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Yves Chartier, Professeur d'histoire de la musique à l'Université d'Ottawa : Documents pour servir à l'histoire de la théorie musicale.

Cassiodore : Institutiones II, 5 :De Musica

Personnage important de son temps, à la fois comme haut fonctionnaire du roi ostrogoth Théodoric et comme littérateur, Cassiodore, qui fut l'ami de Boèce, eut une existence d'une longévité et d'une productivité exceptionnelles.

Il vécut entre 485 (ou 490 et) 580 (ou 585) environ et rédigea ses Institutiones litterarum (« Fondements des lettres ») en deux livres (le premier consacré aux lettres religieuses, le second aux lettres profanes) vers 560, à l'intention des membres de la communauté religieuse et intellectuelle qu'il avait fondée dans sa terre natale, à Vivarium (aujourd'hui Squillace), en Calabre. Le chapitre qu'il a consacré à la théorie musicale est surtout une compilation d'auteurs antérieurs, du reste mentionnés expressément dans le texte, mais, à côté de quelques bévues (comme la section sur les tons de la musique grecque) on y trouve la première tentative de classification des instruments de musique. Ce petit essai de Cassiodore, qui a le mérite de la clarté, sera beaucoup cité par les auteurs postérieurs, tels Isidore de Séville au VIIe siècle, Raban Maur et Aurélien de Réôme au IXe.

Bibliographie

À venir

Synopsis

1. « Invention » (= origine) de la Musique. - 2. Influence universelle de la Musique : son éthos. - 3. La Musique dans la Bible. - 4. Définition de la Musique. 5. Les trois divisions de la Musique.

6. Les trois genres de laMusique (classification des instruments).

7. Les six consonances.

8. Les quinze tons grecs de hauteur ou de transposition.

9. Pouvoir moral de la Musique.

10. «Bibliographie» de la musique.

Le texte

 1. Le théoricien Gaudence2, dans son traité sur la musique, dit que Pythagore découvrit les fondements de cette science dans les sons produits par des marteaux et par le pincement de cordes tendues3. Le très savant Mutianus4 l'a traduit en latin, et la qualité de cette traduction atteste de sa haute intelligence. Le prêtre Clément5 d'Alexandrie, par ailleurs, dans son livre Contre les païens , dit que la musique tire son origine des Muses et expose avec beaucoup de soin pourquoi celles-ci ont été imaginées. Les Muses, en effet, ont été nommées d'après maso6, ce qui signifie «recherche», car c'est par leur intermédiaire, ainsi que l'assurent les Anciens7, que le pouvoir de la poésie lyrique et du chant a été «recherché <avec ardeur>». Nous avons trouvé également que Censorin8, dans son livre sur le Jour anniversaire dédié à Quintus Cerellius, a expliqué pourquoi l'étude de la musique, de pair avec les autres sciences, ne doit pas être négligée : on y lit avec profit que c'est par une pratique assidue que cette discipline pénètre les profondeurs de notre esprit.

2. La science de la musique imprègne tous les actes de notre vie si l'on a soin d'accomplir, avant toutes choses, la volonté du Créateur et si l'on obéit, sans détour [puris mentibus], à Ses décrets. En effet, toutes nos paroles et tous nos mouvements intérieurs, tributaires de notre pouls, sont à l'évidence associés au pouvoir de la musique par le truchement des rythmes musicaux. «La musique», en quelques mots, «est la science de la bonne mesure»9. Si nous agissons bien [bona conversatione], nous prouvons que nous sommes toujours « en harmonie » avec cette noble discipline. A l'inverse, lorsque nous faisons le mal, nous n'avons pas l'« harmonie » en nous. Le Ciel et la Terre aussi, et tout ce qui s'y déroule de par la volonté divine, ne sont pas étrangers aux lois de la science harmonique : Pythagore, derechef, soutient que notre univers a été créé et est régi par l'Harmonique10.

3. La Musique est également associée intimement à la religion elle-même. A preuve : le décacorde du Décalogue11, les résonances de la cithare12, des tambourins, le jeu mélodieux des orgues, le son des cymbales. Il ne fait pas de doute non plus que le Psautier lui-même n'ait été nommé d'après un instrument13 de musique, parce qu'il contient en soi le chant suave et fort agréable des vertus célestes.

