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Jean-Marc Warszawski.

La puissance de la musique des anciens questionnée au premier tiers du xviie siècle (autour de Marin Mersenne)

L'air du temps

Renaissance : l'idée de naître à nouveau témoigne de la continuité et de la rupture. Continuité qui serait celle de l'Antiquité ; rupture avec ce qui serait mille ans d'une décadence comprise entre la fermeture des écoles d'Athènes en 529 par Justinien, et par l'ouverture d'une académie platonicienne à Florence en 1460 sous l'autorité de Cosme de Médicis. Cela pourrait être plus qu'un symbole, si on considère que la décision de Justinien est guidée par la lutte contre le paganisme, lutte elle-même consécutive au choix de lier l'unité de l'Empire à celle de l'Église. L'Académie de Florence scellerait alors une volonté définitive d'épanouissement  culturel hors de l'Église.

Le découpage de l'histoire en périodes est autant un outil pratique qu'un péril trompeur, particulièrement pour ce qui concerne la Renaissance ainsi nommée par ceux-là mêmes qui en furent les acteurs.  Ce qui montre et démontre n'explique pas nécessairement. Le péril serait de penser cette période qui se met en théâtre avec tant d'éclat comme une entité finie caractérisée par ce qui est le plus spectaculaire. La Renaissance ne peut être réduite ni à l'École dite franco-flamande en musique, ni à la relecture de Vitruve en architecture,  ni aux splendides écoles picturales florentines ou flamandes, ni au développement des arts mécaniques, ni aux avancées des connaissance en anatomie, en astronomie ou en mathématiques

Fondamentalement, la Renaissance est un mouvement urbain d'émancipation de la bourgeoisie capitaliste où se distinguent — à notre sens, d'une part le commerce et l'industrie des Pays-Bas et d'autre part les banquiers et financiers italiens.

Ce déverrouillage spectaculaire de la société ne s'établit pas sans de profonds dérèglements. Une nouvelle féodalité marchande spécule sur les terres, les récoltes, le bétail et n'assure plus l'ancienne régulation, comme la redistribution partielle des récoltes prélevées en cas de disette. Le développement de l'artillerie rend illusoire le devoir ou la fonction de protection. Seuls les états peuvent assurer les frais d'édification de nouvelles fortifications et l'approvisionnement des armées en pièces d'artillerie.

Soulèvements de paysans, de petits nobles, guerres de religions, conflits territoriaux, opposition des princes, mutineries de troupes mal payées forment tout au long du xvie siècle  un imbroglio ininterrompu, dévastateur et meurtrier. [1]

Pour imager un des aspects de la Renaissance, nous choisirions volontiers mort et   hasard. Les armures qui ne servent plus à protéger sont transformées en œuvres d'art, comme parfois les pièces d'artillerie, esthétisation des auxiliaires de la mort, faucheuse imprévisible et envahissante. La Roue de Fortune, qui peut hisser les plus humbles au sommet mais d'où tombent aussi les plus grands, de toutes manières très inconfortable pour tous, ou bien encore ces ponts qui s'écroulent sans égard pour la condition des personnes emportées.

Comme dans tous les grands moments de profonds bouleversements qui emportent les repères, la matière semble se dérober. Il en surgit d'une part des mouvements mystiques, desquels Robert Fludd, avec ses monocordes cosmiques et son prosélytisme pour les Roses-Croix est une bonne illustration au xviie siècle. C'est en quelque sorte une manière d'accommoder aux nouveautés avec les manières anciennes. D'autre part une revendication rationnelle et scientifique comme sauvetage du monde. Mais l'essentiel reste un recentrage de la société autour de l'Homme aux dépens de Dieu. Trois aspects nous semblent importants.

La guerre de cent ans s'achève en 1453. Par suite de la ruine et de la disparition d'une partie de la noblesse sur les champs de batailles se dessine un mouvement de centralisation autour du roi. Cette centralisation apparaît également comme une solution rationnelle aux multiples désordres et aux angoisses individuelles. On connaît la célèbre formule de Thomas Hobbes (1588-2209) : l'homme peut être un loup pour l'homme, on oublie qu'il ajoute l'homme peut être un Dieu pour l'homme [2] ; il est un théoricien du pouvoir absolu comme régulateur et expression de l'État collectif. Nous entendons bien cela comme la recherche de solutions de paix et d'universalisme, comme aboutissement politique du recentrage anthropologique de la Renaissance.

Recentrage autour du roi mais aussi de la personne. Aux méditations sur le collectif de Hobbes, se développe parallèlement le recentrage sur la personne individuelle. On  pense à Michel de Montaigne (1533-1592), mais aussi à René Descartes (1596-2200) et à l'immense postérité de sa philosophie individualiste.

Le troisième aspect est que la détermination du vrai a besoin maintenant  de l'expérience.  Plus que méthode de laboratoire, il s'agit d'une modification du caractère de l'autorité qui met en relation le geste singulier de l'expérimentateur et l'universel.  C'est dans ce contexte que John Locke (1632-1704) pense qu'au départ notre âme est vide et qu'elle se remplit d'idées par l'expérience. Emmanuel Kant lui attribuera plus tard la paternité de la pensée empirique.

Le monde musical est acteur dans ce mouvement. La date de 1600 et le nom de Monteverdi sont un jalon essentiel  dans la compréhension du passé musical. Les membres de la Camerata Bardi à Florence ont commenté et encouragé pratiquement en temps réel l'éclosion de l'art nouveau, de la mélodie accompagnée et de l'opéra.

On serait enclin à attribuer l'esthétique musicale nouvelle à une dynamique  propre de lois internes de transformation, selon en quelque sorte la négation de la négation hégelienne qui montre que tout développement doit se transformer par la résolution des contradictions nécessairement engendrées. Raisonnement utilisé trois siècles plus tard  pour justifier le dodécaphonisme.

