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Charpentier Gustave
1860-1956

Charpentier Gustave

catalogue des œuvres bibliographie documents

Né à Dieuze (Moselle), le 23 juin 1860, mort à Paris le 18 février 1956.

Son père, boulanger à Dieuze le pousse à apprendre la musique. À la guerre de 1870 la famille refuse de vivre sous un gouvernement allemand et se réfugie dans le Nord de la France, à Tourcoing, sur la frontière belge.

Il prend des cours de violon et en 1876 entre à l'orchestre symphonique municipal. Il est embauché dans une filature, fonde une société musicale et enseigne le violon à son employeur, Albert Lorthiois, qui finance son entrée au conservatoire de Lille en 1878.

Suite à la qualité de ses résultats, la ville de Tourcoing lui alloue en 1879 une pension annuelle pour lui permettre de suivre les cours du Conservatoire national de Paris.

Il prend goût à la vie montmartroise, à la bohème et à une certaine rebellion contre l'autorité. L'intransigeance de son professeur de violon (Massard) qui ne supporte pas ses irrégularités, l'oblige à quitter temporairement le conservatoire. Après avoir joué quelques temps dans un orchestre, il reprend les cours d'harmonie avec Pessard en 1881, mais le service militaire l'empêche d'intégrer la classe de composition de Massenet en 1884.

En 1887, il obtient le premier grand prix de Rome pour sa cantate Didon qui est mise au programme des concerts Colonne en 1888.

Gustave Charpentier, « Depuis le jour », extrait de Louise, par Anna Netrebko.

Grace Moore La chanteuse et actrice Grace Moore et Gustave Charpentier à Paris.

Il est un pensionnaire indocile de la Villa Médicis de Rome. Souvent absent en raison de nombreux voyages à Paris, il est en opposition ouverte avec le directeur, le peintre Hébert, particulièrement à propos de la présence des femmes à la Villa. Il y compose une suite orchestrale, Impressions d'Italie et La vie du poète, un drame symphonique qui semble être une version naturaliste du Lelio romantique de Berlioz. Gounod déclare son admiration dans une lettre à Charpentier. C'est également à Rome qu'il compose le premier acte et pratiquement tout le livret de Louise, son opéra célèbrissime, d'une trivialité audacieuse pour l'époque, écrit à partir de scènes de la vie contemporaine de Montmartre, dans un style réaliste teinté d'idéologie anarchiste. Les personnages principaux sont une couturière et un poète menant la vie de bohème à Montmartre.

Il revient définitivement à Paris en 1890

En 1891 Ses Impressions d'Italie font un triomphe aux Concerts Lamoureux.

Il achève Louise en 1896, certainement avec la complicité du poète Saint-Pol-Roux.

Charpentier décline plusieurs offres de création partielle de son oeuvre jusqu'à ce qu' Albert Carré décide de marquer sa nomination à la direction de l'Opéra-Comique de Paris avec la création intégrale de Louise. Le 2 février 1900 l'immense succès emporte les contradicteurs (en 1950 on approche la millième représentation). Les mots de Paul Dukas sont restés célèbres : Le premier acte, et surtout le quatrième, sont déjà d'un maître. Les deux autres d'un homme. Prodige rare par le temps qui court, où nous entendons tant de soi-disant œuvres d'art dont les auteurs ne sont ni des hommes, ni des maîtres, ni hélas des artistes. Le 30 avril, Carré distribue 400 places gratuites aux couturiers parisiens. La même année Charpentier est promu Chevalier de la Légion d'honneur

En 1902, il crée le conservatoire Populaire Mimi Pinson (héroïne d'Alfred de Musset) où les femmes peuvent recevoir une instruction musicale gratuite.

En 1912, il succède à Massenet à l'Académie des Beaux-Arts. Il est promu officier de la légion d'honneur.

Louise devait être le premier volet d'une trilogie. En 1913, le second volet, Julien ou la vie du poète,  à un grand succès, interrompu par le départ soudain pour Bruxelles (6 mois après la première, le 4 juin 1913) du ténor Charles Rousselières (1875-1950) qui tient le rôle titre. La première guerre mondiale ne permet pas de remonter l'oeuvre.

