Boethius Anicius Mantius Severinus
Boèce au monocorde, manuscrit Ms. anglais 12e siècle.
Homme d'état, philosophe, mathématicien. En 485 il épouse la fille du consul Symmaque (préfet de Rome, prince du sénat, exécuté en 525). En 500 il est sénateur et patrice, en 510, nommé consul. Il est ministre de Théodoric, roi des Ostrogoths à Rome, en 522, maître des offices. Ses deux fils, encore adolescents sont nommés consuls. En 523 il est envoyé en exil et exécuté en 524, sur l'ordre de Théodoric.
La place de Boèce, dans l'histoire du traité de théorie musicale, comme dans celle de la pensée philosophique est importante. Elle tient à des conjonctures liées à ses choix conceptuels, à la situation politique de Rome à son époque, et à l'utilisation que les intellectuels firent du personnage et de l'œuvre.
Boèce est un grand dignitaire romain, ministre du roi Théodoric à Rome où se disputent alors trois pouvoirs. Celui du roi barbare Théodoric, celui de la papauté, protégé par le roi incroyant, et l'empereur de Byzance, Justin.
Boèce, aristocrate romain tient aux prérogatives de sa caste, menacées par les trois pouvoirs. Sa culture d'aristocrate romain comprend la connaissance du grec. Il traduit notamment Aristote et des écrits relatifs à la théorie musicale (Ptolémée, Nicomaque) en latin. En philosophie, il est proche de Martianus Capella. En politique, il croit que Rome décadente ne peut être relevée que par les peuples barbares de Gaule.
Théodoric suivra les conseils de Boèce, en se tournant vers la Gaule barbare, et en traitant avec les fils de Clovis lors du partage du royaume burgonde en 523. Malheureusement, ce partage se fit à son désavantage.
Sans doute Boèce se fit-il quelques ennemis alors qu'il était un Maître des Offices, semble-t-il, intègre.
La légende selon laquelle Boèce aurait comploté contre Théodoric avec l'empereur de Byzance, est tardive et tend à effacer la responsabilité de l'église.
Les trois pouvoirs qui se disputaient alors l'héritage de l'empire romain n'avaient rien à attendre de Boèce, ni sur le plan religieux, ni sur ceux de la philosophie et de la politique. Son Traité de la réincarnation est dédié à Jean, diacre de l'église Romaine (pape en 523, au moment de la condamnation de Boèce et de sa réconciliation avec l'empereur de Byzance (Justin).
Glaréan, dans la préface à l'édition des œuvres de Boèce (Bâle 1546), met en doute l'authenticité d'une partie de ces écrits, qui sont selon lui, peu chrétiens : Boèce ne parle que de la malice du siècle, l'instabilité de la fortune, le pouvoir des méchants en ce monde. Un auteur chrétien, et surtout celui qui a écrit les Traités de l'Incarnation et de la Trinité n'aurait manqué de nommer le Christ au moins une fois, et de chercher dans la foi la consolation.
Pourtant, Boèce est tès vite considéré comme un penseur chrétien, et comme une autorité par les intellectuels. Il en est autrement de la hiérarchie religieuse. Ce sont les Jésuites en feront officiellement un martyre. L'église reste prudente. Un culte local dédié à Boèce, en Italie, ne sera reconnu (par le pape Léon XIII) qu'en 1883.
Dans le fond, la pensée de Boèce était plus embarrassante pour l'église romaine que pour Théodoric. On peut penser que son destin tragique est lié aux tractations de la réconciliation de l'empereur et du pape, alors que la vitalité des peuples barbares de Gaule s'affirmait.
Pour le traité de théorie musicale, l'œuvre de Boèce est en quelque sorte un modèle scolaire qui se fait sentir jusqu'au XVIIe siècle, notamment pour ce qui concerne le calcul des intervalles et du monocorde, et l'harmonie des sphères. On associe souvent Boèce et Cassiodore, comme les deux premiers grands théoriciens de la musique du Moyen-Âge.
Contemporains, tous deux consuls, tous deux ministres de Théodoric. Mais il convient en fait de les opposer. Cassiodore s'inscrit en plein dans la tradition catholique romaine, et ce sont les auteurs romains, notamment saint Augustin, qui fondent son œuvre. Enfin, si l'on se réfère statistiquement aux manuscrits et éditions imprimées, Cassiodore n'atteint pas la renommée de Boèce.