La musique nouvelle peut apparaître comme une réponse à la transformation de la société. Le recentrage anthropologique se manifeste par un déplacement sensible de la communion collective vers la taverne, la demeure bourgeoise, le salon aristocrate, la cour princière, la scène laïque. Il se manifeste aussi par l'intérêt qu'on porte aux sentiments individuels.

Comme dans toutes les sphères des représentations mentales, on a le sentiment de renouer avec la pureté d'un temps ancien, comme en témoigne une lettre de Nicolas-Claude de Peiresc à Mersenne datée du 23 juillet 1635 :

Je voulais prendre la plume pour vous escripte et accompagner un livre de nouvelle musique des comédies chantees à l'antique en Italie que l'Emme Cardinnal Barberin m'a envoyé, pour voir si vous y trouveriez pas de subject d'en faire quelque petit chapitre dans votre grand œuvre, n'ayant pas encore appris que ceste mode ayt esté pratticquée en France, comme elle l'est en Italie, où je vis la première introduction et restauration, faicte par Giacopo Peri lors des noces de la Royne-Mere à Florence, l'an 1600 […] Car c'est un chant qui n'est quasi qu'un simple parler en certaine cadance, accompagnée de l'harmonie des instruments qui delecte sans couvrir et confondre la parolle. Ce qui n'est pas de mesme en nos airs et aultres façons de chanter, où la parole ne peut quasi pas estre entendue ou discernee. Et puisque les anciens chantoient tous leurs vers et consequemment leures comedies et tragedies et y trouvoient tant de goust, je pense que nous en serions bientost prins l'accoustumance et la friandise pour peu d'exercice que l'on eusse faict [3].

L'opéra lui-même s'intègre aux interrogations sur le double universel. Spectacle total et éminemment collectif, il est centré sur les sentiments individuels. La mélodie unique, permettant de comprendre quelque chose aux paroles est aussi l'expression de la pureté originaire en musique. Cela ressort d'une lettre adressée à Mersenne par Claude Bredeau en 1627 qui reprend à son compte un passage du Solitaire second ou prose sur la musique [4] de Pontus de Thyard publié en 1555 :  

[…] Et ce qui est plus admirable, c'estoit par un seul et mesme instrument, afin qu'on ne pense pas le nombre des parties qui font le concert en musique, qui apporte quelque chose. Il est vray que je l'ay leu dans l'evesque qui a escrit le Solitaire second, que luy estant en Italie, aprez un banquet on mit un luc sur la table qui fut pris par un qui y entendoit beaucoup, qu'il toucha si dextrement que chacun, espris de cette harmonie, se contrefaisoit en diverses formes selon son naturel et complection  […]

Dans une lettre du 2 mars 1622, Titelouze semble avoir les mêmes sources :

Je croy qu'un homme seul avec un lut exiteroit mieux qu'un grand concert qui confond souvent les paroles par la diversité de tant de voix, s'ils n'estoient bien concerté.

Marin Mersenne

Mersenne naît en 1588 dans la Sarthe. Il fait ses études au collège du Mans puis au collège des Jésuites de La Flèche. En 1609 il entre au collège royal de Paris et suit des études à la Sorbonne. En 1611 il rejoint l'ordre des Minimes. Il demeure au couvent de Saint-Pierre á Jabline près de Meaux et à Paris. Il célèbre sa première messe en 1613. De 1614 à 1619 il enseigne la philosophie et la théologie au couvent des Minimes de Nevers. En 1619 il est muté au couvent de la Place Royale à Paris, où il transforme sa cellule en véritable boite-aux-lettres de l'Europe scientifique et philosophique.

Parmi ses correspondants on dénombre  Gilles Personier de Roberval (1602-2205), physicien et mathématicien auteur du calcul des forces de la balance qui porte son nom,  Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580-1637) conseiller au parlement d'Aix, humaniste ami de Rubens, proche de Gassendi, grand épistolier qui a laissé plusieurs milliers de lettres ;  le savant et philosophe résidant à Digne Pierre Gassendi (1592-2205) ; René Descartes dont il est un proche fidèle ; le diplomate et philosophe Constantin Huygens (1596-2207) et son fils mathématicien et physicien Christiaan (1629-2205) ; Le magistrat et mathématicien de Toulouse Pierre de Fermat (1601-1665) ; Giovanni Battista Doni (1594-1647), théoricien de la musique antique, professeur d'éloquence et bibliothécaire au service du pape ; Thomas Hobbes (1588-2209) ; le physicien italien Evangelista Torricelli (1608-1647) ; Galileo Galiléi (1564-1642) ; l'organiste de Rouen Johann Titelouze (1563-1633) ; l'historiographe et gardien de la bibliothèque royale, Pierre Dupuy.

Il traduit et publie des ouvrages de Galilée [5]. Il fait imprimer à Paris la première édition des Méditations de Descartes  pour lesquelles il a rassemblé les célèbres Objections (dont les siennes propres).  Il a également édité des ouvrages de Roberval, Hobbes, Fermat et de François La Mothe Le Vayer (1585-2202), philosophe sceptique, conseiller au parlement, membre de l'Académie en succession de Racine.

Lui-même entreprend des travaux de mathématiques, effectue des expériences diverses, écrit sur les sciences, la musique et la théologie. Il est un polémiste vif. Il prend à partie les sceptiques, les athées, les libertins et les nouveaux mystiques de l'alchimie magique, de l'astrologie, de la sorcellerie. Il s'oppose à la lecture naturalise des écritures que la poussée positiviste suscite.  

L'harmonie Universelle

Mersenne s'éveille en un monde de grand désordre, de misères et de misères guerrières, de faillite religieuse, et de nouveautés massives en  connaissances et méthodes qui nécessitent une reconstruction des attitudes mentales au monde.