En 1913, il annonce une autre trilogie formée de trois opéras en 2 actes : L'amour au Faubourg, Comédiante et Tragédiante. Aucun n'a été mené à bien. On cite parfois L'amour du Faubourg comme troisième volet qui aurait dû compléter Louise (Roman musical) et Julien (drame lyrique). Mais on mentionne aussi (Delmas) le projet d'un opéra Marie, fille de Louise pour compléter Louise et Julien

En 1930, il est promu commandeur de la Légion d'honneur

En 1938 il supervise une version cinématographique de Louise dirigée par Abel Gance.

En 1950 il est promu Grand officier de la Légion d'honneur

Après la seconde guerre mondiale il vit replié dans sa demeure de Montmartre. Il laisse aussi des chansons, ses Poèmes chantée

Gustave Charpentier, « Napoli », extrait des Impressions d'italie, Orchestre symphonique de la radio slovaque, sous la direction d'Ondrej Lenard.

Gustave CharpentierGustave Charpentier conduisant une de ses œuvres dans un cinéma parisien.

Documents

WOLFF PIERRE, La musique contemporaine. « L'activité contemporaine », Fernand Nathan, Paris 1954, p. 127-128.

Gustave Charpentier (né en 1860), qui, nous l'avons dit, remporte en 1887 le Prix de Rome, revient de la Villa Médicis avec l'admirable partition des Impressions d'Italie (1890), qui connaît bientôt un triomphe mérité par sa couleur, son pittoresque mélodique, rythmique et orchestral, la sincérité et la fraîcheur de sa sensibilité. De la même année date la Vie du Poète. Cette œuvre représente la première manifestation d'une tendance populiste, qui cherchait une musique écrite pour le peuple, destinée non à le flatter, mais à élever ses sentiments, comme dans un autre domaine, les Universités populaires. Avec le concours d'Albert Doyen (1882-1935) il tenta d'introduire avec le Conservatoire de Mimi Pinson, et les Fêtes du peuple, la musique instrumentale et surtout chorale dans les réjouissances populaires. C'est à cette intention qu'il écrivit cette œuvre ample et noble qu'est le Couronnement de la Muse. En même temps, il poursuivait la composition de Louise. La muse exigeante de Charpentier n'était pas abondante, et, alors que le premier acte de Louise avait été un envoi de Rome, l'oeuvre ne fut achevée que dix ans après et connut les feux de la scène en 1900. André Messager, directeur de la musique à l'Opéra-Comique, avait dû lutter pour faire admettre cette œuvre de caractère si neuf. Le succès récompensa son dévouement. Une récente et brillante reprise a prouvé que l'oeuvre affrontait les injures du temps grâce à son caractère direct, son mouvement pittoresque (écoutez les Cris de Paris), l'émotion amicale, attentive qu'elle dégage, et la noblesse simple de sa pensée.

Louise devait avoir une suite : Julien. Charpentier y travailla amoureusement pendant treize ans. L'oeuvre , belle et noble, peut-être un peu verbeuse, tomba à plat. Charpentier s'est, depuis réfugié dans une hautaine misanthropie. Ses cartons nous réservent, peut-être, d'heureuses surprises.


CHANTAVOINE JEAN & GAUDEFROY-DEMONBYNES JEAN, Le romantisme dans la musique européenne. « L'Évolution de l'humanité », Éditions Albin Michel, Paris 1955, p. 321

[...] Acceptable aussi  [l'atmosphère wagnérienne] dans Fervaal (1889-1895) de Vincent d'Indy, car les sujets sont élevés, et dignes du style wagnérien. Mais ce n'est pas du tout le cas de Louise de Charpentier, drame lyrique plébéien où l'orchestration wagnerienne au grand complet sonne faux pour caractériser grandiosement le marchand de carottes et la raccommodeuse de chaises.

