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Venise, mercredi 17 avril 2024 — Frédéric Léolla.

Mefistofele de Boito à la Fenice de Venise

Maria Teresa Leva (Elena), Teatro La Fenice. Photographie © Michele Crosera.

Boito n’a pas été chanceux comme compositeur. Après l’échec retentissant de son Mefistofele en 1868 à la Scala de Milan, à peine eut-il la force d’en faire une version plus réduite et plus adaptée à « l’esprit du temps » (deuxième version qui en 1875 à Bologne fut un succès considérable), puis il se réfugia dans l’écriture de livrets (notamment pour Ponchielli ou Verdi, avec ou sans pseudonyme) et dans la composition pendant bien vingt ans d’un opéra, Nerone, qui ne sera joué qu’à sa mort. Boito est pourtant dans le cœur des aficionados surtout grâce à ce Mefistofele qui est une œuvre très particulière, anticipatrice par certains côtés de l’école 1900, avec Catalani, Puccini, Mascagni et tutti quanti, et dont le livret essaie, avec beaucoup d’intelligence, de coller au plus près au Faust de Goethe.

La Fenice le redonnait avec une distribution toute pleine « d’italianità ». Dans le rôle-titre, le baryton-basse né à Bergame Alex Esposito, un peu juste dans les graves, mais confortable dans les aigus, de bon phrasé, qui sert son personnage avec conviction et théâtralité. Comme Faust, Piero Pretti ne se risque pas à faire dans la délicatesse, mais il affronte avec vaillance et brio un des rôles les plus compliqués de sa tessiture, s’en sortant avec les honneurs. Marguerite est chantée par Maria Agresta, remarquable soprano qui n’avait pas un bon jour et dût négocier son aigu, faisant, du reste une prestation honnête sans plus. Quant à Maria Teresa Leva qui incarnait Elena, si elle a de superbes aigus, ses graves ne résonnent pas assez pour que l’orchestre, ici un point trop envahissant, ne les fasse disparaître.

En Pantalis, Kamelia Kader montre une très jolie voix de contralte, et comme Wagner, Enrico Casari, avec seulement quelques répliques construit un vrai personnage.

Le chœur de la Fenice et le chœur d’enfants Piccoli Cantori Veneziani étaient en pleine forme pour une œuvre où la participation chorale est particulièrement brillante. L’orchestre s’est montré souple et attentif sous la baguette de Luisotti, qui dirige avec un grand sens théâtral.

À relever aussi que la partition avait été épurée par Antonio Moccia des ajouts que le chef Arturo Toscanini avait faits en 1919 et qui depuis étaient repris dans toutes les productions (la « tradition » dans l’interprétation n’est pas toujours le meilleur ami des œuvres). De ce fait, l’instrumentation originale nous est parue plus « essentielle », les couleurs plus pures, faisant gagner l’opéra en profondeur.

La mise en scène de Leiser et Caurier tente de resituer le mythe dans le monde contemporain, avec un Mephisto entre anarchiste et trafiquant — un outsider — et Faust, bon garçon cato issu des milieux aisés — et donc bien plus en accord avec le système social. Les transpositions fonctionnent en général, avec des images bien travaillées, des chorégraphies intelligentes et assez inventives, mais aussi avec une absence de décors qui permet aux voix de s’échapper dans la cage scénique — défaut technique qui n’est peut-être pas sans relation avec les différents problèmes vocaux cités pour chacun des protagonistes.

Quoiqu’il en soit, les qualités l’ont emporté sur les défauts, et le public a fait un triomphe à cette production ainsi qu’aux interprètes.

plume_04 Frédéric Léolla
17 avril 2024
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Venise, mercredi 17 avril 2024. La Fenice. Mefistofele, opera in un prologo, quatro atti e un epilogo. Livret et musique d’Arrigo Boito d’après Johann Wolfgang von Goethe. Édition critique d’Antonio Moccia. Mise en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier. Décors de Moshe Leiser. Costumes, Agostino Cavalca. Lumières, Christophe Forey. Vidéo, Étienne Guiol. Choréographie, Beate Vollack. Avec Alex Esposito (Mefistofele), Piero Pretti (Fausto), Maria Agresta (Margherita), Kamelia Kader (Marta, Pantalis), Maria Tesera Leva (Elena), Enrico Casari (Wagner, Nereo). Piccoli Cantori Veneziani. Diana d’Alessio chef de chœur enfants. Orchestra e Coro del Teatro La Fenice. Chef de chœur, Alfonso Caiani. Directeur musical, Nicola Luisotti.


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Samedi 4 Mai, 2024 21:59