musicologie

Monaco, le 2 février 2024 —— Jean-Luc Vannier.

Ein Requiem trop deutsches à l’opéra de Monte-Carlo ?

Gianluca Capuano (direction). Photographie © OMC - Marco Borelli.

Lors de sa présentation de la saison 2023-2024, la Directrice générale de l’opéra de Monte-Carlo l’avait annoncé : Cecilia Bartoli entendait désormais mettre en exergue les « concerts de chœur » et mieux exploiter les ressources offertes par les chœurs de l’opéra. En ouverture de cette saison, le public monégasque avait d’ailleurs pu apprécier la Messa da requiem de Giuseppe. Dans cette même logique, l’opéra de Monte-Carlo proposait lundi 29 janvier salle Garnier Ein deutsches Requiem de Johannes Brahms d’après les Heiligen Schrift, la traduction allemande de la Bible par Martin Luther et dont Brahms fut un lecteur attentif. Avec les chœurs de l’opéra de Monte-Carlo, la soprano Regula Mühlemann et Florian Bösch en remplacement du baryton Simon Keenlyside, ce sont Les Musiciens du Prince-Monaco sous la baguette de Gianluca Capuano qui se trouvaient en charge de cette œuvre dont la composition fut initiée en mémoire de Robert Schumann mort en 1856. C’est néanmoins la perte de la mère de Brahms en 1865 qui fournira l’impulsion décisive de la composition. Conscient sans doute de la pesanteur de l’avant-dernier mouvement, Brahms se résolut d’ajouter, pour la création au Gewandhaus de Leipzig en février 1869 — une première mouture fut créée à Brême en avril 1868 —, une partie plus « consolatrice » avec soprano solo. Cette dernière autorise une croyance plus sereine dans la vie éternelle après la marche funèbre du deuxième mouvement « Denn alles Fleisch ist wie Gras », sans doute le plus connu des mélomanes.

Il y a dans ce « Requiem allemand » nombre de singularités dont certaines ne sont pas dénuées d’ambivalence affective. Laquelle oscille entre la vénération du compositeur pour son maître Robert Schumann et sa sourde passion pour l’ex-épouse de ce dernier : Clara Schumann n’a-t-elle pas quatorze années de plus que le compositeur lorsqu’il s’en éprend ? Un schéma — inconscient — qui reproduit celui de ses parents : la propre mère de Brahms a quarante-quatre ans à sa naissance et dix-sept années de plus que son père. S’il prétend proclamer la béatitude des morts, et ce, en mémoire de Robert Schumann, Johannes Brahms n’en laisse pas moins filtrer une douceur étonnamment maternante dans le mouvement lent, proche d’une « berceuse mystique » (Stéphane Barsacq, Johannes Brahms, Actes Sud, 2008, p. 111). La célèbre marche funèbre pourrait elle-même être le reliquat d’un scherzo lent issu d’une vision onirique à propos d’une symphonie — il parle de celle-ci dans une lettre adressée fin janvier 1855 à Robert Schumann après la tentative de suicide de ce dernier en 1854 — mais il confie le contenu de son rêve à Clara Schumann. Le compositeur — est-ce seulement anecdotique ? — n’a-t-il pas, lors de la création de l’œuvre à Brême le Vendredi saint, remonté la nef de la cathédrale avec à son bras Clara, sa secrète inspiratrice ? Singularités encore puisque l’architecture orchestrale — un oratorio sans canevas historique — relie les mouvements entre eux en les croisant : le septième mouvement reprend le premier, le deuxième rappelle le sixième pour ne citer que ces deux exemples. Œuvre finalement inclassable — romantique ? baroque ? classique ? — qui laisse augurer bien des difficultés d’une interprétation.

Ein deutsches Requiem. Photographie© OMC Marco Borelli.

Par la gestuelle parfois martiale dans sa direction, ponctuée de martèlements, de figures géométriques et autres poings fermés, Gianluca Capuano donne un étrange sentiment : celui de se confronter à une tâche gigantesque et de s’efforcer de contenir l’immensité, en volume, de ce deutsches Requiem. Soucieuse d’en restituer l’impressionnante densité, sa direction contribue néanmoins à en accentuer le côté massif et compact : certes une caractéristique indéniable de son auteur, un « robuste professeur allemand… froid et brusque par tempérament » écrit à son propos Ferrucio Busoni (Jean-Michel Ferran, Brahms, Ed. Jean-Paul Gisserot, 1998, p. 97). Si l’on entend bien la flûte traversière au début et à la fin du 5e mouvement « Ihr habt nun Traurigkeit », si les « syncopes » finales du sixième marquent bien cette respiration haletante, angoissée, du sixième sur « Denn wir haben hie keine bleibende Statt », Gianluca Capuano ne parvient toutefois pas à soulever le masque derrière lequel le compositeur souhaitait faire entendre un « Requiem humain » plus qu’allemand. Ou, comme l’écrivait Clara Schumann à propos du compositeur qu’elle aimait « comme un fils : « L’écorce rude cache souvent l’amande plus douce, que l’homme du commun, justement, n’arrive pas à découvrir ».

Soulignons la magnifique prestation des chœurs de l’opéra (Stefano Visconti), sans doute plus à l’aise dans ce répertoire que ne l’aura été — fébrilité des toutes premières mesures — la phalange des Musiciens du Prince-Monaco. Et saluons sans réserve la magnifique soprano Regula Mühlemann que nous avions déjà appréciée dans Die Entführung aus dem Serail ainsi que l’excellent baryton autrichien Florian Bösch, lui aussi entendu dans Von der Liebe Tod, tous deux à la Staatsoper de Vienne Humaines, les voix le furent. Indubitablement.

Jean-Luc Vannier
Monaco, le 2 février 2024
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Dimanche 4 Février, 2024 2:43