Caen, le 21 novembre 2023 —— Alain Lambert.
Alice Lada en pavane à Caen. Photographie © Agathe Poupeney.
Cette nouvelle création du centre chorégraphique de Caen au théâtre commence avec une fête pour Chihiro Araki, ambiance electro, où tous les protagonistes sont réunis près d'un buffet sur la gauche de la scène. Danse populaire d'aujourd'hui comme la pratique de nombreuses personnes. Puis les invités s'en vont. Le rire samplé, intégré, syncopé, répétitif de la dernière séquence musicale sonne bizarre, presque inquiétant.
Chihiro est assise, fatiguée sur une chaise, peut-être à cause du moment déjà perdu, mélancolie qui serait le fil conducteur du spectacle. Soudain, des soupirs chuintants, mécaniques ou animaux, la font danser comme un pantin téléguidé et désarticulé, dans une chorégraphie saccadée et douloureuse qui met mal à l'aise. D'autant qu'à chaque pause, elle reprend comme si cet enfer vaudou ne devait jamais s'arrêter.
Quand cinq invités s'installent autour de la table, elle semble sortir de son coma mécanisé avant de s'éclipser. Une autre danseuse quitte le groupe, dont trois se sont munis de violes de gambe, pendant que les écrans titrent Flow my tears. Nous voilà en pleine langueur xviie, où le buffet devient un élément typique des vanités. Habillée en haut presque d'époque, Alice Lada va évoluer au rythme des sept parties musicales dédiées par John Dowland aux différentes sortes de larmes, variant subtilement avec la musique au cours de ces étranges pavanes, pendant que Céline Sheen, qu'on a vue dans Vénus et Adonis ici autrefois, chante d'une voix profonde et limpide.
Céline Sheen et ses deux choristes à Caen. Photographie © Agathe Poupeney.
Deux musiciens les remplacent en coup de vent, Ezra à la beat box incroyable et Alban Richard, le chorégraphe lui-même en chanteur vociférant ou récitant au milieu des effets stroboscopiques, mais les textes étant en anglais, comme la plupart du temps, malgré la multiplicité des écrans qui pourraient traduire, on peut rester un brin étranger à cette section un peu longuette.
La suivante, trop courte elle, est une distribution d'une plaquette Teen movie (fragments) de la poétesse Marie de Quatrebarbe. Il nous en est fait lecture, en français, d'un extrait, pendant le changement de scène, et un autre quasi-haïku est mis en exergue au dos : Au centre, trois chaises/ Attendent qu'on les invite à danser/ Comme des adolescents au bal.
Le final est un vrai faux concert de Céline Sheen, le dernier du Golden Melancholia Tour, sur des reprises new wave de la fin xxe siècle, toujours accompagnée de son trio de violes, Marie Suzanne de Loye, Andreas Linos et Sarah Van Oudenhouse (qu'on a déjà entendue ici avec les Curious Bards) assis maintenant sur les trois chaises solitaires. Une belle alchimie musicale entre la voix puissante et le baroque, les violes swinguées et les synthés beat boxés d'Ezra, tout aussi improbable que sa robe multiple et fluo qui danse toute seule pendant les déplacements de l'incroyable star. Elle est rejointe par les deux danseuses en chœur sur le dernier morceau.
Alban Richard a tenté avec Come Kiss Me Now une sorte de spectacle musical total dépassant la seule chorégraphie, plutôt bien réussi dans l'ensemble. Surprenant, intrigant et chatoyant.
À voir à Saint-Nazaire le 24 novembre.
Alain Lambert
novembre 2023
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Vendredi 24 Novembre, 2023 11:51