4. Poursuivons maintenant avec les divisions de la musique telles que nous les ont transmises nos ancêtres. «La musique est cette branche des sciences qui traite des nombres»14 mis en relation avec les sons musicaux, tels les <rapports arithmétiques> double [2:1], triple [3:1], quadruple [4:1] et autres semblables établis en proportions.

5. Les parties de la musique sont au nombre de trois15 : l'Harmonique, la Rythmique et la Métrique. L' Harmonique est cette branche des sciences qui départage les sons aigus des sons graves. La Rythmique étudie la cadence [incursionem] des mots et détermine s'ils « sonnent» bien ou mal ensemble. La Métrique est cette science qui dévoile avec une cohérence remarquable la mesure des divers mètres <poético-musicaux>, tels l'héroïque16, l'ïambique, l'élégiaque, et tous les autres.

6. Les instruments de musique se divisent en trois catégories : percussions, cordes, vents. Les percussions consistent en vaisseaux [acitabula] d'airain et d'argent ou autres objets qui, frappés à l'aide d'une pièce de métal, résonnent agréablement. Les cordes consistent en boyaux accordés avec justesse [sub arte]17 et qui, pincés (ou mis en mouvement) à l'aide d'un plectre, délectent le sens de l'ouïe : à cette catégorie appartiennent les divers types de cithares. Les instruments à vent sont ceux qui, remplis d'air, résonnent à l'image de la voix <humaine> : tels sont les trompettes [tubae]18, les chalumeaux [calami], les orgues [organa], les pandores [pandoria], et autres instruments semblables.

7. Il nous reste maintenant à parler des consonances19. Une consonance est la combinaison d'un son grave et d'un son aigu, ou d'un son aigu et d'un son grave, qui réalise son «accord» [modulamen] soit dans les voix, soit dans les instruments à vent ou à percussion. Les consonances sont au nombre de six20 : la première est le diatessaron [quarte : rapport 4:3] ; la seconde, le diapente [quinte : rapport 3:2] ; la troisième, le diapason [octave : rapport 2:1] ; la quatrième, le diapason-diatessaron [8ve + 4te : rapport 24:9] ; la cinquième, le diapason-diapente [8ve + 5te : rapport 3:1] ; la sixième, le disdiapason [double octave : rapport 4:1].

I. Le diatessaron est la consonance qui résulte d'un rapport épitrite [4:3] et qui couvre l'étendue de quatre sons, d'où son nom.

II. Le diapente est la consonance qui résulte d'un rapport hémiole [3:2] et qui couvre l'intervalle de cinq sons.

III. La consonance de diapason est aussi appelée octave[diocto]. Elle résulte d'un rapport double, 2:1, et couvre l'intervalle de huit sons, d'où son nom d' octave ou diapason, puisque chez les Anciens les cithares étaient pourvues de huit cordes. Et c'est parce qu'elle embrasse tous les sons <de l' octave> que cette consonance a été appelée diapason21.

IV. La combinaison du diapason et du diatessaron engendre la consonance qui résulte du rapport 24:8 [24:9]22 et qui embrasse l'intervalle d'une onzième.

V. La combinaison du diapason et du diapente engendre la consonance qui résulte d'un rapport triple [3:1] et qui embrasse l'intervalle d'une douzième.

VI. Le disdiapason ou double diapason est la consonance qui résulte d'un rapport quadruple [4:1] et qui embrasse l'étendue de quinze sons.

8. Le ton [tonus]23 est <à la fois> la différence et la somme de tout le système musical et résulte aussi bien de l'élévation [accentu] que de l'abaissement [tenore] de la voix. Les tons sont au nombre de quinze :

hypodorien      dorien       hyperdorien
hypoiastien      iastien       hyperiastien
hypophrygien   phrygien   hyperphrygien
hypoéolien       éolien        hyperéolien
hypolydien       lydien        hyperlydien

I. L 'hypodorien est de tous les tons le plus grave et, pour cette raison, est qualifié de «bas».

II. L' hypoiastien dépasse l'hypodorien d'un demi-ton.

III. L 'hypophrygien dépasse l'hypoiastien d'un demi-ton, l'hypodorien d'un ton.

IV. L' hypoéolien dépasse l'hypophrygien d'un demi-ton, l'hypoiastien d'un ton, l'hypodorien d'un ton et demi.

V. L' hypolydien dépasse l'hypoéolien d'un demi-ton, l'hypophrygien d'un ton, l'hypoiastien d'un ton et demi, l'hypodorien de deux tons.

