bandeau texte musicologie
Ricardo Garcia Lopes —— 2012

Les origines de la fugue BWV 1005 : une influence inédite, directe ou indirecte, de Frescobaldi dans l'œuvre de J.-S. Bach. Argumentation

Ce travail est dédié à ma bien-aimée Débora qui m'a fait découvrir les anciens cantiques de la liturgie luthérienne. 2007-2010.

Remerciements à : Bernhard Billeter, Gilles Cantagrel, Nicolas Carrupt, Andrès Miguel Jan Frédéric et Débora Kapp, Yves Keler, Père Hermann Josef Loup, Luigi Ferdinando Tagliavini, Peter Williams, Jean Claude Zehnder .

Dès 2008 cet essai a été soumis à la critique de musicologues. Nous en avons tirés quelques extraits ci-dessous. D'autres citations proviennent de lettres de recommandation.

J'ai lu cet essai avec beaucoup d'intérêt et je peux assurer que c'est un travail très valable et assidu. M. Garcia montre dans son travail un esprit critique et l'habitude d'une recherche scientifique. Il déclare son opinion sur tous les textes qu'il cite. Il les combine à une analyse nouvelle de ce chef d'œuvre…

Bernhard Billeter

…Vous manifestez dans cette étude d'une vaste connaissance de la bibliographie actuelle, ainsi que des œuvres musicales auxquelles il est possible de rattacher le célèbre motif. Celui-ci n'apparaît plus de façon isolée, mais tout au contraire dans un vaste contexte et en résonance avec la musique de Frescobaldi, ce qui me semble un point neuf et profondément juste.

Loin de vous satisfaire de conclusions hâtives et hasardeuses, vous faites preuve dans votre démarche d'une rigueur intellectuelle et de précautions méthodologiques que j'ai vivement appréciées…

Gilles Cantagrel

I found your work very interesting and musical: congratulations! …You point out many resemblances of certain relevance (e.g. those in Frescobaldi's Fiori) that are worth making. … I learnt something from your examples, for which I thank you. … I think Bach-scholars should make more recognition of Frescobaldi…

Peter Williams

notes - sources et bibliographie - partitions - sites

Présentation

Pour appuyer l'idée de l'influence de Frescobaldi dans la Fugue BWV 1005/2, nous avons tout d'abord procédé à l'analyse de l'œuvre au sein des Sonatas et Partitas pour violon solo. Nous avons étudié le travail déjà réalisé, y compris en ce qui concerne la datation et avons mesuré l'importance de celle-ci pour notre proposition. Nous constaterons que la Fugue BWV 1005 fait référence à des œuvres plus anciennes, ce qui suggère une ou plusieurs influences.

Nous démontrerons, par l'analyse stylistique et thématique, sa filiation dans la tradition de Frescobaldi, au sein de la famille des styles anciens pratiqués par J.S.Bach. Nous avons répertorié les œuvres de Bach où; l'influence de Frescobaldi a été proposée ou encore, où; elle pourrait être envisagée. Nous avons catalogué un nombre suffisamment représentatif d'œuvres de Bach où; des motifs semblables à ceux de la fugue BWV 1005/2 apparaissent, et avons constaté la cohérence stylistique de ces choix — néanmoins, nous ne pouvons, ni ne voulons imputer à la seule influence de Frescobaldi la totalité de ces traits. Nous constaterons l'utilisation de motifs et de procédés de composition comparables dans des œuvres d'autres compositeurs ayant écrit dans la tradition de Frescobaldi et dont Bach a eu connaissance de façon avérée ou très probable.

Nous analyserons les sources qui relient le sujet de la fugue BWV 1005/2 au choral « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott ». Nous avons étudié les origines de ce Choral et exposerons les arguments pour et contre cette filiation. Nous avons étudié la pratique liturgique de J.S.Bach et constaterons, ainsi, la cohérence entre la proposition de Spitta basée sur les écrits de Mattheson et notre propre proposition.

Nous démontrerons qu'il existe la possibilité d'une influence plus étendue de Frescobaldi au sein des sonates pour violon. Nous avons étudié les œuvres de Frescobaldi et avons centré notre travail essentiellement sur les Fiori Musicali — œuvre dont il est certain que Bach possédait une copie, probablement de sa propre main, et dont l'influence a marqué son œuvre de façon incontestée.

Nous avons fait une analyse critique des sources et des ouvrages sur lesquels nous avons bâti notre étude et en fin de parcours, nous avons présenté ce travail à des musicologues de renom qui nous ont apporté leur concours, qui ont exprimé leur accord et, plus rarement, leur désaccord, que nous avons pris en compte et signalé dans le texte. Nous les remercierons en fin de travail et citerons leurs noms à côté de ceux qui ont apporté leur aide à la traduction, à la mise en forme et à la correction.

Nous agrémentons notre argumentation par des exemples musicaux. Nous devons toutefois faire une mise en garde concernant ces représentations : elles illustrent nos propos pour un procédé d'écriture ou encore, pour une ressemblance stylistique ou thématique ; il ne s'agit en aucun cas d'une liaison directe ou de cause à effet entre deux exemples choisis. Cela serait un raccourci qui exagérerait les propos qu'ils sont censés illustrer.

Au regard des multiples développements de notre sujet d'étude nous avons décidé de reléguer aux notes une partie importante du locus exemplorum au bénéfice de la clarté du discours. Ainsi donnons-nous aux notes un rôle actif dans l'argumentation, en plus de leur fonction liée aux citations bibliographiques. Nous présenterons nos conclusions avant le coda (complément d'information). La dernière partie (conclusion) est surtout dédiée à la critique des sources ainsi qu'à une réflexion sur les limites de notre démarche.

Argumentation

Veni Sancte Spiritus

C'est de ce très ancien thème latin que Bach s'est inspiré pour la fugue BWV 1005. Ce thème avait, sans aucun doute, une grande signification pour Bach, au vu du nombre d'utilisations et des formes qu'il a adoptées dans ses compositions.

Ce chant remonterait à la fin du xiie siècle, à Stephen Langton (1150-1228), voire à Robert II le Pieux ou même au Pape Innocent III. Par la suite, divers compositeurs l'ont repris, de la Renaissance à nos jours. Citons, jusqu'à l'époque de Bach : John Dunstable (1390-1453), Palestrina (1525-1594), Jacobus Gallus (1550-1591), Heinrich Schütz (1585-1672), Dietrich Buxtehude (v. 1637-1707), Georg Philip Telemann (1681-1767), Johann Ludwig Krebs (1713-1780), et bien d'autres. À la Réforme, Luther y rajoute deux versets et Johann Walter (1496-1570) l'harmonise avec une nouvelle mélodie sous le titre « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott ». Le recueil paraît en 15241.

J.S.Bach l'a repris à son tour pour en faire un thème de la foi et un thème de dialogue ou d'antagonisme. Le terme de dialogus désignait les œuvres dans lesquelles s'opposent allégoriquement deux entités : l'âme et Jésus ou encore la crainte et l'espérance2. Nous voyons déjà le conflit annoncé entre le sujet de caractère déterminé de la fugue BWV 1005 et son contresujet en gamme chromatique descendante. Cependant, dans les œuvres où; ce thème se présente, le contresujet de la fugue est absent.

Bach emploie ce choral, ou son thème, dans les cantates de Pentecôte BWV 59/3, BWV 172/5, BWV 175/7, le motet BWV 226/3 et dans les chorals pour orgue BWV 651 et 652, du recueil de Leipzig (BWV 651-667/8) qui commence et se termine au nom du Saint Esprit (BWV 667)3.

Dans les cantates 59, 175 ainsi que dans le motet 226, un chœur à quatre voix entonne le choral mais l'harmonisation a été retravaillée. Dans la cantate 172, qui est un concerto en dialogue4, le thème est confié à l'oboa d'amore5 en cantus firmus. Cet instrument, qui venait d'être inventé, intervient avec un violoncelle obligé dans un duo où; dialoguent l'âme (soprano) et le Saint Esprit (contralto). Il s'agit d'un vrai quatuor où; les instruments commentent le texte chanté.

Les chorals pour orgue adoptent le thème de la façon suivante : le choral BWV 651 présente le thème « sur cantus firmus et in organo pleno, dans le style d'une toccata (ou prélude) virtuose. Mais la conception en est pourtant rigoureusement polyphonique… avec l'intention, dans ce cas précis, de fournir un caractère de style concertant à une entité musicale liturgique »6. Le choral BWV 652 alio modo est écrit à trois temps, à la française et en rythme de sarabande. Bach aurait peut-être signé le thème de son nom, en l'exposant avec 14 notes7. Ces chorals ont été réadaptés à Leipzig à partir des versions BWV 651a et 652a, composées à Weimar.

Soulignons, au sujet du Saint Esprit, que Bach a travaillé également sur les thèmes « Nun bitten wir den Heiligen Geist », « Komm, Gott Schöpfer, Heiliger Geist », « Kyrie Gott, Heiliger Geist », « Cum Sancto Spiritu ». Dans les versions du choral « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott », Bach introduit une variante, par rapport à celle de Walter, sur laquelle il tablera ses changements :

/

Outre le renversement, le motif « A » se présente sous la forme « A' » qui est une variante de « A » inversus (voir Ex. 43). L'observation de motifs comparables à ceux du sujet de la fugue BWV 1005 dans d'autres œuvres du compositeur est très instructive8.

L'affirmation disant que le sujet de la fugue BWV 1005 est « inspiré » du choral du Saint Esprit est soutenue par bon nombre de musicologues. Cependant, la façon dont Bach l'expose appelle quelques remarques :

— Toutes les versions ci-dessus respectent les intervalles du choral, et cela malgré les variations. Cela n'est pas le cas de la fugue.

— Ces mêmes versions achèvent l'exposition du thème suivant le modèle de Walter, alors que le sujet de la fugue comporte encore quelques notes. Elles constituent une deuxième partie du sujet qui commence à la note la plus grave (motif « B »).

— Dans les versions de Bach, comme chez Walter, le thème fait un « temps d'arrêt » à la note la plus grave ; encore une fois ce n'est pas le cas dans la fugue.

— Le contresujet en gamme chromatique n'apparaît dans aucune autre version, et même le concerto en dialogue BWV 172 n'en trouve pas usage. Par ailleurs, même si Alfred Dürr souligne que dans la version BWV 172, l'ornementation de la mélodie rend le thème à peine reconnaissable (voir note 5), celui-ci respecte les points ci-dessus.

Jusqu'ici, la connaissance de différentes versions de ce thème par d'autres compositeurs ne nous en append pas davantage, comme nous le montre cette version de Dietrich Buxtehude9 :

BuxtehudeBux WV 200. Ex. 8Exemple

Avant Bach, il y avait dans la partie centrale de l'Allemagne une tendance musicale à composer sur

des chorals d'église en prenant pour thème l'ensemble ou une partie de la mélodie. Ces formes, initiées par Sweelinck selon Bukofzer, développées par Scheidt et ayant bénéficié des innovations italiennes — particulièrement l'influence directe ou indirecte de Frescobaldi10, étaient pratiquées par un groupe de compositeurs autour de Pachelbel et perpétuées notamment par Johann Gottfried Walther (1684-1748). Il s'agit des œuvres pour orgue qu'Alberto Basso a résumées dans le tableau suivant11 :

À la lumière de cette précision, les différences soulignées plus haut pourraient en partie s'expliquer puisque, à part la fugue, toutes les variantes instrumentales exposent le thème en cantus firmus. Forkel émet l'hypothèse que les sonatas pour violon aient pu être destinées à une exécution liturgique12. Cela soutient l'idée que le sujet de la fugue serait inspiré de ce choral, ou alors, d'une autre œuvre liturgique.

Le premier motif du sujet de la fugue BWV 1005 (motif « A »), que nous appellerons arbitrairement, sans connotation figurative et par commodité de langage, « le thème du Saint Esprit » est aussi présent dans une des deux mélodies du choral « Aus tiefer Noth schrei'ich zu Dir » du recueil de 1524.

/Exemple 9.

Bach a repris ce choral dans la cantate BWV 38 (mouvements 1 et 6) et son thème dans les chorals pour orgue BWV 686 et 687. Ceci n'est certainement pas à l'origine de la fugue BWV 1005. Cet exemple a une meilleure approche rythmique que le choral « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott » mais son caractère se trouve d'avantage éloigné de celui-là. Il ne correspond pas non plus à la définition donnée par Mattheson, ce qui semble également exclure le choral « An Wasserflüssen Babylon » (voir note 46). Néanmoins, dans le choral pour orgue BWV 687, Bach utilise le renversement13.

bach
Exemple 10.

Ce choral avait déjà été traité par J.C.F. Fischer en 1702. Fischer écrit ce thème à l'ancienne et en mode phrygien14. Ce compositeur semble avoir inspiré Bach dans d'autres conditions.

bach
Exemple 11.

Alberto Basso nous fait aussi remarquer que la date de 1720 indiquée dans le manuscrit original de Sonatas et Partitas, ainsi que l'indication « premier livre », suggèrent un regroupement. Quelques unes de ces œuvres pourraient avoir été composées à la fin de la période de Weimar. Wolff, Hausswald et Gerber n'excluent pas cette hypothèse et ces derniers soulignent l'extrême soin porté à l'écriture du manuscrit, ce qui conforte l'idée d'un regroupement. Le fait que le violon ait été le premier instrument « professionnel » de Bach ainsi que sa rencontre avec les violonistes Westhoff (qu'il aurait connu en 1703) et Pisendel (voir note 48) à Weimar, incitent à soutenir cette hypothèse. Pour compléter ce tableau concernant la datation, signalons que la fugue BWV 1005 pourrait être l'une des premières compositions pour violon solo. D'abord « parce qu'elle était connue de Johann Mattheson (1681-1764) à une époque où il ignorait encore les sonates pour violon seul»15. Ensuite, les sonatas et partitas ont une progression tonale par échelle de quintes (do, sol, re, la, mi, si), ce qui placerait la sonata iii au début de l'ensemble.

Écrite allabreve, en forme da capo et à la façon d'un ricercare, la fugue BWV 1005 utilise notamment des éléments rythmiques et mélodiques typiques d'un style archaïque utilisé périodiquement par J.-S.Bach. Son traitement polyphonique est à la fois ancien et moderne faisant souvent appel à « l'homophonie cachée » ou « polyphonie latente », plus appropriée (mais pas exclusive) au langage instrumental du violon. Sa structure est en quatre sections. Chacune est divisée en deux parties. La première est écrite dans un style contrapuntique hérité des maîtres de la Renaissance italienne, suivi d'un développement en forme de fantaisie. Le renversement du sujet entame la troisième section. La dernière est une reprise que Bach a pris la peine d'écrire en toutes notes, malgré ses problèmes de papier, repoussant à la marge du manuscrit la fin du Largo suivant. Cela démontre l'importance de cet agencement. Signalons que, dans la première partie, Bach combine des éléments propres aux deux types d'écriture. Nous reviendrons sur cette structure à la note 32. Soulignons qu'avec le renversement et le Da Capo, certains chercheurs relient les deux premières sections pour aboutir à une structure tripartite. Remarquons encore que cette fugue est la plus évoluée des fugues pour violon. Elle comporte, parmi d'autres procédés, le renversement, des fausses entrées, des expositions en strette, en strette serré, en augmentation et même en diminution sous forme de fantaisie. Un deuxième contre-sujet se joint au discours et le contrepoint progresse jusqu'à la combinaison de trois entités thématiques dans le Da Capo. L'utilisation de certains de ces procédés est limitée, certainement à cause du choix de l'instrument. Néanmoins ils sont là et leur emploi est caractérisé. En effet, la manière dont tout cela est fait concerne directement notre étude. Cette fugue est également la plus longue que Bach ait composée. Cela ne prouve rien concernant sa datation, mais pourrait laisser supposer un remaniement. Si cette fugue est écrite à la façon d'un ricercare, celle en sol mineur utilise des motifs typiques de canzones. Nous reviendrons sur les spécificités de ces deux formes.