Charpentier exploitait là une des tendances où la littérature à la mode a fourvoyé les épigones du romantisme musical : le naturalisme [...]


LANDORMY PAUL, La musique française après Debussy. NRF Gallimard, Paris 1942 [sixième édition], p. 195-200

L'un des plus populaires parmi les musiciens français. Populaire de toute manière. Parce qu'il aime le peuple et qu'il décrit merveilleusement ses joies et ses souffrances. Parce qu'il est lui-même un peu « peuple» d'esprit et de cœur. Parce qu'il écrit une musique facile et vibrante, qui touche au vif, qui remue les entrailles, vous prend et vous mord. Parce que, pour élever à la musique le peuple, il s'est mêlé à lui, organisant des fêtes, des chœurs, un conservatoire qui lui sont spécialement destinés et réservés.

Il est né le 25 juin 1860 à Dieuze, en Lorraine. Son père était boulanger. Après la guerre, ses parents vinrent se fixer à Tourcoing. Il y suivit des cours de violon. A 15 ans, il entrait comme employé à la comptabilité dans une filature. Mais les chiffres ennuyaient le jeune Gustave. Pour se distraire, il fonde une société symphonique et commence d'enseigner le violon à son patron, M. Lorthiois. Celui-ci l'autorise, en retour, à suivre les cours de violon et d'harmonie du Conservatoire de Lille. L'année suivante, en 1879, il se voit décerner un prix d'honneur de violon, et la municipalité de Tourcoing lui alloue une pension annuelle de 1.200 francs pour lui permettre de continuer ses études musicales à Paris

Il entre dans la classe de violon de Massard. C'était un maître sévère. Avec lui, le turbulent Gustave faisait si mauvais ménage qu'il finit par donner sa démission et par quitter le Conservatoire. Il y rentra bientôt, du reste, dans la classe d'harmonie de Pessard. Son service militaire terminé, il devint l'élève de Massenet pour la composition (1885), élève fantaisiste, incapable de s'astreindre à aucune discipline. Il ne fallait pas attendre de lui qu'il remît régulièrement des devoirs, ou, quand il les avait faits par hasard, il avait pris soin d'y insérer quelque «  blague », qui lui attirait de son professeur une réprimande dont il s'amusait fort. C'est ainsi qu'un jour il accompagna un « chant donné » d'une basse qui n'était autre que l'air populaire « J'ai du bon tabac ». On devine la figure ahurie du professeur en déchiffrant au piano l'ironique réalisation de cet exercice d'harmonie. Gustave en était tout joyeux.

En 1887, il concourt pour le prix de Rome et, avec sa cantate Didon, obtient la première récompense à l'unanimité moins une voix. Cantate à ce point réussie qu'elle fut exécutée avec un vif succès l'année suivante aux Concerts Colonne, puis à Bruxelles et à Tourcoing.

En février 1888, Charpentier part pour la Ville Éternelle, «muni, nous dit son excellent biographe André Himonet, d'un violon sans cordes, d'un basson éclopé et d'une petite flûte veuve de la plupart de ses clefs».

A la Villa Médicis, le voilà tout de suite au plus mal avec son directeur, le peintre Hébert, fomentant contre lui une sorte de révolte, allant jusqu'à réclamer sa démission. Un ami commun arrange à peu près les choses. Mais Charpentier restait un pensionnaire fort difficile à mener. D'abord il ne pouvait admettre que l'accès des femmes à la Villa fût interdit. Cette contrainte monastique le contrariait fort, et il ne se fit pas faute de nombreux manquements à cet article du règlement. En désespoir de cause, le directeur finit par fermer les yeux. En 1889, Charpentier a l'idée d'assister à l'Exposition universelle. Il en caresse l'agréable projet avec tendresse, et un beau jour, sans aucune permission, il part pour Paris. Il y arrive sans encombre. Mais ne voilà-t-il pas qu'aux abords de la Tour Eiffel il rencontre son maître Massenet. Un dialogue s'engage : Mais qu'est-ce que vous faites donc à Paris, mon ami ? demande le membre de l'Institut. Moi ? répond sans hésiter Charpentier, je m'occupe de mon élection (on vivait .les jours troublés du boulangisme). Je me présente à Tourcoing comme député. Massenet ne se laissa point prendre naturellement à la grosse plaisanterie de ce grand gamin, dont il connaissait la tournure d'esprit fantasque, et, bonnement, lui conseilla de reprendre sans plus tarder le chemin de l'Italie, s'il ne voulait pas s'exposer aux conséquences graves de son imprudente escapade. Charpentier se le tint pour dit, et le soir même prit le train qui le ramenait au bercail. Mais dès son retour, quelques centaines d'affiches placardées sur les murs de la Ville Éternelle annonçaient aux populations ébahies que Gustave Charpentier, prix de de Rome et boulangiste, sollicitait les suffrages des Tourquennois.

