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Théâtre des Champs Élysées, 4 juillet 2023 — Frédéric Norac

Grisélidis : un Massenet éclectique et inégal

Grisélidis au Théâtre des Champs-Élisées. Photographie © musicologie.org.

Créée en 1901, après de nombreux remaniements, . appartient à la dernière période créatrice de Massenet, celle où le compositeur semble expérimenter au plan formel comme il le fera de façon radicale dans son Don Quichotte de 1910. Sous-titré « conte lyrique », l’opéra se présente comme un (d)étonnant mélange des genres, faisant passer l’auditeur du registre bouffe le plus débridé au mélodrame le plus larmoyant, en passant par des moments religieux (un « Je vous salue Marie », un « Magnificat » et diverses prières moins canoniques), voire de féérie qui laissent une impression d’éclectisme et font comprendre pourquoi l’œuvre n’a pas tenu au répertoire.

L’unité est donnée en fait par l’orchestration toujours très raffinée, mais le métier du compositeur ne suffit pas toujours à supprimer l’impression d’autocitation qui s’en dégage comme dans le duo amoureux « rêvé » d’Alain et Grisélidis au deuxième acte qui nous ramène du côté de Manon, et une tendance assez marquée au pompiérisme dans les scènes sérieuses, tel le miracle final où est censée apparaître sainte Agnès, la protectrice invoquée par l’héroïne.

Il faut en accuser en partie le livret, d’Arrnand Silvestre et Eugène Morand, terriblement ampoulé, au prétexte de donner au texte un caractère moyenâgeux et où transparaît en permanence la mentalité bourgeoise de l’époque. La rhétorique des librettistes pâlit singulièrement face aux quelques phrases de L’Odyssée sur le retour d’Ulysse citées par Bertrade au final, si poétiques dans leur totale simplicité.

L’histoire, inspirée d’un conte de Boccace, raconte comment un marquis, partant pour les Croisades, lance au Diable le défi de rendre infidèle sa femme, ce que celui-ci va s’ingénier à faire au deuxième acte en la soumettant à plusieurs épreuves — le retour de son premier amour, l’enlèvement de son enfant — sans bien sûr y parvenir. Les moments les plus réussis sont ceux où le Diable apparaît et notamment la première épreuve de Grisélidis qui nous vaut un étonnant trio mi-bouffe mi-sérieux très réussi. Certains numéros, en revanche, n’offrent pas de justification dramatique suffisante comme ce grand air « misogyne» du diable suivi d’un duo « comique » avec sa femme qui, sans originalité réelle, sent un peu le remplissage. Quant au dénouement, il est tellement laborieux et pesant, plombé par le « prêchi-prêcha » bien pensant du mari repentant et du duo où Grisélidis imperturbable lui redit son amour, que même l’ultime réplique pleine d’ironie du diable ne parvient pas à en dissiper l’ennui.

Pour cette résurrection, après trente ans de silence (la dernière version date de 1992 au festival Massenet de Saint-Étienne), le Palazzetto Bru Zane a fait appel à l’Orchestre de l’Opéra national de Montpellier Occitanie et à ses chœurs. Sous la direction compétente de Jean-Marie Zeitouni, ils rendent pleinement justice aux qualités d’orchestrateur de Massenet et à son talent de mélodiste, les seconds étant utilisés essentiellement pour des effets de répons en coulisse. Dans le rôle-titre, écrit pour un authentique grand lyrique, Vannina Santoni met un peu de temps à se chauffer, mais domine rapidement une tessiture assez centrale et un registre expressif que le compositeur n’a guère varié. Elle forme un beau duo au deuxième acte avec Julien Dran. Le timbre manque un peu de rondeur et d’aisance dans l’aigu, ce qui est sensible dans son air d’entrée, le seul resté célèbre, « Voir Grisélidis », mais il donne dans cette seconde apparition la pleine mesure de ses capacités de ténor lyrique. Tassis Cristoyannis est un excellent diable d’opérette, ultime avatar en plus léger de ceux de Gounod ou de Meyerbeer. Thomas Dollié prête au Marquis son baryton sombre et un sérieux qui convient idéalement à son personnage empesé. Les petits rôles sont distribués de façon luxueuse et on retiendra particulièrement le contralto capiteux d’Adèle Charvet en Bertrade et la Fiamina brillante et autoritaire d’Annette Dennefeld, mais Thibaut de Damas en Prieur et Adrien Fournaison en Gondebaud, confinés au prologue et au premier acte, ne déméritent pas. L’ensemble au final se taille un beau succès, prouvant que le coq-à-l’âne et le mélange des genres a ses partisans en musique.

La Fondation Bru-Zane a enregistré en mai dernier une intégrale de l’œuvre avec la même distribution qui devrait paraître à l’automne 2024

plume_07 Frédéric Norac
2023
norac@musicologie.org

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Vendredi 7 Juillet, 2023 1:11