Au sujet du chromatisme des fugues pour violon, il est à relever que celui de la Fugue en sol mineur — qui est, par ailleurs, présenté sous différentes facettes — est essentiellement un chromatisme d'expression. Par analogie, cet aspect du chromatisme semble moins évident dans les deux autres fugues. Pourtant, le chromatisme en forme de quarte chromatique, qui est du même type que celui utilisé dans la Fugue BWV 1005, est aussi utilisé dans la Fugue BWV 1001 aux mesures 30-31, 75-76, et 83-84. Dans les mesures 30-31 et 75-76, ce modèle accompagne un autre motif chromatique, écrit en forme de pas et caractérisé par son figuralisme expressif. Ce même dessin chromatique écrit en forme de pas, on le retrouve par ailleurs, mais de façon anecdotique et certainement fortuite — bien que d'une conformité étonnante — dans le RV 565/3 de Vivaldi dans les mesures 4-5, etc.16. Signalons que dans les mesures 83-84, Bach laisse une rare imprécision, un bémol mal placé qui est souvent mal interprété dans les éditions actuelles, qu'il corrige dans la version BWV 539.

Lorsqu'on compare le chromatisme de la fugue BWV 1003 à celui de la BWV 1005, on constate une différence de conception, malgré la ressemblance, par endroit, du jeu contrapuntique. Le premier, construit dans l'intervalle d'une tierce mais à la façon d'un tétracorde, est une juxtaposition linéaire de la répétition du motif, alors que le chromatisme de la fugue BWV 1005 est celui que Williams appelle chromatic fourth. Le premier agit notamment comme élément permettant la progression harmonique et la modulation. Dans la fugue en do majeur, cette fonction est assurée mais elle semble moins appuyée. Dans une certaine mesure, compte tenu de l'équilibre structurel dont Bach empreigne son écriture, le rôle du chromatisme paraît, ici, plus horizontal que vertical et le contrepoint dirige l'harmonie. Cela est dû à la dynamique du couple « sujet/contresujet ».

À une époque où l'on nommait chaque figure mélodique, où l'on conférait des états d'âme aux intervalles et des caractères aux accords, où l'on qualifiait les modes puis les tons, une époque où l'on détaillait de longues listes de types de fugues, où l'on pratiquait le figuralisme musical et les symbolismes de toutes natures, où l'on était à la fois désireux de nouveautés et respectueux des traditions et où l'on débattait en public au sujet de la rhétorique musicale, c'est peu dire que Bach faisait preuve de cohérence stylistique et que ses choix thématiques étaient pertinents. Le fait que Bach ait érigé en sujet de fugue des motifs aussi simples que les motifs « A » et « B » n'est pas anodin. Des modèles analogues à ces dessins mélodiques sont très anciens. Ils étaient généralement courts, écrits en mouvement conjoint et de faible ambitus : souvent compris dans l'intervalle d'une quarte. Dès la fin de la Renaissance, lorsque les motifs chromatiques ont pu faire leur apparition —  du tétracorde grec à la quarte chromatique, ceux-ci se sont combinés avec des motifs diatoniques et ont été, tous ou presque, composés dans un strict contrepoint. Ces combinaisons ont été renouvelées tout le long du xviie siècle. Signalons encore que, pour beaucoup d'entre elles, le rôle de sujet principal était attribué au motif chromatique.

Au regard de la personnalité de Bach, de sa culture musicale et de son adhésion revendiquée aux prescriptions qui régissent une musique « bien réglée », nous ne pouvons considérer son choix thématique ainsi que le traitement adopté, comme étant le résultat d'une coïncidence. La fugue BWV 1005/2 serait comme l'aboutissement d'une très vieille idée, au sens large naturellement, que Bach s'approprie à son tour. Il s'inscrit volontairement dans une tradition et réalise tous les développements possibles dans une optique choisie — d'où l'impressionnante envergure de l'œuvre.

Dès la période de Lunebourg, Bach a pu rencontrer des exemples parmi les plus anciens, mais la date de composition de la fugue BWV 1005, officielle ou supposée, parmi d'autres raisons, la rapproche d'autres modèles. La période de Weimar a apporté à Bach la connaissance d'un grand nombre d'œuvres italiennes17. Un compositeur italien était particulièrement apprécié de Bach : Girolamo Frescobaldi (1583-1643). Une lettre de C. P. Emanuel Bach à Forkel cite, entre autres, Froberger, Pachelbel, Fischer et Frescobaldi18.

En 1714, Bach a fait une copie des Fiori Musicali qui avait paru en 1635. Dans une phrase qui malheureusement n'est plus d'actualité, Albert Schweitzer témoigne à la suite de Philipp Spitta : « Cette copie existe encore avec la signature J. S. Bach 1714 »19. De cette œuvre, Bach a fait un modèle contrapuntique, notamment pour les compositions d'orgue. La lecture assidue de Frescobaldi transparaît dans un style archaïque, dans un « contrepoint rigoureux et serré, mais souvent aéré de divertissements »20, comme par exemple, dans les fugues BWV 534, 538, 540, 545. Ces exemples ne concernent que la période de Weimar. D'autres exemples sont donnés à la note 20. Ce qui distingue la copie des Fiori d'autres travaux de la période de Weimar qui sont liés aux italiens, c'est essentiellement le fait que cette œuvre garde la liaison avec la tradition polyphonique héritée de la Renaissance et qu'elle intègre les audacieux changements du début de l'ère baroque.

Pour préciser l'importance du style ancien dans la musique de J.- S. Bach, Alberto Basso souligne que Bach a bâti son œuvre sur « les vastes fondations creusées par le culte luthérien et par la tradition du style antiquus »21. Christoph Wolff analyse cette écriture à l'ancienne, indique les compositeurs liés à celle-ci et définit des sous-groupes. Parmi les termes courants de l'époque baroque il y a : style ecclésiastique, motecticus, canonicus, a cappella, contrapuntique, etc., avec des extensions et simplifications possibles selon l'auteur. L'ancien style et le nouveau style étaient également appelés stylus gravis et stylus luxurians, ou encore prima et seconda prattica22. Si nous comparons, par exemple, la fugue BWV 1005 à la fugue BWV 998/2 pour luth ou clavecin, nous constatons d'abord quelques similitudes : le sujet de la fugue pour luth est également composé avec deux motifs écrits alla diritta ; sa structure est bâtie sur des sections ; elle est aussi et surtout une des très rares fugues écrites en forme Da Capo. Ces caractéristiques ne masquent pourtant pas une différence de conception stylistique. La fugue BWV 998 présente des éléments harmoniques comme, par exemple, dans les mesures 11, 25, 26, 27, où les dissonances trouvent une justification en elles-mêmes pour leur apport expressif et une écriture polyphonique caractérisée, comme dans les mesures 30 et suivantes. Ces procédés sont d'excellents exemples du style luxuriant. L'œuvre a été composée au goût de l'époque (vers 1735) et est citée par Wolff comme un exemple de l'habitude qu'avait Bach d'écrire aussi en style moderne. En effet, Bach était sensible aux critiques de Scheibe, alors même que la dernière décennie de sa vie a été marquée par le respect et l'affirmation de la tradition (concernant Scheibe, voir note 41, concernant la fugue BWV 998, voir note 51). Rien de cela dans la fugue BWV 1005 où les dissonances sont, certes, « musicalement expressives » mais strictement issues du jeu contrapuntique ; son type d'écriture se rapproche d'avantage, par exemple, de celui de la fugue BWV 540 déjà citée ou encore de celui du ricercar à 6 de l'Offrande Musicale, plutôt que de celui de la fugue BWV 998, malgré la ressemblance structurelle avec celle-ci.

Christoph Wolff fait la distinction entre les différents types de styles anciens soit, succinctement, le stile antico au sens restreint, principalement basé sur les œuvres polyphoniques vocales « alla Palestrina », et au sens général comprenant par exemple, les fugues de type ricercare ou simplement le style contrapuntique de type archaïque. Ceci pourrait être la raison pour laquelle la fugue BWV 1005 n'est pas citée dans son ouvrage sur le stile antico; pas plus que les toccatas BWV 910 et 914 dont certaines sections sont écrites, selon Basso (voir note 20), « dans l'esprit de Frescobaldi » pour la première toccata, « avec des réminiscences frescobaldiennes », pour la deuxième. Wolff décrit également les éléments généraux caractéristiques du style qu'il nomma allabreve. Parmi ses exemples, il y a l'écriture allabreve comme cadre général, l'utilisation prioritaire des valeurs larges, l'aspect serré du contrepoint, l'étirement des voix en forme de syncopes, l'utilisation d'intervalles proches ou excessifs dans la mélodie, la périodicité métrique des thèmes, la relation entre le sujet et le contre-sujet, conçue comme un élément moteur. Cette écriture reste néanmoins « moderne » et dans le cadre de son style personnel. Nous trouvons dans la fugue BWV 1005 un certain nombre de ces caractéristiques. Elles démontrent l'appartenance à un type d'écriture, certes ancienne et d'aspect archaïque, mais traditionnelle du langage contrapuntique de l'époque comprenant certaines caractéristiques italiennes.

Dans la famille de styles anciens, le type de contrepoint de la fugue BWV 1005 se réfère d'avantage — pour prendre un exemple bien connu — à celui de la version pour cantate du choral « Aus Tiefer noth », BWV 38 de type contrapunctus simplex, qu'à celui de la version pour orgue (BWV 686) du même choral, de type contrapunctus floridus et qui est un des plus beaux exemples du stile antico de J.-S.Bach. Concernant les versions BWV 38 et BWV 686 voir note 23 ; concernant la version 687, voir exemples 10 et 11.

Il est aussi possible de comparer les sections de la fugue BWV 1005, notamment la partie al riverso, avec le mouvement fugué de la toccata BWV 913/2 dont la date de conception devrait être proche de celle de la canzona BWV 588.

Christoph Wolff souligne que le stile antico est particulièrement marqué dans les œuvres tardives et notamment dans celles ayant un caractère sacré ; œuvres où le compositeur d'âge mûr utilise intentionnellement et principalement un langage plutôt inspiré de Palestrina que de celui, sévère, de l'art du ricercare de Frescobaldi, Pachelbel et Kerll, présent dans les fugues pour orgue de Weimar déjà évoquées23. Ainsi, l'expression « style ancien » utilisée dans ce texte doit être comprise au sens large. Les précisions de Christoph Wolff semblent être en accord avec la constatation de l'influence de Frescobaldi dans la fugue BWV 1005. C'est précisément cette influence, son constat et sa délimitation qui constituent la nouveauté apportée par les propos de ce texte. En effet, si jusqu'à présent la cohérence de nos propos peut sembler aussi naturelle qu'elle paraît anodine, et bien que des musicologues tels que Wolff, Basso, Spitta, Williams entre autres, livrent des éléments allant dans le sens de notre raisonnement, nous n'avons trouvé tout le long de nos recherches ni une étude qui nous aurait précédé, ni une autre qui nous aurait contredit.

En 1895, André Pirro avait déjà proposé la liaison entre le sujet de la canzona en re mineur BWV 588 et un thème de Frescobaldi. D'autres auteurs ont repris l'exemple en évoquant les pièces des Fiori ou seulement le nom de Frescobaldi24. Voici ses mots :

« Le thème de la canzone se trouve dans la Canzon dopo l'Epistola della Madonna. »

bachExemple 12.

« Le contre-sujet chromatique se rencontre aussi dans les Fiori Musicali, dans le Christie delli Apostoli » :

Exemple 13. Frescobaldi

Exemple 14. Bach

André Pirro, en racontant le contre-sujet de la canzone de Bach, propose qu'« en croyant s'inspirer des italiens, Bach ne faisait que suivre les traditions de Sweelinck, qui lui avait déjà fourni d'illustres exemples. Frescobaldi, en effet, s'était approprié ces ressources pendant son séjour dans les Flandres: il les tenait peut-être de Sweelinck lui-même, qu'il dut connaître à Amsterdam. Une fantaisie de Sweelinck est composée tout entière sur cette variation du tétrachorde ».

bach Exemple 15.

« On peut rapprocher le contrepoint dont il l'accompagne de ceux de Frescobaldi et de Bach »

bachExemple 1625

Ce qui a échappé au musicologue, c'est la ressemblance tout aussi éloquente avec le sujet de la fugue BWV 1005 puis avec le même contresujet. Philipp Spitta avait pourtant déjà signalé l'analogie entre la canzona BWV 588 et la fugue BWV 1005, sans pour autant faire la liaison entre la fugue et les Fiori Musicali (voir note 26). Ainsi, avec les mêmes notes de la Canzona pour orgue, Bach écrit-il la Fugue pour violon (Ex. 17 et 18) :

garcia lopes fugue bwv 1005 Exemples 17 et 18.

Spitta ajoute néanmoins qu'il existe aussi une similitude entre le premier motif de la fugue BWV 1005 et celui d'une fugue de Pachelbel, en plus de la canzona de Bach26. Des thèmes analogues au premier motif de la fugue BWV 1005 et de son contre sujet, sont aussi présents dans le ricercare en do mineur (Ex.19 et 20), parmi d'autres œuvres de Pachelbel27.

LOpes fugue bwv 1005 Exemple 19. Ricercare, mesures 112 et suivantes.

Exemple 20. Mesures 128 et suivantes.

Nous connaissons l'intérêt que le jeune Bach avait démontré pour les œuvres de Pachelbel et il est naturel qu'il ait voulu connaître les sources qui ont inspiré ce Maître. Or, ce que les exemples de Sweelinck, mais surtout de Pachelbel et de Froberger ont en commun, c'est justement qu'ils nous amènent à Frescobaldi. Ce motif est une constante dans les Fiori et il revient sous plusieurs formes :

Comme sujet principal,

Exemple 21. Canzon dopo l'Epistola della domenica.

Comme contre-sujet,

Exemple 22. Canzon dopo l'Epistola della Madonna.

Comme cela a déjà été observé chez J.S.Bach, l'utilisation de ce motif comme sujet et comme contre-sujet chez Frescobaldi n'est pas sans importance. Nous ne pouvons le considérer, dans ce cas précis, uniquement comme un trait d'écriture. Ces pièces ont la même fonction liturgique et ces motifs (Ex. 21 et 22) ont des fonctions thématiques complémentaires. Dans la Canzon dopo l'Epistola della Madonna le motif est même exposé sous les deux aspects rythmiques dans les mesures 17 à 19, où le premier se présente en tant que « diminution » du second (voir note 29). Pirro avait déjà observé cela.

Dans le Recercar dopo il Credo della Madonna, le motif apparaît rectus puis, inversus et en présence du sujet chromatique.

Exemple 23.

Dans le même Recercar.


Exemple 24.

Le motif « B » de la fugue BWV 1005 ressemble au contre-sujet du Recercar dopo il Credo della Domenica qui suit directement la Canzon dopo l'Epistola. Ex.25 :


Exemple 25.


Exemple 26. Christe alio modo della Domenica.


Exemple 27. Kyrie delle apostoli.


Exemple 28. fugue BWV 1005, mesure 3.


Exemple 29. Fugue BWV 1005, mesure 96.

L'enchaînement linéaire de ces thèmes ainsi que leurs diverses variations sont caractéristiques du langage mélodique et polyphonique de Frescobaldi qui, comme dit A. Machabey, « tout en s'enfermant dans des cadres traditionnels et rigoureux, conserve cependant le maximum d'indépendance à leur égard et donne la prééminence à la musique sur la règle ». On observe également cette liberté d'écriture à travers la technique de inganno, ou des techniques issues de celle-ci, comme cela a été remarqué par Jackson28.

Dans « la grande Fugue », une part du développement est consacrée prioritairement au motif « B ». Citons notamment les mesures 115 à 147. En procédant à des modulations en pleine exposition (mesures 96 et 102) et en préservant une certaine liberté formelle par rapport à son propre sujet, Bach rend hommage, dans un système tonal, à des procédés anciens qu'affectionne Frescobaldi. Ainsi par exemple, dans la mesure 101, les motifs « A » et « B » sont exposés en contrepoint. Dans les mesures 101-102, le motif « A » est transformé par une sorte de technique de inganno, et le motif « B » par la modulation. Dans cette exposition, le sujet est condensé par la suppression de la mesure intermédiaire (Ex. 30).


Exemple 30. Fugue BWV 1005, mesures 101-102.

Dans la Canzon doppo l'Epistola della Domenica, Frescobaldi introduit un nouveau sujet dans la section ternaire. Spitta avait souligné la présence d'un motif similaire dans la fugue BWV 1005 aux mesures 135, 136 et a signalé les répétitions de ce sujet aux mesures 293, 294 (Ex. 31).

bwv 1005
Exemple 31.

Le compositeur renverse également ce motif dans chaque voix aux mesures 209, 213, 217, 220 et 223, ce qui démontre si besoin est que, pour plus élémentaire qu'un motif puisse être, sa présence est toujours justifiée. Cette manière très singulière de traiter les sujets est une des caractéristiques des œuvres du Kappellmeister.

