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Yves Chartier, Professeur d'histoire de la musique à l'Université d'Ottawa : Documents pour servir à l'histoire de la théorie musicale.

De la diaphonie ou organum : Jean d' Afflighem, De Mvsica, chap. xxiii (vers 1100)

Synopsis

Prologue : dédicace à Fulgence, abbé d'Afflighem (1089-1121) ; circonstances de composition du traité. I. Conditions d'apprentissage de la musique : les notes (de ut à la), illustrées par l'exemple de Guido: l'hymne Ut queant laxis. II. De l'utilité de la musique. Musicus et cantor. III. Définition et étymologie du mot Musique. Ses"inventeurs"mythiques : Tubal, Linus de Thèbes, Amphion, Orphée, Pythagore surtout. IV. Classification de la musique : musique naturelle et artificielle. Sons continus (discretus, phtongus) et non continus (indiscretus = intervalles). Les trois genres : diatonique, chromatique, enharmonique. V. Repère des notes sur le monocorde. VI. De la mesure du monocorde. VII. Étymologie du mot Monocorde. VIII. Les neuf intervalles (modi) : unisson, demi-ton, ton entier, diton (tierce majeure), tierce mineure, quarte, quinte, sixte mineure, sixte majeure (d'après Hucbald de Saint-Amand). IX. Les sept notes de la gamme. X. Des modes,"improprement appelés `tons'". XI. La teneur et les finales des modes. *XII. L'ambitus (cursus) des modes (exceptionnellement jusqu'à la dixième). XIII. Les noms grecs des notes selon le Grand Système tétracordal. XIV. Les antiennes à la modalité irrégulière. XV. Ignorance de certains chantres sous ce rapport. XVI. Éthos des modes. XVII. Le pouvoir moral de la musique : exemples de David et Saül, Pythagore, s. Ignace,. Ambroise, s. Grégoire. *XVIII. Préceptes de composition musicale : le chant doit avant tout épouser la signification des paroles. XIX. Structure de la mélodie religieuse. XX. Méthode de composition mélodique en fonction des syllabes du texte. XXI. De l'utilité des neumes"inventés par Guido"(i.e., sur lignes). XXII. Erreurs d'interprétation modale en raison des"mauvaises différences"(differentiae ou soudures mélodiques entre l'antienne et le psaume). *XXIII. De la diaphonie ou organum. XXIV.-XXVII. Tonaire.

Le texte

Nous voulons maintenant traiter brièvement et succinctement de la diaphonie de manière à satisfaire, sur ce propos, la curiosité du lecteur, autant que nous le pouvons. Ainsi donc, la diaphonie est une dissonance agréable des voix, qui est exécutée par deux chantres au minimum, de la façon suivante : l'un d'eux maintenant la mélodie principale [rectam modulationem], l'autre l'entoure harmonieusement [apte circueat] de notes étrangères, et, sur chacun des points où la voix reprend son souffle [singulis respirationibus], tous deux terminent ensemble à l'unisson ou à l'octave. Cette façon de chanter est appelée communément organum pour cette raison que la voix humaine, opérant des dissonances harmonieuses, s'apparente à l'instrument appelé"orgue"2. Diaphonie signifie encore"voix double"ou"dissonance".

Mais avant d'énoncer les règles propres à l'organum, nous désirons expliciter quelque peu les mouvements mélodiques des voix ou parties, dont la connaissance est utile à notre propos. Et puisque l'organum est réalisé à l'aide de consonances, et que la composition de celles-ci est modifiée par les mouvements des voix, il ne fera pas de doute pour personne que leur étude ne s'avère ici utile.

Les mouvements des voix se font par arsis et par thesis, c'est-à-dire par montée et par retombée. A l'exception des neumes simples et des neumes répercussifs3, tout neume est formé de ce double mouvement de montée et de retombée. Nous appelons virga ou punctum le neume simple, et répercussif le neume que Bernon4 désigne sous le nom de distropha [] ou de tristropha [].

Or, il arrive parfois qu'arsis et thésis soient combinés individuellement : arsis + arsis, thésis + thésis. Parfois ils se combinent l'un avec l'autre : arsis + thesis, thésis + arsis.

Mais cette combinaison <des voix> se fait tantôt par mouvements semblables [parallèles], tantôt par mouvements dissemblables [contraires]. Dans la combinaison susmentionnée, les mouvements sont dissemblables lorsque l'une des parties a plus de notes ou moins de notes que l'autre, soit des notes plus conjointes [consonantes ?], soit plus disjointes [dissonantes ?]. Dans une combinaison composée d'éléments semblables ou dissemblables, on trouve un mouvement mélodique ou bien préposé [praepositus] par rapport à un autre, c'est-à-dire placé sur des degrés supérieurs, ou bien supposé[suppositus], c'est-à-dire placé sur des degrés inférieurs, ou bien apposé [appositus], <ce qui se produit> lorsque la note finale d'un motif mélodique devient le point de départ du motif suivant, ou bien interposé [interpositus], lorsqu'un motif, placé sous un autre, est à la fois moins grave et moins aigu; ou bien mixte [mixtus], c'est-à-dire en partie interposé, en partie supposé, ou bien préposé, ou bien apposé. Si je donnais des exemples pour tous ces cas, j'ennuierais le lecteur par ma prolixité excessive au lieu de lui être utile, d'autant plus que quiconque pratique le chant avec sérieux pourra expérimenter tout cela par lui-même.

