bandesu_texte musicologie_840

Hardelot, 20 juin-1er juillet 2023 — Frédéric Norac

Hardelot 2023 : place au théâtre !

Pour ce second et dernier week-end du Midsummer festival d’Hardelot 2023, le théâtre était à l’honneur avec deux spectacles scéniques séparés par un entracte consacré à la musique de William Byrd. 

Médée et Jason. Photographie Pascal Brunet.

Médée et Jason par l'Ensemble Les Surprises, Théâtre élisabéthain, 30 juin

Au xviie siècle rares étaient les grands succès de l’Académie royale de musique (l’Opéra) qui ne se retrouvaient pas rapidement parodiés sur le théâtre de la Foire, ce berceau de l’opéra-comique. Le principe de base du genre était de retranscrire dans un registre trivial les sentiments nobles de la tragédie lyrique pour un public populaire, mais qui, à n’en pas douter, en connaissait les modèles. 

Pour ce qui semble être sa première expérience théâtrale, Louis-Noel Bestion de Camboulas a eu l’idée d’en monter une autour du personnage de Médée, mais en la recréant de toutes pièces à partir de celles de Charpentier et de Corneille, et en empruntant la musique aux compositeurs contemporains du premier (Rebel, Marais, Destouches, Dauvergne), mais aussi Lully et Rameau et les textes au second avec quelques ajouts de vaudevilles d'époque.

Le résultat, avouons-le, n’est guère convaincant. Sans doute faut-il en accuser un montage trop éclectique dont les sources multiples n’arrivent pas à se fondre dans un scénario unique et lisible. Les dialogues paraissent souvent longs et bavards, de surcroît difficiles à saisir. Les interventions musicales sont bien trop rares et peu intégrées et la mise en scène de Pierre Lebon terriblement conventionnelle et souvent outrée, sans même parler de gags éculés, telle la sortie finale de Médée que n’oserait même plus une compagnie d’amateurs. L’ensemble reste confus et sans doute incompréhensible à qui ne connaîtrait pas le mythe.

Réduite à une sorte de virago caricaturale et vulgaire, la Médée de Lucile Richardot, habillée en matador (une référence au film éponyme d'Almodovar ?), est d’une platitude désespérante. Lui répond le Jason suffisant et uniforme de Flannan Obé auquel la mise en scène ne parvient pas à donner une consistance, de même que la Creüse d’Ingrid Perruche transformée en dinde affolée et glougloutante. On sauvera de ce naufrage la Cléone d’Eugénie Lefèvre comique sans excès et surtout le Créon de Matthieu Lécroart en vieillard valétudinaire. De tous les personnages, il est le seul qui arrive a unir vraiment dans un seul registre parole et chant et chacune de ses apparitions apporte une nouvelle nuance au rôle jusqu’à une scène de folie cyclique très réussie.

Sur une heure trente que dure ce spectacle qui, d’évidence, n’a pas manqué de moyens, nous avons ri quatre fois - de bon cœur - mais le reste du temps avons cherché en vain quel était l’intérêt d’un tel salmigondis où se gâchent tant de talents bien connus par ailleurs et à qui on aurait pu offrir sans doute un support plus substantiel pour les mettre en valeur. Destiné à tourner, le spectacle peut encore se bonifier, mais l'impression d'artificialité qui s'en dégage sera difficile à dépasser.

A Byrd Celebration. Photographie © Pascal-Brunet.