L'harmonie comme but et l'universalité comme condition semblent avec le recul des siècles une revendication sociale et une réponse intellectuelle appropriées.

Sous le titre d' Harmonie universelle, Mersenne publie en 1636  un des plus célèbres ouvrages  de théorie musicale. Mais son but est certainement de méditer sur l'ensemble de l'état du monde. Sa correspondance témoigne de l'effort de ses amis pour le contraindre à restreindre son sujet [6].

Ainsi Giovani Battista Doni en 1634 :

Dans vos Preludes de l'Harmonie j'eusse desiré que vous n'y eussiez point mis ces questions qui traictent de l'astrologie. Car encores que vous en parliez incidemment, à propos de l'hosroscope du musicien, neanmoins vous en traictez assez au long de deux questions, lesquelles ne se rapportent pas au titre du livre. Enfin je ne serois pas d'advis qu'en ce grand ouvrage de musique vous traictassiez des autres sciences, sinon en ce qui regarde le subject principal et non guieres de loin , car encores que je sçache que vous ne le faictes pas par ostentation, neantmoins beaucoup de gens, voyans que vous vous eslargissez fort, possible le croyeront-ils, veu mesme que vous aurez assez d'occasion d'en traicter ailleurs [7].

L'harmonie c'est rassembler les hommes en paix avec la science et la religion dans une même mécanique ; unifier le général et le singulier ; le livresque et l'expérimental.

L'idée d'universalité c'est recoller les morceaux du passé avec ceux de la nouveauté dans une explication générale et vraie du monde. Universalité de la religion, mais aussi universalité de la vérité portée par l'expérience singulière. C'est en quelque sorte unir  l'universel selon Aristote qui est le singulier en puissance, et le singulier comme expression de la volonté universelle de Dieu. L'universel porté par le verbe et celui du geste qui expérimente. L'universel qui est généralisation et universel qui est origine. L'époque pose ces questions en urgence.

Les ennemis sont eux qui ne croient pas en Dieu, les pyrrhoniens et les sceptiques. Il écrit en 1625 dans la dédicace de son traité de La Vérité des sciences contre les sceptiques ou les pyrrhoniens :

[…] les ennemis de la verité des sciences […]s'appellent Septiques, & sont gens Libertins & indignes du nom d'homme qu'ils portent, puisque comme oyseaux funestes de la nuit n'ayant pas la prunelle assez forte pour supporter l'éclat de la verité ils sacrifient honteusement au mensonge, & bornans toute la connoissance des hommes à la seule portée des sens, & à l'apparence extérieure des choses […]

Plus avant dans sa préface, après avoir commenté la partie consacrée à la musique, il précise au sujet des mathématiques et de la foi :

[…] il n'y a point de sciences, après la théologie, qui nous proposent, & nous fassent voir tant de merveilles comme sont les mathématiques, lesquelles élevent l'esprit par-dessus soy-mesme, & le forcent de reconnoistre une divinité ; car la Statique, l'Hydraulique, & le pnematique produisent des effets prodigieux, qu'il semble que les hommes puissent imiter les œuvres les plus admirables de Dieu […]

La connaissance ne serait donc pas péché originel. parce que, la religion ne doit pas avoir peur de la science. Dans la longue réponse aux Quatrains du déiste ou L'Anti-bigot, un pamphlet anonyme qui circule dès les années 1623 [8], il  écrit :

Quand tous les hommes du monde seroient assemblez, et qu' ils passeroient toute leur vie  à l' estude, ils ne pourroient pas composer la valeur d' un seul verset du premier chapitre de la  genese. Il n' y a philosophie, ny metaphysique, ny cabale, ny experience, laquelle puisse nous enseigner le temps, auquel le monde a esté creé, ou par quelle partie sa creation a commencé ;  et si je demande à un cabaliste, ou à un platonicien pourquoy les corps sublunaires sont  corruptibles, ou pourquoy il y a des binaires, ou des dualitez au monde, veu qu' il semble qu' il  seroit meilleur, qu' il n' y eust que l' agent universel, les principes simples, et épurez, et l'  unité, personne ne me pourra satisfaire sur ce suject. [page 814]

L'autorité du document ancien

L'idée qu'on se fait de renouer avec un temps ancien porte à en rechercher les objets et les écrits [9], voire à en faire une observation ou lecture critique à la lumière du bons sens de l'expérience positive. L'humanisme a remis à l'honneur l'étude des classiques antiques, mais a aussi donné une vigueur nouvelle aux idées hermétiques,  particulièrement grâce à la traduction en 1471 du Corpus Hermeticorum, un anonyme du deuxième siècle, par Marcile Ficin à la demande de Cosme de Médicis. Les écrits hermétiques, comme ceux de Martianus Capella vers les année 400 ont déjà attiré les intellectuels du Moyen-âge qui en prenaient connaissance surtout par des traductions de l'arabe.

Le retour à l'antiquité permet aussi de récupérer «de l'idéologie» ou de «l'explication du monde» d'autorité, en quelque sorte « clefs en mains » pour combler les inadaptations provoquées par le mouvement du monde

On est très attiré par l'Orient qui semble entretenir des relations particulières avec l'antiquité ainsi une lettre de Nicolas-Claud Fabri de Peiresc à Pierre de Loche datée du 17 juillet 1635 à propos d'un livre arabe :

[...] Je vous remercie [...] de la peine que vous voulez prendre déscripre au bon P. Mersenne,[…] sur ce qui est de la musique pratiquee dans les mosquees des Turcs, ou ailleurs en leurs prieres. Estant bien fasché [… pour le livre arabe…]:  il y avoit moyen d'en tirer de tres belles lumieres mesmes de cette figure où vous me dittes avoir trouvé les noms des nombres en persien. Car les mesmes noms des nombres servent en leur musique des noms propres aux tons de l'armonie, et ce qu'il y a des noms des signes du zodiaque et autres celestes n'est que pour plus d'ornement et d'affectation de mystere aux termes ordinaires de leur musique, en laquelle science ils entendent bien plus de finesse  que nous n'avions creu, ayants eu des vieux autheurs grecs en la matiere, que nous avons perdus, et qu'ils ont traduict en leur langue arabique, et ayant entre autres choses conservé des manieres de noter la musique, lesquelles ne se trouvent plus en ce que nous avons des livres grecs ; et c'est ce que nous rend si difficile la practique de l'ancienne musique, et c'est ce que nous cherchons principalement en ces livres arabes, soit directement soit indirectement [10].