Or, l'importance de cet exemple réside moins évidemment dans la ressemblance thématique que dans l'introduction même des nouveaux motifs. Bach l'introduit dans la mesure 135 (Ex. 31) comme contre-sujet, technique proche de Sweelinck et de Froberger. Il le combine avec le chromatisme dans les mesures 213 et 217. Dans ces expositions, le motif chromatique est seulement suggéré par des séries de un et de deux demi-tons. Dans les mesures 293-294, le sujet est exposé en présence de deux contre-sujets à la façon de triple fugues. Plus que les mouvements des voix, cette exposition constitue la raison principale pour laquelle Bach a écrit le Da Capo en toutes notes. Ce Da Capo est bien plus qu'une simple reprise. Il justifie la parenté entre les deux langages du ricercare et affirme avec conviction la complémentarité de l'ancien et du moderne dans les deux.

Les divers motifs présents dans la fugue BWV 1005 sont assez fréquents et généralement utilisés par d'autres compositeurs, soit comme sujet, soit comme partie libre, le plus souvent comme une caractéristique du langage mélodique à l'ancienne ou alors surgissant de manière inopinée, sans la logique de construction qui caractérise le langage musical de J.S. Bach. Malgré leur constance, ces motifs ne se retrouvent pas tous à la fois dans les exemples « candidats ». À la différence des œeuvres de Sweelinck, Scheidt, Froberger, Buxtehude, Pachelbel, Grigny entre autres, ainsi que les œuvres citées par Christoph Wolff (voir notes 27 et 55), et même celles de Frescobaldi (voir note 56), seules les Fiori Musicali fournissent un ensemble de sujets analogues à ceux utilisés dans la Fugue pour violon, en plus du style ancien qui, à sa façon, est aussi empreint de modernisme. Concernant le cantique « Komm, Heiliger Geist », la situation est plus complexe (Ex.63, notes 46 et 52).

Dans les Fiori Musicali, ces motifs sont encore présents au premier Kyrie, au troisième Christe, le Christe a tre della Domenica, au premier, deuxième, troisième et sixième Kyrie delli Apostoli, le Recercar cromatico post il Credo, le Recercar con obligo del Basso come appare et le Altro Recercar delli Apostoli, ainsi que le premier Kyrie della Madonna. Ces répétitions ne sont pas aléatoires, mais quel est leur degré de parenté ? Les thèmes des versets émanent directement du chant grégorien dont ils en font le cantus firmus. Les Fiori sont destinées aux trois messes : In Dominicis infra annum (Messa della Domenica ou Orbis Factor du Graduale Triplex), In Festis duplicibus (Messa degli Apostoli ou Cunctipotens genitor Deus du G.T.), In Festis Mariae Virginis (Messa della Madona ou cum jubilo du G.T.).

Ainsi, par exemple, le premier Kyrie della Domenica est construit sur le cantus firmus du premier Kyrie grégorien d'Orbis Factor, et notre « thème du Saint Esprit » intervient en contrepoint (Ex. 32).


Exemple 32.

Cela est aussi le cas dans le premier Kyrie della Madona, mais sur un autre cantus firmus.


Exemple 33.

Claudio Gallico suggère que la Canzon doppo l'Epistola della Domenica (Ex.34) serait basée sur le dernier Kyrie grégorien de la même messe déjà utilisé en cantus firmus dans un Kyrie précédent (Ex.35 - version du « Graduel » de nos jours, citée par Gallico). Toutefois, Luigi Ferdinando Tagliavini nous a précisé qu'à l'époque de Frescobaldi, le dernier Kyrie della Domenica avait les mêmes notes que la Canzon dopo l'Epistola, comme cela est visible dans le cantus firmus de Frescobaldi (voir Ex.36, note 29).


Exemple 34.


Exemple 35 [en écriture moderne]

Même si nous admettons le raisonnement de Tagliavini, la présence de ce motif dans les trois messes pourrait être plus complexe à expliquer que cela. D'une part, Gallico précise qu'autour du cantus firmus, « des desseins mélodiques inventées se délient en contrepoint, et il n'est pas rare d'entendre des microstructures dérivées de fractions du cantus firmus. Ces ajoutées sont disposées librement par rapport aux schémas fixes »29. D'autre part, ce même motif est aussi présent dans un autre Kyrie « grégorien » de la Missa de la Madona. L'ensemble de pièces des Fiori Musicali constitue une unité, au même titre que l'Art de la Fugue. Ces deux œuvres ont souvent été comparées. Nous avons affaire ici à une œuvre majeure et J.-S.Bach a pris la mesure de son importance. Ainsi, par exemple, après avoir été exposé dans le Kyrie et dans le Christe della Domenica dans les basses, le motif semblable au motif « A » fait une entrée saisissante dans la première voix du Kyrie ultimo della Domenica. Pris séparément de l'ensemble des expositions dans les Fiori, et toutes choses étant égales par ailleurs, dans cet exemple, le motif, qui est d'abord exposé au ténor, puis au soprano, semble être effectivement une cellule thématique du cantus firmus (Ex.36).


Exemple 36.

Quelques exemples encore de ce style « ancien » dans le traitement thématique : Par augmentation. Altro Recercar delli Apostoli (mes. 15-16).


Exemple 37.

Variations mélodiques et rythmiques :

fugue 1005
Ex.38 : Kyrie alio modo delli Apostoli.

BWV 1005
Ex 39 : Recercar della Domenica.


Ex. 40 : Id. alio modo.


Ex 41 : BWV 1005/2.


Ex 42 : BWV 1005/2, mesure 204.

La variante « A' » est exposée dans les mesures 219, 222, 225 puis, en strette dans les mesures 238-241.

bwv 1005
Ex. 43 : BWV 1005/2, mesures 239-240, motif « A'».

Nous devons faire un parallèle entre les modifications thématiques de la fugue BWV 1005 et certaines transformations que l'on rencontre dans la Fuga a 3 soggetti de L'art de la Fugue. Christophe Wolff, qui cite le nom de Frescobaldi, entre autres, la présente comme un exemple du style allabreve, comprenant des éléments proches du stile antico (voir note 20). Outre les variations thématiques connues, la fugue inachevée présente, en peu comme dans le Ricercare à 6 de L'offrande musicale, deux motifs qui peuvent être comparés aux motifs « A » et « A' » sous leurs modes rectus « r » et inversus « i ». Dans l'optique de notre étude, il apparaît que ces figures de divertissement pourraient se révéler n'être qu'un seul motif qui serait présenté sous plusieurs facettes. Cela concorde avec le fait que tous les sujets de L'art de la Fugue sont apparentés entre eux et avec le grand sujet. Dans une telle œuvre où chaque note a été judicieusement choisie et placée, où chaque combinaison a été soigneusement préparée, nos observations doivent être démontrées :

En premier lieu, le motif s'insère dans un contre-sujet, sous l'aspect de « A'r », en contrepoint avec le premier sujet (mesures 64 à 66). Dans les mesures 85-86, « A'r » et « Ar » entament une combinaison du motif. Dans les mesures 87 à 89, « A» est présenté en strette.

bwv 1005
Ex.44 : BWV 1080, Fuga a 3 soggetti, mesures 87 à 89.

Dans les mesures 96-97, « Ai » est exposé deux fois de suite, en présence du premier sujet. Dans les mesures 170-171, « A» accompagne le premier et le second sujet. Ensuite, « A» accompagne le troisième sujet (B.A.C.H.) renversé, dans la mesure 223.

Dans les mesures 231-232, juste avant la combinaison des trois soggetti et la brusque interruption de la fugue, le motif est présenté successivement, et en mode diminué, sous trois formes comparables à « A » rectus, « A » inversus et « A' » rectus, ce qui justifie notre analyse. Cela semble confirmé par une utilisation presque identique (Ar, Ai, A'i, Ai), dans les mesures 20-21, du deuxième chœur de la Cantate BWV 138. Ainsi Bach reprendra-il de manière analogue, des ingrédients qui sont au cœur de la Fugue BWV 1005 dans des œuvres qui sont aussi considérées proches stylistiquement et où le nom de Frescobaldi a été évoqué pour certaines d'entre elles.

bwv 1005
Ex.45 : Un autre exemple de variation mélodique : Fugue BWV 1005, deuxième voix, mesures 225 - 227.

Nous reviendrons sur les variations thématiques lorsque nous aborderons la question du renversement.

Dans sa préface des Fiori Musicali, Frescobaldi précise que ses toccatas se jouent « adagio », mot évocateur sur lequel nous reviendrons, mais il laisse libre à l'interprète d'en juger. Il poursuit : « Dans les toccate, lorsqu'il se trouve des trilles ou des passages particulièrement expressifs, les jouer adagio ; dans les suites de croches où les parties écrites note contre note, jouer plutôt allegro… » (Nelle Toccate quando si trouerà alcuni trlli ouero passi affettuosi sonarli adagio e nelle crome seguite nelle parti insieme fargli alquanto allegri...).

toccata per le Levatione delli Apostoli
Ex.46 : Toccata per le Levatione delli Apostoli, mesures 24-25.


Ex.47 : Fugue BWV 1005, mesures 81 et suivantes.

Ces derniers exemples évoquent seulement une analogie du traitement dans le développement.

Au sujet du premier motif de la Fugue, sans y voir une source directe, notons que l'équivalence des intervalles est respectée, en tout cas dans les parties en mineur puis, dans une juste mesure, les parties en majeur compte tenu de l'ambiguïté tonale-modale des Fiori, ainsi que de diverses variantes de ces thèmes. Néanmoins, les deux premières notes du motif équivalent au motif « B » sont en mode renversé par rapport à celui-ci. Soulignons qu'en raison du traitement que Frescobaldi procure à ses sujets, A. Pirro désigne le Christie delli Apostoli en liaison avec la Canzona de Bach alors que Frotscher et Guillard invoquent la Canzon dopo l'Epistola30.

Nous devons inscrire la Canzona BWV 588 parmi ces exemples. Écrite bien avant la Fugue, elle « annonce » déjà son style alla Frescobaldi et aussi, de manière on ne peut plus explicite : son sujet. Elle la précède. Dans la Canzona, la division en sections dont une à trois temps (voir note 31), le choix des motifs, des traitements thématique et contrapuntique, sa tonalité ainsi que son titre n'établissent qu'une liaison indirecte avec le compositeur italien. Il est tout à fait possible que ce soit grâce à Pachelbel (pour le chromatisme par exemple : la fugue que Williams compare avec la fugue BWV 1005 (voir note 27), ou à Froberger que Bach ait pu matérialiser cette filiation.

Or les postulats rendus possibles par la constatation des similitudes entre des pièces concernant deux ou plusieurs compositeurs ne s'appliquent pas de la même manière dans le cas d'un seul musicien lorsqu'il s'agit de J.S.Bach. Les ressemblances remarquées entre la BWV 588 et la BWV 1005/2 sont les suivantes : la proximité formelle — y compris l'agencement en sections, semblable à celui du ricercare-variation qui a été instauré par Frescobaldi et dont la fugue BWV 1005 est héritière puis, la forme da capo pour la fugue, qui est typique des canzones du début de l'ère baroque ; l'écriture de type ancien, au sens général ; la parenté thématique — sujet, contre-sujet et l'utilisation d'un même motif comme pont aux mesures 9 et 23 dans la Canzona ; 7, 106, 108, 128 dans la fugue. Il s'agit d'un motif que l'on trouve aussi dans des œuvres de type ancien comme, par exemple, la fugue BWV 849 (mes. 31, 32) ou la Fuga a 3 soggetti (mes. 86, 87). Ces ressemblances ne peuvent, semble-t-il, relever du hasard ni de la coïncidence. Il ne s'agit pas pour autant d'une source directe mais ceci renforce, pour des raisons thématiques, stylistiques et structurelles jointes justement aux questions de datation, l'idée que, dans une certaine mesure, Bach ait bénéficié de l'influence des Fiori Musicali dans le cas de la fugue. Ces ressemblances sont appuyées par d'autres observations qui concernent l'influence probable de Frescobaldi dans la Canzona (voir note 31), ainsi que les formes musicales en question. Le ricercare est, avec la canzone, à l'origine de la fugue ou plutôt, la fugue est une cousine de ces formes qu'elle a supplantées.

Williams compare la Canzona de Bach aux fugues de type ricercare et propose l'appellation ricercar-like pour définir son style. Manfred F. Bukofzer nous raconte que Frescobaldi ne faisait aucune différence entre le ricercare et la fantasia. Il poursuit en disant que la canzone se distingue du ricercare, outre le caractère plus contrapuntique du second, par ses thèmes très enjoués et le rythme stéréotypé : 31. Or, nous trouvons tout cela dans la Grande fugue en do majeur, à ceci près que Bach insère des parties en forme de fantaisie mais qui n'ont plus le caractère improvisé d'antan32.

En 1739 Johann Mattheson avait catalogué le sujet de la fugue de Bach dans une catégorie à part (voir lien internet). Comparé, par exemple, avec le sujet de la fugue en la mineur, celui de la fugue en do majeur n'a pas une conclusion formelle, nous dit Mattheson (Ex. 48). Le sujet s'enchaîne soit au pont, soit au contre-sujet de façon linéaire. Cela rend la fin de l'exposition indiscernable au premier regard, tel notre « thème du Saint Esprit » chez Frescobaldi. Ceci aura des conséquences intéressantes au moment du renversement (voir Ex. 55).

Mattheson 1739
Ex.48 : Exemple cité par Johann Mattheson en 173933.

Il existe un aspect méthodologique incontournable dans ce genre de démarche qui est ici, présentée sous forme de question : « Qu'en est-il des autres fugues pour violon ? Si elles ont été composées à la même époque, il devrait y avoir des traces thématiques ou stylistiques vérifiables de l'influence de Frescobaldi ». Bien que l'importance de cette méthode soit ici, relative (voir note 15), une réponse positive, même partielle, conforterait nos propos. Pour y répondre nous devons poursuivre quelque peu le sujet concernant le traitement thématique et contrapuntique de ces œuvres. Pour ce qu'y est de la fugue BWV 1003, son style est plus tardif ; son sujet, plus moderne. Ce seul choix de Bach l'exonère de nos exemples mais elle garde encore, nous le verrons, des traces importantes du traitement contrapuntique hérité de Frescobaldi. Pour la fugue BWV 1001, la situation est tout autre. Cette fugue serait inspirée, selon une hypothèse actuelle (signalée par Claude Chauvel — Astrée-Auvidis E 7721), d'un Prélude de J. C. F. Fischer.


Ex.49 : Fischer.

Pourtant, son sujet ressemble, en mode renversé, à celui de la dernière section de la Canzon dopo l'Epistola delli Apostoli. Cependant Frescobaldi n'a pas renversé son sujet. Bach n'a pas renversé le sien non plus.


Ex.50 : Frescobaldi.


Ex.51 : Bach.

Nous trouvons le deuxième motif du sujet de Frescobaldi dans la Canzon alio modo post il Comune, mais avec le rythme croche à la place de 34. Il est vrai que le rythme , ainsi que les notes répétées, sont typiques des canzones instrumentales de la fin de la Renaissance. Cependant ces deux motifs ne sont pas toujours mis ensemble et du reste, nous n'avons trouvé, mis à part le prélude de Fischer, une telle analogie ; cela, malgré l'abondance de ces thèmes35. Il est important de souligner que ni l'exemple de Fischer ni celui de Frescobaldi, pour ne citer qu'eux, ne peuvent aujourd'hui être considérés comme des sources directes. Ils peuvent néanmoins être vus comme des stimulants car ils illustrent une ambiance sonore dans laquelle baignaient les oreilles de Bach à un moment donné. Ils ne sont donc pas exclusifs, mais nous ne pouvons les ignorer.

Alors que dans la section intermédiaire, il apparaît deux fois en mode renversé, dans sa Canzone, Frescobaldi introduit notre « thème du Saint Esprit » comme partie libre et de manière unique.


Ex.52

Ceci n'aurait pas échappé à J.S.Bach. L'omniprésence de ce motif dans les Fiori exclut la possibilité que son évocation, même fugitive, soit fortuite. Ces évocations, tel le cantus firmus, sont comme un fil à travers lequel Frescobaldi unifie l'ensemble de l'œuvre.