VI. Le dorien dépasse l'hypolydien d'un demi-ton, l'hypoéolien d'un ton, l'hypophrygien d'un ton et demi, l'hypoiastien dedeux tons, l'hypodorien de deux tons et demi, c'est-à-dire d'une quarte.

VII. L 'iastien dépasse le dorien d'un demi-ton, l'hypolydien d'un ton, l'hypoéolien d'un ton et demi, l'hypophrygien de deux tons, l'hypoiastien de deux tons et demi, c'est-à-dire d'une quarte, l'hypodorien de trois tons.

VIII. Le phrygien dépasse l'iastien d'un demi-ton, le dorien d'un ton, l'hypolydien d'un ton et demi, l'hypoéolien de deux tons, l'hypophrygien de deux tons et demi, c'est-à-dire d'une quarte, l'hypoiastien de trois tons, l'hypodorien de trois tons et demi, c'est-à-dire d'une quinte.

IX. L' éolien dépasse le phrygien d'un demi-ton, l'iastien d'un ton, le dorien d'un ton et demi, l'hypolydien de deux tons, l'hypoéolien de deux tons et demi, c'est-à-dire d'un quarte ; l'hypophrygien de trois tons, l'hypoiastien de trois tons et demi, c'est-à-dire d'une quinte, l'hypodorien de quatre tons.

X. Le lydien dépasse l'éolien d'un demi-ton, le phrygien d'un ton, l'iastien d'un ton et demi, le dorien de  deux tons, l'hypolydien de deux tons et demi, c'est-à-dire d'une quarte, l'hypoéolien de trois tons, l'hypophrygien de trois tons et demi, c'est-à-dire d'une quinte, l'hypoiastien de quatre tons, l'hypodorien de quatre tons et demi.

XI. L'hyperdorien dépasse le lydien d'un demi-ton, l'éolien d'un ton, le phrygien d'un ton et demi, l'iastien de deux tons, le dorien de deux tons et demi, c'est-à-dire d'une quarte, l'hypolydien de trois tons, l'hypoéolien de trois tons et demi, c'est-à-dire d'une quinte, l'hypophrygien de quatre tons, l'hypoiastien de quatre tons et demi, l'hypodorien de cinq tons.

XII. L' hyperiastien dépasse l'hyperdorien d'un demi-ton, le lydien d'un ton, l'éolien d'un ton et demi, le phrygien de deux tons, l'iastien de deux tons et demi, c'est-à-dire d'une quarte, le dorien de trois tons, l'hypolydien de trois tons et demi, c'est-à-dire d'une quinte, l'hypoéolien de quatre tons, l'hypophrygien de quatre tons et demi, l'hypoiastien de cinq tons, l'hypodorien de cinq tons et demi.

XIII. L' hyperphrygien dépasse l'hyperiastien d'un demi-ton, l'hyperdorien d'un ton, le lydien d'un ton et demi, l'éolien de deux tons, le phrygien de deux tons et demi, c'est-à-dire d'une quarte, l'iastien de trois tons, le dorien de trois tons et demi, c'est-à-dire d'une quinte, l'hypolydien de quatre tons, l'hypoéolien de quatre tons et demi, l'hypophrygien de cinq tons, l'hypoiastien de cinq tons et demi, l'hypodorien de six tons, c'est-à-dire d'une octave.

XIV. L' hyperéolien dépasse l'hyperphrygien d'un demi-ton, l'hyperiastien d'un ton, l'hyperdorien d'un ton et demi, le lydien de deux tons, l'éolien de deux tons et demi, c'est-à-dire d'une quarte, le phrygien de trois tons, l'iastien de trois tons et demi, c'est-à-dire d'une quinte, le dorien de quatre tons, l'hypolydien de quatre tons et demi, l'hypoéolien de cinq tons, l'hypophrygien de cinq tons et demi, l'hypoiastien de six tons, c'est-à-dire d'une octave, l'hypodorien de six tons et demi.

XV. L' hyperlydien est le dernier et le plus aigu de tous les tons et dépasse l'hyperéolien d'un demi-ton, l'hyperphrygien d'un ton, l'hyperiastien d'un ton et demi, l'hyperdorien de deux tons, le lydien de deux tons et demi, c'est-à-dire d'une quarte, l'éolien de trois tons, le phrygien de trois tons et demi, c'est-à-dire d'une quinte, l'iastien de quatre tons, le dorien de quatre tons et demi, l'hypolydien de cinq tons, l'hypoéolien de cinq tons et demi, l'hypophrygien de six tons, c'est-à-dire d'une octave, l'hypoiastien de six tons et demi, l'hypodorien de sept tons. Il résulte <de cette énumération> que l'hyperlydien est le plus aigu de tous les tons et qu'il dépasse de sept tons l'hypodorien, qui est le plusgrave.

