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Opéra de Dijon, Auditorium, 9 avril 2014, par Eusebius ——

La finta giardiniera, ou le jardin des délices et des tourments

 

La finta giardinieraOpéra de Lille. Photographie © Frédéric Lovano.

Quand Arminda et le comte Belfiore se rendent à leurs noces, ce sont leurs anciens amants qu'ils retrouvent. Perplexité de Belfiore qui pense reconnaître celle qu'il croît avoir tuée par jalousie, Violante, laquelle affirme être Sandrina, la jardinière… Arminda et Serpetta la font enlever et abandonner dans un bois sauvage où tous la cherchent. La confusion gagne tant et plus. Sandrina et Belfiore, plus épris que jamais sombrent dans la folie. Mais — felice conclusione du una questione ingarbugliata — tout se terminera bien pour chacun des couples, le podestat gardant l'espoir de trouver une nouvelle Serpetta, cette dernière épousant Nardo.

Le livret, riche en rebondissements, est particulièrement bavard, et Mozart plus âgé l'aurait certainement rapporté à des proportions plus concises1. Faut-il voir dans La Finta Giardiniera le brouillon des chefs-d'œuvre annoncés, ou un opera buffa à peine démarqué du modèle d'Anfossi ? La plus large palette expressive, du comique burlesque à l'émotion la plus intime ou la plus forte, tout Mozart est déjà là.

Malgré la durée, jamais l'attention ne se relâche, pas un soupçon d'ennui. La richesse et la variété de l'expression musicale n'expliquent pas tout : la mise en scène et la direction des acteurs sont remarquables.

David Lescot, homme de théâtre, signe ici une de ses premières mises en scène d'opéra, et la réussite est évidente. Efficace, simple et inventif, son travail sert pleinement l'esprit et la compréhension de l'ouvrage. Il favorise également une direction d'acteur convaincante. La ronde des jardiniers transforme l'orangerie du Podestat en jardin des délices, en jardin des tourments (cactées, plantes carnivores). La chute du fond de scène pour passer en pleine forêt (acte II) est une invention bienvenue, et l'effet de surprise total. Les éclairages sont particulièrement réussis au dernier acte. Les costumes ne le sont pas moins : monochromes, blancs ou écrus, librement inspirés du xviiie siècle, avec des touches originales2.

Le dynamisme imprimé par Emmanuelle Haïm, et l'attention constante portée au chant sont un régal. Le travail instrumental n'appelle que des éloges : peu d'orchestres peuvent rivaliser avec son Concert d'Astrée, avec un continuo animé, inventif à souhait.

La distribution, jeune et pleinement engagée, convainc, tant par les qualités de son chant que par son jeu dramatique. La Sandrina de Erin Morley est fraîche à souhait, davantage jardinière que marquise durant tout le premier acte. La noblesse s'insinuera progressivement pour culminer avec les derniers airs et duos. L'émission naturelle, sa plénitude avec une belle conduite des phrases ravissent autant que son timbre. Enea Scala campe un Belfiore directement issu de la Commedia dell'arte, jeune fat sûr de sa séduction. Voix puissante et souple, ravissante de légèreté, qui sait nous faire sourire mais aussi nous émouvoir (« Care pupille belle », « Già divento » et dans son ultime duo avec Sandrina). Ramiro, amoureux éconduit d'Arminda, est chanté superbement par Marie-Claude Chappuis3. Le larghetto du « Dolce d'amor compagna » nous comble. Sa force d'émotion dans « Va pure al altri in braccio » en fait un des sommets de l'ouvrage.  Une voix remarquable qui confine à la perfection. Marie-Adeline Henry chante Arminda, nièce prétentieuse et autoritaire du podestat. Belle projection, autorité qui s'épanouissent dans le « Vorei punir ti indegno ». On l'imagine dans Elettra (Idomeneo). Serpetta vient tout droit de chez Pergolèse, vive, piquante, insolente, malicieuse. Maria Savastano est idéale dans ce rôle, une grande voix et un boute-en-train extraordinaire. Nardo, Nicolai Borchev, annonce Figaro. Son aisance vocale et ses dons de comédien culminent dans « Con un vezzo all'Italian ». Ampleur, égalité dans tous les registres, un régal. Le podestat de Carlo Allemano a la voix de l'emploi : un ténor au timbre de baryton-Martin. Il faut enfin souligner la perfection des ensemble, du quintette d'introduction aux grands finales des deux derniers actes.

Cette production, créée à Lille fin mars, est à marquer d'une pierre blanche, et le nombreux public ne s'y est pas trompé. Pour connaître de nombreuses versions, depuis La Monnaie en 89, ou plus récentes, je crois pouvoir affirmer que l'on a pris date.

plume Eusebius
11 avril 2014.

1. Il pratiqua des coupures lors des reprises et en tira un singspiel (Die Gärterin aus Liebe)

2. Ainsi la couleur des bottes des sopranos facilite la reconnaissance des personnages.

3. Elle a enregistré le rôle avec René Jacobs, mais ici, son chant gagne en crédibilité, en assurance, en vérité : elle est Ramiro.


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