musicologie

Nice, 16 septembre 2023 —— Jean-Luc Vannier.

Carl Ghazarossian et son Cœur en forme de fraise : un vibrant hommage à Francis Poulenc

Francis Poulenc, Le Coeur en forme de fraise, Carl Ghazarossian (ténor), Emmanuel Olivier (piano), Hortus 2023 (HORTUS 225).

Après son coming out lyrique avec J’aurais voulu être une chanteuse, précédent opus et premier enregistrement que nous avions beaucoup apprécié, le ténor marseillais Carl Ghazarossian récidive dans un album entièrement consacré à Francis Poulenc. Capable d’une mystique la plus évanescente après son retour au catholicisme dans ses Dialogues des Carmélites (1957) comme de l’ironie la plus iconoclaste avec Les Mamelles de Tirésias (1947), Francis Poulenc s’est aussi adonné à la mélodie sérieuse tout comme à la chanson populaire : deux registres dont Guillaume Apollinaire (1880-1918) et Paul Eluard (1895-1952) furent les inspirateurs. Le premier, selon Francis Poulenc dans son « Journal de mes mélodies », pour « son ironie toujours voilée de tendresse et de mélancolie », le second dont il dira que « c’est grâce à lui que le lyrisme a pénétré dans mon œuvre vocale à cause de la chaleur de ses images ». Outre quelques-unes des truculentes Chansons pour enfants de Jean Nohain (1900-1981), ce CD se concentre sur ce « pendant féminin à Tel Jour, telle nuit » de P. Eluard composé en 1939 ainsi que sur ses Fiançailles pour rire qui évoquent Louise de Vilmorin (1902-1969).

Autant dire que cet enregistrement publié chez Hortus nous trimballe sans ménagement dans un répertoire déroutant : entre deux pièces aux accents déchirants surgissent des morceaux aussi réjouissants que ludiques. Il faut d’autant plus nous accrocher que, réduit à sa plus simple expression, le livret sans les textes rend parfois l’écoute hasardeuse. Saluons toutefois les efforts du ténor visant à incarner les mélodies : il s’amuse — et nous aussi — dans « Toréador » (de Jean Cocteau), dans « La tragique Histoire du petit René » (Jean Nohain) mais il sait profondément nous émouvoir avec « Une ruine coquille vide » (P. Eluard). Et, plus encore, par sa vibrante interprétation de « Bleuet » composé sur un poème de Guillaume Apollinaire, un an avant que ce dernier, déjà très affaibli par ses blessures lors de la Grande Guerre, ne meure de la grippe espagnole. La finesse vocale de « Fleurs » n’en finit pas non plus de nous charmer.

Si la ligne de chant, puissamment structurée au point de survoler avec aisance les difficultés imposées par la variété de ce répertoire, nous garantit la stabilité et la justesse de ton dans ces incessants va-et-vient de tessiture, force nous est toutefois de constater, pour le regretter, que Carl Ghazarossian ne s’est pas complètement débarrassé de cette patine vocale qui vieillit artificiellement l’interprétation. Trucage de style dont le ténor s’affranchit pourtant dans les mélodies plus contemporaines de Jean Nohain : ce qui a pour effets de clarifier, en la fluidifiant, sa voix. Elle n’en est pas moins agréable pour autant. Nous lui en avions fait la remarque pour son premier enregistrement. Mais il persiste : d’où quelques titres confusément audibles, par exemple « Une herbe pauvre » ou « Mon cadavre est doux comme un gant ».

Le superbe accompagnement au piano d’Emmanuel Olivier nous fait admirer cette créativité pianistique du compositeur à l’image de celle qui, entre autres, sous-tend « Violon » : son fascinant et subtil jeu de tonalités vaudrait, à lui seul, un enregistrement soliste.

Jean-Luc Vannier
Nice, le 16 septembre 2023
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Dimanche 17 Septembre, 2023 0:05