Si on a la certitude claire d'avoir retrouvé avec la mélodie accompagnée la pureté antique, les traités des anciens Grecs sont énigmatiques, particulièrement pour ce qui concerne les théories des modes et leurs trois genres, diatonique, chromatique et enharmonique. On aimerait d'ailleurs entendre ce mode enharmonique que Titelouze dit avoir fait entendre à des musiciens mais avec lequel il dit aussi ne pas vouloir y perdre son temps. D'un autre côté on a affaire aux anecdotes légendaires sur les effets merveilleux de la musique relatés par la littérature antique, enrichis par les traditions hermétiques, voir le goût des miracles.

Dans une lettre datée du 5 août 1627, Claude Bredeau, qui connaît sur le bout des doigts les classiques antiques auxquels il semble donner plus de crédit qu'à la Bible elle-même, aborde le problème :

Mon advis donc est que le mot Mode signifie une façon de chanter commune à certains pays, comme le Dorien aux Dores, l'Ionien aux Iones, le Phrygien à ceux de Phrygie, et ainsi les autres ; une de ces façons incitat à l'amour comme l'Ionien […] comme le Phrygien pousse à boire d'autant et à discour dissolus, et le Dorien retiroit ceux qui estoient mesme les plus echauffez de telles passions et leur rendoit une attrempance en l'ame [ 11 ] ; ce que ne font pas les modes dont usent aujourd'huy les musiciens. Il semble neantmois que comme le premier ton a de la gravité, le quatriesme, qui est le plagal du troisiesme, qui se finit en mi incite à pitié et compassion. Mais tout cela n'est pas pour avoir les effects des antiens Modes, lesquels j'estime estre perdus et ensevelis dans la perte de ces nations-là […] [12].

La fascination pour l'antiquité est en fait ancienne est générale, particulièrement au travers de ses auteurs comme Platon, Aristote, Galien, Virgile, Boèce. Dès les ix / xe siècles, les traités arabes font écho à la littérature antique, ainsi l'encyclopédie des Ikhwan al-safa (les «Frères de la Sincérité» ou les « Frères de la Pureté »), groupe anonyme d'intellectuels ismaïliens du Xe siècle :

Parmi les mélodies, certaines stimulent les âmes dans l'accomplissement des durs labeurs et des métiers pénibles, rendent les hommes alertes et résolus dans les travaux difficiles. Ces effets sont d'autant plus forts quand des vers sont associés à la mélodie. Ces vers ont provoqué des haines entre les tribus, agitèrent leurs âmes, enflammèrent le feu de la colère et les incitèrent à tuer des cousins, des parents, et ils les exterminèrent pour les fautes ou les crimes de leurs aïeux. On raconte que deux hommes qui se faisaient violence et éprouvaient l'un pour l'autre une haine ancienne se retrouvèrent dans un banquet. La boisson décupla leur rancune et ils se préparèrent à s'entre-tuer. Le musicien ayant compris leur projet, modifia les notes des cordes et joua une mélodie qui apaise les coeurs. Il joua tant, qu'ils s'embrassèrent en se réconciliant [13]

Récit qu'on retrouve avec quelques variantes dans un commentaire de Thomas Artus dans la traduction en Français par  Blaise de Vigenère  de La vie d'apollonius de Tyane de Philostrate, paru en 1611 :

J'ay quelque fois ouy dire au Sieur Claudin le Jeune, qui a sans faire de tort à aucun, devancé de bien loin tous les musiciens des siècles précédents dans l'intelligence de ces modes (le phrygien et l'hyperdorien), qu'il fait chanté un air qu'il avait composé avec les parties aux magnificences qui furent faites aux noces du feu duc de Joyeuse, du temps d'heureuse mémoire Henry III, Roy de France et de Pologne, que Dieu absolve, lequel comme on l'essayoit en concert qui se tenait particulièrement, fit mettre la main aux armes à un gentilhomme qui estoit là present, si qu'il commença à jurer qu'il lui éstait impossible de s'empescher de s'en aller battre contre quelqu'un et qu'alors on commença à chanter un autre air du mode soubs-phrygien qui le rendit tranquille comme auparavant. Ce qui a esté confirmé encore depuis par quelques uns qui y assistèrent, tant la modulation, le mouvement et la conduite de la voix, conjuguez  ensemble ont de la force sur les esprits [14]

De nos jours, la tradition est entretenue par le musicologue Joscelyn Godwin  dont le livre sur Les harmonies du ciel et de la terre [15] commence par un chapitre intitulé «Les effets merveilleux de la musique», où l'on peut lire :

Tous les auteurs de l'antiquité s'accordaient à dire que [les pouvoirs d'Orphée] étaient miraculeux : il pouvait déplacer les pierres et les arbres, charmer les bêtes, et même recevoir l'hommage des montagnes [p. 21]

L'existence même d'un monde matériel se suffisant à lui-même n'est qu'illusion. Ce n'est que l'état apparent d'un énergie universelle, ou peut-être simplement d'une conscience, et les lois qui président à sa progression sont d'ordre musical ou harmonique [p. 17].