Il arrive aussi que des neumes identiques varient dans leurs mouvements selon les diverses propriétés des modes. D'un tel cas nous voulons présenter un exemple"in qu'il profite non seulement à celui qui apprend à composer une voix organale [organizare], mais aussi à celui qui désire composer un chant nouveau, en lui fournissant un modèle composition mélodique [modulandi formulam]:

[Ex. mus.]

Remarquez, en effet, que si vous chantez le chant principal en protus dans l'ambitus [in cursu] du deuterus avec les mêmes intervalles entre les notes [simili vocum dispositione], vous observerez un très léger désaccord. La même chose se produira entre le tritus et le tetrardus.

Cette parenthèse faite, revenons à la diaphonie.

La pratique de celle-ci varie selon les musiciens. Cette pratique, du reste, est considérablement facilitée si l'on observe soigneusement la diversité des mouvements mélodiques [motuum varietas] : ainsi, lorsque monte la mélodie de la partie principale, la mélodie de la partie organale descend et inversement. Le chantre de la partie organale doit donc prêter attention au point suivant : si le chant principal marque une pause [mora] au grave, il doit répondre au chantre <de la voix principale> par l'octave aiguë ; si, au contraire, <la pause est faite> à l'aigu, il doit réaliser la consonance d'octave au grave. Qu'il réponde toutefois par l'unisson au chant principal dont les pauses [ou: cadences] tombent sur la mèse [la] ou autour de la mèse [sol, si _].

On doit en outre observer que l'organum est ainsi structuré qu'alternativement il se produit tantôt à l'unisson, tantôt à l'octave, mais plus souvent et plus convenablement à l'unisson. Et bien que ce que nous expliqué soit clair pour le lecteur attentif, nous voulons toutefois, par souci de bienveillance, en fournir un court exemple :

On remarquera enfin que, bien que j'aie illustré l'organum simple5 à l'aide de mouvements <syllabiques> simples, il est cependant loisible à quiconque fait un organum [organizanti] de doubler ou de tripler les voix6 ou encore, s'il le désire, de les développer habilement de n'importe quelle manière qu'il le voudra.

Que ce petit énoncé sur la diaphonie suffise.

[La fin du chapitre ne concerne plus l'organum.]

Notes

1. Éd. J. Smits van Waesberghe, Rome, American Institute of Musicology, 1950, p. 157-162 (Corpus scriptorum de musica, 1), qui remplace l'ancienne édition de Gerbert [Scriptores (1784) II, 263-264], défectueuse. Jean commente ici largement les chapitres 16 et 18 du Micrologus de Guido.

2. Étymologie erronée :organum dérive du verbeorganizare,"arranger, structurer les sons", ainsi que l'explique un devancier de Jean, Hucbald de Saint-Amand (Mvsica, § ?).

3. Les neumes"répercussifs", c'est-à-dire répétés sur une même note, sont essentiellement des neumes ornementaux de type strophicus [], tels la distropha et la tristropha mentionnées par Jean. Cf. le tableau des neumes donné dans Études Grégoriennes 1 (1954), 60.

4. Cf. Bernon de Reichenau, ?

5. C'est-à-dire en contrepoint simple, note contre note, syllabique.

6. C'est-à-dire deux ou trois notes à la partie organale pour chaque note ou syllabe du chant principal.

Glossaire

Apte. Ce qui est harmonieux et agréable à l'oreille.

Arsis. Élévation de la voix (mouvement ascendant).

Concordia. Syn. de consonantia.

Coniunctio. Rencontre des voix sur des consonances d'appui (8 ve, 5 te, 4 te, unisson).

Constitutio (consonantiarum). Composition (agencement, structure) des consonances.

Cursus (modi). Registre ou ambitus d'un mode.

Diaphonia. Syn. d'organum simplex (organum simple), à 2 voix seulement.

Disconvenientia. Désaccord, irrégularité entre les mouvements mélodiques des voix.

Disiunctio. Rencontre des voix sur des intervalles qui ne sont pas des consonances.

Dispositio (uocum). Les intervalles entre les notes.

Dissonantia. Tout ce qui"consonne"à 2 voix ou parties mais sur des hauteurs respectives différentes.

Modulatio. 1. Mélodie. 2. M. organica: voix ou partie organale, par oppos. à la M. recta: voix principale (chant liturgique).

Mora. Point d'arrêt, cadence sur une note. Syn.: pausatio.

Motus (uocum). Mouvement mélodique des voix ou parties. Jean distingue le M. ascendant (praepo- positus), descendant (suppositus), à l'unisson (appositus), interpositus, mixte (mélange des précédents), parallèle (similis) et contraire (dissimilis).

Organizare. Composer, ajouter une voix organale (au chant principal).

Pausatio. Point d'arrêt, cadence sur une note. Syn.: mora.

Thesis. Abaissement de la voix (mouvement descendant).


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