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17 mars 2018, par Jean-Marc Warszawski ——

« La bourrée à Camille » a été écrite et composée par Yvon Guilcjher

Yvon Guilcher. Photographie © Les Musiciens de Saint-Julien. Yvon Guilcher. Photographie © Les Musiciens de Saint-Julien.

La chanson « Les Loups », 7e titre du nouvel album de la chanteuse Camille Dalmais, Ouï, présentée comme l’arrangement d’une chanson traditionnelle, a été écrite et composée par Yvon Guilcher dans les années 1990, enregistrée sur support K7, puis sur cédé en 1997. Cette chanson originale (Je mène les loups) est un pastiche (« dans le style de »), que l’auteur et compositeur n’a pas jugé bon de déposer à la SACEM, comme des dizaines d’autres de ses œuvres, souvent destinées à ses stages de danses traditionnelles.

Si on en juge par le succès (un standart dans le milieu folk et trad), cette chanson est fort réussie, le pastiche aussi. La production du dernier cédé de Camille avance qu’on a trouvé cette chanson dans un vieux grimoire. Cela est un peu gênant, car ce ne semble pas possible (quel grimoire ?), mais il faut bien donner des éléments de communication vendeurs.  Je mène les loups est tellement plus vrai que vrai, qu’on a certainement pensé qu’il s’agissait d’un air traditionnel repris dans l’enregistrement de 1997, d’autant que l’œuvre n’était pas protégée. A priori, la bonne foi ne fait pas défaut. On a repris ce qu’on pensait être une reprise. Yvon Guilcher ne demande pas un sou, il veut simplement que cette chanson qui n’est ni de Camille Dalmais, ni sortie d’un vieux grimoire lui soit attribuée. Dépôt SACEM ou pas, il y a antériorité. Le papa désire qu’on reconnaisse sa paternité, c’est une question d’amour et d’amour propre, il n’a pas besoin de pension alimentaire. On pourrait même tiquer un peu sur les arrangements (sur une chanson traditionnelle) que Camille Dalmais a déclarés à la SACEM (la chanson étant intégralement celle enregistrée par Guilcher, avec quelque habillage surajouté).

Yvon Gilcher et né dans le populaire traditionnel avec des parents chercheurs, qui ont collecté des milliers de chansons et danses dès les années 1945. S’il a passé l’agrégation d’Allemand et enseigné jusqu’à la retraite, il a continué l’œuvre familiale. Il joue divers instruments, flûtes à bec, cromorne, cornemuses, cuillers, joue et chante pendant près de vingt ans dans le groupe Mélusine, anime des ateliers de danse au sein d’une association créée avec sa sœur Naïk. Dans ce cadre, il invente des centaines de pastiches, illustrations de ses recherches, mais aussi pratiquement pour faire danser. Il est aussi docteur en ethnologie avec une thèse qui fait autorité, sur les danses anciennes.

Dans les années 1990, animant des stages sur les bourrées de Pont Chrétien (Berry), manquant de mélodies adaptées, Yvon Guilcher, pensant que le cordonnier ne devait pas être le plus mal chaussé, a fabriqué une vraie fausse bourrée à deux temps pour les besoins de la cause. À l’origine, Je mène les loups comptait 5 couplets, trois seulement ont été enregistrés, les trois chantés par Camille, qui d’ailleurs reprend intégralement la chanson, sauf la dernière note du couplet dont la fausseté chagrine le compositeur. Quant au danseur chercheur, il déplore que la reprise en public de sa chanson par Camille donne lieu à des bourrées fantasques, gesticulations qui sont pour lui méprisantes pour le monde rural ancien et présent, pour la culture populaire. Outre l’antériorité des enregistrements, Yvon Guilcher peut expliquer précisément les sources tant musicales que littéraires de sa chanson.

J'aimerais dans la mesure du possible [...] qu'on rectifie la fausse note dans le refrain [...] Je ne dépose pas mes chansons, j'aime qu'elles circulent, je n'ai jamais gagné un centime dessus. Mais je vais simplement écrire à Camille [...] Que cette bourrée soit dansée correctement, dans la joie et le respect des cultures populaires.

Côté Camille, c’est silence radio. Cela est d’autant plus regrettable que l’enregistrement effectué en 2004, sorti en 2008, avec copyright de 2005, par François Lazarevitch et « Les Musiciens de Saint-Julien », mentionne clairement le nom du compositeur : Yvon Guilcher.

Le pire est que cette demande a déchaîné une vague hystérique sur les réseaux sociaux, comme on en connaît pas mal ces derniers temps, pour accabler le compositeur. La presse des milliardaires, plus soucieuse de buzz que d’information y a apporté son écot en boucle avec des titres ambigus tels « La chanteuse a-t-elle détourné l'œuvre d'Yvon Guilcher ? » (Ouest France, 12 mars 2018), « La chanteuse Camille s'approprie-t-elle l'œuvre d'Yvon Guilcher ? » (Fr 3 Bretagne, 12 mars 2018), « Avec Les Loups, Camille soupçonnée de s'être appropriée le titre d'un autre » (Le Figaro, 13 mars 2018), « La chanteuse Camille accusée d'avoir plagié un artiste breton » (Le Parisien, 13 mars 2018). Or, Yvon Guilcher n’accuse pas, ne soupçonne pas, ne parle pas de détournement, à aucun moment ne met la bonne foi de la chanteuse en doute. Il s’agit d’une simple reprise de sa chanson à une note près, et veut que cela se sache. Il n'y a pas de « Bourrée à Camille ».

L'éditeur de Camille, Michel Duval, joint par Ouest-France, dit que Camille a entendu cette chanson dans des bals, et qu'elle pensait qu'il s'agissait d'une chanson traditionnelle (belle mémoire pour la musique et les paroles) : « En aucun cas, Camille ne s’est déclarée auteur et/ou compositeur de cette œuvre et n’a revendiqué sa propriété et/ou paternité. » (Ouest France, 15 mars 2018).

Certes, mais personne n'a accusé Camille d'avoir fait cela. Il lui est simplement demandé de signaler l'auteur et le compositeur de cette chanson quand elle la chante. Maintenant qu'elle est informée, le fera-t-elle ? C'est la question posée, à laquelle il n'est pas répondu.

« je mène les loups » par les Musiciens de Saint-Julien (2004), puis par Yvon Guilcher (1997).
Camille aux Folies-Bergères de Paris 21 novembre 2017. Prise de vues amateur.

Pour le moment, sauf nouvelles pièces au dossier !

Quelques liens utiles pour mieux connaître le travail d'Yvon Guilcher

Emission « Peuples & Musiques » (12), diffusée dans « 'Folk à Lier » sur Radio-Libertaire, 5 avril 2009.

Dernières tendances de la danse (dans les sociétés « post-trad »), Le Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes.

L'Atelier de danse populaire

plume 6 Jean-Marc Warszawski
17 mars 2018


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