Entre l'hermétisme qui entretient les secrets et la science qui entend les casser, le monde de Mersene est au combat entre ombre et lumière. On peut penser que l'opéra, théâtre à machinerie tire en partie son succès de ce qu'il peut symboliser de cet état de réflexion et de questionnement entre magie et rationnel. C'est du côté lumière conquérante que le père Mersenne pose la question : quelle est donc cette puissance perdue de la musique des anciens ?

La musique des anciens

Descartes Répond par une lettre du 18 décembre 1629. Pour lui, le savoir détruit la sensibilité, et les règles la capacité à se laisser surprendre [16]  :

Pour la musique des anciens, je croy qu'elle a eu quelque chose de plus puissant que la nostre, non pas pource qu'ilz estoient plus scavants, mais pource qu'ilz l'estoint moins : d'où vient que ceux qui avoient un plus grand naturel pour la musique, n'estant pas assujetis dans les reigles de la nostre diatonique, faisoint plus par la seule force de l'imagination que ne peuvent faire ceus qui ont corrompu cete force par la connoissance de la theorie. De plus, les oreilles des auditeurs n'estant pas accustumées à une musique si reglée, comme les nostres, estoint beaucoup plus aysées à surprendre.

Ce qui n'est pas l'avis de Giovanni Battista Doni pour qui la supériorité des très anciens  temps ne fait aucune doute [17] :

Vous me demandez mon advis sur l'ancienne musique des Grecs, laquelle pour ce que je peux en juger, me semble avoir esté en toute excellente, de façon que si les Grecs ont surpassé les autres nations aux autres sciences et facultez, je me persuade qu'en ceste-cy ils ont surpassé eux-mesmes. Non pas que je croy estre veritable tout ce qu'on raconte de la force qu'elle avoit et des effects admirables qu'on operoit par icelle. Car en cecy je fay cette distinction que les effects qu'on raconte de la musique de Timothee et d'environ ce temps là, je les estime veritable, mais pour les fort anciens, je ne les crois pas comme ce quon dict d'avoir guery la peste etc. Et encore que je croy que les anciens estoient plus disposez que nous à s'esmouvoir par la musique, pour plusieurs raisons qu'on pourroit alleguer, toutesfois je croy qu'on pourroit faire aujourd'huy presque tout le mesme, si l'on corrigeoit tout plain de defaults qu'on y commet et qu'on renouvellast le maniere ancienne […]

Mais sept années auparavant, dans une lettre du 27 février 1627, Doni se montre moins assuré

[...]  Sur quoy je vous diray franchement qu'il me semble que ceux qui se meslent de renouveller les choses anciennes rencontrent toujours du mahleur en leur faict, comme si la fortune (s'il faut parler ainsi) se desdaignast que les hommes vueillent resusciter ce qu'elle a enseveli dans les ruines du changement du monde.

Dès 1622, Titelouze précise à Mersenne qu'en effet que les modes comme le dorien servait à rendre un furieux modéré, le phrygien pour émouvoir à la fureur, mais ils n'attribuaient pas ces pouvoirs aux genres. Il cite l'anecdote d'Artus Thomas sur Claudin le Jeune et le militaire furieux et aussi [18] :

Touchant la puissance de la musique des anciens sur toutes sortes de passions, dont leurs ouvres nous disent des merveilles, nous n'en pouvons apprendre les moiens par eux, parce qu'ils ne nous ont pas laissé par escrit des pièces faites pour nous servir d'exemplaire à les imiter... je crois bien que les anciens faisaient quelques pièces raportantz aux paroles pour mieux exciter, mais en nostre siècle cela serait ridicule et par conséquent mesprisez et sans effet [...] Or ce qui peut empescher que nos voix et instrmentz n'aient tant de pouvoir comme anciennement, je croy que c'est premièrement pour estre trop communs parmi toutes sortes de personnes ; Il me souvient d'avoir veu en ma jeunesse tout le monde admirer et se ravir d'un homme qui touchoit le lut et assez mal pourtant ; et maintenant j'en voy cent et plus habiles gens que luy mille fois, que l'on daigne pas presque écouter. Secondement les esprits de ce temps sont préocupez de tant de vanité, d'ambition et d'avarice, que la musique ne trouve plus lieu pour s'i loger puissament, de sorte que pour la musique et d'autres professions , les siècles ne se ressemblent pas. Bien que je croie que jamais l'on a composé comme l'on fait maintenant avec tant de belles et bonnes figures de contre-point et les instruments si parfaicts  qu'ilz sont,ce  neantmoins je ne voy point en ces temps derniers les effetz que j'ay veu il y a seulement vingt ans, que le siècle était plus doux et sensible aux armonie

Le 9 août 1622 il insiste [19 ] :

Je croy bien que les merveilleux effetz, dont nous parle les anciens ont esté rendus en leur temps. Mais si leur musique estoit représentée en ce siècle, je croy qu'elle n'aurait aucune puissance, parce que la nostre vaut mieux (à mon opinion) et n'a que bien peu de pouvoir.

 Périodisation

Les avis de Descartes, Doni et Titelouze ont, après quatre siècles gardé toute leur vigueur, et nous les emboîterions sans difficulté aux discussions actuelles, autour de la musique contemporaine, de la post- ou néo tonalité, des idées sur la musique historique d'un Nikolaus Harnoncourt, ou par exemple, de celles développées dans un récent essai du compositeur Alain Bancquart [20].

En ce début du XVIIe siècle, une partie cultivée de l'Europe est venue à une forme de démonstration, à des schémas mentaux au monde, à une manière d'aborder le vrai, qui sont aujourd'hui toujours les nôtres. De ce point de vue, dans notre imagerie compréhensive personnelle, c'est de là que nous daterions la période moderne.

