Caen, 1er décembre —— Alain Lambert.
De tous les horizons du jazz : Draft de Ben Lopez – Frames d’Antoine Karacostas – Réchauffement chromatique de Quai de la Seine – New Way de Travel Collective – Inner Fights de Régis Huby – A Lovesome Thing du duo Geri Allen/Kurt Rosenwinkel – La vie d’après du duo Brady – Satinédits de Pierre Jean Gaucher – Sunako du trio de Csaba Palotaï.
Draft (Parallel Records 2023) est le premier cédé du guitariste et compositeur parisien Ben Lopez, inspiré de Bill Frisell ou Kurt Rosenwinckel (voir plus bas sa chronique). Accompagné de Robby Marshall (voir plus loin Quai de Seine) au ténor, de Sylvain Dubrez à la contrebasse, de Stefano Lucchini à la batterie, et parfois de Laurent Coq au piano, From Nowhere ouvre l’album sur le mystère de son personnage de pochette, qui semble errer dans le désert quand la nuit spatiale le hante. Ce quartet propulse par moment (Maladresse, Scolotism) une énergie brute principalement au sax et à la batterie que la guitare irise cependant. Le pianiste s’invite dans les moments plus baladins. Sauf Love Me Tender, juste repris en trio. Un chouette premier album.
Frames (We See Music Records 2023) du compositeur et pianiste d’origine grecque Antoine Karacostas marque pour lui le passage du trio, avec deux cédés, au quartet. Avec Pierre Bernier au sax ténor, Gabriel Midon à la contrebasse et Simon Bernier à la batterie, le son est au complet : cordes frappées ou glissées, peaux et cymbales martelées, soufflant verveux pour rendre des impressions musicales (Tokyo Therapy, Sketches, Bubbles, En pointillé), des dédicaces (Olive, Me Berdevis) ou des hommages, Shiny Corners au Brillant Corners de Monk, sous-entendu et redéconstruit avec brio, et Trava Re Alani, une chanson d’amourdu compositeur Kostas Karvelis, du rebetiko grec. Un bel album nourri d’émotions.
Réchauffement chromatique (Quai de la Seine 2023) est l’album d’un quintet qui s’appelait auparavant le Swingin' Partout quand ils venaient de Lille. Mais l’arrivée d’un Californien à la clarinette et aux sax, Robby Marshall (entendu plus haut avec Ben Lopez), et d’un guitariste bourguignon quasi parisien, Aurélien Robert a changé le nom en Quai de la Seine, avec toujours Nicolas Lestoquoy aux guitares, Hubert Fardel à la contrebasse et Nicolas Peyronnet aux percussions. L’esprit manouche de partout est resté, teinté de musiques du monde dont témoignent la plupart des compos comme Nabrouvsnavski, Viaje, Romanian Rag, auquel répond plus loin le vieux Tiger Rag. Et au milieu une en français : Des barres de rire qui confirme l’esprit festif du cédé.
New Way (Art In Live 2023) du quartet Travel Collective augmenté de cinq invités. Les meneurs et compositeurs sont l’Italo-Niçois Marco Vezzoso et son complice le pianiste italien Alessandro Collina. Ils sont accompagnés de Dominique Di Piazza à la basse et de Andrea Marchesini à la batterie. Pour ce voyage partagé, la chanteuse italienne Cecilia Barra, le guitariste Kevin Saura, les Indiens Neyveli S.Radhakrishna au violon et Praven Narayan aux tablas ou l’oudiste tunisien Khaled Ben Yahia font escale sur certains titres, tous dédiés à des émotions de voyage lors de tournées, en Corée, au Japon, à Dubai, en France, en Chine ou en Malaisie. La trompette aérienne survole tous ces paysages musicaux très élaborés par ce collectif captivant.
