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Par Jean-Marc Warszawski ——

La musique sur le vif : la nature de l'expérience musicale

La musique sur le vif

Levinson Jerrold, La musique sur le vif : La nature de l'expérience musicale (traduction et introduction par Sandrine Darsel, préface par Emmanuel Bigand). « Æsthetica », Presses universitaires de Rennes, Rennes 1993 [212 p. ; ISBN 978-2-7535-2730-0 ; 16,00 €].

Voici la traduction d'un livre du philosophe Jerrold Levinson paru en 1998 aux Presses universitaires de la Cornell University Music in the Moment. Paradoxalement les éditeurs français ont oublié de préciser cette information.

La thèse que Levinson développe au long de deux-cents pages est que l'écoute de la musique consiste en une expérience perceptive mettant en jeu des enchaînements de moments et non pas la reconnaissance de formes.

Sa longue dissertation opposant forme et moments, semble être celle de l'honnête homme du xviiie siècle tout au bonheur de son discours, mais peu soucieux du morceau de réalité dont il casserait les secrets. De ce point de vue, le sous-titre adopté par la traductrice Sandrine Darsel nous ravit : « La nature de l'expérience musicale ». Pas moins.

C'est en quelque sorte un livre chimérique, comme l'université sait de temps à autre produire autour de sujets « brillants » propres à alimenter d'intenses et riches discussions qui malheureusement ne renseignent guère sur la réalité.

Qu'il y ait une écoute esthétique, amoureuse de la musique et une écoute analytique, est un lieu commun. Il est assuré que l'une et l'autre se nourrissent mutuellement — le vieux débat de la connaissance contre le sensible « spontané » —, pourquoi les opposer ?

On ne comprend pas trop ce que défend cette thèse, sinon que les « spécialistes » élitistes imposeraient une écoute musicale contre nature, mais elle ne nous dit pas lesquels, un « on » nécessaire à la démonstration, comme ces auditeurs « en général » dont l'auteur sait quoi et comment ils entendent au gré de ses besoins rhétoriques.

On peut lire dans la présentation de quatrième de couverture « il est courant d'insister sur les exigences formelles de la perception musicale : condition permettant de distinguer une suite de sons, mérite esthétique de toute « bonne musique » ou encore critère de différenciation entre la musique savante dite « sérieuse » et la musique de masse appelée parfois « divertissement musical [...] »

On aimerait savoir qui « insiste couramment » et « appelle parfois». D'autant qu'une partie de la musique savante est devenue une musique de masse (ce que regrettait Adorno), que ce terme « musique de masse » nous renseigne sur un type de diffusion de la musique et non pas sur sa nature, genre ou forme. Peut-être est-il question ici de « musique populaire », musique particulièrement formatée : peu dans ce domaine se risquent à faire des chansons qui ne soient pas une succession de refrains et de couplets. Mais encore, les suites de danses ont inspiré les formes savantes aux mouvements alternés.

Depuis longtemps, les musiciens savants ont cassé « la forme », avec les préludes, les fantaisies, moments musicaux (justement), poèmes symphoniques, ballades, nocturnes, romances sans paroles, etc.

Cette opposition artificielle entre « écoute naturelle » et « écoute analytique » (le savoir ennemi du plaisir), nous fait penser à la célèbre réponse que fit Alban Berg à Hans Pfitzner en 1920 au sujet de la Traümerei de Schumann. Pour Pfizner un tel chef-d'œuvre peut être reconnu, mais pas être démontré. Berg bien entendu se fait fort de démontrer par l'analyse la perfection formelle de l'œuvre1.

Il aurait fallu, à notre sens, poser la question de la forme et du rendu esthétique d'une autre manière, comme les hiatus qui peuvent exister en composition (écriture) et résultat sonore (la musique pour les yeux, la musique pour les oreilles).

La question de la forme ne se pose pas de la même manière pour le compositeur et pour l'auditeur, mais la nature des moments, leur enchaînement, sont liés à la forme, et on peut penser qu'en général le compositeur est soucieux des effets de sa musique sur les auditeurs, de la qualité de la succession des moments, des progressions vers des climax, de la diversité dans la cohésion : les formes musicales contribuent à donner un cadre à ces motivations : maintenir l'attention et le plaisir. C'est dans la recherche de l'efficacité esthétique des moments que les formes musicales ont été constituées.

Il aurait peut-être fallu interroger l'écoute de mélomanes réels, pas nécessairement sortis des conservatoires de musique, qui se forgent par habitude des attitudes analytiques diversifiées. Quel est le problème de ceux qui n'entendent la musique que comme un empilement informel non hiérarchisé de moments (épisodes ?), sans début, sans fin, sans climax, sans succession de mouvements, en quelque sorte en zapping ?

Jean-Marc Warszawski
plume 9 mai 2014

1. Alban Berg, Écrits (introduction et notes par Dominique Jameux, traduction par Henri pousseur et Dennis Collins). Christian Bourgois, Paris 1985, p. 79-92.


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