L'exemple suivant concerne justement la façon dont Frescobaldi traite le renversement d'un sujet. Après l'avoir exposé et développé, il utilise indistinctement le sujet rectus et inversus dès l'introduction de celui-ci. Cela est le cas dans le Recercar dopo il Credo della Domenica. Frescobaldi utilise fréquemment l'un comme réponse à l'autre, comme dans le Recercar dopo il Credo della Madonna déjà cité. C'est avec cette méthode, appelée al rovescio, que Bach procède pour la Fugue BWV 1003. Le renversement répond au sujet droit et vice-versa. La dernière exposition est même faite en mode renversé. Cette ressemblance structurelle, bien que moins visible qu'une ressemblance thématique, est au moins aussi significative que celle-ci (Ex. 53 et 54). Voir aussi : notes 13 et 40 ; Ex.61 et 62. Par ailleurs, et comme Frescobaldi le faisait systématiquement ou presque, Bach termine avec la tierce picarde.


Ex.53 : BWV 1003 mesures 137 et suivantes.


Ex.54 : Recercar dopo il Credo della Madonna.

Dans la fugue BWV 1005 par contre, le renversement est cantonné à la partie qui lui est allouée mais, dès son exposition, il est confronté à son homologue ; ceci, une seule fois. Soulignons que le sujet et le contre-sujet ne sont pas « perfectus inversus », comme dirait Mattheson. Signalons encore que, dans l'exemple suivant, Bach expose en mode droit uniquement le premier motif de son sujet qu'il emploie comme pont (Ex.55).


Ex. 55 : BWV 1005/2, mesures 201-206.


Ex.56 : Recercar dopo il Credo della Domenica.

L'exemple 55 illustre d'une autre manière les propos de Mattheson concernant l'exposition du sujet (voir note 33). Ceci fait qu'au moment du passage du mode renversé au mode droit, il y a comme une répétition du motif, semblable à la périodicité du sujet dans la Canzona. Cela fait aussi apparaître une ébauche de mouvement al contrario riverso, comme diraient Walther ou Fux, avec un décalage métrique. En outre, les variations rythmiques et mélodiques du sujet renversé évoquent des modèles frescobaldiens qu'on retrouve, par exemple, dans le Kyrie alio modo delli Apostoli et, plus encore, dans le Recercar della Domenica et alio modo (Ex. 38 à 43). Dans le même ordre d'idée, nous trouvons une singulière exposition par augmentation al riverso à la deuxième voix, dans les mesures 225-227 de la Fugue 1005 (Ex. 45). Cela est confirmé par l'unique exposition en strette serrée, également du motif « A » seul (mes. 109-110). Il s'agit donc d'une véritable exposition par augmentation, même si la souplesse de sa réalisation suggère une sorte de technique de inganno rythmique. Cette transformation particulière n'est pas sans rappeler, dans la méthode de modification thématique à la façon de Frescobaldi, le contre-sujet de la Canzon dopo l'Epistola della Madonna, par exemple.

Prenons un autre exemple de cette cohérence du langage : dans un contrepoint qui est presque exclusivement thématique, le problème de la progression harmonique se pose. Une des solutions consiste, dans une exposition, à faire arriver le sujet ailleurs que là, d'où il est parti. Bach a trouvé, entre autres, dans la modulation en pleine exposition (Ex. 29), une solution qui pourrait être comparable, dans le principe énoncé plus que dans la méthode, à la solution employée dans le Recercar con obligo del Basso come appare (mesures 19-21, 32-34 - alto). Cette comparaison est anecdotique mais cette pièce est confrontée au même défi harmonique que Frescobaldi a relevé de façon souveraine. Ici, le sujet est présenté en cantus firmus. La progression harmonique est souvent confiée au contre-sujet, si l'on peut l'appeler ainsi. Celui-ci est lui-même une modification du sujet. On le trouve aussi renversé, en diminution et avec toutes les variantes rythmiques et mélodiques habituelles de Frescobaldi. Chez Bach, il est vrai que dans l'exemple 29 l'harmonie dirige le contrepoint, mais cela n'a été possible de la sorte, que parce que le style permet cette liberté du contrepoint. C'est donc le style, semble-il, qui rend réalisable sur un tel instrument la profusion de procédés contrapuntiques dont cette fugue est faite. Toutes ces « libertés », en y ajoutant celle citée dans l'exemple 30, seraient même plus proches de l'art de Frescobaldi que de l'Art de la Fugue36. Pourtant, ceci n'est pas un art inachevé ou juvénile mais plutôt un acte d'adoption stylistique volontaire. Ces procédés démontrent l'assimilation de techniques polyphoniques anciennes ; techniques qui sont parmi les modèles les plus évolués d'une époque que Frescobaldi a transmis, de façon directe ou indirecte, à des générations de compositeurs allemands et que J. S. Bach a transfigurés37 ; ceci, en plus de l'aspect formel et en dépit, ou en plus, des inspirations thématiques. En outre, c'est bien grâce à des compositeurs tels que Froberger, Kerll, Pachelbel, J. G. Walther et peut-être aussi Fischer, que J. S. Bach en est venu à se faire une copie des Fiori Musicali. Signalons encore, au sujet du traitement contrapuntique, que l'ostinato en forme de point d'orgue, orgelpunktartige, comme l'a dit Hausswald (voir note 32), des mesures 187 à 200 puis, 274 à 287 de la Fugue BWV 1005, bien qu'il ne soit pas exclusif de l'écriture allabreve, tire son origine de modèles anciens ; modèles semblables, entre autres, à celui que l'on trouve dans le Christe alio modo et le Kyrie alio modo della Domenica. Ce procédé ne contredit pas la cohérence stylistique.

Armand Machabey nous raconte que le couple « toccata » et « canzona » « était l'exacte préfiguration du prélude et fugue », toccata et ricercare, selon Gallico. Ceci n'est que partiellement vrai, mais il arrive que la toccata remplace de prélude en introduction de la fugue. Quant au prélude, il n'est pas rare qu'il prenne un caractère de toccata. Machabey remarque aussi que dans la Toccata avanti il Ricercar, la septième de dominante et des superpositions de secondes durent séduire J.S.Bach (voir note 38). Les toccatas de Frescobaldi se distinguent de ses œuvres polyphoniques. Néanmoins, les toccatas de Fiori ont une spécificité religieuse singulière par rapport à ses toccatas. Cela concerne notamment le caractère méditatif et posé, propre à la place qui est destinée à la toccata dans la Messe. Ceci est particulièrement remarquable dans les Toccatas per Levatione (élévation, consécration) qui sont, selon Hammond, au centre de gravité des Messes dans les Fiori38. Dans les Toccatas per le Levatione delli Apostoli et per l'Elevatione della Madonna qui sont comme « deux sœurs », Frescobaldi use de certaines successions harmoniques ainsi que de cadences qui nous rappellent l'Adagio initial aux harmonies chargées de la sonate BWV 1005 ; ceci jusqu'aux derniers accords qui, sans être clairement dans un système tonal, semblent conclure sur la dominante (Toccata delli Apostoli). La marche des voix, souvent par deux, comme dans l'Adagio de Bach, renforce cette impression (Toccata della Madonna). Des séries de tierces et de sixtes, des intervalles de secondes et de septièmes très évocatrices y sont largement présentes. Il en va de même pour le caractère sobre et solennel de ces toccatas, où les suites harmoniques sont à la fois apaisantes et contraignantes, volontaires et inventives, s'éloignant de toute banalité. Le caractère austère et rigoureux est néanmoins tempéré par un grand lyrisme mélodique dans la première toccata. Ce sont autant de points communs. A cela s'ajoute, chose inattendue, une séquence mélodique et rythmique aux mesures 8 et 9, soutenue par une descente chromatique dans la basse.

Ex.57 : Frescobaldi, Toccata per le Levatione delli Apostoli, mesures 8 et 9.

Ex.58 : Bach, Adagio BWV 1005.

Ce rapprochement semble un peu exagéré aux yeux de Peter Williams (qui nous a apporté cette précision) et nous ne saurions prouver une liaison entre ces œuvres à partir de ce seul exemple, mais la similitude des procédés est indéniable. En outre, d'autres propositions ont déjà été faites. Schulenberg, par exemple, remarque que la construction harmonique de l'Adagio de Bach débute avec une progression comparable à celle de l'Adagio du Concerto pour hautbois d'Alessandro Marcello dont Bach a fait une transcription : le BWV 974 (concernant la version BWV 968 et le rapprochement avec l'Adagio de Marcello, voir notes 46 et 59). Cependant, dans la Toccata per l'Elevatione della Madonna, cette idée est développée en contrepoint. Frescobaldi l'érige avec des motifs très semblables, voire identiques, à ceux du Largo de Bach mais, cette fois, avec le rythme inversé :

FrescobaldiEX 59 : Frescobaldi.

Lopes Garcia, bwv 1005EX 60 : Bach.

Nous constatons ces similitudes mais nous ne pouvons pas aller au-delà des questionnements qui en résultent. Dans les Fiori, une toccata répond à une autre, un Kyrie à un Christe et ainsi de suite, de sorte que ces exemples n'auraient aucun sens s'ils étaient pris séparément de l'ensemble des analyses. Bach lui-même procède de manière analogue. Tel Frescobaldi avec les toccatas per le Levatione de Fiori, Bach met en rapport direct ces deux rythmes, le rythme à la française chez Bach — le rythme pointé, chez Frescobaldi — et le rythme lombard, dans la fughetta BWV 681 et le canon BWV 682 du Clav.Ü III. Cette œuvre majeure serait, dans une certaine mesure, l'équivalent luthérien des Fiori Musicali. L'emploi de ces rythmes est très suggestif dans une telle œuvre, remplie de symboles de toutes natures39.

Le « Kyrie Gott, Heiliger Geist » BWV 671 de ce recueil est écrit allabreve et son développement utilise un motif qui nous rappelle celui de la Fugue BWV 1003 (Ex. 61 et 62).

bwv 1005 Ex. 61 : BWV 1003/2.

bwv 1005 Ex. 62 : BWV 671.

Ceci n'est pas le seul point commun : Peter Williams cite également Frescobaldi, concernant la combinaison entre rectus et inversus. L'auteur propose aussi à son tour que le chromatisme des dernières mesures du « Kyrie Gott » soit inspiré de la Toccata Cromaticha40.

Le Credo BWV 680 se bat avec le même conflit symbolique qu'apporterait, le cas échéant (voir note 62), le contre-sujet chromatique descendant dans la fugue BWV 1005. La comparaison s'arrête là. Ce Kyrie et ce Credo sont des chorals dits du grand Catéchisme et sont basés sur les thèmes apparentés du Saint Esprit et de la Foi.

Tout ceci pourrait s'expliquer par le fait que, lors de l'élaboration du Clav.Ü III en 1739, Bach se serait référé, en plus du langage alla Palestrina et à l'influence probable de Fux, Scheidt, à des modèles appris pendant ses années vécues à Weimar, comme un retour aux sources41.

En procédant de la sorte, il se serait basé, entre autres, sur les mêmes modèles qui auraient déjà participé ou contribué à la conception de la Fugue BWV 1005. Ces considérations s'appuyent sur des observations liées à la datation ; nous y reviendrons à la note 45.

Nous touchons ici un point essentiel de la démarche que Bach a entreprise en recopiant les Fiori Musicali. Ces œuvres magistrales sont liées entre elles par ce qu'elles ont de plus grandiose et de plus intérieurement complexe, bien au-delà des ressemblances thématiques, contrapuntiques et par d'autres procédés qui sont pourtant bien présents. Nous approchons, seulement, de ce qui Bach a su saisir des Fiori, le sens subjectif exprimé par la musique, et comprenons mieux la façon dont il s'y est pris.

Bach est probablement le plus grand compositeur de tous les temps et il est évident qu'il n'avait nullement besoin de chercher l'inspiration pour écrire. Néanmoins il s'adonnait volontiers à cet exercice. Outre l'aspect de sa formation, faire de nouveaux arrangements de ses propres œuvres ou écrire sur des thèmes ou dans le style d'autres compositeurs étaient pour lui l'occasion de dire les choses autrement, à sa manière, et même de plusieurs manières. Dans le cas des chorals pour orgue il exprimait sa religiosité, et cela de façon souvent répétée, variée ou même, retravaillée. Les deux versions pour orgue du Choral « Komm, Heiliger Geist » (BWV 651 et 652) en font partie42. Nous constatons qu'il n'y a pas plus de ressemblance entre eux, mise à part évidement leur origine, qu'il y en a entre la canzona BWV 588 et la fugue BWV 1005. Ces deux œuvres (BWV 588 et 1005) attestent d'ailleurs de l'affinité de langage que Bach a adopté au violon et à l'orgue. L'exemple le plus couramment cité concerne la chaconne BWV 1004 et la passacaille BWV 582 ; passacaille que, d'ailleurs, Armand Machabey compare à celle de Frescobaldi43. Rappelons qu'il existe une version pour orgue de la fugue BWV 1001 ainsi que du prélude BWV 1006. Par ailleurs, le procédé de l'ostinato en forme de point d'orgue, présent dans les fugues BWV 1001 et BWV 1005, est une des principales caractéristiques instrumentales de l'orgue. Albert Schweitzer prétend même que le style du violon représente le style universel et que « tous les thèmes pour orgue semblent, d'après la structure de la phrase, avoir été inventés pour le violon »44. Johann Friedrich Agricola (1720-1774) nous raconte que Bach jouait souvent lui-même les Sonatas et Partitas pour violon seul également au clavicorde et y ajoutait autant d'harmonie qu'il jugeait nécessaire45.

A ces raisonnements, nous aurions voulu joindre un de plus concernant l'orgue ; argument que nous ne pouvons présenter en tant que tel, mais qui mérite d'être signalé. Les Fiori ont été conçues à l'orgue, la canzona BWV 588 aussi. Philipp Spitta a écrit que la fugue BWV 1005 aurait probablement existé comme fugue pour orgue. Cela ne serait pas étonnant au vu de la relation particulière qui liait ces instruments. Si cela était le cas, ce ne serait pas la seule œuvre perdue de Bach mais elle aurait apporté ici sa contribution.

Exemple cité par Mattheson dans Grosse General-Bass-Schule et repris par Spitta46 (voir lien internet).

BWV 1005 Ex. 63.

En citant l'exemple de Mattheson, Spitta conclut que ce sujet serait inspiré de celui du « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott » à cause des indications de Mattheson et de la ressemblance avec la première phrase de ce choral. Quant à l'instrument, le raisonnement de Spitta tient au fait que J.S.Bach est allé à Hambourg pour jouer de l'orgue et non du violon. Cependant, à cette occasion, il n'aurait pas joué que des chorals d'église, car Spitta fait aussi allusion à la fugue BWV 542, dont le sujet est également cité par Mattheson.

Mattheson indique donc que son sujet utilise les huit premières notes du choral qui doit suivre. Une telle précision laisse peu de place à des approximations en ce qui concerne le choral que Mattheson avait à l'esprit. A défaut d'être explicite, cela l'était peut-être suffisamment à l'époque, cela permet de circonscrire les hypothèses. Ainsi, et Spitta l'avait bien compris, le sujet de Mattheson serait très probablement celui du Choral « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott ». Toutefois, rien ne prouve que ce sujet soit celui de Bach ni, comme pour la fugue BWV 542, la liaison avec le séjour de Bach à Hambourg, mais l'argument est pertinent. Il est intéressant de noter que l'existence d'une version pour orgue de la fugue BWV 1005, basée sur l'exemple de Mattheson, reste hypothétique. Pourtant, la proposition qui associe cette fugue au choral « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott », idée globalement acceptée, est en grande partie dépendante de la version pour orgue en question. Ensuite, si Mattheson a pris connaissance de l'œuvre de Bach autrement que pendant le concours de 1720 comme suggère Stauffer (voir note 46), il est probable qu'il ait fait lui-même le rapprochement entre le sujet de la fugue et celui du choral et que cela n'ait pas été obligatoirement le souhait du compositeur. Serait-ce pour cette raison que Mattheson reste vague quant au nom du compositeur et celui du choral en question ? Rappelons aussi que Mattheson ne fait aucune allusion à tout cela dans l'exemple 48. En outre, pour des raisons d'ordre liturgique, il ne serait envisageable qu'une version pour orgue soit antérieure à celle pour violon, comme le propose Spitta, que dans des conditions particulières sur lesquelles nous reviendrons. Ainsi, le terme « d'inspiré », utilisé par tous ceux qui ont traité le sujet par la suite, désigne également le fait que le rapprochement entre le choral et la fugue n'est pas assez probant pour utiliser les termes « basé » ou « fondé », mais cela reste tout de même assez convaincant pour qu'il ait été considéré comme un fait établi.

