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Jérôme Dorival : La Marquise et la Marseillaise

 

montgeroult

DORIVAL JÉRÔME, La Marquise et la Marseillaise. (préface par Geneviève Fraisse). Symétrie, Lyon 2006 [450 p. ; ISBN 978-2-914373-16-6 ; 40 €].

Ce livre est séduisant, surtout si on a pris, récemment oreille, avec la musique d’Hélène de Montgeroult, par disque ou partition. Il est recommandé de le faire avant d’ouvrir cet ouvrage. Cela ne devrait pas manquer d’attiser la curiosité.

Outre la curiosité, nous avons été sensible aux mises en garde de l’auteur, quant aux pièges que réserve la documentation historique. Souci assez rare, dans les ouvrages d’histoire musicale.

Pour le moins, Hélène de Montgeroult a eu, comme on dit, un destin. Pianiste et compositrice exceptionnelle, riche aristocrate traversant la Révolution française avec l’intention de préserver son bien, elle est aussi la première femme à enseigner dans une classe d’hommes du tout nouveau Conservatoire national de musique en 1795. C’est que la République l’a réquisitionnée.

Elle est la complice musicale du célèbre violoniste Viotti. Son jeu virtuose, mais aussi ses compositions, sont admirés pour leur musicalité. On la dit meilleure pianiste de son temps. Elle laisse une volumineuse méthode de piano, constituée de morceaux, théoriquement « progressifs ».

Il y a l’insouciance de sa classe sociale, avec des fêtes tapageuses dans sa propriété. Puis ce sont les événements révolutionnaires, des mésaventures rocambolesques, puis l’Empire, qu’elle dit ne pas aimer. Mais on est déjà sous la Restauration.

Elle a même droit à quelques traits de légende. Notamment, elle aurait sauvé sa tête en improvisant au piano sur le thème de la Marseillaise devant le Comité de salut public.

Et l’histoire qu’on écrit est restée, à son sujet, page presque blanche, y compris celle dite de la musique.

Cet oubli, ce qu’on juge être tel, cette histoire qui passe indifférente, motivent l’essentiel des questionnements de l’auteur, qui tient Hélène de Montgeroult comme une (sinon la) précurseure du romantisme.

Malgré la conscience des problèmes soulevés par la documentation en histoire, Jérôme Dorival n’a peut-être pas évité tous les écueils qui menacent le récit d’histoire.

Cela est d’autant plus regrettable qu’il nous offre à lire un indéniable plaisir à discuter, à l’élaborer des problématiques, à questionner. Toutes choses qui font un bon livre de savoir.

Cette envie d’en découdre d’idées, une tendance à trop de foisonnement, entraîne l’auteur à de nombreux commentaires, jugements, voire à des sentences, sur une quantité de questions qui ne sont pas toujours, tant s’en faut, essentielles pour le sujet (ou mal hiérarchisées), avec parfois un manque de prudence, jusqu’au faux pas.

On peut lire par exemple [p. 119] qu’il faut dépasser la vision marxiste-léniniste de la Révolution française, parce que, prêter le rôle d’avant-garde révolutionnaire aux Montagnards est une transposition anachronique de la révolution prolétarienne de 1917. « Il existe sans doute des classes sociales antagonistes », mais la classe ouvrière n’est pas encore développée, comme elle le sera au XIXe siècle.

La Révolution française, au contraire, offre une parfaite validation par le réel à la théorie de nature marxiste qui pourrait énoncer ceci : la Révolution française est une révolution bourgeoise. Cette classe fournit des financiers aux sphères du pouvoir, dès le premier XVIIe siècle, ou des ministres sous Louis XIV, détient le pouvoir économique et la force de progrès. Elle est la classe montante, celle qui détient les forces productives, pousse au progrès technique et scientifique. Mais son émancipation est bloquée par le système des privilèges.

La Révolution française est la prise de pouvoir politique par la bourgeoisie capitaliste, qui, en s’émancipant, émancipe toute la société. Marx lui-même n’a pas écrit autre chose.

Certes, il ne s’agit pas ici de disserter sur cette question, mais en faisant l’impasse sur les enjeux sociaux et politiques de la Révolution française, Jérôme Dorival se prive d’éléments d’appréciation critique essentiels, et soumet ses démonstrations d’histoire à la pression de la mémoire collective. Ainsi réduit-il la Convention à la Terreur, et envisage-t-il l’immense lame de fond des événements révolutionnaires, sous l’aspect quelque peu simplificateur et trompeur, des groupes de pression, de réseaux familiaux, amicaux, d’intérêt privé, et de stratégie ministérielle, ou politicarde.

Cette révolution transforme les moyens de vie d’Hélène de Montgeroult. Ses titres et privilèges familiaux acquits par achat ou alliances, et par son premier mariage, n’ont plus aucune valeur, ne lui donnent plus aucun droit particulier, les propriétés qui en découlent ne sont plus inaliénables, elle n’a plus la possibilité de prélever sur les populations qui habitent ses domaines. Elle doit donc, désormais, gérer son bien comme tout riche bourgeois. Où se place-t-elle, entre ses pairs qui, déjà, avant la Révolution, prennent part aux affaires, et ceux, qui, refusant toute abdication (ou qui en sont empêchés) émigrent ou combattent activement la Révolution ?

