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Opéra-Comique, 8 novembre 2023 — Frédéric Norac

Macbeth Underworld de Pascal Dusapin : La vie rêvée des morts

Jarrett Ott (Macbeth), Katarina Bradić (Lady Macbeth). Photographie © Stefan Brion.

« Tous sont morts, mais certains ne le savent pas ». C’est par cette formule qu’Agnès Terrier, dramaturge de l’Opéra-Comique, résume l’argument de Macbeth Underworld, le huitième opéra de Pascal Dusapin créé en 2019 à la Monnaie de Bruxelles et qui attendait depuis, sa reprise à l’Opéra-Comique.

Le livret de Frédéric Royer, directement inspiré de la pièce de Shakespeare dont il reprend ou réinvente certaines formules, nous entraîne dans un temps où passé et présent se confondent et où les (anti)héros du drame revivent les étapes de leur damnation. Dans cet au-delà, seules les sorcières (The Weird Sisters), celles qui ont trompé Macbeth sur sa destinée et continuent à le railler, semblent vivantes. Les costumes du reste le disent clairement, couleurs pour elles et neutralisées blanchâtre pour tous les autres.

D’entrée de jeu, Banquo apparaît avec un poignard planté dans le dos et tous les crimes ont déjà été commis. Aux deux protagonistes, le librettiste ajoute une figure, celle de l’enfant non né, désiré, mais impossible, puisque Lady a renoncé à la douceur du lait maternel et a demandé aux forces de l’Enfer de la « dessexuer ». C’est lui qui au final les condamnera à errer sans repos au fil de huit scènes qui sont leur cauchemar éternel.

Jarrett Ott (Macbeth), Katarina Bradić (Lady Macbeth), Maria Carla Pino Cury, Mélanie Boisvert, Melissa Zgouridi (Weird Sisters). Photographie © Stefan Brion.

Pour donner réalité à ce rêve post-mortem, Thomas Jolly et son décorateur, Bruno de Lavenère, ont imaginé un univers plongé dans la pénombre où un grand arbre décharné s’ouvre pour laisser place à un palais sombre et glacé, où apparaît le lit conjugal comme seul lieu de refuge pour les époux maudits, où entre néons blancs et rougeoyants se lit l’alternance du crime et du remords. Un portail surmonté d’un massacre de cerf, sans doute la porte des enfers autant que du palais, sert de cadre à la scène du portier, figure de bouffon ou de sacrificateur, qui introduit la célèbre scène de somnambulisme de Lady Macbeth (n° 7 « Va-t’en, maudite tache de sang »). Banquo revenu une fois de plus y apparaît comme une sorte de figure du Commandeur.

La partition de Pascal Dusapin joue de grands aplats sonores où sont largement sollicités percussions et cuivres. Elle ne s’allège que pour la « scène d’amour » des époux (no 3 « Ne dors plus ») qu’accompagne l’archiluth de Caroline Delume. Le compositeur invente également pour le chœur féminin un Requiem dérisoire où « Nox » a remplacé « Lux » pour précéder « Perpetua » (no 4). Un violoneux vient brièvement tenter d’animer le plateau pour la scène du banquet (no 5 « Regarde le spectre entrer) où Macbeth est hanté par le spectre de Banquo. Selon son goût, on pourra trouver la musique hypnotique ou, sur la longueur (1 h 45), quelque peu répétitive malgré ces quelques trouées dans une texture assez uniforme.

John Graham Hall (Porter), Rachel Masclet - Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique (Child). Photographie © Stefan Brion.

Fort heureusement le compositeur peut compter sur un plateau remarquable pour défendre sa partition, à commencer par le Macbeth de Jarrett Ott. Le baryton a pour lui un anglais d’une parfaite clarté et une capacité à jouer sur les différents registres de sa voix, du plus grave au plus aigu, qui donne à son personnage une expressivité et une force de conviction extraordinaires. Avec son timbre grave entre mezzo et soprano dramatique, Katarina Bradic offre une belle présence à Lady et la basse profonde de Hiroshi Matsui, un caractère vraiment fantomatique à Banquo. John Graham-Clark, grand spécialiste des ténors de demi-caractère, assure en travesti le rôle d’Hécate au prologue, et possède toute la nervosité et le grinçant voulu pour incarner le terrifiant portier. Enfin, le soprano délicat de Rachel Masclet (membre de la chorale populaire de l’Opéra-comique) apporte une touche proprement irréelle aux interventions de l’Enfant qui n’est pas sans évoquer celui de « Curlew River » de Benjamin Britten. Excellentes également les trois sœurs étranges et le chœur de femmes de l’ensemble Accentus. À la tête de l’orchestre de l’Opéra de Lyon, Franck Ollu donne tout le relief possible à une musique riche et complexe où se reconnaît immédiatement la couleur caractéristique de Dusapin, soutenant une déclamation chantée, également typique des opéras contemporains. Pour cette deuxième représentation, le compositeur reçoit une belle ovation d’une salle comble, prouvant que la création contemporaine peut encore attirer et captiver un large public.

Prochaines représentations les 10 et 12 novembre.

Spectacle enregistré par France-Musique et diffusé le 20 décembre à 20 h.  

plume_07 Frédéric Norac
8 novembre 2023
norac@musicologie.org
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