musicologie

Monaco le 21 décembre 2023 —— Jean-Luc Vannier.

Balanchine et Ravel réunis par la magie des Ballets de Monte-Carlo

La Valse. Photographie © Alice Blangero.

« His philosophy – “there is no future ; it is the present forever” – was as simple as it was irrefutable » écrit l’ancienne ballerine du New York City Ballet Toni Bentley à propos de Balanchine (Toni Bentley, Serenade, A Balanchine Story, Pantheon Books, New York, 2022, p. 26). C’est peut-être inspiré par cet aphorisme de Georgui Melitonovitch Balantchivadze (1904-1983) que Jean-Christophe Maillot a décidé d’offrir pour les fêtes de fin d’année en Principauté une inoubliable — hors le temps — « Soirée Maurice Ravel » en hommage chorégraphique au Prince Rainier III : La Valse de G. Balanchine et L’Enfant et les Sortilèges. Un cadeau d’autant plus sublime qu’il conjoint toutes les pépites culturelles monégasques : les Ballets de Monte-Carlo, l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo sous la direction de David Molard Soriano, le Chœur de l’Opéra (Stefano Visconti), les Académies lyriques de l’Opéra récemment créées par Cecilia Bartoli et avec l’aide de la « Cecilia Bartoli Music Foundation », les Chœurs d’enfants de l’Académie de Musique et Théâtre Rainier III (Bruno Habert).

La Mort (Jaat Benoot). Photographie © Alice Blangero.

Si l’immuabilité du présent éclaire les œuvres d’art, le directeur des Ballets de Monte-Carlo aura donc réussi à instaurer une harmonie chorégraphique entre, d’une part, La Valse achevée en 1920 après les Valses Nobles et Sentimentales de 1911 mais à jamais clivées dans la psyché du compositeur par les horreurs de la 1re Guerre mondiale et, plus encore, par le décès de sa mère en 1917 et, d’autre part, L’Enfant et les Sortilèges, opéra créé à Monte-Carlo le 21 mars 1925 mais cette fois chorégraphié et présenté dans une nouvelle mouture rassemblant plus de 240 participants.

Ashley Krauhaus (L'Enfant). Photographie © Alice Blangero.

L’étude chorégraphique de La Valse, remontée ici dans la version « historique » du New York City Ballet (NYCB) de février 1951 par Patricia Neary (1942 -), entrée elle-même au NYCB en 1960 et devenue Ambassadrice pour le Balanchine Trust, met en exergue un classicisme d’une telle élégance esthétique — gracilité tout aérienne de la gestuelle — et d’un tel raffinement poétique — costumes en mousseline de soie signés Karinska — qu’il en émeut profondément le public du Grimaldi Forum. La chaude sensualité suggérée par des jeux de bras lors d’un « dos à dos » du pas de deux, n’en laisse pas moins advenir la figure glaçante de la mort (Jaat Benoot) où, sur des accords déplacés et des rythmes dissolus, le mouvement chorégraphique se vide de toute grâce pour devenir un terrible enchainement mécaniste, désarticulé : le perinde ac cadaver des Jésuites. Magnifique !

L'Enfant et les Sortilèges. Photographie © Hans Gerritsen.

En deuxième partie, Jean-Christophe Maillot laisse filtrer dans cette création d’envergure de L’Enfant et les Sortilèges — peu subsiste, nous dit-on, de sa première lecture de l’œuvre en 1992 — beaucoup plus de messages personnels dont celui d’un questionnement critique de l’autorité parentale (Mimoza Koike pour la mère et Artjom Maksakov pour le père) n’est pas le moindre. Outre la fantasmagorie exubérante des animaux (costumes et décors de Jerôme Kaplan) dont le pic imaginaire revient sans doute aux facétieuses Grenouilles (Gaëlle Riou, Alexandre Joaquim, Kizuki Matsuyama) et aux plus angoissantes Chauves-souris (Elena Marzano, Koen Havenith et Alessio Scognamiglio), cette création, après celle d’un tout autre genre de Jeroen Verbruggen en 2016, retenait néanmoins l’attention par la simultanéité de la danse et du chant qui offrait un « spectacle total » : Ashley Krauhaus (L’Enfant) nous a expliqué dans un bref entretien accordé à l’issue de la représentation que le plus difficile avait consisté à « se remettre dans la peau d’un enfant » et « à retrouver psychologiquement et physiquement l’esprit diabolique (devilish) et provocant ». Les « deux moments les plus sensibles », a-t-elle ajouté, furent celui où « elle serre sa mère dans ses bras » mais aussi celui où s’instaure un dialogue, au départ rugueux, avec La Princesse (Laura Tisserand). Dialogue qui, semble-t-il, aura réactivé quelques réminiscences infantiles. De même, Cécile Madelin qui chante le rôle de L’Enfant sur le côté de la scène du Grimaldi nous a confié « qu’elle s’était concentrée sur le plateau afin d’observer la chorégraphie d’Ashley Krauhaus pour mieux s’inspirer vocalement du rôle ». Elle s’était posé la « question délicate de savoir comment se positionner : soit s’en tenir à une version de concert en suivant essentiellement le maestro, soit se mettre en symbiose avec la scène ». Son choix de la seconde option nous aura gratifié d’une « interprétation plus expressive » et « plus inspirante » : en témoigne sa lente envolée extatique sur « Ah, quelle joie de te retrouver, jardin ! » pour cette voix très prometteuse de soprano qui concilie sans effort le dramatique avec le lyrique.

Danseurs, chanteurs, chœurs et orchestre, félicitons — et remercions — ces équipes artistiques, humaines et techniques pour cette envoûtante « Soirée Maurice Ravel » et dont Monaco possède encore les talents — Sic itur ad astra — pour nous en délecter.

Monaco le 21 décembre 2023
Jean-Luc Vannier
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bouquetin

Mardi 26 Décembre, 2023 18:27