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Dijon, Auditorium, 25 mars 2014, par Eusebius ——

Fabuleux Grigory Sokolov, un géant du piano

sokolov

Dijon avait le privilège d'accueillir ce pianiste mythique, imprégné de l'école russe traditionnelle des Gilels, Berman et Richter. Tout a été dit à propos de ce géant au jeu si caractéristique, au répertoire radicalement classique, qui excelle particulièrement dans le romantisme conduisant de Beethoven à Tchaïkovsky.

L'événement, le Sphinx du piano… la communication savamment orchestrée par les agents et producteurs a le pouvoir de m'irriter, et je dois en faire abstraction pour écouter librement, sans jamais céder au culte de la mode. Chacun des récitals de Grigory Sokolov mérite une attention libre de tout préjugé : le rituel — au demeurant simple et naturel — l'exigence matérielle ne visent qu'à faire partager la musique qu'il sert avec humilité, dépourvue de poses ou d'effets qui seraient d'autant plus faciles que sa technique est stupéfiante.

On a beau être familier de cette ultime sonate en si mineur (opus 58), force est de reconnaître qu'il ferait aimer Chopin aux plus rebelles. Un Chopin viril, énergique et sensible, très loin de l'image du phtisique alangui ou efféminé. Son piano chante dans ses expressions les plus intimes comme dans les plus véhémentes. Les tempi sont justes. L'Allegro maestoso, d'une vie riche et sensible, est du très grand art. Le molto vivace du Scherzo, pris très rapidement, ne donne jamais l'impression de la moindre précipitation, d'une suprême légèreté, avec une vie singulière. Un largo retenu, rêveur, coloré par la variété extraordinaire de touchers. Le finale, remarquablement pensé et construit, est le contraire d'un morceau de bravoure, malgré la fougue et la virtuosité qu'il sollicite : la progression conduit magistralement à l'agitato conclusif.

Un Chopin viril, parfois joyeux, voire exubérant.

Dix mazurkas, dont certaines rarement jouées, formaient la seconde partie du concert. Programme original tant l'univers si riche des mazurkas semble quelque peu délaissé depuis Rubinstein et Fou T'Song. L'ample opus 50 no 3, en fadièse mineur, est un sommet de son art. Quant à l'ultime qu'il ait écrite (opus 68 no 4, en fa mineur), ses douloureuses et pudiques inflexions sont chargées d'émotion.

Le public est recueilli, subjugué, et les ovations se multiplient.

Alors, contre toute attente commence un autre récital, car les sept bis ne sont pas de ces piécettes aussi brillantes qu'insignifiantes que nous réservent généralement les artistes. Parmi ces rappels, les trois derniers impromptus de l'opus 90 de Schubert, et l'ample Allegretto en mibémol D. 946 no 2, rondo tragique au refrain paisible qui nous entraîne vers le plus tourmenté Schubert. Sokolov y est à son apogée. La séduction naturelle de la lecture inspirée et de son jeu est magique : le public, insatiable, ne mesure certainement pas l'investissement intellectuel, sensible et physique qu'exige semblable performance. Mais longtemps, sinon toujours, il gardera en mémoire cet extraordinaire moment de grâce.

plume Eusebius
26 mars 2014
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