'allure juvénile, aussi frêle que volontaire, Mariam Batsashvili vit la musique avec intensité, elle est la musique. La provocation des tenues en moins2, sa gestique rappelle celle de Yuja Wang, de six ans son aînée3. Sa technique, éblouissante, est particulièrement remarquable dans la légèreté des traits, dans la délicatesse et la poésie, dans la respiration qu'elle impose à la musique. La puissance de son jeu, nonobstant sa stature, surprend plus d'un, et le beau bis qu'elle nous offre en est l'occasion.

Trop souvent, la musique orchestrale de Robert Schumann paraît épaisse, pâteuse, indigeste, y compris lorsqu'elle est confiée à des formations prestigieuses. Sans doute la faute en incombe-t-elle pour partie aux chefs. La démonstration est faite, ce soir, que ce monument, imposant, l'ultime symphonie qu'il ait écrite, pouvait être un moment de bonheur lorsque l'exigence de direction en allégeait le « gras », le remplissage harmonique, souvent confié aux cordes, pour sculpter les phrasés circulant entre les pupitres. La clarté des  bois, l'éclat des cuivres, tout concourt à renouveler l'intérêt de façon constante, avec un élan rythmique et une dynamique peu communes. L'Orchestre Dijon Bourgogne apparaît sous son meilleur jour, pour une interprétation souple, nerveuse, étonnamment claire. La romance, très retenue, chante, aux couleurs chambristes, transparentes, d'une rare poésie. Le scherzo bondissant, dans un tempo très soutenu, le trio retenu sont admirables. Le finale, puissant, animé, nous ravit par la clarté de ses lignes et de sa construction : la strette où le thème des violoncelles passera aux altos, puis aux seconds et premiers violons, élargie aux bois, est un modèle de conduite.

Gábor Takács-Nagy, violoniste talentueux, chambriste, se consacre maintenant exclusivement à la direction4. Son intelligence du texte, sa capacité à construire une architecture, à dessiner les lignes, à modeler et colorer l'ensemble, sans oublier la vie intense qu'il donne à l'œuvre, le bonheur partagé des musiciens dont il obtient le meilleur nous réjouissent. N'oublions pas les solistes, dont aucun n'a démérité.

En bis, présenté par le chef dans un français réjouissant, la première danse hongroise, en sol mineur, de Brahms5.

Eusebius
8 février 2017
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1. le concerto est écrit neuf ans avant celui de Robert, dans la même tonalité (la mineur) ;

2. col roulé écru, pantalon et veste sombres ;

3. Mariam Batsashvili est née en 1993 à Tbilissi (Géorgie). Dès 2011 commençait sa moisson de récompenses : 1er prix du concours Liszt de Weimar, 1er prix du concours d'Utrecht, remis par la Reine elle-même en 2014, Prix Arturo Benedetto Michelangeli en 2015. Avec un tel bagage, la carrière s'ouvre sous les meilleurs auspices. Après un récital à La Philharmonie de Paris, elle part pour Birmingham, puis pour Lisbonne.

4. Le contrat qui le lie à la Camerata de Manchester est reconduit jusque 2019.

5. L'une des trois qu'il orchestra de sa main.

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