Ainsi que le rappelle Varron, il a été démontré que ces tons sont dotés de vertus si considérables qu'ils peuvent apaiser les esprits enflammés et que même les bêtes sauvages, non moins que les serpents, les oiseaux, et les dauphins, sont enclins à écouter leurs modulations.24

9. Nous n'évoquerons pas ici la lyre d'Orphée non plus que le chant des Sirènes, car ils relèvent de la légende25. Mais que dirons-nous de David qui, grâce à sa connaissance du chant pacificateur, délivra Saül de l'esprit du mal26, et, en recourant à un nouveau mode musical adapté à l'ouïe du roi, lui rendit sa raison, lui que ses médecins n'avaient pu guérir par le pouvoir de leurs plantes médicinales ? On dit aussi qu'Asclépiade, de tous les médecins le plus savant, au témoignage des Anciens, rendit un hystérique à sa santé première, grâce au pouvoir de la musique. Et nombreuses, dit-on, ont été les guérisons miraculeuses de malades opérées par le truchement de la science harmonique. On dit aussi que le cosmos lui-même, ainsi qu'on l'a évoqué plus haut, accomplit ses révolutions sous l'impulsion de l'Harmonie27. Enfin, pour nous résumer, tout ce qui se déroule avec une parfaite ordonnance [convenienter] dans les cieux ou sur la Terre, conformément aux desseins du Créateur, n'échappe pas, assure-t-on, à l'emprise de la science harmonique.

10. Elle s'avère donc extrêmement méritoire et utile cette branche du Savoir qui élève nos sens vers les choses spirituelles et charme notre ouïe par sa douce harmonie. Chez les Grecs, Alypius28, Euclide, Ptolémée et d'autres <théoriciens> en ont exposé les fondements de façon admirable. Chez les Latins, l'illustre Albinus a écrit un compendium de cette science, que nous nous souvenons d'avoir possédé dans notre bibliothèque à Rome et étudié avec beaucoup d'attention. Que si, d'aventure, ce livre a été détruit au cours d'un raid barbare29, prenez Gaudence qui, si vous l'étudiez avec une application soutenue, vous ouvrira le sanctuaire de cette science. On dit aussi qu'Apulée30 de Madaure a rédigé en latin un traité élémentaire sur cette discipline. Saint Augustin a également écrit un De Musica en six livres, dans lesquels il a démontré que la voix humaine possède naturellement des inflexions rythmées et une cadence mélodieuse [armoniam] décomposable en syllabes longues et brèves. Censorin, enfin, a traité avec pénétration des accents qui font partie intégrante de notre élocution [ou : de la voix humaine] et qui relèvent, dit-il, de la science musicale : de son livre, je vous ai laissé un exemplaire avec d'autres que j'ai fait copier31.

Notes

1 . Édition critique utilisée : R. A. B. Mynors, Oxford, 1937, p. 142-150. Autres éditions (non critiques) : Gerbert, Scriptores I, 14-19 ; Migne, Patrologia Latina 70.1208-1212 (= éd. J. Gereth, Rouen, 1679 et Venise, 1729).
Traductions : L. W. Jones, An Introduction to Divine and Human Readings by Cassiodorus Senator, New York, Columbia University Press, 1946, p. 189-196 (coll. Records of Civilization : Sources and Studies, vol. 40) ; O. Strunk, in Source Readings in Music History, New York, Norton, 1950, p. 87-100 ; nouv. éd. 1998, p. 143-148 (trad. révisée par James McKinnon) ; H. D. Goode et G. C. Drake, in : Colorado  College Music Press, Translations n? 12 (Colorado Springs, 1980), p. 3-10 (avec annotations minimales). Il n'existe encore aucune traduction française du grand ouvrage de Cassiodore.

2 . Théoricien grec d'époque incertaine (v. 200 ap. C. ?), auteur d'une « Introduction à la Musique » (Harmonikè Eisagogè), d'inspiration aristoxénienne (éd. : Meibom, tome I, avec traduction latine ;  K. von Jan, Musici Scriptores Graeci, Leipzig, 1895, p. 327-355). Trad. franç. : Ch.-Ém. Ruelle, Collection des auteurs grecs relatifs à la musique, tome V (Paris, 1895).