Avant son retour à Paris, en 1890, son directeur Hébert prédit à Gustave Charpentier qu'il ne ferait jamais rien de bon, qu'il ne serait jamais qu'un anarchiste. Il était cependant déjà l'auteur de Napoli (joué en 1891 aux Concerts Lamoureux). Souvenir prodigieusement évocateur de la vie grouillante et bariolée de Naples. Fragment de ces intenses Impressions d'Italie (suite d'orchestre en cinq parties) dont les Concerts Colonne et les Concerts Lamoureux donnèrent simultanément et avec le plus brillant succès l'audition. L'auteur ne pouvait souhaiter plus éclatant triomphe pour son entrée dans la vie musicale.

Les Impressions d'Italie constituaient le premier envoi de Gustave Charpentier comme pensionnaire de la Villa Médicis. Le second envoi fut la Vie du Poète, symphonie-drame avec chœurs composé sur un poème écrit par Gustave Charpentier lui-même et qui effraya le brave Hébert par les audaces d'un style qui ne reculait pas devant des expressions aussi peu académiques que homme saoul, charogne, etc. L'Institut ne s'effaroucha point, et Gounod, enthousiasmé par la qualité musicale de l'œuvre, adressa à Gustave Charpentier une lettre où il lui disait toute son admiration.

La Vie du Poète fut exécutée au Conservatoire le 18 mai 1892, puis à l'Opéra dans un spectacle qui se terminait par le ballet de Sylvia, de Léo Delibes.

La Vie du Poète, qui disait toutes les tristesses, tous les déboires de la vie d'artiste, eut bientôt ses admirateurs fanatiques. Nous étions alors une petite bande, raconte Saint-Georges de Bouhélier dans ses «Années d'apprentissage», pour qui cetteœuvre était sacrée. Nous l'envisagions comme le drame de nos destins.

C'est encore à la Villa Médicis que Gustave Charpentier écrivit le livret de Louise et en composa tout le premier acte.

De retour à Paris, le jeune musicien loua un très modeste logement sous les toits, rue Custine, et bientôt sa pittoresque silhouette devint familière à tous les habitants de son cher Montmartre, dont il fréquentait volontiers les tavernes, les bals musette. Vêtu comme un rapin de Murger, nous dit Himonet, ses cheveux s'échappant en boucles blondes de son vaste chapeau à bords plats, la pèlerine flottant au vent, la lavallière en désordre, il allait, un solide gourdin en main, une longue pipe à la bouche, tour à tour égayé ou attendri par le spectacle protéiforme que lui offraient les ruelles escarpées du faubourg.

Volontiers révolté contre la vie et la société et animé d'un souffle ardemment humanitaire, il écrivit alors la Chanson du Chemin, sur des paroles de Camille Mauclair, et les Impressions fausses pour orchestre, baryton et chœur d'hommes sur deux poèmes de Verlaine, la Veillée rouge et la Ronde des Compagnons. Les revendications sociales qui s'y faisaient jour troublèrent le jugement du public du Châtelet, qui ne voulut point en entendre une seconde fois la musique.