Boèce enseignant, la Consolation philosophique, MS Hunter 374 (V.1.11), Glasgow University library, origine possible italienne, daté 1385.
Sur la musique : Avant tout, la musique est une science qui touche à la morale. Nous perce-vons les qualités du son et leurs différences, mais nous éprouvons du plaisir lorsqu'ils sont bien ordonnés, une sorte d'angoisse lorsqu'ils sont incohérents. L'âme du monde est intimement liée à la musique qui purifie ou corrompt les moeurs. Elle peut avoir une mauvaise influence sur les enfants. (Platon, la République). Elle a une influence sur les états violents, elle peut guérir les maladies graves. Les sens peuvent nous tromper. Il faut se fier à la raison. La perception doit être contrôlée par la raison. (Platon, la République VII, 530)
Le musicien: Il y a la raison qui conçoit et la main qui exécute. Il est plus important de savoir que de faire. Supériorité de l'esprit sur le corps. L'exécutant n'est qu'un serviteur. Combien plus belle est la science de la musique fondée sur la connaissance raisonnable que sur la réalisation matérielle. (Ch. 35)
Le son: C'est la consonance qui régit la conduite de la mélodie. La consonance suppose le son. Il n'y a pas de son sans impulsion ni percussion de l'air, sans mouvement qui la provoque. Le son est la percussion indivise de l'air qui parvient à nos oreilles. Les mouvements sont plus ou moins rapides, plus ou moins lents, plus ou moins fréquents, plus ou moins rares. La rapidité engendre l'aigu. La lenteur engendre le grave. Une corde tendue engendre l'aigu. Une corde détendue engendre le grave. Tendue, elle revient vite à son point de départ. Détendue, elle revient lentement à son point de départ. Mais il n'y a pas de continuité de grave à aigu. Le son est continu ou discontinu. Continu dans la conversation, la lecture, les discours, parce qu'il ne s'arrête pas à l'aigu ou au grave, parce qu'il glisse de l'un à l'autre sans qu'on puisse fixer de rap-port précis. Il est discontinu dans le chant ou chaque degré est suffisamment distingué.
Consonances: Quand deux sons, l'un plus aigu, l'autre plus grave sont entendus ensemble de façon agréable à l'oreille. (I, 8) La douzième (quinte redoublée) rapport triple, 3/1 - l'octave est la plus parfaite, 2/1 - la quinzième (double octave) bis diapason, 4/1 - la quinte (diapente) ses-quialtere, 3/2 - la quarte (diatessaron) sesquitierce, 4/3 - Au dessus de 4, il n'y a pas de conso-nance. La quarte redoublée de rapport superpartiel (8/3) n'est pas une consonance (avis contraire chez Ptolémée)
Dissonances : Son dur et désagréable, comme si chacun voulait se séparer de l'autre. Mais il faut prendre garde à sa perception et se fier à la raison et aux chiffres.
Les marteaux de Pythagore : Comme Gaudence et Nicomaque, Boèce reprend la légende relative à la découverte des consonances par Pythagore: C'est en écoutant un forgeron travailler que Pythagore s'interroge sur 'harmonie rendue par les marteaux frappant les enclumes: 2 son-nent l'octave 2 sonnent la quinte ou la quarte 1 est dissonant. Il fait peser les marteaux : Le plus lourd pèse 12 - Le plus léger pèse 6 - Le quatrième pèse 8 - Le cinquième pèse 9 - 12 et 6 son-nent l'octave - 12 et 8 ou 9 et 6 sonnent la quinte - 12 et 9 ou 8 et 6 sonnent la quarte - 9 et 8 sonnent le ton (Différence entre quinte et quarte). Ainsi se définit la proportion harmonique ou proportion dorée: 6, 8, 9, 12 ou 12, 9, 8, 6. Entré chez lui, Pythagore fixe deux cordes sembla-bles à un clou et y attache des poids différents. Il obtient les mêmes résultats numériques que dans la forge.