Mais il y a aussi la question liée à Marpurg : en 1753, dans son Abhandlung von der Fuge, Marpurg reprend l'exemple 63 de ce texte. Il nomme Mattheson mais ne cite pas le nom de Bach. Marpurg propose d'autres traitements pour ce sujet ; traitements qui sont, par l'absence du chromatisme, plus éloignés de la fugue BWV 1005 que ne le sont ceux de Mattheson.

Ainsi, soit Marpurg n'avait toujours pas eu connaissance de la fugue de Bach à cette date tardive ; soit il n'avait aucune intention de créer une polémique en disant que les sujets de Bach et de Mattheson n'en font qu'un et laisse à Mattheson la responsabilité de ses choix ; soit, il considérait que ces figures mélodiques sont des sujets distincts, certainement comparables, mais sans aucun rapport entre eux.

En tant que théoricien expert du contrepoint, en tant qu'auteur de la préface de l'Art de la fugue, en tant que connaisseur privilégié des œuvres de Bach, à qui il a emprunté de très nombreux exemples pour son traité, et avec qui il a échangé personnellement dans les années 1748-49 au sujet de la composition de fugues (voir note 46), il serait étonnant que Marpurg ignorait encore en 1753 les solos pour violon alors même que des copies et des transcriptions circulaient déjà. Étonnant mais pas impossible. Il est aussi vrai que la nécrologie, avec sa liste des œuvres de Bach, ne sera publiée qu'un an après.

Ensuite, si Marpurg ne voyait qu'un seul et même motif, il n'avait aucune raison de soustraire le chromatisme. Nous devons donc aussi envisager que, pour Marpurg, ces motifs aient leurs vies propres, comme l'atteste un autre exemple comparable, cette fois de Kirnberger, que Marpurg fait figurer juste avant celui de Mattheson.

La reprise de l'exemple de Mattheson par Marpurg est importante car elle crée un pont entre les écrits de Mattheson et ceux de Spitta. Elle démontre que les premiers n'ont pas été mis aux oubliettes pendant cette période et il semble bien que, de 1731 à 1753, 1754 et 1756, et encore  jusqu'à la réédition de 1801, personne n'a considéré les similitudes en question comme une évidence, ni suffisamment pertinentes pour être signalées. Pour cela il aura fallu attendre Spitta.

Or, c'est là qui réside un problème récurrent : comme la liaison entre les sujets de Bach et de Mattheson n'a pu être confirmée, comme Spitta admet qu'il existe une grande quantité d'exemples analogues et indique d'autres œuvres où ce motif apparait (voir note 26), l'attitude assez courante de nos jours qui consiste à défendre l'hypothèse du choral en évitant l'exemple de Mattheson n'a pour effet que d'affaiblir la théorie en la privant de son principal atout, et même de sa raison d'être.

Nous avons répertorié les incertitudes qui relient la fugue pour violon au choral de Walter. Le rapprochement avec les Fiori résout en grande partie ces incertitudes et apporte de nouveaux arguments. Pour ce qui est de l'aspect thématique nous avons trouvé l'utilisation pertinente des motifs « A » et « B » dans les œuvres de Bach, la construction du sujet de la fugue BWV 1005 avec ces mêmes motifs qui, chez Frescobaldi, se suivent directement, le contresujet en gamme chromatique descendante, le renversement et son traitement, l'introduction des nouveaux motifs, le motif du deuxième contre-sujet qui, dans les Fiori, se trouve dans la même Canzon à l'origine du sujet principal similaire, la concordance rythmique et, dans une juste mesure, l'équivalence des intervalles. À ces arguments il faut rajouter le traitement thématique dans l'exposition, signalé par Mattheson, les variations rythmiques et mélodiques, dont les traitements du motif « B » renversé, du motif « A » par augmentation et l'exposition en pleine modulation; cela sans oublier le traitement horizontal de la dissonance. Ce sont des traitements thématiques liés au langage stylistique. Les énumérations concernent seulement l'analyse thématique. Ce rapprochement thématique ne serait peut-être pas plus pertinent que celui avec le Choral « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott » puisque les précisions de Mattheson sont assez proches, s'il n'était soutenu par un ensemble de faits.

Or tout cela concorde, depuis les considérations d'ordre général jusqu'à l'analyse des thèmes. La datation des œuvres correspond à une période encore proche et peut-être davantage de celle où le compositeur travaillait sur les Fiori Musicali. L'aspect sacré, formel ou réel, est présent dans toutes ces œuvres y compris dans les sonates pour violon en forme de Sonate d'Église47 avec, peut-être, une destination liturgique48. La fugue BWV 1005 a été écrite à la façon d'un ricercare et dans le même style archaïque qu'un groupe d'œuvres dont la liaison avec Frescobaldi a été remarquée. Le langage contrapuntique alla Frescobaldi, l'aspect formel des canzones et peut-être, l'inspiration thématique même, ont été constatés dans les fugues BWV 1003, BWV 1001 et l'adagio BWV 1005. La liaison entre la canzona BWV 588 et les Fiori a été proposée par plusieurs musicologues, malgré quelques objections basées sur la datation, ce que n'exclue nullement une filiation indirecte — son appartenance à cette famille stylistique est acceptée. La proximité thématique et stylistique entre la canzona et la fugue a été démontrée et signalée par Spitta lui-même. L'analyse thématique exposée est pertinente et pourrait relier les divers motifs de la fugue directement aux Fiori Musicali.

À cette liste, nous devons ajouter une précision qui concerne aussi le cantique « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott » et qui est, avec son rapprochement thématique, le seul fil qui relie ce cantique à la fugue BWV 1005. Nous ne voudrions pourtant pas contester cette liaison. Ce cantique est une invocation, une louange qui, dans la liturgie luthérienne, précède l'Évangile et prépare la Confession (ou Profession) de Foi49.

Par ailleurs, l'utilisation d'un motif comparable au motif « A » dans la cantate BWV 102, basée sur le thème de la Foi, ne serait-elle qu'une coïncidence ? En tout cas, cela ne prouve rien. Pourtant, le développement de la fugue pourrait s'expliquer dans ce sens et ceci jusqu'à la cadence en forme d'Alléluia qui précède le Da Capo. Nous dirions de l'œuvre qu'elle y trouve tout son sens. Dans ce cas, nous aurions pu lui accorder une remarque proche de celle qu'Alberto Basso a faite sur le choral BWV 651 (voir notes 6 et 11).

Or, ces précisions liturgiques sont en parfait accord avec au moins deux morceaux des Fiori Musicali : les Canzons dopo l'Epistola della domenica et della Madonna. Liturgiquement et théologiquement, il serait aussi possible de rapprocher les Recercari dopo il Credo della Madonna et della Domenica, « dans la mesure où la corrélation entre ces recercari avec le Credo serait avérée », nous a précisé le pasteur Débora Kapp. Uniquement avec ces quelques pièces nous posséderions déjà, du point de vue musicologique, de quoi expliquer la fugue en tenant éventuellement compte du sens liturgique et aurions pu nous passer du cantique de Walter, ou alors, justement le soutenir50.

Résumons les incertitudes qui peuvent subsister: Wolff affirme avec raison que, face à la personnalité de Bach, il semble inconvenant de devoir ramener chaque développement stylistique à des influences extérieures et de porter ainsi préjudice aux possibilités de ses propres forces créatrices (voir note 52). Toutefois, Bach avait l'habitude de s'imprégner d'un maximum de modèles dans le but d'élargir son champ d'action. Ainsi la question de la légitimité d'une démarche comme la nôtre doit être posée au cas par cas. Sans prétendre « maîtriser le maître » comme dirait Spitta, il ne semble pas réaliste d'imaginer que Bach ait choisi les motifs qui composent le sujet de la fugue, ainsi que le contre-sujet principal et secondaire dans une attitude d'ignorance volontaire de ce qui avait déjà été réalisé, ou qu'il n'aurait rien pris en considération. Cela semble confirmé par l'emploi de la forme fugue-ricercare pour développer ses idées, par les ressemblances formelle, stylistique et thématique avec la canzona et surtout par la cohérence stylistique dont le compositeur fait preuve.

Bach connaissait probablement la plupart des références citées dans ce texte qui ont un rapport avec le sujet traité. Pour un certain nombre d'entre elles, c'est un fait avéré. Peut-être en connaissait-il davantage, voire de plus anciennes. Il a ainsi certainement rencontré plusieurs exemples semblables au motif « A ». Cette remarque est aussi valable pour Mattheson. Ceci constitue un contre-argument de taille. On peut également objecter que certains procédés de composition ne sont pas exclusifs de Frescobaldi. En plus de cela, il n'est pas impossible qu'une inspiration ait plusieurs sources. Nous retrouverons cette problématique également chez Frescobaldi de manière beaucoup plus complexe.

Pourtant, se limiter à ces raisonnements, c'est ne pas tenir compte du fait que l'abondante utilisation de ce motif par d'autres musiciens est d'autant plus remarquable que ces compositeurs sont proches de Frescobaldi. Cela ne veut pas dire, par exemple, qu'il faille voir uniquement en Froberger, qui nous a légué d'illustres exemples, l'élève du maître italien. Mais il est vrai, qu'en plus de ses talents propres, il représente l'un des principaux piliers de la transmission de ce savoir. En outre, le motif « A » pris isolement ne prouverait rien de toute manière, mise à part, peut-être, son caractère ancien. Comme il a été dit, seuls les Fiori Musicali proposent un ensemble de sujets et de motifs analogues, de procédés d'écriture qui composent le style à la base de celui employé dans la fugue, ainsi que des similitudes avec des pièces annexes. Des similitudes ont été également constatées dans un ensemble d'œuvres considérées sous l'influence de Frescobaldi ou de ses successeurs. Nous pouvons ainsi y voir une source indirecte ou, pour le moins, l'une des principales références.

Par ailleurs, la canzona de Bach est l'un des meilleurs exemples d'influences extérieures et le rapprochement entre celle-ci et Frescobaldi, ou son type d'écriture, n'a pas non plus pour seule justification l'utilisation de ce sujet. Bach n'a pratiquement plus traité ce sujet par la suite ou alors, avec circonspection et de manière ciblée. L'utilisation perspicace d'un motif comparable dans la fugue inachevée et dans le Ricercare a 6, ainsi que la proximité vraisemblable de ces œuvres avec le style inspiré de Frescobaldi, signalé par Wolff (note 20), l'attestent. La dimension respectable de la fugue (354 mesures) et le nombre important d'expositions laisseraient-ils supposer que le compositeur aurait traité ce sujet sous tous ses aspects et qu'il serait ensuite passé à autre chose ? Autrement dit, Bach ne craignait pas les comparaisons. Il a démontré sa légitime fierté dans plusieurs épisodes de sa vie, comme, par exemples, celui avec Louis Marchand ou celui de sa rencontre avec Reinken où il montre au Maître centenaire toute la connaissance de son art.

Le style ancien et les références à Frescobaldi ne sont pas directement dépendants de la datation de la fugue BWV 1005 (1720), car elles subsistent à des périodes plus tardives. L'idée d'une plausible conception avant cette date la rapprocherait davantage de la copie de Fiori (1714), mais cela ne constitue point une condition sine qua non.

Ils ne dépendent pas non plus d'une éventuelle destination liturgique, puisque des œuvres profanes présentent également ces caractéristiques. Le caractère religieux dans le cas de l'hypothèse du Choral « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott », en plus de la phrase de Forkel (voir note 12), a fait que certains musicologues ont proposé une destination liturgique à l'œuvre. Ceci poserait néanmoins un problème avec la datation (1720 et Choral de Walter), car à la cour calviniste de Köthen, Bach n'avait, à priori, pas d'obligations d'ordre liturgique. En réalité, la musique liturgique était, en principe, proscrite. L'hypothèse que, malgré cela, ce choral ait pu être à l'origine de la fugue repose sur plusieurs constatations.

D'abord, il y a le fait que Bach fréquentait l'Église luthérienne et ses enfants l'école luthérienne. Il est donc difficile d'imaginer que le Kappellmeister n'ait rien créé pour l'Église luthérienne pendant toute la période de Köthen. D'autre part, la pratique de la musique liturgique dans la cour calviniste n'était pas strictement interdite, mais totalement cadrée. Selon Smend, Bach aurait pu écrire douze cantates sacrées pour la cour de Köthen. Alfred Dürr signale en outre que des allusions aux Saintes Écritures se trouvent dans au moins une cantate profane de cette époque. Enfin, Carl de Nys affirme que le caractère sacré d'une œuvre n'implique pas nécessairement qu'elle soit conforme aux règles de la musique cultuelle et ne saurait exclure un usage privé51. Ainsi, serait-il peut-être encore envisageable de considérer que Bach se soit inspiré du Choral « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott », et qu'il ait traité la fugue non pas avec le stile antico dont nous parle Christoph Wolff mais avec un style archaïque proche, basé, notamment, sur les Fiori Musicali52.

Il est tout aussi plausible, et plus simple à argumenter, que les Sonatas pour violon soient uniquement de la musique savante. Pour autant, cela ne change rien à la manière avec laquelle Bach a composé la fugue BWV 1005, à son style ancien et à ses références « musicales », aux Fiori de Frescobaldi.

Ce qui n'est pas concevable, c'est que la fugue pour violon soit une parodie profane d'une version originale pour orgue à caractère liturgique ou sacré, car J.-S.Bach n'aurait jamais procédé à des adaptations dans ce sens. Toute son œuvre le prouve et cela aurait même été perçu comme une profanation au « sens rigoureux du mot » (Nys). Ceci est la raison pour laquelle l'antériorité d'une version pour orgue ne peut se concevoir sans l'idée d'un sens sacré de l'œuvre, qu'elle soit destinée à l'Église ou à l'usage privé. Or, nos habitudes de classement ne sont pas toujours bien adaptées à J.-S. Bach car, comme l'a si bien remarqué Carl de Nys, on ne peut sans risques séparer le compositeur du croyant. Nous ne savons que peu des choses sur ce que la privation de musique d'Église a pu avoir comme conséquences sur ses œuvres dites profanes. La situation serait-elle réellement différente si l'hypothétique version pour orgue était postérieure à celle pour violon ? En tout cas, cela est envisageable sans même faire appel à une éventuelle conception de la fugue avant 1720, car les événements de Hambourg ont eu lieu au mois de novembre.

Contrairement à l'hypothèse du cantique « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott », qui dépend d'un nombre important de paramètres, l'influence de Frescobaldi est inscrite directement sur le manuscrit. Composant essentiel de la dualité ancien-moderne qui caractérise l'œuvre, le style archaïque dans la fugue BWV 1005 semble être une évidence. Quant aux Fiori Musicali, Bernhard Billeter nous incite personnellement à nous poser la question suivante : représentent-elles une influence directe, une citation musicale des thèmes, ou bien seulement une influence globale de style ?

Rien ne permet de conclure à une source thématique directe ni, vraisemblablement à une citation des thèmes au sens strict du terme. Par contre, il ne fait, à notre avis, aucun doute sur le fait que l'utilisation de thèmes analogues soit intégrée au cadre général d'acquisition d'un style. Cette définition au sens large nous paraît la plus justifiée. La réponse appropriée se trouve dans la constatation de l'utilisation pertinente et structurée des éléments constitutifs d'un langage spécifique ; cet usage rend l'œuvre à la fois tributaire et héritière légitime d'une école de pensée dont on peut nommer les principaux acteurs et leurs œuvres. C'est dans cette perspective que les Fiori Musicali sont emblématiques. Pourtant, cette influence globale de style n'est pas accessoire ni superficielle. Elle a des racines profondes qui démontrent une perception pointue d'un langage musical.

À ceci, nous ajoutons l'idée qu'un héritage musical entre de tels génies que sont Frescobaldi et Bach ne saurait se résumer à une simple question de procédés. Quand bien même cela serait une source directe que Bach aurait transformée par son ingénieuse créativité, nous sommes contraints de nous en tenir à des signes palpables de leurs idées communes.