Puis vint, en 1897, à Montmartre, la Fête du Couronnement de la Muse, qui passa plus tard de la rue sur la scène (3e acte de Louise). Enfin, le 2 février 1900, avait lieu la première représentation de Louise à l'Opéra-Comique. Le Tout-Montmartre était descendu à la salle Favart pour y applaudir son grand'homme. Les pèlerines des rapins aux longs cheveux voisinaient avec les plastrons étincelants et les calvities aristocratiques. Peu de gens du monde ;  beaucoup de personnages officiels, ministres, députés; et, naturellement, le ban et l'arrière-ban des musiciens.  Le président Loubet était là. Tous les provinciaux et les étrangers qui étaient venus à l'Exposition voulurent assister à cette apothéose du Paris de 1900. Et bientôt après, le drame populaire faisait triomphalement le tour du monde.

Le 4 juin 1913, Julien paraissait en même temps sur les scènes de l'Opéra-Comique à Paris et de l'Opéra de Monte-Carlo. Ce poème lyrique en quatre actes et huit tableaux, où se trouvait incorporée une grande partie de la Vie du Poète, formait la suite de Louise.

Une troisième partie du « triptyque populaire », l'Amour au faubourg, n'a jamais été représentée.

Notons enfin la fondation, en 1902, d'un conservatoire populaire, le Conservatoire de Mimi Pinson, où l'on enseigna le solfège, le chant, le piano et toutes matières musicales.

Depuis 1912, Gustave Charpentier est membre de l'Institut, où il succéda à son maître Massenet. Depuis lors, il a presque cessé de produire. Mais il avait assez donné de lui-même dans sa féconde jeunesse pour s'être à jamais couvert d'une gloire impérissable. Il pouvait se reposer sur ses débuts éclatants et s'en tenir là. Cet homme au cœur tendre a dit un jour ce mot : Je voudrais être aimé. Il l'est; il l'est singulièrement de ceux qu'il aime par dessus tout, de son bon peuple de Paris.

Un novateur, un révolutionnaire en son genre. Mais non pas à la manière d'un Debussy. Il n'invente pas une technique musicale nouvelle. Il se sert du langage de tout le monde, de tous les musiciens de son temps, et notamment de Massenet et de Chabrier, de Chabrier dont il admire et emprunte à l'occasion la langue colorée.

S'il innove, c'est dans le choix des sujets qu'il traite. Il est, avec Bruneau, le créateur de l'opéra en prose, de l'opéra en blouse. Même le « réalisme » de Louise, les ouvriers en costume de travail, les silhouettes de chiffonniers, de sergents de ville, les mots d'argot, les expressions triviales, scandalisèrent, a l'origine, bien des spectateurs. On est vite revenu de ce sot préjugé. Et nous devons à Gustave Charpentier, en même temps qu'à Bruneau, cet élargissement du domaine étroit réservé jusqu'alors à nos opéras et à nos opéras-comiques.

Seulement il y a cette différence, entre Bruneau et Charpentier, que le premier emploie son réalisme à développer une conception généreuse et hautement morale de la vie humaine, tandis que Charpentier s'enferme dans une vision de la vie de l'artiste singulièrement rapetissée, strictement ramenée aux plus vulgaires jouissances de la volupté des sens. Son Paris, le Paris qu'il chante avec un tel enthousiasme, ce n'est pas le Paris. que nous admirons et que nous aimons tous, avec ses grandeurs, ses harmonies, ses incomparables beautés, ce n'est qu'un coin de ce Paris et le moins estimable, c'est Montmartre, Montmartre considéré comme le centre universel d'une fête éperdue. Voilà justement ce qui séduisit. en 1900 les étrangers. venus des quatre bouts de l'univers pour s'amuser à Paris. Il y a un autre Paris, d'un autre style, autrement divers aussi et autrement profond, de l'existence duquel notre auteur ne semble pas se douter. Son « Poète» a pourtant des prétentions à la philosophie. Il philosophe sur le droit au bonheur, mais d'une philosophie bien courte, et il le réduit en somme au droit de « faire la noce » en piétinant sans scrupule tous les devoirs que la famille et la société imposent à l'individu. Car il faut bien entendre la pensée de Gustave Charpentier. Toute sa sympathie va à son héros et à son héroïne, à Louise, et non pas aux si respectables revendications de ses parents. Voilà ce que je n'aime pas dans une œuvre, très mélangée, et par ailleurs si remarquable. Je n'aime pas cette fille sans cœur et sans cervelle qui nous présente les appels exigeants de son sexe pour la loi suprême et qui, là-dessus, sentimentalise à faux. Sa liberté, ce n'est que son plaisir. «S'amuser toute une vie», comme Manon, voilà ce qu'elle réclame, voilà toute sa morale. Décrire la vie frivole comme Massenet l'a fait n'est rien, mais la proclamer la règle du bien vivre, en faire une sorte d'évangile, voilà qui sonne petit et faux.

