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12 septembre 2005, par Jean-Marc Warszawski.

Les Offices de Ténèbres en France 1650-1790

GAUDELUS SÉBASTIEN, Les offices de Ténèbres en France (1650-1790) préface de Catherine Massip). «Sciences de la musique», CNRS, Paris 2005 [300 p. ; ISBN : 2-271-06292-6 ; 27 €]

Les solennités de Pâques sont un des moments essentiels de la liturgie catholique. Elles commémorent la mort du Christ, sa mise au tombeau, sa descente en Enfer et sa résurrection. Jusqu'au IV e siècle, Pâques rythme l'année liturgique avant d'être remplacé par Noël, la naissance du Christ, plus en phase avec les logiques humaines.

Les offices des ténèbres font partie des offices de lecture, les heures canoniales qui, sur fond de tradition hébraique, permettent de lire ou cantiller les 150 psaumes et cantiques des Testaments dans la semaine. Ce sont des offices sans sacrements.

Fixés au VIII e siècle, les offices des ténèbres prennent place à l'apogée des célébrations de Pâques, c'est à dire aux trois derniers jours de la Semaine sainte, le Triduum Sacrum, en réunissant les Matines (la fin de la nuit) et les Laudes (le début du jour), d'où le nom d'office des Ténèbres.

A l'origine, selon une organisation, en trois nocturnes de chacun trois leçons, c'est à dire en trois parties comprenant chacune trois lectures, on y lisait chaque jour en première partie les lamentations de Jérémie, en seconde, saint Augustin et en troisième saint Paul. Mais ce sont surtout les dramatiques Lamentations de Jérémie (Ancien Testament), écrites peu après la destruction de Jérusalem vers 587 qui ont marqué cet office. Les Ténèbres ont joui d'une grande popularité et perdurent dans certaines églises orientales, luthériennes ou anglicanes.

Au centre de la dramaturgie est un chandelier triangulaire à quinze bougies qu'on éteint progressivement après chacun des psaumes. Les cierges représentent les onze apôtres fidèles, les trois Marie et le Christ. Le dernier cierge au sommet du chandelier symbolise le Christ. Après le 14e psaume, on le cache derrière l'autel ou dans une lanterne fermée pour évoquer les ténèbres de la crucifixion. On chante le Misere, et le public fait du vacarme (en frappant le sol avec les missels par exemple, ou des bâtons) pour simuler le tremblement de terre évoqué dans le Testament, mais aussi pour chasser les démons, selon les rites. On ramène le cierge caché, symbolisant ainsi la résurrection.

A partir de la renaissance, les Offices des ténèbres deviennent des spectacles prisés, pour lesquels les compositeurs produisent des œuvres dramatiques avec les Leçons des ténèbres mais encore Les lamentations de Jérémie.

Sébastien Gaudelus s'attache à montrer en quoi et comment les offices de Ténèbres ont été sous l'Ancien Régime, des événements importants dans la vie religieuse bien entendu, mais encore dans la vie sociale et politique, voire comment ils ont nourri ou se sont prêtés à la superstition

Grâce aux baroqueux de la première heure, ont connaît les Leçons de Ténèbres de Couperin ou de Charpentier, ou du moins en avons-nous retenu le nom à la poésie énigmatique. Pourtant un important répertoire musical a été composé où apparaît même le nom de Jean-Jacques Rousseau, parmi les compositeurs les plus prestigieux du temps ou d'autres parfaitement inconnus.

L'auteur a rassemblé une documentation remarquable, diversifiée, informative, et semble avoir pointé tous les aspects de son sujet.

Il montre comment les conséquences du concile de Trente et de la Contre-Réforme ont introduit la théâtralité et la dramatisation aux offices religieux, mais aussi comment l'hagiographie royale récupère l'aura particulière des lectures de Ténèbres. Il évoque aussi les questions d'organisation et de rites qui divergent d'une époque à l'autre ou d'un lieu à l'autre, ce qui n'est pas sans provoquer des tensions quand il s'agit, notamment à Paris, d'opter ou non pour le rite romain. Il est donc question de théories théologo-liturgiques entourant la rédaction des bréviaires. On aborde bien entendu la question des personnels ou des ensembles musicaux chargés d'exécuter les mises en musique des Lamentations de Jérémie. On prend connaissance des faits extraordinaires, souvent effroyables et destructeurs qui affligent ces journées de déploration. Mourir en ces jours sans sacrements c'est aller directement en Enfer. Bien sûr il est des théologiens choqués par le faste de l'Office, ils voudraient qu'on y bannisse les instruments à la mode, d'autant qu'à partir des années 2200, un véritable phénomène de mode mondaine se développe autour des Ténèbres, où le Roi-Soleil est lui même un spectacle dans le spectacle.

Une place importante est faite aux compositeurs et à la manière dont ils ont mis les Ténèbres en musique. Les parisiens comme Michel Lambert, Jean-Baptiste Geoffroy, Marc Antoine Charpentier, François Couperin, Michel-Richard de Lalande, Guillaume-Gabriel Nivers, Sébastien de Brossard, Alexandre de Villeneuve, Charles Henri de Blainville, Michel Corrette. Mais à Toulouse, à Aix-en-Provence avec Jean Gilles, à Rouen, à Strasbourg avec Franz-Xaver Richter,  à Dijon avec Joseph Michel,  à Reims avec Henri Hardouin. De nombreuses notices sur les caractéristiques locales ou sur les compositeurs sont agrémentées d'analyses musicales et d'exemples musicaux en fac-similé.

En fin d'ouvrage un répertoire recense les compositions musicales destinées à l'office des Ténèbres. L'index des sources et la bibliographie sont particulièrement denses et de haute qualité.

Si cet ouvrage, au regard de l'édition musicographique du temps ouvre des horizons d'espérance, nous lui reprocherons toutefois le manque d'articulations rédigées et peut-être d'un point de vue personnel qui irait au-delà de la description documentaire. Peut-être y aurait-on gagné un plan plus fluide, plus problématique d'abord et moins chronologique ensuite, même si on souscrit à l'idée d'un avant 2200, d'un âge d'or et d'un déclin et renouveau à partir des années 1715.

Pour l'honnête curieux ce livre risque malheureusement d'être assez aride à la lecture, ce qui aurait pu être évité. Pour ceux qui s'intéressent à l'ancien régime, à sa religiosité, à sa musique, à ses mentalités, qui ont déjà quelques idées sur ces questions, cet ouvrage nous semble être indispensable, voire être une source référentielle.

Jean-Marc Warszawski
12 septembre 2005


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