Qu'importe le niveau qu'il convient d'allouer à cette filiation, celle-ci est constituée d'un faisceau d'arguments directs et indirects cohérents, dont on ne peut raisonnablement faire l'abstraction.
En conséquence, la somme de tout ce qui a été exposé nous autorise à affirmer que la liaison entre la fugue BWV 1005 et les Fiori Musicali est désormais établie. Quant à l'importance de cette influence nous restons naturellement dans le domaine théorique et il semble que seul J.-S.Bach aurait définitivement pu nous éclairer sur la question. En outre, nous considérons également qu'il n'est jamais opportun de trouver, dans les influences extérieures, un modèle unique, de même il serait inadmissible de réduire l'œuvre, sa richesse et sa logique musicale complexe à cette seule influence. Cependant ce travail apporte une contribution significative à sa compréhension. Ceci semble à la fois peu et beaucoup, car notre sujet d'étude n'est pas une œuvre secondaire. Seule sa grandeur nous impose des termes si prudents. Alberto Basso, dans sa présentation de la plus importante monographie consacrée à Bach depuis Spitta (la NBA excepté), nous rappelle ceci : « …dans des milliers de publications s'est cristallisé le résultat d'une recherche qui est encore loin d'être conclue ».

Coda :

Les précédentes remarques liturgiques nous incitent tout de même à examiner le fragile rapprochement plausible, bien que théoriquement inexistant, entre les cantiques, allemand ou latin, avec cette œuvre de Frescobaldi. Un tel rapprochement conforterait les dires de Spitta et les mettrait en accord avec les nôtres, si ce n'est pas déjà le cas. Mieux encore, cela expliquerait probablement les deux affirmations à la fois. Ces œuvres, ou partie de ces œuvres, ont été composées pour être jouées ou chantées avant ou après les lectures bibliques et le Credo. Elles sont basées sur les thèmes apparentés du Saint Esprit et de la Foi. Cette cohérence cultuelle n'aurait pas, elle non plus, échappée à Bach. Il travaillait à cette époque sur un projet d'œuvres pour orgue selon le calendrier liturgique et il possédait dans sa bibliothèque quatre-vingt livres religieux en latin et en allemand53.

Il est vrai qu'il y a une très vague ressemblance entre le thème du « Saint Esprit » allemand, et l'une des variantes du thème de Frescobaldi.

Kyrie della Madonna.
Ex.64 : Kyrie della Madonna.

BWV 59/3, 175/7
Ex.65 : BWV 59/3, 175/7.

En plus de la raison évoquée, il est concevable d'imaginer que Bach ait fait ce rapprochement à cause de diverses variations que ces deux compositeurs ont adoptées pour leurs thèmes ; cela en sachant pertinemment que Frescobaldi ne se serait jamais servi du thème de Walter.

Il serait d'ailleurs étonnant, pour un organiste de la Basilique de Saint-Pierre, que Frescobaldi n'ait écrit sur le thème « Veni, Sancte Spiritus »54. Peut-être, ne l'a-t-il tout simplement pas nommé ainsi. Dans ce cas, Frescobaldi se serait inspiré d'une version « grégorienne » de ce thème.

Alors que la mélodie du Choral « Komm, Gott, Schöpfer, Heiliger Geist » est restée assez fidèle à l'original « Veni Creator Spiritus », la séquence « Veni Sancte Spiritus » ne ressemble plus (l'antifona, encore moins), ou alors que très peu, à la nouvelle mélodie du Choral « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott » qui s'est imposé dans le nord.

Si le thème du Saint-Esprit était présent dans les Fiori Musicali, même sous-entendu par un seul motif, Bach serait la personne la plus à même de le reconnaître.

Komm, Gott, Schöpfer, Heiliger Geist, BWV 667
Ex.66 : Komm, Gott, Schöpfer, Heiliger Geist, BWV 667.

Veni Creator Spiritus
Ex. 67 : Veni Creator Spiritus, Hymne*

Ex. 68 : Veni Sancte Spiritus, antifona*

Veni Sancte Spiritus Ex. 69 : Veni Sancte Spiritus, séquence*

* en écriture moderne.

Il serait tentant de rapprocher un tel sujet, à cause de la simplicité de sa ligne mélodique, ou du moins un fragment, au « Kyrie alio modo delli Apostoli », par exemple. Cependant, les thèmes grégoriens reliés aux Fiori Musicali ont été répertoriés, et la séquence du « Saint Esprit » n'en fait apparemment pas partie. Le motif en question, notre « thème du Saint Esprit », semble n'être autre chose du point de vue de l'analyse, et outre les considérations exposées, qu'une cellule thématique du dernier Kyrie grégorien de la Missa de la Madonna (Cum jubilo).

Ex. 70.

Toutefois, en tant que fragment thématique il est aussi présent dans la séquence Veni Sancte Spiritus55.


Ex.71.

Bien que le premier exemple soit mélismatique et le second, syllabique, ces notes sont là. L'étude de l'écriture grégorienne donne une approche assez précise ou suffisamment raisonnable de sa rythmique, approche nécessaire mais pas suffisante, dirait probablement J. Viret. Dans le Veni Sancte Spiritus, cette rythmique est interprétée plutôt comme des liaisons par la pratique grégorienne actuelle, définition certes simplificatrice, quand cela ne prend pas un rythme ternaire. Dans les Fiori, les interprétations actuelles du Kyrie grégorien della Madonna sont rythmiquement très proches du thème de Frescobaldi, et pour cause, mais cela au prix d'une certaine dissemblance avec l'écriture.

De toute façon, nous a réaffirmé le Père Hermann Josef Loup de l'Abbaye Cistercienne de Hauterive en Suisse, « De toute façon au temps de Frescobaldi, le rythme grégorien n'était déjà plus celui d'origine et (pour notre étude) c'est avec les lunettes de Frescobaldi et de Bach qu'il faut voir ces thèmes, et non avec des lunettes grégoriennes ».

Or, cela résume bien la question. Il serait évidement très instructif de savoir exactement à quoi Frescobaldi faisait allusion à chaque fois, mais le résultat est là : qu'il soit un fragment thématique de la séquence du Saint Esprit (peu vraisemblable) ou du Kyrie de la Madona (Ex. 70 et 71) ou encore, une variante d'un cantus firmus della Domenica (Ex. 34 à 36) et pourquoi pas, une trouvaille du Maître Ferrarensis56... ce motif est présent tout au long des Fiori Musicali. Il est à considérer que, de la même façon qu'il y a des ressemblances au sein des mélodies grégoriennes, Frescobaldi jouerait adroitement de ces ressemblances au fur et à mesure du déroulement de la messe.

Cela n'expliquerait pas tout : cette œuvre est aujourd'hui considérée comme étant un testament musical, une manifestation condensée de son art contrapuntique. La présence des thèmes grégoriens dans les Fiori Musicali est une évidence mais cette œuvre ne se résume pas à cela. L'exemple de Sweelinck, fourni par Pirro, bien qu'encore sujet à débat (voir note 25), l'héritage de Palestrina, Merulo, Luzzaschi, Trabaci, etc., ainsi que les exemples de Frescobaldi lui-même démontrent qu'une inspiration peut avoir des sources multiples et que la prudence s'impose lors de telles analyses.

Norbert Dufourcq, tout en faisant allusion à Frescobaldi dans un autre ouvrage (voir note 24), annonce que la canzone de Bach serait basée sur un thème grégorien57.

Dans l'Allemagne de Luther et cela jusqu'à Bach, les Kyrie eleison et Christe eleison étaient des répons courants, souvent utilisés au sens de l'Alléluia ou du l'Hosanna et loin de leur signification d'origine58.

Conclusion

Notre étude nous a d'abord révélé l'extrême difficulté que constitue le fait de traiter un sujet concernant des œuvres liturgiques sans faire appel aux symboles. La monographie qu'a écrite Alberto Basso, pourtant magistrale et œuvre de référence incontournable, démontre les limites de cette démarche et il en vient, semble-il, à trouver un compromis qui lui paraît acceptable. Son approche est, à cet égard, diamétralement opposée à celles d'André Pirro, d'Albert Schweitzer, de Jean-Jacques Duparcq et de Philippe Charru. En fin de compte, ces différentes approches ont été bénéfiques en nous évitant des excès de toutes parts. Nous avons dû également procéder à des choix et avons notamment décidé de ne pas exploiter les indices des symboles numériques et figuratifs au bénéfice de notre argumentaire, nous limitant à en faire part dans les notes59.

Cette étude nous a également démontré combien le recours aux écrits d'époque est indispensable. Cela nous a permis de rectifier certaines imprécisions, de compléter des informations fragmentaires et de nous imprégner d'une mentalité à travers laquelle certaines notions deviennent évidentes ou alors, hors de leur temps. Le travail de Neumann et Schulze ainsi que les rééditions d'anciens écrits ont démocratisé l'accès aux sources. Quelques traductions exécutées en parallèle ont confirmé l'extrême rigueur du travail accompli par Gilles Cantagrel et son équipe ; travail qui, avec le Bach-Dokumente, rend hommage à l'impulsion historique de János Hammerschlag. Avec les moyens dont nous disposions, nous n'avons pas hésité à écarter bon nombre de publications dont la pertinence laissait à désirer. Il y a aussi, certainement, des ouvrages essentiels qui nous ont échappé. Néanmoins notre bibliographie reste largement représentative de l'état des connaissances actuelles sur le sujet et tient compte de plus récentes publications. Les renseignements collectés, y compris les solutions alternatives ou concurrentes, ont été systématiquement recoupés entre eux et, dans la mesure du possible, avec les écrits les plus proches des sources d'origine, ainsi qu'avec des critiques fiables de ces mêmes sources. Cela, certes, au prix d'une certaine lourdeur dans les notes et citations, mais c'est le seul moyen de faire la différence entre ce que l'on sait et ce que l'on suppose ; d'où la question sensible du choix des ouvrages de référence.

Nous voulons aussi rendre hommage à Albert Schweitzer qui nous a insufflé la curiosité de connaître les origines anciennes de la grande fugue qui, même ressenties, restaient pourtant vagues et imprécises. Lorsqu'en 1904 Albert Schweitzer reprend les propos de Philipp Spitta et fait à son tour le rapprochement de la fugue BWV 1005 avec le choral de Walter, il le cite par son nom latin mais c'est bien au cantique allemand qu'il fait allusion60. En bon théologien luthérien qu'il était, et comme musicologue accompli, cette explication ne pouvait que lui convenir. Après ces pionniers, cette affirmation a été reprise sans jamais, à notre connaissance, avoir été remise en cause (mise à part Lester, qui a le mérite d'avoir essayé une autre voie - note 46) mais aussi, sans que l'on cherche à la valider (excepté Williams, peut-être — Id. note)61. Même Alberto Basso, fervent admirateur de Frescobaldi qui a si bien souligné l'héritage italien dans la Canzona de Bach, s'y est conformé. Nous ne critiquons pourtant pas la démarche du docteur alsacien, ni du musicologue italien, ni du grand Spitta, car cette affirmation reste vraisemblable et fortement plausible62. Elle est par ailleurs très élégante !

Notre thèse et celle du Maître ne sont probablement pas en opposition. Elles tendent à être complémentaires. Dans les deux cas, nous aurions pu opter pour l'analyse de la structure « tripartite » de la fugue pour y voir la Trinité. Ce n'est pourtant pas en cela qui consiste la démarche musicologique, du moins dans le cadre de cette étude. Pour paraphraser Alberto Basso, les recherches actuelles sur Bach concernent fondamentalement la datation des œuvres et essayent de remédier aux désinvoltures écrites par le passé. Ces dernières sont souvent la conséquence d'une datation inexacte. La contribution indéniable qu'ont apportée Forkel, Spitta et Schweitzer à l'histoire de la musique donne à leurs affirmations, devenues elles mêmes historiques, un poids moral qu'il n'est pas aisé de contester.

Ainsi, par exemple, l'analyse philologique d'Albert Schweitzer mène-t-elle à une interprétation directive qui, en cent ans, a provoqué d'intenses débats et qui a été souvent comprise comme réductrice, mais il a été le premier exégète des temps modernes à mettre l'accent sur un aspect essentiel de la rhétorique de J.-S.Bach. Il en va de même, naturellement, avec les propos concernant la canzona. André Pirro présente son point de vue dans une version que nous pourrions qualifier de « forte » par rapport à son évolution vers une version actuelle « faible ». L'évolution s'est faite dans le souci très louable d'éviter les exagérations sans pour autant l'invalider ou la priver de son contenu. Cette version modérée maintient l'œuvre dans son cercle d'influences, lui-même renforcé par le soutien quasi unanime des musicologues. Ce sont là deux exemples d'une vision affirmée et contrastée, héritée du Romantisme, discutables dans leurs mises en forme mais aux intuitions justes.

Dans le domaine de la recherche, lorsqu'une idée est considérée comme acquise elle devient muselée jusqu'à ce que de nouveaux arguments et contre-arguments viennent bousculer nos certitudes63. Le seul fait que Christoph Wolff n'ait pas inclut la fugue BWV 1005 dans son ouvrage « Le style antico dans la musique de J.-S.Bach » aurait été suffisant pour décourager quiconque, à commencer par nous-mêmes, d'envisager cette recherche64.

Le rapprochement, développé ici, n'apparaît pas au premier regard. Le langage allabreve de la fugue BWV 1005 est adapté au langage instrumental du violon solo et cet exemple est unique dans l'œuvre de Bach. Les observations stylistiques sont restées au niveau de généralités comme « style italien » ou « fugue-ricercare » car la façon dont Bach s'est approprié des Fiori Musicali est tangible mais pas explicite. L'exemple des Toccatas per le Leviatione est édifiant à cet égard. La similitude des procédés, pourtant volontaires et calculés, est difficilement décelable sans le renfort décisif de l'examen. Cet exemple est justement intéressant parce qu'il n'est pas probant dans les limites de nos observations. D'autres études sont nécessaires si l'on veut invalider ou consolider l'idée d'une influence. Ainsi le chercheur s'interroge-t-il : si deux œuvres ont réellement entre elles un lien qui n'est pas évident, comment peut-il le déceler, puis le démontrer ? Dans les commentaires qu'il a aimablement fournis à notre travail, Peter Williams nous a précisé que, selon lui, l'influence de Frescobaldi n'est pas suffisamment prise en compte dans les œuvres de Bach. Ceci pourrait être aisément expliqué par la difficulté de la tâche. Par ailleurs, il n'est pas inutile de rappeler les limites de cette démarche en apposant nos capacités d'analyse face à la créativité illimitée du compositeur.

Au début de notre démarche, nous ne savions pas que les Fiori étaient au programme. Cette conviction s'est imposée d'elle-même au fur et à mesure des découvertes et des analyses. Ces mêmes analyses qui nous ont été nécessaires à notre compréhension, Bach aurait pu les envisager, ou même les concevoir, au moment où il découvrait les Fiori Musicali.

Cette étude a, par ailleurs, confirmé ce que d'autres études ont démontré, à savoir que l'intérêt porté aux influences extérieures, se trouve dans leur contribution et leur participation à la cohérence du langage musical du compositeur. Elles participent à la rhétorique du discours. L'utilisation que Bach en a faite n'est pas empreinte d'un souci de démonstration mais de clarté. Éluder la question ou minimiser son importance seraient se priver d'un outil de compréhension.

Tout l'intérêt musicologique des œuvres dites « inspirées » réside dans le fait qu'à travers un style, des procédés précis et parfois des thèmes, c'est un langage accompli que J.S.Bach acquiert pour le faire sien. Cette appropriation se fait dans un cadre de pensée historique. Alberto Basso nous donne un exemple de ce processus de pensée lorsqu'il invoque les Kyrie du Clavier-Übung III : « le procédé… est en rapport direct avec la plus haute technique de type Renaissance… le passé transcende le moment réel de la création, le domine, s'impose en tant que donné critique… le tourment qu'impose la technique, ce jaillissement obsessionnel de l'imitation née de la plus petite cellule thématique sont l'expression de l'imagination créatrice… »65.

Sans ces fleurs musicales, un certain nombre d'œuvres de Bach n'auraient existé telles que nous les connaissons, dont la Fugue BWV 100566. La copie que possédait Bach était très probablement de sa main. L'empreinte qu'elle lui a laissée se ressent jusqu'à l'Art de la Fugue. Nous comprenons mieux son importance et redécouvrons un chef d'œuvre dont Bach s'est bien inspiré.

Ricardo Lopes Garcia,
Fribourg, Suisse.

