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Jean-Marc Warsawzski, juin 2006

Histoire de l'opéra italien en France (1752-1815) : héros et Héroïnes d'un roman théâtral

 FABIANO ANDREA, Histoire de l'opéra italien en France (12205-1815) : Héros et Héroïnes d'un roman théâtral.« Sciences de la musique - Séries Études », CNRS Éditions, Paris 2006 [295 p. ; ISBN : 2-271-06396-5 ; 28 €].

Le livre d'Andrea Fabiano ouvre de nouveaux paysages historiques et des perspectives qui donneront sans nul doute l'envie d'y aller voir et d'en discuter.

S'il imagine un lecteur un peu plus érudit que la moyenne en histoire politique et musicale pour pouvoir écrire un livre grand public, il reste que son « Histoire de l'Opéra italien en France » est tout à fait accessible, à la condition de se convaincre qu'au XVIIIe siècle, le goût pour l'opéra n'est pas une chose mondialement médiatisée, mais le fait de milieux restreints.

On pointe d'entrée la question essentielle de l'esthétique. Dès le milieu du XVIIe siècle, Mazarin introduit l'opéra italien dans un milieu social qui assiste à l'élaboration du grand classicisme théâtral français : la suprématie du poème dramatique servi par le jeu convaincant des acteurs et la scénographie en général. Au centre des préoccupations est la juste mesure entre merveilleux et vraisemblable, entre ce qu'on dit et ce qu'on fait voir, entre ce qu'on montre et ce qu'on évoque. Non seulement les livrets proposés par les Italiens ne répondent pas aux attentes, par leur dramaturgie et parce qu'on ne comprend pas l'italien, mais encore parce qu'il n'est pas certain qu'on puisse mettre tout un drame en musique sans dénaturer les qualitésdu texte, du moins sa perception. En fait, trop de choses semblent opposer dramaturgie et lyrisme. Au tournant des XVIIIe-XIXe siècles, le goût du public s'inverse (peut-être aussi se renouvelle-t-il), la musique est perçue comme autonome, autosuffisante et le texte comme un complément. Le plaisir de l'oreille triomphe sur celui de l'esprit classique.

En second lieu, on est frappé par la volonté sinon politique, du moins des politiques régnants, de Louis XIV à Bonaparte pour imposer sans relâche la présence d'un opéra italien auprès de la cour ou à Paris. Marie-Antoinette y est particulièrement active, mais nous avons du mal à lier son action en faveur des Italiens avec une lutte contre les privilèges comme il est proposé. On est de plus intrigué par la parenthèse un peu péjorative sur l'opéra patriotique pendant les événements révolutionnaires. Ce n'est pas qu'on pense que la Révolution française ait produit des chefs-d'œuvre en la matière, mais que cette idée de patriotisme méritait un peu plus, puisqu'elle sera essentielle dans l'opéra de Verdi, de Moussorgsky, de Janácek ou de Bartók, voire le nationalisme avec Wagner.

Une autre problématique centrale est celle d'une société bloquée par le système des privilèges confrontée à la montée en force d'entreprises marchandes ou financières de spectacles. On y voit les difficultés quand il s'agit d'espérer pouvoir ouvrir une salle consacrée à l'opéra italien. Il faudra même opposer au privilège de l'Académie royale celui du Monsieur, le frère du roi, qui peut ouvrir à son gré une salle de spectacles. On peut penser que le carcan dans lequel l'Ancien régime étouffe la libre entreprise est une des causes du déficit endémique des entreprises d'opéra italien. La chute de l'Ancien régime, au moins sur cette question, ne retourne pas la situation.

On a pensé à plusieurs reprises réunir l'opéra italien à l'Académie royale (l'opéra français). Mais, cela est peut-être difficile à imaginer de nos jours, les Français et les Italiens ne chantent pas de la même manière, et c'est une évidence, il aurait quand même fallu entretenir deux troupes. Le Souhait de Bonaparte, qui a largement subventionné l'opéra italien, était qu'il soit également une école pour les Français qui chantaient encore dans la tradition des maîtrises religieuses.

Là-dessus se greffent toutes les stratégies, la composition des troupes italiennes, l'utilisation de Goldoni, « Le molière italien ». Alors maître d'italien à la cour, on lui fait un véritable pont d'or et on l'utilise à contre emploi et comme autorité. Faut-il traduire des livrets français en italien pour avoir une structure dramatique souhaitée ? Ou l'inverse, pour comprendre les paroles ? Les politiques de programmation, les montages financiers dont on aura les détails sans les lourdeurs, etc.

Ce livre montre bien qu'il n'y a pas une chose « histoire » dont la machinerie engendrerait des événements. Il y a une société, des contradictions, des volontés humaines. L'introduction de l'opéra italien en France est volontaire, n'est pas une histoire au sens où il y aurait à découvrir des vérités arrêtées ou un dynamisme interne engendrant des causes et des effets. Il s'agit d'un élément de mouvement de société.

Non seulement ce livre impose un nouveau point de vue sur les paysages passés, une nouvelle table panoramique, il ouvre aussi des perspectives de réflexion et d'approfondissement sur les structures classiques et le goût des XVIIe-XVIIIe siècles, les personnes qui en sont concernées. Sur les bouleversements révolutionnaires, les déblocages sociétaux qui s'y opèrent, les contradictions qui s'y résolvent et d'autres qui s'y nouent, les longues périodes qui s'y achèvent, y passent ou en sont issues, les conséquences sur les arts de la scène et particulièrement la musique, sur des questions d'esthétique concernant la mise en musique de textes, le lyrisme, l'identitaire en musique, sur les rapports de la musique et de la politique, enfin tout ce qui va permettre à ce livre excellent des'accrocher en profondeur à une connaissance du passé qu'il renouvelle.

Jean-Marc Warsawzski
juin 2006

On trouvera deux chapitres du livre ici


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Mercredi 6 Mars, 2024