3 . Allusion à un épisode de la vie de Pythagore qui, passant devant un atelier de forgerons, déduisit des rapports arithmétiques des sons produits par des marteaux de poids différents sur les enclumes, les principales consonances musicales. Cette anecdote, qui est un lieu commun de la théorie musicale antique, est rapportée par de nombreux auteurs grecs et latins dont nous avons donné la liste dans le commentaire de notre édition critique de l' Epistola de Armonica Institutione de Réginon de Prüm, mais principalement par Nicomaque, chap. VI. Mais Cassiodore s'inspire ici de Gaudence, chap. XI. Parallèle latin : Isidore de Séville, Etymol. III.xvi.1, qui suit de près Cassiodore. Bien entendu, l'«expérience» attribuée à Pythagore est scientifiquement inexacte, ce philosophe ayant travaillé - si tant est qu'il l'ait fait lui-même - sur des nombres abstraits et non sur des réalités acoustiques concrètes, comme l'a démontré le premier Jean-Étienne Montucla (1725-1799) dans son Histoire des Mathématiques, tome I (Paris, 1758-1763 ; réimpr. Paris, 1968). Cf. aussi James W. McKinnon, « Jubal vel Pythagoras, quis sit inventor musicae : Thoughts on Musical Historiography from Boethius to Burney », The Musical Quarterly 64 (1978), 1-28.

4 . Contemporain et ami de Cassidore, traducteur des homélies de saint Jean Chrysostome et, peut-être, des Actes des Apôtres. Sa traduction latine de Gaudence est malheureusement perdue.

5 . L'un des premiers et des plus grands Pères de l'Église, Clément d'Alexandrie, qui vécut entre 140 ou 150 et 216 environ, tenta de réconcilier la philosophie païenne et la théologie chrétienne (« Platon éclairé par l'Écriture », selon une heureuse formule). Cassiodore fait ici référence à son Protreptikos (§ 31) ou « Exhortation à la foi chrétienne » (éd. C. Mondésert, Paris, Éd. du Cerf, 2e éd. 1961, coll. Sources chrétiennes), où Clément, évoquant le poète Alcman, fait des Muses les filles de Zeus et de Mnémosyne.

6 . En grec : _πo τo_ μ'σθαι, infinitif de μ'μαι, μαιoμαι, «rechercher avec ardeur, désirer ardemment». Étymologie fantaisiste, dérivée (indirectement) de Platon, Cratyle, 406a et reprise par Isidore, Etymol. III.xv.1.

7 . C'est-à-dire les auteurs classiques, grecs et latins, garants de l'auctoritas chère au Moyen Age. - Des neuf Muses, Euterpe est celle de la musique ; Polymnie, celle de la poésie lyrique ; Terpsichore, celle de la danse et des chants choraux.

8 . Écrivain latin du IIIe siècle de notre ère, auteur du De die natali (éd. N. Sallmann, Leipzig, Teubner, 1983), dédié à Quintus Cerellius pour son anniversaire en 238, et qui traite de la nature et de l'influence morale (éthos) de la musique aux chap. X à XIII. Cf. la trad. franç. annotée de G. Rocca-Serra, Paris, Vrin, 1980 (coll. Histoire des doctrines de l'Antiquité classique, 5). -  Selon la conception antique, la musica (Harmonique) est l'une des quatre branches scientifiques, à côté de l'Arithmétique (science des nombres), de la Géométrie (sciences des figures) et de l'Astronomie (science des nombres en mouvement dans le ciel). Ces quatre disciplines forment le quadrivium, terme forgé par l'ami de Cassiodore, Boèce (De Arithmetica I, 1).

9 . Sous-entendu : des sons et des rythmes. Définition classique de la musique, tirée de Censorin (X, 3) ou de s. Augustin (De Musica I.i.2), qui lui-même l'avait empruntée à Varron (116-27 a. C.), polygraphe latin contemporain de Cicéron dont la grande encyclopédie (Disciplinae libri IX) ne nous est pas parvenue. Tout ce passage a été démarqué par Raban Maur, dans son De clericorum institutione [«De la formation des clercs»] III, 24 (Migne, Patrologia Latina 107.401-403).