Inner Hidden (Le Triton 2023) est le nouveau quintet du compositeur et violoniste Régis Huby accompagné de Bruno Chevillon à la contrebasse, de Michele Rabbia à la batterie, de Tom Arthurs à la trompette, d’Eivind Aarset à la guitare électrique. À part le trompettiste, tous participent aux effets électroniques qui irriguent l’ensemble des six parties constituant cette œuvre à part entre jazz improvisé, rock progressif alternatif et musique contemporaine. Le violoniste donne à son instrument une sonorité presque sérielle à laquelle répond la guitare stratosphérique et que survole la trompette frémissante. Contrebasse et percussions s’insinuent entre les nappes sonores. Un beau disque entre énergie électrique et méditation sur « nos musiques intérieures ».
A Lovesome Thing (Motéma 2023) est l’enregistrement du concert à la Philharmonie de Paris le 5 septembre 2012 du duo Geri Allen au piano et Kurt Rosenwinkel à la guitare, un enregistrement d’autant plus précieux que Geri Allen s’est éteinte en 2019. Le titre de l’album vient d’un thème de Billy Stayhorn, A Flower is a Lovesome Thing, qui ouvre le cédé tout en douceur et nuance. Le standard Embraceable You, dans le même registre, précède une composition du guitariste, Simple # 2,où le rythme cardiaque s’accélère. Autre standard, autre hommage, Ruby My Dear de Monk avec une longue intro de guitare, rare, avant un beau dialogue virevoltant. Open Handed Reach de la pianiste clôt cet album intimiste et vivifiant.
La vie d’après (Absilone 2023) est l’œuvre du duo Brady, deux compositeurs et violoncellistes, Michèle Pierre et Paul Colomb. Déjà auteurs de Plaine en 2020 et existant depuis dix ans, ils sont passés par toutes les musiques, tango, jazz, rock progressif, électro, musique pour la scène… et musique de chambre classique d’où ils viennent, avant de suivre une classe de jazz au Havre ou à Nantes. De façon totalement acoustique, ils peuvent créer des effets de synthé, de boite à rythmes, de guitare électrique ou de samples pour explorer notre futur menaçant, danser avec les robots (Systole), voyager dans l’espace lointain (Le voyage des titans) pour éviter l’enfermement (Clic boom) et boire un verre ailleurs (Glass On Mars). Un bel album inventif.
Satinédits (Musiclip 2023) est la suite numérique du chouette Pierre Jean Gaucher Zappe Satie paru en 2021 et chroniqué ici. Il s’agit de morceaux enregistrés alors et conservés dans les tiroirs virtuels en attendant d’être finalisés, deux ans avant le centenaire de la disparition du musicien d’Honfleur à Arcueil. Deux longs titres, une Gnossienne no 8 très zappatique et un Air à faire jouir plutôt jouissif. Et aussi quatre interludes faussement irrévérencieux dont un consacré aux sages paroles de Satierik, plus Pacific 431, En forme de fraise et Prélude apaisant. PJ Gaucher est à la guitare, Quentin Ghomari à la trompette, Thibault Gomez au Fender Rhodes, Alexandre Perrot à la contrebasse et Ariel Tessier à la batterie. Un super bonus à ne pas louper.
Sunako (BMC 2023) est l’œuvre improvisée en studio à Budapest par le trio de Csaba Palotaï à la guitare et aux samples, Simon Drappier à la guitare baryton, un autre son de basse, et Steve Argüelles à la batterie et à la voix vocodée. Tous ont contribué aux compositions, mêlant le jazz, le rock, l’électro dans un mélange sonore et électrique très réussi. On part de Paris (Ave de Clichy) pour se promener dans divers univers musicaux psychogéographiques bien dansants et pour y revenir à travers une relecture de la Messe de Notre-Dame de Guillaume de Machaut, très polyphonique avec ses deux guitares. Sans oublier en final un clin d’œil à Ligeti dans Ricerca, synthétique et électro. Un bel exemple de jazz progressif accompli.
Alain Lambert
1er décembre 2023
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Mardi 12 Décembre, 2023 3:05