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Théâtre des Champs-Élysées, 23 septembre 2023 — Frédéric Norac

Tempête aux Champs-Élysées : Les Boréades de Rameau par Gyorgy Vashegyi.

Gyögy Vashegyi. Photographie © János Posztós.

Depuis sa résurrection en 1982 (ou faut-il dire sa création posthume ?)1 par John Eliot Gardiner au Festival d’Aix-en-Provence, l’ultime opéra de Rameau a fait bien du chemin et connu quelques productions mémorables : celle de William Christie et Robert Carsen en 2003 au Palais Garnier ou plus près de nous celle d’Emmanuelle Haïm et Barrie Kosky à Dijon en 2020. Il reste toutefois à sa façon une œuvre plutôt rare — seulement deux enregistrements au disque et deux DVD documentant les productions citées plus haut.

Cette version de concert, coproduite par le TCE, le CMBV et plusieurs institutions hongroises, était donc attendue avec impatience et n’a pas déçu. Devenu depuis quelques années un des grands spécialistes du baroque français et de Rameau en particulier, Gyorgy Vashegyi en donne une version de belle venue où, tout autant qu’un plateau remarquable de solistes, triomphe son ensemble orchestral, l’Orfeo Orchestra, aux bois affutés et aux cuivres colorés, et un chœur, le Purcell Choir, qui ne cesse de progresser pour l’articulation française. Avec une belle énergie, le chef hongrois fait vivre la riche partition depuis une ouverture coruscante jusqu’à une contredanse finale pleine de tonus, en passant par les innombrables suites de danse qui font le tiers d’une partition de deux heures trente. Certes, l’élément visuel manque un peu dans une œuvre où la féérie le dispute à la violence des éléments, mais sa direction sait déchainer les vents courroucés, faire souffler la tempête et évoquer avec toute la magie voulue le voyage initiatique d’Abaris à la recherche de sa bien-aimée Alphise, enlevée par les fils de Borée. Il illumine merveilleusement la perle absolue de ce chef d’œuvre : la poétique apparition du cortège de Polymnie à l’acte IV.

En Abaris, Reinhoud van Mechelen avec sa voix centrale et très timbrée de haute-contre se révèle aussi expressif que virtuose et crée un authentique personnage de héros amoureux en proie au doute. Plus réservée scéniquement, mais non moins engagée au plan vocal, Sabine Devielhe triomphe haut la main de son premier air aux redoutables vocalises « Un horizon serein… » et compose une Alphise sensible et nuancée dans les scènes intimes. Dans le double rôle d’Adamas et d’Apollon Tassis Christoyannis pousse un peu trop la voix pour donner l’autorité qui manque à une voix aux graves limités. Des deux fils de Borée, le Calisis du ténor islandais Benedikt Kristjansson impressionne par la qualité de son français et son timbre immaculé, mais laisse entendre quelques tensions dans l’extrême aigu et des vocalises un peu timides dans son unique air « Jouissons de nos beaux ans ». Moins gâté que son « frère » par la partition, Philippe Estèphe en Borilée doit se contenter de quelques interventions en récitatif et dans les ensembles, mais leur donne beaucoup de relief. Le soprano brillant de Gwendoline Blondeel convient parfaitement aux quatre rôles qui lui sont confiés au fil des cinq actes : Sémire, une nymphe, L’Amour et Polymnie. Enfin, la basse sombre de Thomas Dolié s’impose avec évidence dans sa brève et tardive apparition en Borée au dénouement.

Selon Sylvie Buissou, Les Boréades plus que des circonstances (incendie de l’opéra, grèves - déjà !) auraient été victimes de la censure, et de résonances maçonniques, voire révolutionnaires, dans le texte de son livret. À vrai dire, à deux cent cinquante ans de distance, elles ne sont plus perceptibles qu’au spécialiste et à l’historien, mais la musique de Rameau, au-delà de la rhétorique habituelle de l’opéra mythologique de son livret, reste d’une invention totale et continue de nous parler avec la même intensité.

Concert enregistré par Warner pour une future édition en CD.

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1. On trouvera dans le programme de salle du TCE en ligne, un intéressant article de Sylvie Bouissou qui tente d’expliquer, entre circonstances défavorables et censure, les raisons de la « non -création » de l’opéra en 1763. La partition éditée par Stil d’après le manuscrit conservé à la BnF, au moment des premières représentations à Aix, a été longtemps maintenue sous une exclusivité qui réduisait la possibilité de monter l’œuvre, accessible désormais dans des conditions normales depuis 2018.

plume_07 Frédéric Norac
23 septembre 2023
norac@musicologie.org

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Mardi 26 Septembre, 2023 5:56