Paris, Espace culturel et universitaire juif d’Europe, 13 décembre 2023 — Frédéric Norac.
Cyrille Dubois et Anne Le Bozec, 13 décembre 2023. Photographie © Pacôme Sadek - ECUJE .
Ceux qui y étaient s’en souviendront longtemps, ceux qui n’y étaient pas se consoleront avec le disque. Mais incontestablement, il y avait quelque chose de plus dans l’ambiance de cette soirée où Cyrille Dubois, accompagné par sa complice Anne Le Bozec, interprétait ce Voyage d’hiver dont ils viennent de faire paraître un enregistrement sous le label NoMadMusic.
Sans doute est-ce la présence du public et la salle plongée dans l’obscurité, la scène uniquement éclairée de petites loupiotes imitant la flamme de la bougie qui poussaient le ténor à aller chercher jusqu’au tréfonds de lui-même ce mélange de désespoir, de révolte, de résignation, troué de lueurs d’espoir vite éteintes, qui fait toute la force du cycle de Schubert.
Véhément parfois, presque murmurant à d’autres moments, il utilise sa voix soyeuse et longue avec une remarquable expressivité, où l’on entend dans les nuances piano et le registre de tête passer le souvenir de son timbre d’enfant. Il incarne sans réserve le personnage errant de Wilhelm Müller (le poète si souvent mésestimé de Schubert) entre candeur pathétique et ironie douloureuse avec un timbre immaculé.
Plus qu’accompagnateur, le piano se fait paysage mental, résonance du moindre mouvement de l’âme et dialogue en permanence avec la voix et le texte.
Schubert, Winterreise, Cyrille Dubois (ténor). Nomad Music 2023 (NMM 117). Enregistré en janvier 2021, Grange de Mels, Argences-en-Aubrac.
Le disque, enregistré dans l’intimité d’une « grange » privée pendant la période « figée » de la pandémie en 2021, donne une vision moins dramatique et contrastée, empreinte d’un climat mélancolique. Ce que l’on perd ici en urgence est gagné du côté méditatif, dans les silences, les suspens, l’articulation du discours instrumental. Le chanteur lui-même, en étant plus contrôlé, plus raffiné dans la nuance, offre une vision un peu différente de ce Voyage, plus introspective mais toujours aussi hypnotique. Certainement cet enregistrement, le premier d’un grand cycle de Lieder par le ténor devrait s’inscrire parmi les versions de référence d’une œuvre pourtant abondamment visitée et revisitée.
Frédéric Norac
23 décembre 2023
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Samedi 16 Décembre, 2023 3:17