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Théâtre des Champs-Élysées, 4 mai 2024 — Frédéric Norac

La Walkyrie enflammée de Yannick Nézet-Séguin

La WalkyrieLa Walkyrie, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Jean-Philippe Raibaud.

Deux ans après son étincelant Or du Rhin, Yannick Nézet-Séguin a mis sur le métier La Walkyrie, seconde journée de cette Tétralogie qui, à raison d’un opéra tous les deux ans, devrait s’achever en 2028, c’est-à-dire en même temps que celle que l’Opéra de Paris va entamer l’année prochaine, dans une mise en scène de Calixto Bieito, un projet qui devrait mettre à l’affiche un titre du cycle par saison.

Le souvenir du premier volet si réussi posait très haut l’attente et l’on s’interrogeait quelque peu sur une distribution renouvelée et surtout sur la capacité de Stanislas de Barbeyrac, un des rares ténors français à oser se confronter au répertoire wagnérien, à assumer le rôle de Siegmund dans lequel il débutait. Le chanteur possède certes une voix centrale dont la couleur séduit mais, d’évidence, la tessiture très tendue ne lui permet guère de varier l’expression et l’aigu lui demande un certain effort. De fait, son incarnation, un peu inégale d’un épisode à l’autre, paraît plus déclamée que vraiment chantée. Mais on ne doute pas qu’elle puisse encore s’épanouir dans les années à venir, car elle ne manque ni d’intériorité ni d’une certaine vaillance.

Le concert, toutefois, commençait en mode mineur. Dans leur rencontre, les jumeaux, Siegmund et Sieglinde, paraissent quelque peu sur la réserve, ce qui étonne un peu alors qu’ils ont derrière eux trois représentations. Elsa van den Heever ne laisse d’abord entendre qu’un filet de voix et le ténor, quant à lui, paraît sous haute surveillance. Il faut attendre le fameux « Chant du Printemps » pour qu’il se lâche enfin et assume tous les risques d’une tessiture entre lyrique et dramatique. Ce faisant, il entraîne la soprano dans les hauteurs de leur déclaration d’amour vertigineuse et, dès lors, le feu étant allumé, il va pouvoir continuer de brûler tout au long d’une soirée dont l’impact va aller grandissant. L’apparition de Hunding juste avant nous avait quelque peu laissé sur notre faim, faute de plus de profondeur et de noirceur dans la voix de basse, au demeurant fort belle, de Soloman Howard.

La Walkyrie, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Jean-Philippe Raibaud.

Au deuxième acte, la température monte d’un cran avec l’arrivée de la Walkyrie de Tamara Wilson, caparaçonnée d’or dans une robe monumentale dont le bustier tient de la cuirasse. Son instrument, sans faille face à la longue tessiture, et sa capacité à incarner la vaillante guerrière sont évidents dès ses premiers « Hojotoho ». Plus tard, elle ne sera pas moins convaincante dans les tourments affectifs qui vont l’assaillir. Alliant force et fragilité, elle se révèle bouleversante dans la célèbre « Annonce de la Mort » où le ténor trouvera également des accents déchirants. La mezzo Caren Kargill apporte à Fricka toute la véhémence voulue dans ses récriminations contre le Wotan, un peu léger, du baryton Brian Mulligan. Ce dernier, excellent diseur, n’a certes pas la stature mythique des grands interprètes du rôle mais il en assume les exigences grâce à une articulation impeccable qui supplée partiellement à une voix peu large.

Le troisième acte s’ouvre sur une Chevauchée des Walkyries, mémorable par la qualité des huit solistes réunies pour ce morceau de bravoure où sont déclinées toutes les nuances possibles et imaginables de la voix féminine, du soprano le plus aigu au mezzo le plus large. Les Adieux de Wotan en revanche paraissent s’éterniser quelque peu et l’on ne sait pas vraiment s’il faut en accuser le discours emberlificoté du livret ou un interprète qui peine à donner de l’épaisseur au personnage, partagé entre son autorité divine et sa tendresse de père, et qui, face à la Brünnhilde de Tamara Wilson, extraordinairement expressive dans sa sobriété, ne fait pas tout à fait le poids.

Au final, malgré quelques limites dans une distribution qui n’atteint pas tout à fait au niveau de celle du volet précédent, ce que compense largement la splendeur de l’orchestre philharmonique de Rotterdam, excellent malgré quelques pailles du côté des cuivres dans le premier acte, l’ensemble ne laisse pas d’impressionner. Dirigeant avec une énergie qui paraît inépuisable, Yannick Nézet-Séguin réalise le tour de force de somptueux tutti qui n’écrasent jamais les voix. Le chef sait passer de la plus puissante tonitruance à de délicats pianos et met en relief le subtil matériau mélodique — les leitmotivs — qui sous-tend la narration de réminiscences et d’annonces multiples avec une totale évidence. Sûrement, cette Walkyrie aura manqué d’un authentique Wotan pour convaincre pleinement mais elle se taille un triomphe largement mérité de la part d’une salle comble, déjà enthousiaste après chaque acte.

plume_07 Frédéric Norac
Théâtre des Champs-Élysées, 4 mai 2024
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Lundi 6 Mai, 2024 23:23