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2006 —— Gérard Rebours.

Robert de Visée
v. 1650-1665 - après 1732

Robert de Visée

Musicien du dernier quart du XVIIe siècle, Robert de Visée fut vite reconnu pour son talent, et occupa sa vie durant une place enviable à la cour et auprès du roi Louis XIV. Ses œuvres circulèrent abondamment : les 189 pièces originales de sa composition actuellement connues1 se déclinent 815 fois, pour 7 types d'instrumentations différentes2. Paradoxalement, nous ne savons rien sur lui, ou presque. Même ses dates de naissance et de mort ne nous sont pas parvenues.

Comme il déclare que son recueil de 1682 est l'ouvrage de plusieurs années, et qu'il jouit alors du statut de « Maître pour le théorbe et la guitare », on en fait un homme déjà mûr, né en 1650 : c'est oublier que Mlle Jacquet, qui publia à 23 ans (en 1687), composait dès l'âge de dix ans, que des œuvres lyriques d'un Desmarest de 21 ans étaient données à la cour (en 1682), ou encore que Stradivari était luthier autonome à l'âge de 22 ans — pour ne citer que quelques contemporains. On fait souvent mourir De Visée en 1725, mais il en réchappe puisqu'en 1732, son nom apparaît toujours dans les états de paiement. Alors, on s'insurge contre cette longévité peu commune, on soupçonne un homonyme d'avoir pris sa place, oubliant encore que Marais, Forqueray et le roi furent septuagénaires, Rameau octogénaire, Stradivari nonagénaire, et que Corette mentionne son nom parmi les anciens Maitres de la Guitarre [qui] ont vécû près de cent ans, aux côtés de Derosiers, Prunier, Cheron Doyen des Luthiers mort en 1736, et beaucoup d'autres Amateurs...

Il eut un fils musicien, François, à qui il transmit sa charge de « Maître de guitare du Roy » en 1721, deux ans après l'avoir obtenue officiellement. Outre la signature de Robert de Visée, l'acte de mariage de François, daté du 30 octobre 1720, nous révèle la disparition de sa mère, Catherine [Servant], ainsi que quelques détails sur la situation géographique et financière de la famille. Ce ne fut pas son seul enfant : il eut aussi au moins deux filles, comme en témoigne la pathétique pièce pour théorbe intitulée La Plainte, Tombeau de Mesdemoiselles de Visee, Allemande de Mr leur père.

Les préfaces de ses publications nous renseignent sur ses activités à la cour, à commencer par la dédicace de son Livre de Guittarre dedié au Roy (Paris, Bonneuil, 1682) :

un petit recueil de pieces de Guittare, que j'ay composées, et qui ont eû le bonheur de ne vous pas déplaire

elles ont eû plusieurs fois la gloire d'Amuser V.M. dans les heures de ce precieux loisir

je l'ay veüe moimesme ne pas dédaigner quelque fois l'Exercice de nostre Art, et toucher la Guittare

V.M. m'a déjà comblé de ses graces, par le chois qu'elle a fait de moy pour divertir quelquefois Monseigneur le Dauphin

l'honneur que j'ay eû d'aprocher du plus grand Monarque de l'Univers et du plus fameux des Conquerants

Et, deux pages plus loin :

mes pieces ont eû le bonheur d'estre escoutées favorablement de sa Majesté et de toutte sa cour

Quatre ans plus tard, à la première page du Livre de pieces pour la Guittarre dedié au Roy, les déclarations sont identiques :

trop heureux si je pouvois pour tout fruict de mes veilles, divertir Votre Majesté.

En 1716, dans l'Avertissement des Pieces de theorbe et de luth mises en Partitions, Dessus et Baße, De Visée nous rappelle Le succes que ces pieces ont eu à la Cour, pendant plusieurs années, dans les Concerts particuliers du feu Roy et sur tout les augustes suffrages de ce grand Prince.

Cette présence auprès du roi et de sa cour, et le bon accueil réservé à sa musique — qu'il souligne de façon assez ostensible — est confirmée par plusieurs autres sources :

Il [le roi] fait d'ordinaire venir Vizé pour jouer de la guitare sur les neuf heures (Journal du Marquis de Dangeau,11 Mai 1686).

et qui voulut prêta l'oreille au joli concert de Vizé, Marais, Descoteaux et Philbert (Lettre de Mme de Sévigné à sa fille,1696).