Les rapports intervalliques : Il y a cinq espèces d'inégalités : 1- Par multiplicité, l'un des ter-mes du rapport étant double triple, quadruple, 2/1, 3/1, 4/1 - 4/2, 6/2, 8/2. 2- Par superbipar-ticularité. Le chiffre le plus élevé de la proportion dépasse l'autre d'une unité, 3/2, 4/3, 9/8 - sesquialtere 3/2 (altere = 2) - sesquitierce 4/3 - sesquioctave 9/8 - 3- Superpartiens. un des deux termes est plus élevé que l'autre de 2 unités, 5/3, 6/4 - superbipartien: 3 unités: 7/4 - 4- Multi-plicité et superparticularité. Le nombre le plus grand contient 2 fois, 3 fois le plus petit et une certaine partie de ce dernier. Double sesquialtere 5/2 = (2 + 2 + [2(1/2)] - Double sesquitierce 7/3 = (3 + 3+ [3(1/3)] - 5- multiplex superpartiens. Double superpartien 8/3 (2 x 2 + 2) - Triple superpartien 11/3 (3 x 3 + 2)
La division de la musique : Boèce divise la musique en trois espèces : 1- La musique du monde (cosmique) - 2- La voix humaine - 3- La musique instrumentale. La musique ou harmo-nie cosmique se manifeste dans le ciel lui même, dans l'union des quatre éléments et dans la variété des saisons. Comme Aristote et Euclide, il postule que tout ce qui est en mouvement produit un son. « Comment, en effet, pourrait-il se faire que la machine si rapide du ciel puisse se mouvoir dans une course muette et silencieuse. Bien que le son ne parvienne pas à nos oreil-les, il serait impossible que des corps si grands, lorsqu'ils se meuvent si rapidement ne produi-sent d'aucune façon des sons. (De institutione musica, I, 2) Mais, comme Nicomaque, Boèce n'explique pas pourquoi on n'entend pas ces sons. Il ne connaissait pas celle d'Aristote (De Coelo II, 9) donnant l'explication des Pythagoriciens: On discerne un son que par son opposé, le silence. Un son continu n'est pas discernable, comme le forgeron qui finit de ne plus entendre les bruits auxquels il est habitué. Pour les anciens Grecs, les astres ont chacun leur son particu-lier en rapport avec les cordes de la lyre: Entre les cordes, à partir de l'hypate des moyennes jusqu'à la nète, et les astres, il existe une certaine analogie d'ordre et de distinction. En effet, l'hypate des moyennes est attribuée à Saturne; la parhypate est semblable au cercle de Jupiter. On rapproche de Mars la lichanos des moyennes. Le soleil obtient la mèse. Venus parée de la trite des conjointes. Mercure régit la aranète. La nète prend exemple sur le cercle de la lune. (Institutione musica, I, 27) (Différences avec Nicomaque de Gérase)
La musique vocale, celle de la nature humaine : Chacun descendant en lui-même comprend ce qu'elle est. Qu'est-ce donc que cette union entre notre corps et la vivacité spirituelle de notre raison, sinon une parfaite adaptation de l'un à l'autre, et pour ainsi dire, un ordre entre sons graves et sons aigus ramenés à la consonance. (de institutione II).
Les genres : Il y a trois genres. Diatonique, chromatique, enharmonique. Entre les sons fixes (quarte et octave), toutes les parhypates ou trites, lichanos ou paranètes sont mobiles. Cette mobilité détermine les genres: Diatonique : ton, ton, demi ton - Chromatique: demi ton majeur, demi ton mineur, deux ton – Enharmonique : Tierce majeure, deux pycnum, demi ton.
Boèce en prison avec la philosophie, Martianus Capella, De nuptiis und Boethius, De consolatione philosophiae mit Kommentar. 1485.
Consolations de la philosophie, édition de Gand 1485.
La Consolation philosophique, édition italienne du XIVe siècle.
Illustration du 16e siècle pour la Consolation philosophique.
Ms. R.15.22 (944), Cambridge, Trinity College. f. 20r.
Dès la fin du XVe, l'édition concernant Boèce est extrêmement abondante. La Bibliothèque nationale conserve : 46 éditions de 1476 à 1499, 59 éditions de 1500 à 1549, 13 éditions de 1550 à 1599, 18 éditions de 1600 à 1649, 9 éditions de 1650 à 1699, 4 éditions de 1700 à 1750.
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Jean-Marc Warszawski
Dictionnaire des écrits relatifs à la musique
Novembre 1995-11
juin 2006
Remise en page 10 novembre 2018
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Lundi 11 Mars, 2024