Pontoise, église Notre-Dame, 17 juin 2023 — Frédéric Norac
L’ensemble Il Caravagio, Die Schuldigkeit des ersten Gebots. Photographie © Il Caravagio.
Connaissez-vous Die Schuldigkeit des ersten Gebots (Le Devoir du premier commandement1) ? Sous ce titre un rien dogmatique se cache une petite perle, un acte d’un Singspiel sacré composé à Salzbourg en 1767 par un Mozart de 11 ans avec un peu de soutien de papa Leopold pour les récitatifs.
Le livret dû à un abbé local (Ignaz von Weiser) met en scène des personnages allégoriques, la Justice (Gerechtigkeit), la Compassion (Barmherzigkeit) et surtout L’Esprit chrétien (Christgeist) et L’esprit du monde (Weltgeist), en lutte pour s’accaparer le chrétien (Christ), quelque peu endormi dans la tiédeur d’une foi confortable. Cela paraît bien sévère pour un Singspiel, mais à l’écoute, les Allégories en question sont loin d’être des figures de papier, car le tout jeune Mozart s’ingénie à leur insuffler une incroyable vie à travers les huit numéros d’une partition très variée qui s’achève sur un splendide trio. On serait presque tenté de dire que tout y est déjà en germe, de L’Enlèvement au sérail à la Flûte enchantée, l’héritage de l’opéra italien transcendé par le génie allemand et une science de l’orchestration époustouflante.
Camille Delaforge a eu la bonne idée de croire dans la capacité de cette rareté à témoigner du génie naissant. Elle a réuni un trio de chanteurs aussi brillants qu’expressifs, la soprano Gwendoline Blondeel (éblouissante de virtuosité dans trois grands airs à vocalises), la mezzo Adèle Charvet (ébouriffante dans les fureurs de la Compassion évoquant « le lion rugissant ») et le ténor Artavazd Sargsyan dans ceux du chrétien et de L’Esprit chrétien où il fait valoir un timbre immaculé, une impeccable ligne de chant et une parfaite articulation.
À la tête de son ensemble au grand complet, cordes et vents (très présents dans cette composition), avec une énergie communicative, la cheffe réveille toute la vitalité d’une musique ancrée dans son époque, mais déjà tournée vers l’avenir, où même les récitatifs ne paraissent jamais longs, ce qui est quand même un tour de force étant donné l’austérité du sujet. Sur ce pari, un peu risqué, elle se taille un beau succès et révèle toute la richesse d’un e acte unique. Que ceux qui ne connaissent pas encore cette rareté se rassurent, l’ensemble va l’enregistrer pour la collection de CD de Château de Versailles Spectacles, avec les mêmes chanteurs. Dans l’acoustique de la chapelle du château de Versailles, plus « aérée » que celle de l’église Notre-Dame où ils paraissaient un peu écrasés, il pourra déployer toute la richesse de ses plans sonores sans perdre de son étonnante vitalité.
Frédéric Norac
2023
norac@musicologie.org
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