Ce que J'aime dans Gustave Charpentier, c'est le musicien, musicien. extraordinairement doué, d'une invention si facile, si abondante, si personnelle. Relisez. dans Louise ces pages Uniques que sont la scène des ouvrières à l'atelier, l'air de Louise, la berceuse du père. Personne n'a écrit de musique ni plus colorée, ni plus émue. Suivez surtout avec attention la ligne mélodique et les dessous harmoniques des dernières mesures de l'air de Louise : vous y découvrirez le mystère d'une sensibilité en même temps que d'une grâce incomparables.


VUILLERMOZ ÉMILE, Histoire de la musique. « Les grandes études historiques », Arthème Fayard, Paris 1949 [8e édition], p. 3667-368

[...] Passionné, lui aussi, pour la recherche du lyrisme caché dans les plus humbles destinées, GUSTAVE CHARPENTIER (1860) allait étendre, et consolider cette conquête en nous donnant Louise et Julien, «romans musicaux »  consacrés aux amours d'une midinette et d'un poète montmartrois, et n'hésitant pas à « musicaliser » une mansarde, une ménagère à son fourneau, une lampe à pétrole, un journal, une soupière et un litre de vin. La création de Louise qui, avec celle de Pelléas, ensoleilla le seuil du xx e siècle, représente dans l'histoire de notre théâtre une date fort importante. Moins naturaliste et moins réaliste qu'Alfred Bruneau, Gustave Charpentier ne dédaigne pas d'enrichir d'un élément secret de romantisme les situations les plus prosaïques de la vie. moderne. Il est sensible aux grands symboles moraux et sociaux et donne à son anecdote des prolongements philosophiques grandioses. L'entrée en scène de son « Plaisir de Paris » et le couronnement de son héroïne accédant à un Parnasse populaire résument clairement l'idéologie qui l'a guidé dans la composition de ses deux ouvrages dont le second n'a pas connu la fortune éclatante du premier. Pendant toute sa carrière, Gustave Charpentier qui avait fondé le Conservatoire de « Mimi Pinson » et organisé partout des fêtes démocratiques et des cérémonies consacrées au Couronnement de la Muse, a été hanté par de généreuses préoccupations sociales. Il a très peu écrit. Deux albums de mélodies, sa Symphonie-drame : la Vie du Poète et ses délicieuses Impressions d'Italie pour orchestre constituent tout son bagage. Il est peut-être le seul compositeur qui n'ait jamais songé à écrire une pièce de piano ou d'instruments à cordes, une sonate, un quatuor, une page de musique pure. Sa sève musicale dont nul ne peut contester la richesse et la chaleur ne s'accommode pas des formes abstraites de la musique de chambre. Il lui faut un contact direct avec la vie. Et ce contact lui inspire aussitôt des accents d'une justesse, d'une vérité et d'une émotion dont l'éloquence directe est irrésistible. Dans le monde entier, Louise aura fait entendre aux couples d'amoureux la chanson du cœur de Paris.


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Catalogue des oeuvres

Les manuscrits sont conservés à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

Bibliographie


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Vendredi 31 Mars, 2023