Chez Mme de Maintenon, chez le Duc ou la Duchesse de Bourgogne, il eut encore pour partenaires Couperain, Forqueray, Rebel, Buterne [...] et le roi les fit jouer longtemps [...] s'y arréta assez longtemps.

Il fait, sans aucun doute, partie des plus grands. Preuve de reconnaissance du milieu professionnel, cette fois, François Couperin citera deux de ses gavottes dans celle de son 1er Ordre (p. 5). L'une d'entre elles devait d'ailleurs être dans tous les doigts, et même sur toutes les lèvres : il en existe 17 versions (au moins) pour guitare, théorbe, luth, dessus et basse, clavecin, et on devait la chanter aussi puisque l'une d'entre elles porte l'incipit J'aurai beau pleurer, hélas, qui épouse parfaitement la première phrase musicale.

D'Andrieux, aussi, empruntera à De Viséee la première mesure de l'allemande de sa première suite de clavecin (c.1704), et le guitariste François Campion, son cadet, prendra une de ses gavottes comme modèle.

Jouissant d'une telle notoriété, on s'attendrait à trouver un portrait de lui — comme Marais ou Mouton — ou bien à voir son effigie orner l'une des premières pages de ses publications — comme ses homologues italiens Bartolotti, Pellegrini ou Granata, mais il n'en est rien.

À la même époque de ses publications pour guitare - en 1688 - le violiste Rousseau parle d'un Mr de Vizé dans une de ses lettres. Est-ce là notre homme ? Comme Rousseau déclarant, un peu avant, que l'auteur du libelle antagoniste à son égard veut que les Maistres de Luth, de Theorbe & de Guittarre soient les véritables juges du jeu de la viole, et que l'auteur du libelle a crut que Monsieur De Vizé pouvait aider à mettre son honneur à couvert, ils concerterent ensemble & ayant aposté les Maistre de Luth qui sont de la Cabale & tous leurs amis…, nous pouvons penser qu'il s'agit bien de Robert De Visée. Plus loin dans la lettre, ce Vizé prend l'archet pour jouer une Sarabande qu'il avait composé sur la viole, et joue finalement deux Pieces : à ses talents de guitariste et théorbiste, il faudrait donc ajouter celui de gambiste — ce qui est moins surprenant que violoniste ou hautboiste : accordée en quartes et tierce comme ses propres instruments, le musicien se retrouve un peu en terrain connu sur la viole.

Il eut pour disciple Jean-Étienne Vaudry de Sayzenay, qui le mentionne comme son « Maitre » dans le précieux manuscrit qu'il nous a légué (F : Bm, ms 179.152 et 279.153). Mais lui, un maître l'a-t-il formé ? « Élève de Corbetta », déclare Fétis (en 1865), et cette assertion non fondée d'être reprise depuis dans de nombreux textes, jusqu'à ceux du New Grove Dictionnary, prenant parfois pour un aveu le titre de l'allemande Tombeau de Mr Francisque Corbet (Livre de guittarre, p.38 et 64), et ignorant sans doute qu'il en a aussi écrit pour Tonty, Mouton, Dubut, le Vieux Gallot et pour ses propres filles. Dédier un tombeau est plus un hommage posthume, un signe d'affliction, que la reconnaissance officielle d'un lien pédagogique.

Aspects généraux de son œuvre

Robert de Visée publie en 1682 son Livre de Guittarre dedié au Roy, somme compacte et bien ordonnée de suites d'un niveau d'exécution élevé, et nous en livre un autre, Livre de pieces pour la Guittarre dedié au Roy, moins conséquent et moins bien structuré, quatre ans plus tard.3

Gravés avec soin par Bonneuil, les deux ouvrages comportent chacun une seconde section proposant en « Musique » - c'est-à-dire sur deux portées, pour le dessus et la basse chiffrée - une petite moitié des pièces notées en tablature, (24 sur 59 et 16 sur 33) pour la Satisfaction de ceux qui voudront les joüer sur le Clavecin, le Violon, et autres instruments.

