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  Dijon, Auditorium, 21 octobre 2014, par Eusebius ——

Empfindsamkeit* et classicisme à l'auditorium de Dijon

Jos Van ImmerseelJos van Immerseel. Photographie © Opéra de Dijon - Gilles Abbegg.

Dans le cadre du discret tricentenaire de Carl Philipp Emanuel Bach, Anima Æterna, la formation que dirige Jos van Immerseel, est de retour à l'Opéra de Dijon, auquel il est associé1. L'ensemble réuni ce soir, à l'effectif réduit (8 violons et altos, un violoncelle et une contrebasse, 2 hautbois, 2 cors, un basson, et un beau piano-forte — copie d'un Anton Walter par Clarke, de Cluny — joue debout2 sur instruments anciens.

Le concert s'ouvre par la symphonie en ré majeur Hob.III/57 de Joseph Haydn, dans sa version originelle (Breitkopf, l'éditeur, y ajouta 2 trompettes et timbales). L'introduction lente, adagio, du premier mouvement, énergique comme il se doit, conduit à un allegro très rapide, inventif et spirituel à souhait, avec ses trois thèmes. L'adagio ternaire qui succède confie le beau thème aux seules cordes. Les variations usent des pizzicati et des sourdines, de l'ajout des vents, le tout dans une atmosphère feutrée, avec des cadences parfaites faussement conclusives, jusqu'à ce que tout l'orchestre entame la 4e variation forte, avec de belles guirlandes du violon solo, pour s'achever piano en pizz. Le menuet, allegretto, est pris dans un tempo allant, enjoué, dansant, en nous entraîne du majeur à une inflexion mineure, mode du trio, confié aux cordes seules. Le finale (prestissimo) est une sorte de mouvement perpétuel, très virtuose, où le violon solo, toujours parfaitement intégré à l'orchestre, nous ravit par son jeu. À ce propos, soulignons que la direction, sobre pour le moins, de Jos van Immerseel, ressemble à une sorte de figuration : c'est sa violoniste — anonyme — qui conduit effectivement l'ensemble, ce qui se confirmera dans les deux œuvres suivantes.

Une interprétation singulièrement lumineuse, dynamique et inspirée, où toutes les facettes du génie de Haydn sont bien présentes.

Le concerto pour hautbois en mi bémol majeur W. 165, de Carl Philip Emanuel Bach, a pour soliste Benoît Laurent, à la sonorité et au jeu exceptionnels3. Le timbre n'est jamais nasillard : un son rond, plein, qui emprunte quelque peu à la clarinette qui voyait alors le jour et attendait son heure. L'articulation, le phrasé, les nuances sont un régal. Le premier allegro respire une grande élégance, les cadences sont brèves et parfaitement appropriées au style. Les couleurs de l'adagio ma non troppo nous renvoient à l'Empfindsamkeit, alors dominante. Un beau chant au sourire empreint de nostalgie, de tendresse d'où les sanglots se font parfois entendre. L'allegro final, évidemment le plus virtuose, manie l'humour dans ses dialogues, avec un passage central très sensible. Jos van Immerseel a abandonné la baguette pour le clavier, et c'est effectivement sa « Konzertmeisterin » (féminise-t-on en allemand ?) qui anime ses complices avec le plus grand bonheur.

Le beau piano-forte signalé plus haut, déplacé et ouvert, allait nous permettre d'apprécier, au plus près de la vérité acoustique, comment sonnait le concerto en la majeur, K. 414, en 1782. Les tempi sont justes. La souplesse du discours, la liberté du jeu quasi-improvisé de Jos van Immerseel nous ravissent. D'une parfaite entente, d'une dynamique rare, mais jamais outrée, ses musiciens, davantage partenaires qu'accompagnateurs, donnent le meilleur d'une expression juste d'une œuvre qui gagne ainsi une fraîcheur et une force singulières.

Une soirée dont on sort profondément heureux, avec des œuvres rarement jouées, sans autre prétention que celle de nous plaire, jouées avec conviction et grâce. Bravo !

Eusebius
22 octobre 2014

* littéralement, « sensiblité »

1. Le même programme sera donné le 26 octobre au Concertgebouw d'Amsterdam.

2. Sauf, évidemment, le piano-fortiste, le violoncelle et le basson.

3. Heinz Holliger, avec Roger Leppard, qui fut l'un des premiers à l'enregistrer en CD, quels que furent leurs mérites, sont difficilement supportables après avoir écouté Benoît Laurent.


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