Hélène de Montgeroult a été dénoncée pour activité anti révolutionnaire. La perquisition à son domicile n’a rien révélé. Pour Jérôme Dorival, une telle dénonciation menait à la guillotine. Il suppose que la marquise de Montgeroult bénéficiait de hautes protections.

Bien qu’aucun document n’atteste qu’elle a été déférée devant un tribunal, l’auteur reprend à son compte et pour vrai, un récit tardif, qui prétend qu’Hélène de Montgeroult a sauvé sa tête en improvisant au piano sur le thème de la Marseillaise, devant le tribunal révolutionnaire.

En croyant voir poindre un récit légendaire relatif à la personne d’Hélène de Montgeroult, l’auteur est en fait victime d’une réécriture légendaire de la Révolution française, teintée de réaction, de renouveau religieux et de romantisme, au milieu du XIXsiècle.

Pour être envoyé à l’échafaud, il fallait que le tribunal prouve l’activité anti révolutionnaire, même si les preuves, ténues, confondaient au plus fort de l’emballement, la critique du gouvernement avec une activité réellement anti patriotique. On ne peut pas dire comme on nous le propose que la Convention était un régime totalitaire. Ce qu’on peut dire est que la dénonciation n’a eu aucune suite, et qu’Hélène de montgeroult n’a pas été inquiétée par la justice. La scène du piano devant le tribunal est trop fantasque, pour qu’on puisse y porter foi sur un simple récit tardif.

Le fait qu’elle ait été réquisitionnée ne prouve pas qu’on la mettait ainsi à l’abri des représailles de la République (pour quelle raison ?), mais prouve la reconnaissance de sa haute utilité pour la Nation, et que l’art, dans l’esprit de la Convention, faisait partie de la richesse patrimoniale commune.

De même, le récit de sa visite — féerique, auprès d’un vieil organiste aveugle, en Allemagne, n’aurait pas dû être validé comme un fait attesté. Non seulement ce fait n’est pas documenté, mais encore il surgit d’un récit bien trop typé et stéréotypé.

Toujours pris dans ce mélange pas assez sérié, d’histoire, de mémoire collective, de réflexions personnelles actuelles, Jérôme Dorival traverse tout son récit avec une thèse sensiblement militante féministe : Madame de montgeroult n’accède pas à une brillante carrière musicale parce qu’elle est une femme.

Pourtant, rien ne dit qu’elle ait eu le projet ou l’envie de mener une telle carrière. Jérôme Dorival le signale au début de son livre : la carrière musicale, même si elle peut enrichir, n’est pas socialement gratifiante. Les artistes, particulièrement les femmes ont la réputation d’être des personnes de petite moralité.

La musique, la maîtrise d’un instrument de musique, accompagne une éducation de bonne société. Le prince Esterhazy jouait du Baryton avec Haydn, ou Frédéric-le-Grand de la flûte avec Quantz, mais il aurait été indécent pour un aristocrate de se donner en spectacle de manière professionnelle. De plus, à l’époque d’Hélène de montgeroult, le piano n’est pas encore techniquement capable d’affronter le concert. Il est un instrument de salon.

La question de l’égalité se pose tout à fait autrement pour Hélène de montgeroult, parce qu’elle est victime du mouvement d’émancipation de la Révolution, au cours de laquelle, justement, la société innove de manière spectaculaire sur ces questions d’égalité entre les personnes. On affirme l’égalité de droits à la naissance, et on en tire les conséquences, comme l’abolition de l’esclavage. Mais l’aristocrate y perd les droits et la supériorité de sa classe.

Ainsi, Hélène de montgeroult est la première femme à enseigner une classe d’hommes au Conservatoire national de musique en 1795. Il n’est pas certain que ce soit pour elle une promotion sociale, comme il n’est pas certain qu’elle ait souhaité l’égalité, elle qui était, de naissance, socialement (destinée à être) supérieure aux hommes du peuple.

La thèse d’une Hélène de montgeroult, précurseure du romantisme, nous semble de loin, plus porteuse (parce que musicale), bien que nous pensons qu’un tel mouvement esthétique a des racines plus profondes et plus collectives, qu’une source singulière, serait-elle géniale. Nous restons là un peu sur notre faim, puisque cette question, très présente dans le livre, n’est pas vraiment posée en grand, et que l’auteur ne semble retenir du romantisme que le goût pour les petites formes de genre, l’abandon de la forme sonate et la mélodie très chantante. Ce qui pourrait s’appliquer à Vivaldi pour le chant ou aux clavecinistes français du XVIIe siècle pour les pièces de genre courtes.

Mais indéniablement, comme celle de son élève Boëly, la musique d’Hélène de Montgeroult provoque une telle interrogation.

Malgré ces critiques assez sévères, le livre de Jérôme Dorival est sympathique, si le lecteur fait la part de ce qui ressort de l’étude solide d’histoire de ce qui appartient au libre essai. Peut-être aurait-il fallu séparer les deux genres qui ne font pas bon ménage.

Jean-Marc Warszawski
12 mars 2007


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