10 . Cassiodore s'inspire ici Censorin, chap. XIII, 1. - Dans l'Antiquité, le mot musica, dans son acception théorique, signifie «science des proportions arithmétiques appliquées aux sons», comme on le verra plus loin. En termes modernes, il correspond davantage à l'Acoustique, l'expérimentation en moins. Il peut donc être rendu par le mot Harmonique, qui est exactement la «science des proportions musicales».

11 . Le Décalogue, c'est-à-dire les dix commandements de l'Alliance conclue entre Yahvé et Moïse, dans l'Ancien Testament [deux rédactions : Exode XX (XXXIV) ; Deutéronome, V] et que, par rapprochement avec les « commandements » de la théorie musicale, l'on imaginait volontiers contenus à l'intérieur d'un intervalle d'une dizième ou « décacorde ». Au XIe s., les Cisterciens, prenant cette image au pied de la lettre (Psaume XXXII, 2), ramèneront toutes les mélodies de leur antiphonaire à un ambitus d'une dizième, au prix de déformations abusives...

12 . Même lorsqu'il évoque la Bible (cf. ici le Psaume 150, 3-5), Cassiodore utilise le vocabulaire courant de la littérature «païenne» : le mot"cithare"est ici synonyme de"harpe"(le nebel hébraïque), instrument associé au psautier et à David, évoqué ci-après au § 9.

13 . Autre étymologie fantaisiste, qui fait dériver le Psautier du psaltérion.

4 . Parallèles : Cassiodore, commentaires aux Psaumes 80 et 97 et Institut. II.iii.21.

15 . Parallèles : Alypius, Aristide Quintilien (p. 8 Meibom) et Martianus Capella IX, ? (p. 181-182 Meibom); Pseudo-Plutarque, De Musica, 1142D. Passage repris presque textuellement par Isidore de Séville (III. xviii) et par le premier théoricien carolingien, Aurélien de Réôme, Musica Disciplina (v. 850), chap. IV.

16. L' héroïque : l'hexamètre dactylique (une syllabe longue, deux brèves,  - uu) : employé surtout dans l'épopée ; l 'ïambique: pied composé d'une brève et d'une longue (u -), utilisé surtout dans la poésie satirique ; l' élégiaque : distique composé d'un hexamètre (6 pieds) et d'un pentamètre (5 pieds). - Un exposé détaillé sur les divers schémas métriques grecs et latins, qui correspondent musicalement à nos indications de mesure, est donné par s. Augustin, De Musica II.viii.15.

17 . Dans l'Antiquité et au Moyen Age, les mots ars, disciplina, scientia, sont interchangeables et désignent l'étude rationnelle, ordonnée, d'un domaine quelconque du Savoir.

18 . Tubae (en grec : salpinx) : longues trompettes droites d'un mètre ou davantage, en bronze, propres aux militaires, à la sonorité sans doute plus grave et plus près de celle du cor que de celle de nos trompettes modernes. - Calami : instruments faits de roseau, équivalant à une flûte de Pan à un seul tuyau ou, en termes modernes, à une flûte à bec. - Organa : l'orgue pneumatique, inventé par l'ingénieur alexandrin Ctésibios, vers 270 avant notre ère, est appelé hydraule par les Grecs et les Romains, d'après son mécanisme. - Pandoria : sorte de cornemuse, probablement, bien que ce terme désigne à proprement parler, chez les Romains, un type de luth à 3 cordes (selon Pollux, Onomastikon) d'origine mésopotamienne. Cassiodore s'étend assez longuement sur la facture des instruments de musique dans son commentaire au Psaume CL, 3-6 (Corpus Christianorum, t. XCVIII, 1958, p. 1327-1329).

19 . Comme tous les auteurs latins de l'Antiquité et du Moyen Age, Cassiodore, faute d'une terminologie latine appropriée, a recours à la terminologie grecque pour expliquer ce point technique de l'acoustique musicale antique. Nous la respectons dans notre traduction, afin de placer le lecteur moderne dans la même situation que le lecteur de ces époques reculées, où l'apprentissage de la théorie musicale n'était pas chose facile... Source indirecte de Cassiodore : Gaudence, chap. VI-X (p. 11-13 Meibom).

20 . Passage repris par Aurélien de Réôme, Musica Disciplina, chap. VI.