Quant à la Renaissance, puisque nous jouons avec les taquets, on va prétendre qu'elle n'en est pas une. Le Printemps de Florence est une révolution urbaine. Si les personnes cultivées ont un retour d' écho depuis de l'antiquité, c'est qu'il s'agit là aussi d'une culture de la cité. Mais surtout, cette antiquité jaillit de la libération consécutive au désordre du monde et à la faillite religieuse : l'autorité obligée du Livre fait en partie place à un corpus constitué et cohérent sur lequel on n'a pas cessé de veiller et qui aide à aux réactualisations ou à combler les béances idéologiques qui vont grand train.

Notes

1 -   Guerre des Paysans, en Allemagne, série de soulèvements en partie inspirés de Luther qui lescondamne. Ils sont définitivement réprimés en 1525, l'année de la naissance de Palestrina. Guerre des Quatre-vints ans aux Pays-Bas (1568-1648) où se croisent une rébellion des paysans, des oppositions religieuses et celle de l'Espagne. En France, 3000 Vaudois du Lubéron sont massacrés sur l'ordre du parlement d'Aix en 1545. En 1562, l'assassinat de 74 protestants à Vassy marque le début de 8 guerres de religions, avec les 30000 victimes de la Saint-Bartelémy. La dernière de ces guerres s'achève en 1598 pour se transformer en guerre contre Philippe II d'Espagne.

2 -  THOMAS HOBBES (1588-2209) : Le citoyen ou les fondements de la politique (1642). Une édition électronique réalisée à partir du livre de Thomas Hobbes, traduction (1649) de Samuel Sorbière, secrétaire de Thomas Hobbes, relu par Thomas Hobbes :

Épître dédicatoire à monseigneur le comte de Devonshire.

Monseigneur,

Le peuple romain peu favorable envers les rois, et à cause de la mémoire du nom des Tarquins et par les lois de la République, disait autrefois par la bouche de Caton le Censeur, que tous les monarques étaient de la nature de ces animaux qui ne vivent que de rapine. Comme si ce même peuple qui a pillé presque tout le monde par ses Africains, ses Asiatiques, ses Macédoniques, ses Achaïques, et par ses autres citoyens renommés à cause des dépouilles qu'ils ont emportées de différentes nations, n'était pas une bête plus formidable ? De sorte que Pontius Telesinus n'avait pas moins de raison lorsque dans le combat qui se fit à la porte Colline contre Sylla, il s'écria pas sant au travers des rangs de ses soldats, qu'il fallait démolir la ville de Rome, parce qu'on trouverait toujours des loups ravissants qui envahiraient la liberté de l'Italie, si l'on n'abattait la forêt où ils avaient coutume de se retirer. Et certainement il est également vrai, et qu'un homme est un dieu à un autre homme, et qu'un homme est aussi un loup à un autre homme. L'un dans la comparaison des Citoyens les uns avec les autres; et l'autre dans la considération des Républiques; là, par le moyen de la Justice et de la Charité, qui sont les vertus de la paix, on s'approche de la res blance de Dieu; et ici, les désordres des méchants contraignent ceux mêmes qui sont les meilleurs de recourir, par le droit d'une légitime défense, à la force et à la tromperie, qui sont les vertus de la guerre, c'est-à-dire à la rapacité des bêtes farou ches; laquelle, quoique les hommes, par une coutume qui est née avec eux, se l'impu tent mutuellement à outrage, se représentant leurs actions dans la personne des autres ainsi que dans un miroir où les choses qui sont à la main gauche paraissent à la droite, et celles qui sont à la droite, à la gauche, n'est pas toutefois condamnée comme un vice par ce droit naturel qui dérive de la nécessité de sa propre conservation.

3 - NICOLAS-CLAUDE FABRI DE PEIRESC, Lettre au père Marin Mersenne du 23 juillet 1635.Manuscrit 1874, Bibliothèque Inguimbert, Carpentras, f° 674 rv, copie contemporaine de la main d'un secrétaire. Lettre n° 466 de l'édition de la correspondance de Marin Mersenne par le CNRS (v. 5). Le « grand-œuvre » est l' Harmonie universelle que Mersenne est en train de rédiger. Il s'agit de l'opéra Eurydice sur un livret d'Ottavio Rinuccini, représenté le 6 octobre 1600 au palais Pitti à Florence à l'occasion du mariage de Marie de Médicis et de Henri IV de France. Péri interprétait lui-même le rôle d'Orphée (François René Tranchefort. L'opéra d'Orféo à Tristan [2 v.]. « Points Musique » (2), Le seuil, Paris 1978, (2) p. 39.

4 - TYARD PONTHUS DE (vers 1460-vers 1555, évêque de Châlon-sur-Saône, participe à la Pléïade), Solitaire second ou prose de la musique. Lion par Ian de Tournes 1555, p.114 :

[…] Entre autres plaisirs de rares choses assemblées pour le contentement de ces personnes choisies, se rencontra Francesco di Milan, homme que l'on tient pour avoir ateint le but (s'il se peut) de la perfection à bien toucher un lut. Les tables levées il en prent un, &, comme pour tater les acors, se met pres d'un bout de table, à  rechercher une fantaisie. Il n'ut esmu l'air de trois poinçades, qu'il ront les discours commencez entre les uns & le sautres feties, & les ayant contreint a tourner visage, la pert ou il estoit, continue avec si ravissante industrie, que peu à peu faisant par une sienne divine façon de toucher, mourir les cordes sous ses dois, il transporte tous ceux qui l'escoutoient, en une si gracieuse melancolie, que l'un, apuiant sa teste en la main soutenue du coude : l'autre, estendu lachement en une incurieuse contenance de ses membres : qui, d'une bouche entr'ouverte & des yeus plus qu'à demi desclos, se clouant (ust on jugé) aus cordes, & qui d'un menton tombé sur la poitrine desguisant son visage de la plus triste taciturnité qu'on vit onques, demeuroient privez de tout sentiment, ormis de l'ouïe comme si l'ame ayant abandonné tous les sieges sensitifs, ce fust retiree au bord des oreilles, pour jouir à son aise de si ravissantes symphonie […]

5 - Marin Mersenne traduit et publie à Paris Les Mécaniques de Galilée en 1634, peu après la condamnation du physicien par l'inquisition et en 1639 ses Discorsi  sous titre de Nouvelles pensées.