Notes

1. Soulignons qu'il y a deux mélodies grégoriennes ayant pour titre Veni Sancte Spiritus : la séquence et l'antiphona. Il existe aussi l'hymne Veni Creator Spiritus (voir Ex. 67 à 69). Ainsi, par exemple, le Veni Sancte Spiritus de John Dunstable ressemble davantage au Veni Creator Spiritus malgré son titre. Cela peut être aussi le cas de certaines versions. Ensuite, beaucoup de compositeurs ont écrit une nouvelle mélodie pour traiter ce thème. Nous indiquons ici sans distinction, quelques compositeurs de plus : Guillaume Dufay (v.1400-1474), Balthasar Resinarius (1480/6-1544/6), Arnold von Bruck (1480/1500-1554), Heinrich Faber (v.1500-1552), Huldrich Steigleder (1581), William Byrd (1543-1623), Tomás Luis de Victoria (1548-1611), Eustache du Caurroy (1549-1609), Johannes Eccard (1553-1611), Michael Praetorius (1571-1621), Johann Hermann Schein (1586-1630), Johann Christoph Demantius (1567-1643), Gregorio Allegri (1582-1652), Samuel Scheidt (1587-1654), Johann Heinrich Scheidemann (1595-1663), Franz Tunder (1614-1667), Nikolaus Hasse (1617-1672), Matthias Weckman (1621-1674), Nicolas Lebègue (1631-1702), Johann Pachelbel (1653-1706), Johann Caspar Ferdinand Fischer (1656-1746), Andréas Nikolaus Vetter (1666-1734), Georg Friedrich Kauffmann (1679-1735), Johann P. Kirnberger (1721-1783), Johann Michael Haydn (1737-1806), Vinzenz König (1748-1804), André da Silva Gomes (1752-1844), Francisco Gomes da Rocha (1754-1808), Henrique Oswald (1852-1931), Eduardo Grau (1919), Leoš Janáček (1854-1928), …

Quant à la mélodie du choral « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott », bien qu'Alberto Basso l'attribue à Walter (BASSO I, p. 133), il la relie à la séquence grégorienne et cite la date de 1480. BASSO I, p. 124, 128, 708 à la note 25. Jacques Chailley voit une paraphrase du Veni Creator et retrouve les premières notes de l'hymne dans la mélodie du choral luthérien. CHAILLEY VI, p. 172. Yves Keler confirme la date de 1480, cite l'Abbaye d'Ebersberg et signale une légère modification dans la version de 1524, ce qui expliquerait, peut-être, l'affirmation de Basso concernant Walter. Le pasteur Yves Keler nous a précisé que le texte du Cantique « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott » dérive de l'antifona Veni Sancte Spiritus, reple tuorum, elle-même issue du Veni Creator, ainsi que le cantique « Nun Bitten wir den Heiligen Geist ». Jacques Viret perçoit dans ce dernier cantique quelques réminiscences de la séquence Veni Sancte Spiritus (VIRET, p. 160, 165), tandis que Basso y voit une adaptation d'un chant médiéval allemand.

2. BASSO II, p. 248 ; CANTAGREL III, p. 17.

3. « Komm, Gott, Schöpfer, Heiliger Geist » BWV 667. La BWV 668 aurait été rajoutée après la mort de Bach.

4. Sont aussi des « concertos en dialogue » les cantates BWV 32, 49, 57, 58, 60 et 66. Lire aussi à ce sujet : PIRRO I, p. 316 à 324.

5. Il y a quatre versions de cette cantate, avec des modifications entre elles qui concernent, notamment, la tonalité et le choix des instruments. Les deux derniers mouvements de la version en do majeur sont en fa. Ils sont en sol dans la version en majeur. La partie de l'oboa d'amore était auparavant destinée au hautbois ou à la flûte douce. La quatrième version remplace le cantus firmus et le violoncelle obligé par l'orgue. Alfred Dürr justifie ces aménagements par l'idée que le compositeur avait un intérêt particulier pour cette cantate. Sans le contredire, nous pensons qu'il s'agirait peut-être aussi d'un manque de personnel. Lire au sujet des cantates : DÜRR. I, p. 392 à 399, 417 à 420 ; DÜRR. II, p. 103 ; CANTAGREL III, p. 590 et s., 596 et s., 627 et s. ; BASSO I, p. 427, 428. Lire au sujet du Motet BWV 226 : MELAMED, p. 63 et s.

6. BASSO II, p. 664.

7. Lire à ce sujet : DUPARCQ, KœHLHœFFER, GUILLARD, p. 50 et s., 69-70, HIRSCH, p. 43 à 51, CHAILLEY IV, p. 53 à 63. Voir aussi notes 39 et 59.

8. À notre surprise, l'utilisation des motifs « A » et « B » n'est pas courante. Le nombre d'œuvres où ces motifs ou des motifs analogues apparaissent est relativement limité. Exposée ici la plupart des exemples, dont l'un des principaux est la canzona BWV 588. Dans le prélude BWV 685, d'aspect antique selon Williams, un motif, semblable au motif « A », est utilisé rectus et inversus à la manière de Scheidt (Tabulatura nova), comme contre-sujet et sans le chromatisme. Williams l'analyse comme étant une variante du thème principal. WILLIAMS II, p. 216, 217 ; BASSO II, p. 656. Voir aussi note 27 (Scheidt). Dans la Cantate BWV 102 « Herr, deine Augen sehen nach dem Glauben ! », un contre-sujet analogue est exposé en contrepoint, avec des répétitions du motif et en présence d'un léger chromatisme. Il est présenté en forme de fugue ou de motet dans le premier chœur (mes. 74 à 99). Nous constatons une utilisation comparable dans le gloria de la messe en sol majeur BWV 236, de style archaïque selon Basso (BASSO II, p. 576), aux mesures 83, 84, 89, 90, 93, 96-98, 110, 115, et des dessins semblables aux mesures 102, 103. Cette pièce tire son origine du chorus allabreve de la Cantate BWV 79. On trouve aussi des thèmes ou des motifs ressemblants dans le deuxième chœur de la cantate BWV 138 (motifs « A » et « A' », mes. 17 et suivantes), dans le duetto de la cantate BWV 78, dans le quatrième mouvement (allabreve) de la Cantate BWV 108, dans la toccata BWV 913/2 en mode renversé, dans la première partie du sujet de la fugue BWV 863 ainsi que, vaguement, dans la réalisation (mes. 20, 70) de celui de la fugue allabreve BWV 882 du CBT. Malgré leurs affinités et la simplicité de ces thèmes, aucun de ces exemples ne peut être considéré comme étant le sujet de la Fugue BWV 1005 ou vice-versa. Outre la fonction thématique, des motifs comparables au motif « A » sont encore présents, comme éléments stylistiques, semble-t-il, dans la fugue inachevée de L'Art de la fugue, sous plusieurs aspects (mes. 65, 77, 85 à 89, 96, 97, 100, 103, 170, 223, 231, 232) ; dans le chorus 21 du Weihnachts-Oratorium (mes. 15 au ténor, 19 à l'alto, etc.), dans le chori 50d - NBA - de la Matthaüs Passion, « Sein Blut komme über uns », écrit à la façon d'un motet (MELAMED, p. 140), dans le kyrie d'ouverture de la messe en si (mes. 13, 28, 46, 56, etc.), dans le premier coro allabreve de la cantate BWV 144 (mes. 8, 16), dans le coro d'ouverture, à la manière du stile antico (WOLFF IV, page 158), de la cantate BWV 80 (mes. 8 et s. au tenore, etc.), dans le ricercare à 6 de l'O.M. (demi-mes. 26, 30, 46, 54 puis, 81-82 « A' »), dans la fugue allabreve BWV 876 (mes. 32 et des dessins analogues dans les mes. 11, 18, etc.), dans la partie centrale de la fantaisie BWV 572 (mes. 106), dans la fugue BWV 538 (mes. 55, avec un procédé quelque peu semblable à celui de l'exemple 29 de ce texte, et mesure 122), et dans la fugue BWV 534 (mes. 66). Encore plus inhabituel que le motif « A » est le motif « B ». On trouve un exemple similaire dans la fugue BWV 546 (mes. 21). Ces exemples furtifs, en mode droit ou renversé, accompagnés ou non du chromatisme, semblent uniquement démontrer une utilisation mélodique circonstancielle ; ils sont intégrés à des dessins mélodiques similaires, liés à un type d'écriture. En effet, la grande majorité mais pas la totalité des œuvres citées ou des parties concernées appartiennent ou se rapprochent de la famille des styles anciens pratiqués par J.-S.Bach et plus particulièrement, le style allabreve, tel que C. Wolff le définit. Nous y reviendrons. Par ailleurs, le motif étudié ne saurait avoir une unique référence, qu'elle soit stylistique, figurative ou simplement thématique. Néanmoins, il ressort de ces observations une cohérence manifeste de son utilisation. A contrario, plus nous nous éloignons vers des œuvres en style français ou en écriture luxuriante, moins nous rencontrons des motifs comparables. Cependant, un petit groupe d'œuvres, signalées par Zehnder (BWV 718, 659, 768), dont le motif étudié est légèrement différent, semble ne pas correspondre à nos observations. ZEHNDER, p. 104. La cantate BWV 15, où le motif apparaît dans le duetto, est attribuée à Johann Ludwig. Quant à la fugue BWV 561 (mes. 15, 23), son authenticité est contestée par Basso. BASSO I, p. 319. Pour terminer, dans le choral « Aus tiefer Noth » le motif fait partie intégrante du thème du choral. Cette liste a été dressée à partir des œuvres citées dans notre bibliographie. Elle pourrait donc être complétée par d'autres exemples ou contre-exemples mais elle demeure statistiquement représentative.

9. Le Bux WV 199 est aussi basé sur ce thème.

10. Lire à ce sujet : WALKER, p. 139 ; BUKOFZER, p. 295 et précédentes, 94 et s., 85, 117 ; BASSO I, p. 149; PIRRO II, p. 1 à 46 ; SCHWEITZER, p. 24 et s. ; FROTSCHER I, p. 470 et s., 559 et s. ; FROTSCHER II, p. 754, 755 ; HAMMOND, p. 88, 95 ; BODKY, p. 167, 168 ; DUFOURCQ II, p. 81 à 105 ; MACHABEY, p. 137 ; SPITTA I, p. 95 à 108 ; EM III, p. 356.

11. BASSO I, p. 150, 151, 199 ; CHAILLEY VI, p. 5 et s. ; EM I, p. 543.

12. Plus précisément, Forkel compare ces sonates à celles destinées à la liturgie et qui ont été perdues. FORKEL, p. 60, 61 ; BASSO I, p. 240, 637, 638, 642, 730 à la note 154 (prescription concernant la musique instrumentale au moment de la communion). Cela sans exclure l'hypothèse « Pisendel » (voir note 48).

13. Les termes : renversement, inversion, inversus, al riverso, al rovescio, per arsin et thesin, etc., désignent des procédés contrapuntiques qui peuvent avoir des sens différents selon les coutumes, les écoles ou les pays. Dans notre étude, nous désignons par « renversement » seulement le sens du mouvement ascendant ou descendant de la frase renversée par rapport à la phrase d'origine, telle qu'on la rencontre dans les exemples 10 et 11. Cela, sans tenir compte de la valeur exacte des intervalles, ce que Mattheson appelait contrarium stricte reversum. MATTHESON III, p. 561. Le glossaire de l'école française est donné par Jacques Chailley dans son L'Art de la Fugue de J.S.Bach, CHAILLEY I. Lire aussi le glossaire de WALKER (d'après les traités d'époque) ; EM III, p. 562. Le terme al rovescio désigne la réponse renversée par rapport au sujet puis, quelques fois, le mouvement rétrograde ; procédé dont nous avons cru voir une ébauche dans les mesures 204 - 205 de la fugue BWV 1005 (au passage du mode renversé au mode rectus). Voir Ex.55.

14. Sixième fugue d'Ariadne Musica pour orgue. Cette pièce est une fugue miniature où Fischer fait varier la fin des expositions à la manière de Frescobaldi. L'œuvre remonterait à 1702 mais l'on ne connaît que l'édition de 1715. BASSO i, p. 683 ; FROTSCHER i, p. 523. Nous abordons plus loin le sujet concernant Fischer (voir note 35). Signalons encore que Fischer ne renverse que le deuxième motif du thème du choral (Ex. 11).

15. SCHWEITZER, p. 124, 125 L'affirmation de Schweitzer est sujette à caution. SPITTA i, p. 691 ; WOLFF iii, p. 148, 149. Au sujet de Mattheson voir note 46. En ce qui concerne la datation de ces œuvres, lire : HAUSSWALD und GERBER, NBA vi/1, p. 26 à 29 ; BASSO i, p. 637 ; KOBAYASHI i, NBA, ix/2, p. 18, 19, 77 à 80, 219 ; DADELSEN i, p. 21, 70, 81 ; DADELSEN ii. Gilles Cantagrel remarque que l'étude des papiers de musique ainsi que l'étude graphologique se heurtent au fait que Bach a souvent réalisé des copies ultérieures de ses propres œuvres. CANTAGREL ii, p. 98. Alberto Basso tient des propos semblables concernant les fugues pour orgue de la période de Leipzig. BASSO ii, p. 638. Ces mêmes études graphologiques semblent exclure l'idée que le manuscrit de Sonatas et Partitas soit une copie réalisée à la période de Leipzig. Dans ce cas, que signifierait le fait que la page autographe de Sei Solo a violino senza basso accompagnato… ne porte pas le titre de Bach : Capellmeister de la cour d'Anhalt Cöthen, qu'il utilisa pourtant jusqu'à la mort du prince en 1728 ? Lire à ce sujet : BASSO ii, p. 156. Ceci n'incite pas à soutenir l'idée improbable d'un projet de publication. L'étude stylistique ne peut être décisive pour établir la datation, comme il a été démontré notamment par Dadelsen, même si dans le cas de Sonatas et Partitas cela semble cohérent avec la progression par échelle de quintes. Signalons encore que le manuscrit de 1720 est une pièce maîtresse dans l'étude comparative pour établir la datation d'autres œuvres. De ce point de vue, la date de la conception de Sonatas et Partitas importe moins que la date où cet ensemble a été mis sur papier.

16. Cette œuvre de Vivaldi a été transcrite par Bach : le BWV 596. À partir de la constatation des ressemblances thématiques avec des œuvres telles que les BWV 541, BWV 21 et BWV 77 et des considérations liées à la datation, les chercheurs ont tiré des conclusions différentes. Pour certains, il y aurait probablement une influence directe. Pour d'autres, cela ne pourrait être qu'un simple concours de circonstances dû à l'utilisation des motifs courants sans influence extérieure. Lire à ce sujet : DÜRR I, p. 461 ; BASSO I, p. 431, 432 ; CANTAGREL III, p. 697, 698. Néanmoins, Dürr confond le classement de la fugue pour orgue (simple faute de frappe corrigée dans l'édition anglaise — Oxford Univ. Press, p. 410) et cite le BWV 544. Cette dernière explication semble mieux s'appliquer à la fugue BWV 1001, du moins en partie car, outre le chromatisme caractéristique signalé, il existe aussi une vague ressemblance thématique avec les œuvres citées. Si cela semble avoir échappé aux observations, c'est certainement parce que le sujet de la fugue BWV 1001 est typique des canzones et qu'il pourrait être comparé à d'autres modèles. Voir Ex. 49 à 51. Williams a repéré aussi quelques similitudes avec une œuvre de Corelli. WILLIAMS I, p. 102, 103. L'exemple de Vivaldi est emblématique : si une liaison directe ne peut être prouvée, car la datation et les ressemblances thématiques sont des arguments forts mais insuffisants, on aurait tort de tout ramener à des simples coïncidences.

17. Bach a transcrit ou composé jusqu'à cette époque un nombre important d'œuvres directement inspirées des italiens. Quelques exemples : Albinoni, Marcello, Legrenzi, Corelli, Vivaldi. Il y a aussi celles qui, sans le dire, sont dans un style précis, comme la canzona BWV 588 (à la manière de Frescobaldi) ou l'Allabreve BWV 589 (Corelli). WILLIAMS III, p. 91 à 97, 102 ; CANTAGREL II, p. 99 ; PIRRO I, p. 391-441 ; PIRRO III, p. 47, 48 ; SCHWEITZER, p. 24-43 ; BASSO I, p. 359-531 ; BASSO II, p. 648-650 ; GUILLARD, p. 84, 90, 91, 101 ; RILLING, p. 75,76.