Considérant sa position avantageuse à la cour, sa présence répétée auprès du roi et la qualité de son inspiration, la publication d'un troisième livre in-4° oblong et daté de 1689 — selon Fétis4 — serait tout à fait plausible. Si personne n'a encore pu vérifier son existence, la présence sous forme manuscrite de 35 pièces pour guitare non issues des deux premiers recueils imprimés pourrait faire penser que ce troisième ouvrage fantôme en serait la source.

La troisième et dernière publication de Robert de Visée qui soit parvenue jusqu'à nous, intitulée Pièces de Théorbe et de Luth mises en partition dessus et Basse,5 sort des presse de Cl. Roussel en 1716 — soit exactement 30 années après son second recueil de tablatures de guitare. Cet ouvrage reprend — comme le titre l'indique — un principe déjà utilisé dans les deux livres de guitare : mettre sous forme de dessus et basse chiffrée des pièces écrites à l'origine pour un instrument soliste. Mais cette fois, il ne contient aucune tablature car, selon l'auteur, le nombre de ceux qui entendent la tablature est si petit que j'ay cru ne devoir pas grossir mon livre inutilement : sur ce point, la situation a dû changer rapidement car, quelques 30 ans auparavant, il déclarait à propos de ses tablatures de guitare que ses amis, ayant trouvé que le chant de mes pièces avoit quelque agrément, Ils m'ont obligé d'en mettre une partie en Musique.

Dès sa première publication, il annonçait aussi, avec la modestie de rigueur :

j'ai tasché de me conformer au goust des habiles gens, en donnant à mes pièces, autant que ma foiblesse me la pû permettre le tour de celles de l'Inimitable Monsieur de Lulli.

Affirmation dénuée de tout opportunisme, car, en entendant sa musique de guitare, Antoine Geoffroy-Dechaume déclara sans hésitation : « On dirait du Lully !

De Visée resta toujours fidèle à ce style qu'il maîtrisait à merveille et qui avait fait d'emblée son succès. Trente années plus tard, c'est à peine s'il s'en écarte un peu en proposant, par exemple, une Muzette en rondeau dans la plus pure tendance pastorale du début du XVIIIe siècle.

A côté de ces trois publications officielles, c'est sous forme manuscrite que nous trouvons les oeuvres de Robert de Visée, dans une quarantaine de compilations contenant, selon les cas, entre 1 et 78 de ses compositions. C'est une aubaine, car 36 d'entre elles ne figurent pas dans les recueils imprimés. Certaines de ces versions respectent scrupuleusement l'original, d'autres en présentent d'intéressantes variantes, et enfin d'autres en donnent une vision très déformée, voire tronquée, et c'est probablement ce qui lui fit dire :

quelques unes de ces pièces, qu'on m'a surprise, sont répandues dans le monde, mais si peu correctes et même si défigurées que je suis obligé de les désavoüer....6

L'œuvre de Robert de Visée est une oeuvre en mouvement : lorsqu'il écrit une pièce, lui même ou d'autres musiciens la transposent, l'adaptent, en multiplient les versions. On la recopie, on la tronque si on en a oublié une partie, on la cite parfois, on la chante même. Seules ses œuvres à la destination instrumentale évidente — comme ses superbes passacailles pour guitare, ou ses majestueux préludes pour théorbe  — ne quitteront pas leur destination première.

De notre compositeur, on semble attendre des airs de danse dont tous les instrumentistes pourront s'emparer ; c'est ce en quoi consistera la majeure partie de l'œuvre de Robert de Visée, visiblement sensible au succès, et à l'écoute de son public.

Lorsqu'un nom de guitariste de l'époque de Louis XIV refera surface au XVIIIe siècle comme au XIXe, ce sera le sien et sa musique, souvent maladroitement exprimée à cause des grands changements intervenus depuis dans l'exécution des symboles musicaux, prendra néanmoins une place enviable dans le répertoire des musiciens du XXe siècle, sur l'instrument moderne ou baroque. Omniprésents dans le domaine de l'édition9 — de la moins respectueuse des transcriptions à la publication objective en facsimilés — ses airs inspireront un concerto au compositeur polonais Alexandre Tansman, un Tombeau à André Jolivet , et une base d'improvisation au guitariste de jazz Larry Coryell.