6 - Mais aussi du contraire, comme dans cette lettre de CHRISTOPHE DE VILLIER, barbier à Sens, datée du 13 mai 1634 :

Vous donnez à vostre livre le nom d'Harmonie universelle et veritablement il luy convient à raison qu'il doit traiter suivant vostre dessein de tous les sons qui peuvent rendre quelque harmonie etc. Si j'avois pourtant lieu de dire librement mon advis, je vou suaderois d'ajouster soubs ce tiltre des traitez ou livres parlant de toutes les harmonies du monde, à commencer aux ordres de l'empyre et suivres à ces grandes machines qui d'un mouvement si rapide faisoit à Pytagore et autres Antiens entendre les sons d'une mélodie harmonique ; et descendant delà aux elemens et meslanges d'iceux, venir aux harmonies des polices royales, democratiques, des aristocratiques et oligarchiques, mesmes oiconomiques. Car ainsy faisant enumeratis speciebus, vous tomberiez enfin dans le dessein qui a donné le nom aux harmonies susdites. Et vostre titre seroit encor plus vraysemblable. [CHRISTOPHE DE VILLIERS, Lettre à Marin Mersenne datée eu 13 mai 1634.  Manuscrit fr. nouv. acq. 6205, Bibliothèque nationale de France, f° 377r-380v. Lettre  n° 334 de l'édition de la correspondance de Marin Mersenne par le CNRS.]

Christophe de Villiers : né vers 1595, études de philosophie vers 1624 au collège des Grassins á Paris. Les registres de la paroisse Saint-Benoist de Sens le citent comme médecin le 13 janvier 1628, alors qu'il assiste à un baptême comme parrain. A Sens il fait la connaissance de Maximillien Michon (barbier ou chirurgien), beau-frère de l'érudit Jean Bourdelot dont le fils Pierre Michon étudie la médecine à Paris vers 1629. Mersenne lui écrivit le premier pour lui demander sa méthode abrégée pour chanter et toucher la viole et autres instruments. Selon les registres paroissiaux, Villiers s'est marié deux foix. On trouve dans les registres de la paroisse de Sainte-Colombe l'acte de baptême de Jacqueline fille de noble Christophe de Villiers, docteur en médecine, et de Marie Chereau.

7 - Jean-Baptiste Doni, Lettre à Marin à Mersenne daté du 8 novembre 1634. Manuscrit fr. nouv. acq. 6205, Bibliothèque nationale de France, f° 245r-252v, autographe. Correspondance du père Marin Mersenne par le CNRS, tome IV.

8 - Les Quatrains du déiste ou L'Anti-bigot. Texte composé de 106 quatrains de facture populaire s'inspirant de La Sagesse de Charron.

9 - Un extrait, parmi tant d'autres possibles, d'une lettre du père Mersenne pour illustrer ce propos :

Quand aux chansons du comte Thibaut et du roy de Navarre, elles sont dans des manuscrits qu'a un curieux d'icy [Jean-Baptiste Haultin ou Aultin, conseiller du roi en la Prevôté et Châtelet de Paris]. Mais pour le temps de Charlemagne je n'ay rien veu qui vaille la peine d'en parler. L'on m'a dit qu'au mont Athos ils ont un gros livre de musique grecque que les heretiques faisoient chanter du temps d'Arrius pour entrainer le peuple à leurs opinions par leurs beaux chants, comme de nos jours quelques autres ont amassé beaucoup de jeunes enfants. Le sieur Romin, moine de cet Athos, qui a esté si longtemps chez Mr l'Archevesque de Rouen, m'a dit qu'ils chantoient dans un gros livre de St. Jean Damascene, rempli de pusieurs chants. S'il y avoit moyen d'en retirer une copie, cela nous donneroit peut-estre quelque lumiere particuliere.

MARIN MERSENNE, Lettre à  Nicolas-Claude Fabri de Peiresc datée du 26 juillet 1634. Manuscrit  fr 9543, Bibliothèque nationale de France,  f° 7r-9v, autographe. Lettre n° 363 de l'édition de la Correspondance de Marin Mersenne par le CNRS.

10 - NICOLAS-CLAUDE FABRI DE PEIRESC, Lettre à Pierre de Loche datée du 17 juillet 1635. Manuscrit  1874, Bibliothèque Inguimbert, Carpentras, f° 379 v, copie contemporaine de la main d'un secrétaire.  Lettre n° 465 de l'édition de la correspondance de Marin Mersenne par le CNRS (t. v, p. 326) .

11 - L'ethos des modes n'est pas ignoré des traités de musique du Moyen-Âge Chrétien, mais en général il traite des sentiments qui peuvent convenir à l'office, où la musique ne doit pas, théoriquement, oblitérer le sens des paroles. L'ethos exposé au chapitre XV de l' Ars musica de Gil de Zamora, rédigé vers 1270 est de ce point de vue assez coloré :

1er ton : changeant et maniable. Approprié à tous les sentiments, comme le Cantique des cantiques. 2e ton : grave, convient aux gens tristes et malheureux; utilisé dans les thrènes, par exemple dans les lamentations de Jérémie. 3e ton : sévère et stimulant. Sa mélodie fait de grands sauts. De nombreux malades ont été guéris grâce à lui. Boèce dit que Pythagore, au moyen de ce 3e ton, a guéri un adolescent après l'avoir adouci avec le 2e ton. 4e ton : caressant et bavard, convient aux flatteurs. 5e ton : doux, agréable ; calme et apaise les gens tristes et inquiets, réconforte ceux qui ont failli et ceux qui ont perdu l'espoir. 6e ton : porte à la piété et aux larmes. Il plaît à ceux qui pleurent facilement. 7e ton : enjoué et plaisant. C'est le ton des adolescents. 8e ton : doux et morose, à la façon des isolés.

