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20 mars 2012, Par Jean-Luc Vannier

Francesca Da Rimini à l'Opéra de Monte-Carlo

Inspiré par l'un des drames les plus célèbres de l'écrivain italien Gabriele D'Annunzio puisant dans « l'Enfer » de la Divine Comédie de Dante Alighieri, Francesca Da Rimini est une tragédie en quatre actes signée du compositeur Riccardo Zandonai sur un livret de Tito Ricordi. Créé le 19 février 1914 au Teatro Regio de Turin, cet opéra raconte l'histoire d'un couple maudit — les amours tragiques de Francesca avec le frère de l'époux qu'on lui a désigné — sur fond de guerre entre les Guelfes et les Gibelins dans la Péninsule du xiiie siècle.

Francesca de Rimini, Opéra de Monte Carlo La soprano Eva-Maria Westbroek (Francesca) entourée de ses suivantes : la mezzo-soprano Karine Ohanyan (Adonella), la mezzo-soprano Annunziata Vestri (Altichiara), la soprano Karah Son (Biancofiore) et la soprano Michelle Canniccioni (Garsenda). (photographie © Opéra de Monte-Carlo).

Signe de la complexité de cette œuvre coproduite avec le Teatro Argentino de La Plata et présentée salle Garnier de Monte-Carlo mardi 20 mars, il a fallu attendre la chute du rideau pour entendre les premiers applaudissements. Certes nourris. Une complexité qui réside dans la mixité des différents registres musicaux : grand admirateur de Richard Wagner au point de faire du couple formé par Paolo et Francesca, une réplique à l'identique — jusqu'au philtre d'amour — de Tristan et d'Yseult, Riccardo Zandonai intègre en outre la double influence de Richard Strauss et de Claude Debussy dans le travail d'une orchestration soignée et inventive. Sans oublier, en bon élève du maître Mascagni, l'empreinte de Puccini ou celle de Verdi dans le lyrisme exacerbé des déclarations enflammées des deux amants. C'est dire la difficulté de cette œuvre de « sang et de volupté » dont la première partie, d'esprit très wagnérien voire straussien par l'énergie du rythme et les tonalités post-chromatiques, entraîne le public dans le moyen-âge chevaleresque et guerrier de D'Annunzio. Avant de le plonger, dans la seconde, dans une atmosphère intimiste plus verdienne et tempérée par des modes anciens empruntés à Debussy. De la sauvagerie du champ de bataille à l'illusoire douceur grosse du drame final, la bascule dramaturgique — quelle coïncidence avec l'équinoxe ! — réside dans la chanson du Printemps « Marzo è giunto », magnifiquement interprétée par les suivantes de Francesca (Karah Son, Michelle Canniccioni, Annunziata Vestri et Karine Ohanyan).

francesca da rimini Le ténor Zoran Todorovich (Paolo Il Bello), et la soprano Eva-Maria Westbroek (Francesca), (photographie © Opéra de Monte-Carlo).

Assistée des lumières tamisées de Patrick Méeüs, la mise en scène d'inspiration elle aussi très wagnérienne de Louis Désiré ajoute à cette impression de césure déstabilisante entre deux mondes : la symbolique de la « main divine » mobile et écrasante de la première partie cède la place, après l'entracte, à une paume offerte et pleine de bienveillance pour les amants. Dans la scène finale, elle accueille en son milieu un glaive ensanglanté et vengeur qui tombe du ciel. Enchaînant d'étincelants fortissimi, soucieuse de bien détacher les interventions précises d'instruments archaïsants (fifre ou luth), la direction musicale de Gianluigi Gelmetti donne toutefois le sentiment de ne pas personnaliser l'exécution de la partition. Une sorte de prudente neutralité où l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo couvre de temps à autre les voix. « Que de bruit ! », résumait avec quelque exagération une mélomane à la pause.

Francesca da rimini Le baryton Alberto Gazale (Giovanni Lo Sciancato), la soprano Eva-Maria Westbroek (Francesca) et le ténor Zoran Todorovich (Paolo Il Bello). (photographie © Opéra de Monte-Carlo).

Le mélange des genres musicaux rendait épineuse la question de la distribution des voix : un défi relevé avec succès par cette nouvelle production. Reconnue internationalement depuis son incarnation de « Sieglinde » en 2009 au Festival d'Aix en Provence avec le philharmonique de Berlin sous la direction de Simon Rattle puis en 2011 au Metropolitan Opera de New York, Eva-Maria Westbroek wagnérise beaucoup le rôle de Francesca au cours des deux premiers actes en jouant naturellement de sa puissance vocale et de l'impressionnante étendue de sa tessiture. La soprano néerlandaise parvient néanmoins à contenir cette tendance sans rien perdre de son héroïsme charismatique dans la terrible scène de la délation à l'acte IV. Ses magnifiques duos féminins, celui poignant de l'acte i « Portami nella stanza » avec sa sœur Samaritana incarnée par la mezzo-soprano Laura Brioli, celui angoissé de l'acte iii avec son esclave Smaragdi chantée par la mezzo-soprano d'origine russe Svetlana Lifar tout comme celui mélancolique du dernier acte avec Biancofiore (la soprano Karah Son) illustrent l'abondance de ses capacités lyriques.

Opéra de monte Carlo Fra,cesca da Rimini La soprano Eva-Maria Westbroek (Francesca), et le baryton Alberto Gazale (Giovanni Lo Sciancato) (photographie © Opéra de Monte-Carlo).

Malgré un jeu scénique très convaincant dans son interprétation de Paolo Il Bello, le ténor Zoran Todorovich manque plusieurs de ses notes aiguës au début de la pièce. Son arioso avec Francesca « Irghirlandata di violette » à l'acte iii de même que son duo final n'en sont pas moins très émouvants. Nettement plus à l'aise vocalement, doté d'une voix chaude, le baryton Alberto Gazale campe avec justesse un Giovani Lo Sciancato dévoré par la jalousie. Le ténor William Joyner joue et chante admirablement la perversité absolue de Malatestino Dall'Occhio. Une mosaïque de caractères qui vient confirmer, dans l'après-coup apaisé de l'audition, la richesse phonique et la générosité orchestrale d'une œuvre trop rarement inscrite dans les programmes.

Francesca da RiminiLe baryton Alberto Gazale (Giovanni Lo Sciancato), et la mezzo-soprano Laura Brioli (Samaritana), (photographie © Opéra de Monte-Carlo).

Nice, le 21 mars 2012
Jean-Luc Vannier


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