Gérard REBOURS
2006

Présentation des ouvrages sur Robert de Visée et autres articles dans le site de Gérard Rebours

Notes

(1) Recensées dans mon Index thématique et Catalogue de Concordances, Éditions Symétrie, Lyon, https://www.symetrie.com

(2) soit : guitare, luth, théorbe, dessus et basse, clavier, voix et basse continue, duo de violes.

(3)  Publiés en facsimilé aux éditions Minkoff, et en tablature surmontée de la transcription sur portée, avec une introduction de 100 pages, aux éditions Transatlantiques (par H. Charnassé, R. Andia et G. Rebours)

(4) Fétis, François Joseph, in « Biographie / universelle / des musiciens », 2e édition, Paris, 1865, p. 365 – 366

(5) Facsimilé disponible aux éditions Arte Tripharia

(6) Avertissement de la publication de 1716

(7) Comme dans l'article « Guittare » de l'Encyclopédie de Diderot (vol. VII, 1757)

(8) Comme dans la Méthode de F. Sor , revue et augmentée... par N. Coste, Paris

(9) Dans au moins une centaine de publications.

Robert de Visée, Suite en re mineur,Prélude, Allemande, Courante, Sarabande, Gavotte Menuets I & II, Bourrée, Gigue, Julian Bream, guitare baroque.
Robert de Visée, La plainte ou Tombeau de mesdemoiselles de Visée, Allemande de de Mr. leur père, extrait de la suite en do mineur, Hopkinson Smith (luth).

Catalogue des œuvres

Edition: R. de Visée: Oeuvres complètes pour guitare, ed. R. Strizich (Paris, 1971)

CHARNASSÉ H., ANDIA R. & REBOURS G.,   Les deux livres de guitare de Robert de Visée (préface de Catherine Massip). Éditions Transatlantique, Paris (TRANS01005). Avec une importante introduction.

Bibliographie par Jean-Marc Warszawski

Discographie

par Jean-Marc Warszawski

Robert de ViséeRobert de Visée, Suites de guitare,Rafael Andia, Guittare baroque. Harmonia mundi, HMA 1901186, 1986

Suite n° 4 en sol mineur : Prélude. Allemande. Courante. Double de la cour[an]te. Sarabande. Gigue. Menuet. Gavotte — Suite n° 9 en ré : Prélude. Allemande. Courante. Sarabande. Gigue. Gavotte. Bourée. Menuet. Passacaille. Menuet — Suite n° 11 en si mineur : Prélude. Allemande. Sarabande. Gigue. Passacaille — Suite n° 12 en mi mineur : Sarabande. Menuet. Passacaille — Pièces en la mineur : Prélude. Allemande — Pièces en ré mineur : Allemande «La Royalle». Courante. Sarabande. Gavotte. Masquarade — Pièces en Ré majeur : Courante. Gavotte. Gigue. Gavotte en rondeau (et sa contrepartie) — Pièces en sol mineur : Prélude. Allemande. Sarabande. Gavotte — Pièces en Sol majeur : Allemande. Courante. Sarabande. Gigue.

Robert de Visée Robert de Visée, Pièces de guitare Baroque, André Jolivet, Tombeau de Robert de Visée,Christian Rivet, guitare, Guitares baroque et moderne, Enregistré à l'église de Bonsecours, Paris du 19 au 23 mai 2003. Zig Zag Territoires , ZZT 040502

ROBERT DE VISÉE : 1. Allemande en sol majeur — 2. Masquarade — 3. Sarabande — 4. Menuet en la majeur  — Suite n° 8 en ré mineur — 5. Prélude  — 6. Allemande — 7. Courante   — 8 Sarabande  — 9. Gigue  — 10. Gavotte  — 11. Bouréé  — 12. Menuet  — 13 Passacaille  — 14. Menuet en ré majeur  —  ANDRÉ JOLIVET : 15. Prélude  — 16. Courante française  —  17 Double de la Courante  — 18. Sarabande  — 19 Passacaille  — ROBERT DE VISEE : 20. Tombeau de Mr Francisque Corbett   — 21. Menuet en ut majeur —  22. Sarabande en sol majeur  — 23 Muzette

3/
Robert de ViséeRobert de Visée, Suites de danses
Pascal Monteilhet, théorbe. FNAC musique 592095, 1993

1-7. Suite en mi mineur — 8-13. Suite en si mineur.


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Mercredi 18 Mai, 2022

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