bandesu_texte musicologie_840

Théâtre des Champs-Élysées, 1er février 2024 — Frédéric Norac

Alceste de Lully par les Épopées : une étonnante tragi-comédie

Théâtre des Champs-Élysées, Alceste. Photographie © musicologie.org.

Deuxième essai de Lully dans le genre de la tragédie lyrique, Alceste ou le Triomphe d’Alcide (1674) est sans doute une des œuvres les plus libres et les plus inventives au plan formel de toute sa production. On est frappé d’emblée par l’importance de l’élément comique qui semble l’apparenter à l’opéra vénitien ou à la comédie-ballet. La satire ne se limite pas ici comme dans Atys, Roland ou Armide à un épisode circonscrit à un acte, elle est omniprésente, au point que le thème tragique — le sacrifice de sa vie par Alceste pour sauver son royal époux — passe au second plan jusqu’à la fin du deuxième acte et sert même de prétexte à une scène satirique où les personnages se dédouanement de leur égoïsme en refusant de se sacrifier pour lui, y compris son propre père qui, malgré ses 80 ans, dit tenir d’autant plus à la vie qu’il lui reste peu de jours. Le librettiste Quinault utilise un procédé caractéristique de l’opéra baroque italien en mettant en miroir les amours des suivants d’Alcide et de Lycomède, Straton et Lychas, tout deux amoureux de Céphise, la suivante d’Alceste, avec celles de leurs maîtres nobles, eux épris d’Alceste. Le second finira par l’enlever purement et simplement. Et si Alcide (entendez Hercule), censé représenter le parangon de toutes les vertus, renonce à Alceste après être allé la rechercher aux Enfers et avoir occis le méchant qui l’avait enlevée, Lully en fait un bravache légèrement comique qui n’est pas sans rappeler celui de Cavalli dans Ercole amante.

L’ensemble donne une pièce étonnamment variée où la tragédie ne reprend vraiment ses droits qu’au troisième acte après l’enlèvement d’Alceste et la mort d’Admète, blessé dans le combat pour la récupérer. L’épisode du combat est remarquablement évoqué par un long interlude orchestral où Lully déploie toute la richesse de son invention. Si le prologue paraît un peu languissant et le premier acte tirer en longueur, on en accusera autant le tempérament du chef que le marivaudage qui en fait la matière. Stéphane Fuget, à la tête de son excellent ensemble Les Épopées, ne semble vraiment se réveiller qu’à partir de l’acte III où il dirige avec beaucoup de sensibilité les scènes de deuil, la cérémonie funèbre et notamment la plainte d’Alceste et le très beau dialogue des époux, le célèbre « Alceste, vous pleurez, Admète vous mourez ».

Le plateau vocal ne mérite que des éloges. Dans le rôle-titre, Véronique Gens possède l’étoffe et toute la dignité de l’épouse vertueuse et séduit par les subtiles nuances de son incarnation. Cyril Auvity, un des plus beaux timbres de ténor lyrique du répertoire baroque, donne beaucoup de noblesse à Admète. Malgré une émission aux sons tubés, avec sa voix sombre, Nathan Berg en Alcide colle parfaitement à son personnage de macho autoritaire. Le jeune ténor Léo Vermot-Desroches, confronté à pas moins de quatre rôles, se distingue particulièrement dans celui de l’amoureux Straton et du vieillard qui se refuse à mourir. Camille Poul est une piquante Céphise et Guilhem Worms aussi convaincant en Lycomède qu’en Charon dans la scène des Enfers. Du côté des rôles plus épisodiques, on saluera Geoffroy Buffières, Claire Lefilliâtre, Cécile Achille et Juliette Mey, chacun assumant de deux à quatre personnages. Le chœur de l’Opéra de Versailles se révèle d’une clarté d’articulation parfaite et l’orchestre des Épopées singulièrement brillant, donnant des passages symphoniques et aux divertissements toute la dimension jubilatoire qu’ils appellent.

En amont du concert, le même ensemble l’a enregistré pour le label Château de Versailles Spectacles, l’occasion de renouveler la discographie limitée d’un opéra dont il n’existe actuellement que deux versions, la très ancienne de Jean-Claude Malgoire (1974) dont le titre était un des chevaux de bataille, et celle plus récente de Christophe Rousset (2017). Mais à quand une nouvelle production d’un œuvre si apte à la mise en scène et qui n’a pas été montée depuis 2006, déjà alors au Théâtre des Champs-Élysées ?

plume_07 Frédéric Norac
1er février 2024
Tous les articles


rect_biorect_texterect_biorect_encyclo

À propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil - ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910.

cul_22_09

Jeudi 8 Février, 2024 14:55