12 - CLAUDE BREDEAU, Lettre au père Marin Mersenne datée du 5 août 1627. Manuscrit fr. nouv. acq. 6205, Bibliothèque nationale de France, f° 39r-40v. Lettre n° 73 de l' édition du CNRS.

13 - SHILOAH AMNON (traduction en français), L'épître sur la musique des Ikhwan al-Safa. Librairie Orientaliste Paul Geuthner. Paris 1965 (extrait de la «Revue des Études Islamiques» 1964).

14 -  BLAISE DE VIGENÈRE (traducteur),   La vie d'apollonius de Tyane de Philostrate. 1611 [commentaire de Thomas Artus à la page 228, cité en note dans la correspondance du père Marin Mersenne (t. 1),  Beauchesne, Paris 1760, p. 84]

15 - GODWIN JOSCELYN, Les harmonies du ciel et de la terre. Bibliothèque de l'hermétisme, Albin Michel 1994 (1987), p. 14-15 :  on notera les confusions, comme placer la construction des pyramides aux temps préhistoriques, et de faire croire qu'être écrivain arabe du Moyen-Âge donne quelque autorité dans la connaissance des techniques de l'Egypte antique :

L'adepte du surnaturel voudra, en revanche, prendre le mythe au pied de la lettre, comme le témoignage des techniques dont disposaient les civilisations préhistoriques, et que leurs successeurs ont oubliées depuis bien longtemps. L'écrivain arabe du Moyen Age Masudi (mort en 957) rapporte une technique non moins extraordinaire pour expliquer la construction des trois pyramides de Gizeh :

On glissait des feuilles de papyrus sur lesquelles figuraient certains caractères sous les pierres que l'on préparait dans les carrières ; lorsqu'on les frappait, chaque fois les blocs se déplaçaient de la distance d'un vol de flèche (cent cinquante coudées, environ) et parvenaient par étapes aux Pyramides [repris de Vyse Howard, Operations Carried on at the Pyramid of Gizeh in 1837. London 1840].

16 - RENÉ DESCARTES, Lettre à Marin Mersenne datée du 18 décembre 1629. Manuscrit 2001,  Bibliothèque de l'institut f° 1-4, autographe.

17 - JEAN BAPTISTE DONI, Lettre à Mersenne datée du 8 avril 1634. Manuscrit fr. nouv. acq. 6205, Bibliothèque nationale de France, f° 245rv, autographe. Lettre n° 326 de l'édition de la correspondance de Marin Mersenne par le CNRS. La suite du texte :

Pour les Grecs d'aujourd'huy, ils sont encores si fort ignorans de la pratique que je m'en esbahy grandement. Ils disent d'avoir perdu la moitie de l'ancienne musique, mais je crois que de cent parties il ne leur en reste une entiere. Ils ne sçavent que c'est de diapente, diapente ton-limenon, ny d'autres intervalles […] Or il me semble qu'il y a des beauxs airs. Ces jours passez il y en avoit icy un de ces chantres que je feis chanter un peu devant quelques musiciens, qui trouverent les passages et accents assez gentils. J'ay noté qu'ils ont d'ordinaire la voix fort bonne et qu'ils montent fort haut, mais ils chatent si fort dans le nez que c'est une pitié, et pour moy j'estime qu'ils ont prins ceste façon des Turcs, car ils confessent que ces barbares estiment cela une grande gentillesse. Ce mesme chantre me disoit que ses nationaux se plaisent plus à la maniere Turquesque que à la nostre qu'ils estiment trop arrogante et la leur plus douce et plus paisible. Voyez je vous prie, à quoy s'est reduicte la mignardise et delicatesse des anciens Grecs et le misere et ignorance de ceux d'aujourd'huy.

18 - JEAN TITELOUZE, Lettre à Marin Mersenne du 2 mars 1622. Manuscrit fr. nouv. acq. 6204, Bibliothèque nationale de France, f° 43 rv. Correspondance de Marin Mersenne, éditions du CNRS, tome I. Dans «Bulletin de la Société de l'histoire de la Normandie», juin 1898, p. 274-280.

19 - Lettre à Mersenne du 9 août 1622

20 -  ALAIN BANCQUART, Musique : habiter le temps (essai).  Éditions Symétrie, Lyon 2003. Dans l'introduction, l'auteur nous dit, comme Titelouze, que la musique est devenue trop commune.

Jean-Marc Warszawski
10 novembre 2003

 

Quelques écrits de Jean-Marc Warszawski

La saga Blüthner, pianos de Leipzig —— Mutations, mouvements, évolution dans le monde de la musique au temps de Maria Szymanowska —— Faut-il lire les livres anciens de théorie ? —— La musique et le geste —— Trio avec piano : musicologie, histoire, musique de chambre ou « Comme un laquais suit son maître » —— Belle du seigneur d'Albert Cohen : fomes et évocations musicales —— La musicologie et le mystère du logos —— Charles Ives : une musique sans histoire de la musique. Singularité de l'expérience, spécificité de l'histoire : la première sonate pour piano —— À propos de la « fonction » de la musique —— Méthode, musicologie : histoire et fiction —— La puissance de la musique des anciens questionnée au premier tiers du XVIIe siècle (autour de Marin Mersenne) —— Le clavecin pour les yeux du père Castel.


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