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Paris, Opéra-Comique, 5 octobre 202 — Frédéric Norac.

La Fille de Madame Angot : une résurrection peu convaincante

La Fille De Madame Angot. La Fille De Madame Angot. Photographie © Jean-Louis Fernandez.

Mais quel rapport La Fille de Madame Angot, opéra-comique de 1872 dont l’action se déroule sous le Directoire, entretient-il avec les années 1960 ? C’est un peu la question que l’on se pose au sortir de cette production où Richard Brunel a cru bon d’en transposer l’action dans les remous de mai 68. Certes on lui accordera que les personnages historiques de l’intrigue originale sont parfaitement oubliés aujourd’hui, et qu’il fallait trouver un moyen de les rendre assez actuels pour intéresser le public, mais malheureusement l’actualisation ne fonctionne pas et surtout l’intérêt de l’intrigue déjà un peu mince y disparait totalement.

Mme Angot à qui le titre fait allusion, était une poissarde des Halles des années révolutionnaires qui se réincarne au troisième acte dans le franc-parler de sa fille Clairette, lorsque celle-ci retrouve dans la désillusion d’une déception amoureuse, l’esprit frondeur et le franc-parler de sa mère. Les autres personnages sont Ange Pitou, poète royaliste dont Clairette s’est amourachée, Melle Lange, comédienne en vue, réputée pour ses mœurs légères, maîtresse d’un Directeur qu’Ange Pitou lui préférera et qui est courtisée ici par un bourgeois parvenu Larivaudière. Clairette est évidemment un personnage fictif, de même que Pomponnet, le perruquier à qui le petit peuple des Halles qui l’a adoptée et élevée après la mort de sa mère, veut la marier.

Dans cette adaptation, Les Halles sont devenues une usine où l’on fabrique des 4L (Billancourt, bien sûr) et le théâtre où se produit Melle Lange, une salle de cinéma baptisée Odéon (vous voyez l’allusion). L’intrigue originale d’un intérêt déjà assez limité et dont le contexte « politique » ne fait que l’arrière-plan se noie dans cet ensemble surchargé de références — les slogans de mai 68, un discours féministe forcé — très éloigné des enjeux de la pièce elle-même. Le chef d’orchestre de la création aurait déclaré au compositeur qu’il ne s’était guère amusé à cette pochade historique. C’est assez notre cas. Seule, la parodie des Demoiselles de Rochefort, la scène de la valse immobile sur les gradins de la salle de cinéma avec l’arrivée des CRS, ont réussi à nous dérider ainsi que celle des conspirateurs « en perruque blonde et collet noir » assez farfelue en elle-même.

La Fille De Madame Angot.La Fille De Madame Angot. Photographie © Jean-Louis Fernandez.

C’est sans doute un des rares moments où Clairville, Siradin et Koning, les librettistes de Lecocq paraissent au niveau de ceux d’Offenbach auquel on a souvent comparé le compositeur, car certaines scènes paraissent bien longuettes, comme celle où Pomponnet et Larivaudière, déguisés en forts de Halles, se bagarrent dans l’obscurité et dont, dans cette mise en scène, on ne comprend absolument pas l’intérêt.

Reste bien sûr la partition. Certes, elle comporte quelques beaux airs (notamment ceux de Pomponnet), mais beaucoup aussi de rengaines à couplets d’un intérêt très limité. On salue l’élégance de deux beaux « entractes » comparés à la trivialité de certains morceaux et d’ensembles assez réussis. Hervé Niquet à la tête de l’orchestre de chambre de Paris et des chœurs du Concert Spirituel rend pleinement justice à une musique agréable, mais qui ne marque guère. La distribution vocale se révèle de tout premier plan et, sans ses qualités, le spectacle serait sans doute un véritable pensum. Dans le rôle-titre, Hélène Guilmette a toute la candeur et la gouaille voulue pour incarner Clairette. On n’avait jamais vu Véronique Gens aussi désinhibée et truculente qu’en Melle Lange à laquelle elle prête son mezzo large et bien conduit. Julien Behr donne beaucoup de caractère à son personnage de séducteur et Matthieu Lécroart joue avec aplomb son personnage de bourgeois. Quant à Pierre Derhet son beau ténor lyrique fait merveille dans les airs de Pomponnet et il a bien du mérite d’y parvenir, vu l’accoutrement ridicule dont il est affublé. Au final, malgré les moyens déployés et les nombreux talents recrutés, dont une galerie d’excellents petits rôles, on sort avec l’impression d’une occasion manquée et d’une résurrection compromise.

Coproduit par Lyon, Nice et Avignon, le spectacle devrait y être repris les saisons prochaines.*

Le Palazzetto Bru Zane coproducteur de cette production a parallèlement publié un enregistrement de l’œuvre avec une distribution légèrement différente.

plume_07 Frédéric Norac
5 octobre 2023
norac@musicologie.org
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Dimanche 8 Octobre, 2023 2:50