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Par Jean-Luc Vannier

« La flûte enchantée » de Mozart à l'Opéra de Nice, ravissant conte maçonnique pour petits et grands

La Flûte enchantéeSarah Jane-Brandon (Pamina) et Clemens Unterreiner (Papageno).
Photographie © D.Jaussein.

Ce n'était pas un mercredi, jour supposé des enfants, mais le dimanche 10 février qu'avait lieu la première, à l'Opéra de Nice, d'une version coproduite avec l'Opéra National du Rhin, de « Die Zauberflöte » de Wolfgang Amadeus Mozart. En présence de nombreuses familles venues avec des enfants d'âges différents, dont un charmant tout-petit babillant pendant l'ouverture. Comme pour un spectacle donné pendant les fêtes de Noël : ce fut d'ailleurs le cas de la performance strasbourgeoise en décembre dernier. Deux mois et un peu de neige fondue sur la Promenade des Anglais plus tard, cette production n'a rien perdu de sa fraîcheur et de son intelligence. Et de la surprenante ingéniosité d'une mise en scène signée Mariame Clément. Laquelle en explicitait la nature et les orientations dans un entretien accordé le 2 décembre 2012 au journal L'Alsace : « D'abord, la Flûte a un côté conte de fées, qui aborde des problématiques très morales et éthiques. C'est un opéra très divertissant et très profond à la fois. On ne peut pas se permettre de n'être que ludique ou très profond, ce n'est pas qu'un conte de fées, il y a des enjeux plus lourds que dans un simple conte de fées. Des enjeux que l'on souhaite évoquer, l'homme face à la nature, la science… Cet opéra parle tellement d'humanité… ». Une « feuille de route » exigeante et adaptée sur Nice par Ruxandra Hagiu avec des décors et des costumes de Julia Hansen, des lumières de Marion Hewlett et aussi quelques montages vidéos parfois plus discutables : celui de la première scène mélangeant le serpent et la dévastation nucléaire tout comme celui, à la fin de l'acte II, censé décrire la traversée des « épreuves du feu et de l'eau ». L'irruption « profane » de cet hyperréalisme en parasite leur puissance suggestive. Sarah Jane-Brandon (Pamina)Sarah-Jane-Brandon-(Pamina). Photographie © D.Jaussein.

La richesse du travail scénographique n'en fait pas moins pleuvoir des trombes d'eau au surgissement de la Reine de la nuit dont la robe déployée devient un écran récepteur d'images. Cette opulence voit se multiplier les effets spéciaux, fait glisser des personnages de toboggans ou les fait apparaître de tiroirs géants : autant d'habiles artifices à même d'accentuer la dimension fantasmatique de cet opéra créé au Theater auf der Wieden à Vienne le 30 septembre 1791 et destiné à mettre en exergue les finalités humanistes de la Franc-Maçonnerie au sein de laquelle le compositeur autrichien avait été initié en décembre 1784. Un humanisme philanthropique et progressiste doublé d'un universalisme qu'illustre, dans cette production, l'astucieuse et emblématique exploitation des langues d'origine des chanteurs : le Tamino russe interroge le Papageno allemand dans la langue de Pouchkine pour savoir sur quelle planète il se trouve. Au début de l'acte II, des interprètes traduisent en anglais et en français, les paroles solennelles de Sarastro. La fraternité des symboles ne connaît pas de frontières.

Alexey Dolgov (Tamino)Alexey Dolgov (Tamino). Photographie © D.Jaussein.

Toute cette intensité créative, insufflée dans la théâtralisation et dont la jeunesse des protagonistes ne constitue pas le moindre des atouts, se développe toutefois aux dépens de la mesure opératique de l'œuvre. Toutes les voix semblent retenues, minorées, « light » : un vrai paradoxe au regard de l'engouement manifeste des artistes.  Mise à part celle de la basse roumaine Balint Szabo dans le rôle de Sarastro, incapable d'atteindre les graves sans risquer la complète rupture, tous les interprètes donnent le sentiment de brider leurs capacités vocales malgré l'éclat et la vitalité dont ils témoignent dans l'incarnation de leur personnage. Le ténor russe Alexey Dolgov (Tamino) et la soprano sud-africaine Sarah-Jane Brandon (Pamina) chantent leurs airs avec une aisance remarquable, une fine distinction et une rare justesse. Mais sans vigueur. La soprano russe Olga Pudova (La Reine de la nuit) exécute à l'acte I sa déploration maternelle avec conviction et, à l'acte II, son grand air de reine « furieuse » contre sa fille avec des aigus superbes et cristallins. Mais sans puissance et encore moins de rage. Le Viennois Clemens Unterreiner campe un Papageno jovial, magnifique d'authenticité et de spontanéité, mais dont nous aurions aimé entendre davantage les aptitudes, pressenties ici ou là, de baryton. Greg Warren dans le rôle Monostatos et Emmanuel de Negri dans celui de Papagena font de même. En clair : ces chanteurs nous mettent l'eau à la bouche, mais nous laissent in fine sur notre faim.

La Flûte enchanteeSarah Jane Brandon (Pamina) et Clemens-Unterreiner (Papageno). Photographie © D.Jaussein.

 

Alexey Dolgov et Olga PudovaAlexey Dolgov (Tamino) et Olga Pudova (La Reine de lanuit). Photographie © D.Jaussein.

Olga PaduvaOlga Pudova (La Reine de la nuit). Photographie © D.Jaussein.

L'impeccable direction musicale de Leopold Hager ne semble pas en cause. De par son expérience viennoise — Orchestre Mozarteum de Vienne, directeur du Volksoper et du Staadtsoper dans la capitale autrichienne — le maestro domine le plateau dont il guide avec précision les chanteurs, adultes, choeurs de l'Opéra de Nice et les enfants de la Maîtrise de l'Opéra National du Rhin, tout en impulsant de l'énergie à l'orchestre philharmonique de Nice. Des musiciens qui, lors des répétitions, pointaient ses « exigences », mais louaient ses « capacités pédagogiques » à les atteindre. Malgré ses faiblesses, sans doute apparentes et qui ne demandent qu'être être surmontées, ce spectacle plaisant permet en outre de mieux faire passer les messages contenus dans le livret d'Emanuel Schikaneder. Comme le chante le quintette du premier acte délivrant, comme l'apprenti après quelques mois passés sur les colonnes, Papageno de son silence : « Si tous les menteurs du monde avaient un tel cadenas sur les lèvres »

La flûte enchantéeClemens-Unterreiner (Papageno) et deux des Trois dames (Joanna-Mongiardo, Lydia-Rathkolb, SvetlanaLifar). Photographie © D.Jaussein.

Greg WarrenGreg Warren (Monostatos). Photographie © D.Jaussein.

Nice, le 11 février 2013
Jean-Luc Vannier


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