21 .??apasov, en grec, signifie effectivement «à travers tous les sons» de la « gamme » grecque ou système. Cf. ci-après, § 8, et Ps.-Aristote, Problèmes musicaux XIX, 32 (920a).

22 . Cassiodore se trompe (à moins que ce ne soit son copiste) : l'intervalle de onzième s'exprime mathématiquement par le rapport 24 :9 (8 :3), non 24 :2 (3 :1 = 12e). Ce rapport, toutefois, est exclu de la nomenclature pythagoricienne, parce que 8 :3 n'est ni multiple (mx / x), ni superparticulaire (x + 1 / x, où x est un nombre entier positif).

23 . Voici le passage le plus épineux de ce texte. En termes modernes, la «différence et la somme» signifie que le Ton (tonus), comme intervalle premier, représente l'élément constitutif de tous les autres du point de vue théorique (pour les Pythagoriciens, le demi-ton n'est pas un intervalle «rationnel» parce ce qu'il n'équivaut pas à la moitié d'un Ton, indivisible en deux parties égales). Mais Cassiodore, qui s'est expliqué ailleurs sur l'éthos des modes (Variae II, 40, vers 507), confond ici le Ton comme intervalle (tonus) et les quinze tons de hauteur ou de transposition (tonoi, en latin modi, tropi, toni), qu'explique correctement Boèce dans son De Institutione Musica IV, 15-17. Sur cette difficile question, l'exposé le plus clair en français est celui de J. Chailley dans son Imbroglio des modes, Paris, 1960, p. 6-28 (cf. en particulier les Tableaux 9 à 11), auquel nous renvoyons.

24 . Cf. Isidore III.xvii.3, et Réginon de Prüm (G I, 236a).

25 . Ce passage sur l'éthos (ou influence morale) de la musique, est un autre lieu commun de la théorie antique sur l'effet pacificateur de la musique. Il est la forme ancienne de l'expression populaire :« la musique apaise les moeurs ». Quelques parallèles : Cassiodore, Variae II, 40 ; Censorin XII, 4 ; Isidore III. xvii. 1.

26 . Épisode célèbre de l'Ancien Testament, I Samuel XVI, 14-23, souvent cité comme exemple édifiant de l'effet moral de la musique chez les «Chrétiens», à côté d'un autre épisode de la légende de Pythagore apaisant le jeune homme ivre : cf. Aurélien, chap. I et Réginon (G I, 235-236).

27 . Allusion au thème immémorial de l'harmonie des Sphères, d'origine pythagoricienne et développé principalement par Platon : République, 617b et Timée, traduit en latin par Calcidius (v. 260-325), qui l'a révélé au Moyen Age.

28 . Alypius : auteur du IIIe ou IVe s., inconnu par ailleurs, qui nous a donné, sous forme de tableaux, l'exposé le plus détaillé sur la notation musicale grecque dans tous les tons de hauteur ou de transposition (éd. : Meibom, Jan (p. 367-406) ; trad. franç. : Ch.-Ém. Ruelle). - Euclide : il s'agit bien du célèbre géomètre (v. 300 a. C.), mais le traité de musique transmis sous son nom est plutôt l'œuvre d'un auteur plus tardif, Cléonide (vers 110 ap. C.), qui s'inspire d'Aristoxène de Tarente. - Ptolémée : le célèbre astronome (v. 83-161) nous a laissé un important traité de théorie musicale, Harmonika («Les Harmoniques»), non encore traduit en français et qui mériterait bien de l'être.

29 . Au temps où Cassiodore écrit (vers 560), nous sommes effectivement au temps des invasions barbares, particulièrement destructrices en Italie. Le traité d'Albinus, auteur du IVe s., a péri avec bien d'autres...

30 . Apulée (v. 125-ap. 170) : écrivain latin d'Afrique du Nord, auteur, entre autres, d'un roman classique, Les Métamorphoses ou L'Ane d'or. Son traité sur la musique ne nous est pas parvenu.

31 . Cassiodore avait constitué, dans son monastère de Vivarium, où il a rédigé ses Institutiones, une remarquable bibliothèque d'œuvres religieuses et profanes dont il a fait tirer de nombreuses copies. Certaines d'entre elles sont à la source de manuscrits encore conservés.

Terminologie Musicale

Le chiffres renvoient aux paragraphes. Ce relevé ne comprend pas les noms des tons de hauteur ou de transposition énumérés au § 8, auquel il suffira de se reporter.


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Mardi 24 Janvier, 2023

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