A Byrd celebration, église de Condette, 1er juillet

La thématique « anglaise » associée avec le festival d'Hardelot reprenait ses droits dès le lendemain avec un concert entièrement consacré à William Byrd par l’ensemble « Près de votre oreille ». Pour éviter l’impression d’austérité qui pourrait se dégager d'une messe polyphonique donnée dans la continuité, Robin Pharo qui en assure la direction a eu l'idée d'en entrecouper les mouvements de pièces instrumentales destinées à son ensemble de violes de gambe associées au virginal, ce qui paraît tout à fait naturel puisque la Messe à quatre voix (vers 1592) est également accompagnée. Le quatuor de chanteurs qui introduisait le concert par un très bel « Ave Verum Corpus » a capella donné dans le chœur de l'église se révèle d'une belle homogénéité. On regrette toutefois que le reste du programme donné dans la nef ne permette pas "d'aérer" suffisamment les voix qui semblent souvent chanter trop fort, que ce soit faute de retour ou pour couvrir l'ensemble instrumental. Cela n'hypothèque en aucun cas l'excellence et la précision des quatre solistes, la soprano Amélie Raison qui bénéficie d'une pièce soliste, une déploration sur la mort de Thomas Tallis (« Ye Sacred Muses »), l'alto robuste du contre-ténor Paul Figuier, le ténor Clément Debieuvre et le chaleureux baryton de Romain Dayez. En bis, l'ensemble offre une pièce de Thomas Tallis, « If you love me, keep my commandments » dont le style ne permet pas de deviner s'il s'agit d'amour profane ou sacré.

Venus et Adonis. Photographie © Pascal-Brunet.

Vénus et Adonis de John Blow par l'Ensemble Masques, Théâtre élisabéthain, 1er juillet

Pour ceux qui comme nous l’avaient découvert dans la merveilleuse production de Louise Moaty en 2012, les retrouvailles avec le petit chef-d’œuvre de John Blow suscitaient beaucoup d’attente et quelques craintes. La musique délicate du compositeur de Charles II et la poésie de son librettiste (anonyme) seraient-elles servies avec le même raffinement et les interprètes seraient-ils à la hauteur de notre souvenir ? D’abord annoncée en version de concert, la production s’est finalement muée en une proposition scénique, quelque peu artisanale, car montée sur le moment avec les moyens du bord, mais finalement assez réussie, sous la houlette du directeur artistique du festival, Sébastien Mahieuxe.

Telle qu’elle, et malgré quelques maladresses, elle se révèle suffisante à porter l’œuvre si on compare le résultat avec celui du spectacle de la veille où les moyens déployés avaient bien du mal à soutenir un propos plus que mince et parfaitement anecdotique. 

Quelques éléments scéniques — un divan de fortune au milieu d’un bosquet d’ajoncs pour les amants — des costumes façon bergers de l’Astrée et quelques mouvements bien réglés suffisent à évoquer l’atmosphère bucolique de cette fable mythologique où il est question d’amour et de chasse. Si le prélude ajouté — une suite orchestrale de Matthew Locke — pour étoffer une œuvre aussi brève qu'intense, parait un peu long et pas nécessairement utile, l’idée de rappeler la source littéraire par une lecture des Métamorphoses d’Ovide en introduction est assez judicieux, même si les deux comédiens « d’occasion » manquent un peu d’assurance.

Du côté du plateau vocal, Sophie Junker offre à Vénus une belle voix longue et étoffée à l’aigu un peu métallique, d’une grande expressivité ; l’Adonis de Andrew Santini n’a rien d’un adolescent et la « virilité » de son solide baryton au timbre chaleureux conviendrait aussi bien à l’Énée de Purcell (héritier direct de l’œuvre de Blow) ; enfin les aigus un peu pincés de l’Amour de Magid El-Bushra n’hypothèquent pas tout à fait la caractérisation du personnage. Un excellent chœur de sept chanteurs dont les trois voix aiguës assument également en falsetto le petit ensemble des « cupidons » dans la Leçon de l'Amour à Vénus au 3e acte complète cet excellent plateau. Il ne manque au fond finalement qu’un brin de chorégraphie pour que le spectacle soit complet. Dans la fosse, le petit ensemble Les Masques, passés quelques petits problèmes de justesse dans l’ouverture sert la musique de John Blow en parfaite osmose avec le plateau et offre un de ces moments de grâce où théâtre et musique entrent en parfait accord, concluant avec bonheur ce week-end plutôt mal commencé.

plume_07 Frédéric Norac
30 juin-1 juillet 2023
norac@musicologie.org

Tous les articles


rect_biorect_texterect_biorect_encyclo

À propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil - ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910.

cul_22_05

Mardi 12 Décembre, 2023 13:53