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Théâtre des Champs-Élysées, 9 janvier 2024 — Frédéric Norac

Une Iphigénie en Tauride inédite à quatre mains

 Iphigénie en Tauride © Cyprien Tollet / Théâtre des Champs-Elysées.

Un chef-d’œuvre peut-il en cacher un autre ? Pour les admirateurs de l’Iphigénie de Gluck, la tragédie lyrique écrite à quatre mains par deux librettistes et deux compositeurs ne manquait pas de susciter une certaine curiosité. Créée en 1704, soit pas moins de 75 ans avant celle de Gluck, avec « un relatif succès », d’après Benoit Dratwicki dans sa note de programme, cette Iphigénie en Tauride, laissée inachevée par Desmarets, suite à son exil forcé en 1699, et achevée par Campra, paraît bien éclectique et d’un intérêt dramatique très limité. Le librettiste d’origine, Duché de Vancy, sans doute pour corser une action qui ne lui paraissait pas suffisamment intéressante, a inventé de faire accompagner le célèbre duo Oreste et Pylade par rien moins qu’Electre et d’inventer un amour non partagé de Thoas pour elle. Du coup, c’est sur cet enjeu que repose le sacrifice ou non des Grecs prisonniers sur l’autel de Diane. Avouons-le, le livret est d’une singulière platitude, voire assez maladroit. C’est Oreste lui-même qui, dans son premier monologue, nous rappelle les antécédents de l’affaire, comme si tout le monde (et surtout le public de l’époque), ne connaissait pas les tenants et les aboutissants de la saga des Atrides. Le prologue n’entretient qu’un rapport assez ténu avec l’intrigue et les divertissements paraissent totalement artificiels, notamment celui qui fait apparaître le dieu de l’Océan dont on se demande bien ce qu’il vient faire dans cette histoire, à part annoncer à Thoas sa fin fatale, ce qui n’était pas absolument nécessaire. Le premier compositeur, Desmarets, ne fait pas grand « chose du rêve d’Iphigénie, moins encore de la folie paranoïaque d’Oreste et de ses remords et, si les deux derniers actes paraissent un peu meilleurs, c’est que la main de Campra et celle sans doute de Danchet, le second librettiste, s’y font sentir, notamment dans les deux belles scènes en récitatif entre Iphigénie et Oreste qui divisent en deux séquences la reconnaissance entre la sœur et le frère.

Évidemment, dans de telles conditions, les interprètes n’en peuvent, mais, et les deux premiers actes comme le prologue paraissent bien ternes. Dans le rôle-titre, Véronique Gens ne donne la pleine mesure de son talent que dans les dernières scènes. Reinhoud Van Mechelen paraît un Pylade de grand luxe par rapport au caractère épisodique du rôle. Sa riche expressivité fait un peu pâlir l’Oreste de Thomas Dolié dont la voix sombre convient bien à son personnage tourmenté, mais manque un peu de variété. On souhaiterait un peu plus d’ampleur à David Witczak pour incarner le terrible Thoas qui semble plutôt un rôle de basse. Enfin l’improbable Electre trouve une jolie voix et un style impeccable en Olivia Doray. Du côté des petits rôles, Jehanne Amzal offre son timbre fruité à quatre personnages dont la superficielle suivante d’Iphigénie, Isménide. Floriane Hasler est une Diane d’un sérieux imperturbable ; Antonin Rondepierre assume avec un ténor limité quatre personnages, dont le grand sacrificateur et Tomislav Lavoie, passé un prologue un peu difficultueux, retrouve ses pleins moyens dans le divertissement de l’Océan. Malgré quelques incertitudes instrumentales ça et là, l’orchestre et le chœur du Concert Spirituel font de leur mieux pour faire vivre cette partition très inégale, sous la direction convaincue d’Hervé Niquet, menant sans embûches son plateau jusqu’à une chaconne finale qui fait partie des moments les plus réussis de l’œuvre.

Le Théâtre des Champs-Élysées propose désormais de retrouver de nombreux éléments en vidéo et audio autour de ses productions (replay, podcasts, portraits d’artistes, interviews, reportage en coulisse et chroniques historiques) sous le lien.

plume_07 Frédéric Norac
9 janvier 2024
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