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24 novembre 2014, par Jean-Luc Vannier ——

Le jeune chef ouzbek Aziz Shokhakimov « dompte » l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo avec une athlétique « Shéhérazade »

aziz Aziz Shokhakimov. Photographie © OPMC.

L'esprit du regretté Lorin Maazel,  prévu à l'origine pour ce concert Rimsky-Korsakov et Moussorgsky, flottait-il, dimanche 23 novembre, au dessus de l'Auditorium Rainier III  de Monte-Carlo ? Le chef ouzbek aurait-il prêté 'oreille, jeudi 20 novembre, à « La matinale » de France-Musique où était diffusée, en présence de François-Xavier Roth, une interview du maestro disparu en juillet dernier et où celui-ci rappelait que le métier de chef d'orchestre réclamait une « bonne santé physique » et nécessitait de « dompter les musiciens d'un orchestre » ? Malgré sa figure pouponne et son sourire juvénile, ce jeune prodige de 26 ans né à Tashkent a littéralement pris possession de la philharmonie monégasque dès les premières mesures de Shéhérazade, opus 35 de Nicolaï Rimsky-Korsakov : sa baguette plonge sans ménagement dans les entrailles des pupitres afin d'y puiser d'énergiques harmonies qu'il rapporte vers lui comme pour mieux les offrir au public. Direction serrée, enveloppante, un brin massive et compacte, mais aussi très nerveuse, énergétique au point de propager jusqu'au milieu de l'auditorium, la tension palpable sur le plateau.

Liza KerobLiza Kérob. Photographie © DR.

Ce qui n'empêche guère le violon solo du concert Liza Kérob, d'autant plus concentrée qu'elle le joue pour la première fois, de nous charmer par le célèbre thème introductif de Shéhérazade : sonorités scintillantes sans fragilité,  délicatesse du jeu sans excès de rubato, virtuosité de l'exécution sans ostentation. Sa note aiguë, extrême et tenue, à la fin du quatrième mouvement s'accorde avec cette sensation d'intemporalité de la célèbre légende. Salué par des accords de harpe (Sophie Steckeler), le deuxième mouvement, « Le récit du Prince Kalender », ouvre sur la reprise du motif par le basson (Arthur Menrath) et par le hautbois (Mathieu Petitjean, sur un nuage pour « son premier concert avec l'Orchestre philharmonique de Monte-Carlo »), toujours avec cette interprétation haletante qui conduit le premier violoncelle Thierry Amadi à s'éponger furtivement le front ! Aziz Shokhakimov ne cède en rien au déhanchement gymnique dans le troisième mouvement « Le jeune Prince et la Princesse »  afin d'accentuer les rythmes saccadés de la danse populaire puis, dans le dernier « La fête à Bagdad ; La mer ; Naufrage du bateau sur les rochers », afin d'obtenir cette exceptionnelle densité orchestrale, ce rythme effréné des trilles et les secousses provoquées par d'intenses tutti. Une version « high voltage », radicalement différente de celle, plus onctueuse,  plus « loukoumesque » oserions-nous dire au regard des fantasmes européens sur l'exotisme oriental, enregistrée par le même orchestre philharmonique de Monte-Carlo en février 2010 avec le tout aussi regretté Yakov Kreizberg et le brillant David Lefèvre au violon solo. Nous revient aussi en mémoire, dans cette perspective, l'inoubliable chorégraphie, en juillet 2013, des Ballets de Monte-Carlo signée par Jean-Christophe Maillot et dansée par Bernice Coppierters, la plus exquise et la plus féline des Shéhérazade.

Orchestr de Monte CarloOrchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Atrium du Casino de Monte-Carlo. Photographie © Alain Hanel.

Après une telle expérience cataclysmique, nous pouvions craindre la fadeur de la deuxième partie du programme : Les Tableaux d'une Exposition de Modeste Moussorgsky dans l'orchestration de Maurice Ravel en 1922. Impression suggérée par le statisme du maestro dans le premier titre « La promenade ». Mais dès le second, « Le Gnôme », la direction d'Aziz Shokhakimov reprend force et vigueur avec, ici ou là, quelques tempi personnalisés : il mime dans « Bydlo », la pesanteur du bœuf en tapant même du pied sur son estrade, frétille de la main dans le « Ballet des poussins dans leurs coques » et pointe vers le timbalier (Julien Bourgeois), les cuivres (Robert Coutet au tuba, Matthias Persson à la trompette, Jean-Yves Monier au trombone) et les autres percussions (Christian Siterre), un index imprécateur dans une « Porte de Kiev » plus monumentale que jamais. Les enthousiastes ovations du public tout comme celles des musiciens de l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo à l'égard de ce chef sensationnel qui, selon plusieurs instrumentistes « sait ce qu'il veut et veut beaucoup », n'en étaient que plus attendues. Et légitimes.

Monaco, 24 novembre 2014
Jean-Luc Vannier


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