18. CANTAGREL I, p. 353 § 405 ; BASSO I, p. 230.

19. Schweitzer n'a certainement pas fait que copier Spitta, car quelques temps avant la parution de son livre, il séjournait à Berlin où il a pu consulter le manuscrit. SCHWEITZER, p. 26 note 2 ; SPITTA I, p. 418 ; PIRRO II, p. 7 note 2. L'œuvre était, en effet, conservée à l'Akademie für Kirchen und Schulmusik de Berlin, mais elle a été détruite pendant la deuxième guerre mondiale. BASSO I, p. 384 ; NEUMANN und SCHULZE, NBA, Doc I, p. 269 ; WOLFF I, p. 26, 27. C'est le sort des livres historiques. A. Basso précise encore que la seule présence d'une telle œuvre chez Bach suffit à établir l'importance de sa bibliothèque. Gilles Cantagrel nous rappelle qu'« il s'agit là d'une recherche toujours délicate, dans la mesure où la musicologie manque, ici comme ailleurs lorsqu'il s'agit de Bach, de documents suffisants, notamment de la copie que celui-ci a prise des Fiori musicali de Frescobaldi. » En effet, la disparition du manuscrit nous prive d'un certain nombre de renseignements précieux à savoir, notamment pour notre étude, de qui le tenait-il ou encore, s'il s'agissait effectivement d'une copie réalisée par le compositeur et, dans ce cas, avec d'éventuelles annotations ou par l'étude de filigranes des papiers de musique, ou encore, par l'étude graphologique, s'il pourrait s'agir d'une acquisition tardive d'une œuvre qu'il connaissait déjà. Savoir aussi jusqu'à quel point la copie de Bach était conforme à l'original pourrait, entre autres, fournir des indices sur sa provenance. Par ailleurs, il n'est pas certain que la partition nous aurait éclairés. Sans ces réponses, nous devons nous en tenir à ce que l'on sait : la date d'acquisition, le fait que la copie lui appartenait et que le document était imposant, soit 104 feuillets. Nous savons aussi que l'œuvre était un modèle dans toute l'Allemagne et qu'elle représente aujourd'hui l'une des références majeures liées à l'écriture de type archaïque de J.-S.Bach. Nous savons aussi que Bach avait déjà étudié Frescobaldi avant 1714 (voir notes 18, 23 et 24).

20. BASSO I, p. 512 puis, 320-321, 330 (BWV 993), 519-520, 528-529 (BWV 910, 914), 296, 692 ; BASSO II, p. 635, 650, 767. Certains préludes datent de Leipzig. Bach reprendra cet exercice ancien par la suite, sans que cela concerne uniquement ou directement Frescobaldi, dans les « fugues-ricercar », IV, VIII et XXII du premier livre du CBT ; VII, IX et XXIII dans le second. L'influence de Frescobaldi a été remarquée également dans diverses œuvres jusqu'aux Variations Goldberg, le Clav.Ü III, l'Offrande Musicale et l'Art de la Fugue. Lire à ce sujet : WILLIAMS V, p. 84, 225, 226 ; HAMMOND, p. 211, 212 ; PLACE, p. 43 (influences de Frescobaldi dans les œuvres des années 1740) ; WOLFF IV, p. 331 (Ricercare à 6 et Frescobaldi) ; WOLFF I, p. 120, 121, 126 (Fuga a 3 soggetti, Ricercare à 6) ; SCHULENBERG, p. 76, 199, 200, 231, 391 et s., 411, 423, 575 note 58, 490 note 47. Notons la ressemblance structurelle entre le sujet de la « fugue-ricercare » BWV 853, et celui de la canzona BWV 588. Outre le chromatisme du choral BWV 614 (à la manière de Frescobaldi — WILLIAMS IV, p. 98, 99) Williams compare les éléments du langage de la canzona BWV 588 à ceux de la fugue BWV 538. L'auteur fait aussi le rapprochement entre l'écriture allabreve de variations 18 et 22 des Variations Goldberg avec celle du ricercar à 6 de l'Offrande Musicale ainsi qu'avec le stile antico du Clav.Ü III. WILLIAMS I, p. 273 ; WILLIAMS VI, p. 74, 75. Bukofzer considère la fugue BWV 849 comme un aboutissement du ricercare et souligne l'introduction des nouveaux contre-sujets à la manière de Sweelinck et de Froberger. BOKOFZER, p. 315. David Schulenberg lie cette fugue avec Frescobaldi, Froberger et Kerll, et la compare avec la fugue BWV 540. SCHULENBERG, p. 214, 471 notes 39, 40. Williams compare cette fugue avec le Ricercar primo de Frescobaldi (Ricercari et Canzoni francese — 1615). WILLIAMS VII, p. 188 (voir note 31).

21. BASSO I, p. 14.

22. WOLFF I, p. 12, BUKOFZER, p. 12, WALKER, p. 153, 154.

23. WOLFF I, p. 26, 27 puis, 10, 14, 15, 36, 69 (« Aus Tiefer noth »), 70 (figures mélodiques et rythmiques), 119, 120, 121, 125, 126, 146 et 182 (style à la fois ancien et moderne de l'écriture allabreve). En 1725 Fux proposait une sorte de retour à Palestrina (tendance qu'on perçoit pourtant dans des ouvrages antérieurs également — Bukofzer). Bukofzer affirme que « c'est toujours Palestrina qui est cité comme la référence suprême, mais les règles du stile antico ne sont pas tirées, en réalité, de la musique de la Renaissance ; elles sont une espèce de codification d'un style a cappella conçu harmoniquement (et horizontalement selon Wolff), plutôt que le vrai style de la Renaissance ». BUKOFZER, p. 415, 11, 12 ; WOLFF I, p. 89, 90 ; WALKER, p. 154, 155. Les Fiori musicali sont parmi les œuvres clés à la base du style ancien de J.-S.Bach. « Dans les sources manuscrites des XVIIe et XVIIIe siècles les Fiori Musicali sont souvent placées à côté de messes de Palestrina, ce qui est une indication que ces œuvres ont été interprétées comme des modèles classiques pour l'étude du contrepoint strict » (In manuscript sources of the seventeenth and eighteenth centuries the Fiori Musicali are often placed next to Palestrina's Masses, an indication that they were understood as classical models for the study of strict counterpoint). WOLFF IV, p. 88 ; WOLFF I, p. 29. Lire aussi à ce sujet : WILLIAMS II, p. 184 et s.. Néanmoins, le concept de style « alla Palestrina » dans les Fiori Musicali n'a pas manqué d'être renouvelé, par l'ajout des caractéristiques instrumentales ainsi que par l'influence du style moderne. Il en résulte, selon Wolff, un langage harmonique plus coloré et un langage mélodique plus ouvert (liberal). WOLFF IV, p. 87. Les copies ou réélaborations d'autres œuvres citées par Wolff, notamment celles de Bassani, Caldara et Palestrina auraient été réalisées entre 1735 et 1742. KOBAYASHI I, p. 212 à 216 ; BASSO II, p. 608, 621 à 630 ; SPITTA II, p. 509. La non-appartenance au stile antico, au sens restreint, serait insuffisante pour écarter l'hypothèse du caractère « sacré » ou de la destination liturgique de la fugue BWV 1005. Bernhardt précise que le stile antiquus a moins à faire au contenu du texte qu'à la construction contrapuntique adaptée à la règle (WOLFF I, p. 14 ; BUKOFZER, p. 415). Or, le traitement rigoureux de la dissonance est une caractéristique majeure de cette écriture et celui de la fugue BWV 1005 en est un bel exemple. Cependant elle ne se limite pas qu'à un exercice de style. Sans oublier que la rhétorique musicale suffit à elle-même (lire à ce sujet : CLERC ; CHAILLEY V ; BUKOFZER, p. 420-422 ; HARNONCOURT I, p. 58 et s. ; BASSO I, p. 171), si nous prenions pour authentique l'hypothèse du caractère sacré, nous aurions pu considérer l'œuvre comme une véritable « prédication musicale », fonction confiée, par ailleurs, aux concertos spirituels. BASSO II, p. 556. Bien qu'apparu dans un tout autre contexte (Paris, 1725 - BUKOFZER, p. 440), ce genre d'institution musicale démontre l'omniprésence de la religion dans les activités humaines et notamment artistiques de l'époque. Lire aussi : BUKOFZER, p. 98, au sujet de « concerts d'église ». Christoph Wolff affirme que, « pour Bach, la science théologique et la science musicale sont les deux faces d'une même médaille » (Doch in Bachs Augen waren theologische und musikalische Wissenschaft zwei Seiten ein und derselben Medaille). WOLFF III, p. 361. Voir aussi note 51. Lire au sujet du stile antico : WOLFF I ; WOLFF IV, p. 84 et s. ; WALKER, p. 152 et s., 292 et s. ; BUKOFZER , p. 9 à 27, 74 à 80 ; SPITTA II, p. 602 et s. ; MATTHESON III, p. 143 § 34 et s.

24. PIRRO II, p. 78 à 87 ; PIRRO I, p. 418 ; SPITTA I, p. 418 à 420 André Pirro n'a pourtant pas été le premier à envisager le rapprochement des pièces des Fiori avec Bach. SPITTA I, p. 419 à la note 45. FROTSCHER II, p. 880 ; BASSO I, p. 519-520 ; BUKOFZER, p. 304 (Frescobaldi ou Froberger selon Bukofzer) ; KELLER I, p. 70, 71 ; SCHULENBERG, p. 76 ; DUFOURCQ I, p. 117 ; GUILLARD, p. 91 ; LEHMANN, p. 120 ; PLACE, p. 82 ; MACHABEY, p. 138. Dietrich Kilian nous rappelle que la simplicité des thèmes utilisés incite à la prudence et que la copie des Fiori Musicali de 1714 serait postérieure à la datation probable de la Canzona, mais admet que Bach a certainement connu les musiques pour orgue de Frescobaldi plus tôt qu'à cette date. En effet, d'après Carl Philipp Emanuel, Jean Sébastien était familiarisé avec des œuvres pour orgue de Frescobaldi depuis l'époque d'Ohrdruf (ou Lunebourg selon Basso — voir note 18). KILIAN III, NBA, IV/7, p. 165 ; WILLIAMS I, p. 272 à 274, WILLIAMS II, p. 183, 184, 188 ; EM I, p. 318, 486. Quant à Wolff, s'il ne fait aucune allusion à tout cela, il cite néanmoins la Canzona comme un contre-exemple du style virtuose du nord et la classe, sans ambiguïté, parmi les œuvres sous l'influence de Froberger, Kerll, Pachelbel et Frescobaldi. WOLFF I, p. 26, 27, 120, 121 ; WOLFF III, p. 78 à 82.

25. Nous reviendrons plus en avant et en conclusion sur les termes employés par Pirro concernant la canzona. PIRRO II, p. 78 à 87, p. 71 note 1 ; BUKOFZER, p. 57. Bien qu'André Pirro désigne sans aucun doute la Fantaisie chromatique, nous n'avons trouvé un exemple tel l'ex.16 dans l'œuvre de Sweelinck. Néanmoins ces sujets sont présents d'abord séparément : dans la fantaisie n° 19 (mes. 16 à 22) ; le choral « Erbarm dich mein, o Herre Gott » (mes. 142, 143) ; la Fantaisie super ut, re, mi, fa, sol, la (mes. 26, 27, 28, 49, 101, 102) puis, en mode renversé (mes. 219 de la fantaisie 8) avec le contre-sujet chromatique, ainsi que dans le capriccio n° 70 (mes. 29 à 34). Ils sont aussi présents de façon plus ou moins aboutie, dans les Fantaisies n° 2 (mes. 40, 74, 82 à 87, 105, 116, 117, 209, 211, 217) ; n° 5 (mes. 33, 116) ; n° 7 (mes. 71) ; n° 8 (mes. 162 à 174) ; le ricercare n° 10 (mes. 104, 105). Le sujet chromatique, lui, est présent dans la Fantaisie Chromatique, naturellement, mais aussi dans un grand nombre de ces œuvres. Williams souligne que le tétracorde chromatique descendant a été associé aux fugues de type ricercare. WILLIAMS I, p. 273. Lire au sujet du chromatisme dans les œuvres de Frescobaldi : WILLIAMS IV, p. 37 et s. ; dans celles de Bach : Id., p. 77 et s. Voir aussi : note 40. A. Pirro précise encore que Sweelinck aurait lui-même séjourné en Italie où il aurait fait des études. Cela est appuyé par BUKOFZER, p. 85 mais contredit par EM III, p. 759. Voir aussi WALKER, p. 115. Frescobaldi avait déjà utilisé ces sujets (voir note 56) un peu à la façon de Roland dans ses œuvres écrites en style fugué et, également avant lui : Palestrina (voir note 55), Luzzaschi, Vecchi, Claudio Da Correggio (1533-1604), qui aurait influencé Sweelinck, Frescobaldi, Terzi et bien d'autres. Hammond doute également que Frescobaldi ait pu rencontrer Sweelinck et attenue l'influence de celui-ci sur l'italien, car l'écriture sans surprises du premier ne correspond pas aux idées toujours changeantes de Frescobaldi. HAMMOND, p. 29, 30, 119 ; FROTSCHER I, p. 364, 373 ; BUKOFZER, p. 85 à 88 ; MACHABEY, p. 93 ; HM I, p. 600, 601. Au sujet de l'influence de Sweelinck au nord de l'Allemagne, lire: BASSO I, p. 149, 150 ; HM II, p. 164, 165.

26. SPITTA I, p. 691 note 21.

27. Nous retrouvons également ce motif dans la troisième fugue du Magnificat Quart Toni ; dans une fugue en mineur (mes. 21,22) accompagné du tétracorde chromatique. Cette pièce a été citée également par Williams, qui la compare avec la fugue BWV 1005. WILLIAMS IV, p. 95. Ensuite, le motif apparaît de façon plus fugitive dans les fugues n° 12 et 13 du Magnificat Primi Toni, les chorals « Nun komm, der Heiden Heiland », « In dich hab'ich gehoffet, Herr », dans les deux versions de « An Wasserflüssen Babylon » avec le renversement dans le deuxième, et même dans le « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott » dans les dernières mesures. Ce motif apparaît également dans certaines œuvres de Buxtehude, tout comme celui de la section à 3/2 de la Canzona : BuxWV 149. Voir aussi BuxWV 146. Nicolas de Grigny utilise un sujet semblable dans la fugue à 5 de son Veni Creator. Néanmoins, l'ornementation et l'interprétation « à la française » des dessins rythmiques amenuisent cette ressemblance et affaiblissent ainsi ses propriétés « d'exemple candidat » — exemple, pourtant, fort intéressant à plusieurs titres. Lire au sujet de l'influence de Froberger chez Nicolas de Grigny : PIRRO I, p. 427. Quant à la suite chromatique descendante, André Pirro souligne que Grigny l'emploie dans la dernière pièce de son livre « sous une forme dont l'origine n'est point française ». Samuel Scheidt avait intégré un motif comparable dans le développement des œuvres de sa Tabulatura nova : SSWV 102, 103 (avec le chromatisme), 105, 111, 131, 139, 153 ; en mode renversé : 132, 133, 136. Johann Froberger, élève de Frescobaldi, a utilisé ce motif comme thème ou sujet mais surtout, intégré au discours à la manière de son professeur dans certaines Canzones (I, IV), le sujet chromatique (II), certaines fantaisies (I, II, V), certains capriccios (I, II), le sujet chromatique (VI, VIII), certains ricercare (III, V, VIII, IX, X, XI, XII). Nous trouvons d'autres exemples plus ou moins approchants, dont certains sont écrits allabreve et pour Mattheson, par exemple, plus tardifs, dans : WOLFF I, p. 213 à 215, 219 ; WALKER, p. 181 à 184 (Bertali), p. 339-340 (Mattheson) ; MATTHESON III, avec divers exemples du chapitre XIII au chapitre XXIII dont, évidement, celui de Bach sur lequel nous reviendrons ; MATTHESON I, p. 36 et s.. Concernant les influences « Bach - Mattheson » et « Mattheson - Bach » voir note 41.

28. MACHABEY, p. 68 ; JACKSON ; HAMMOND, p.123. Lire au sujet de l'exposition fragmentaire des thèmes dans les Fiori Musicali : LESCAT ; GALLICO, p. 137 à 161 ; HAMMOND, p. 203 et s.

29. « Attorno si snodano in contrappunto disegni melodici inventati ; e non di rado si odono microstrutture derivate da frazioni dello stesso canto fermo. Queste melodie aggiunte sono disposte libere da schemi fissi... ». GALLICO, p. 148, 152 ; LESCAT, p. 41, 42 ; TAGLIAVINI, p. IX, X. Philippe Lescat partage l'avis de Tagliavini et remarque que « les thèmes grégoriens ne servent uniquement qu'aux versets du Kyrie pour disparaître ensuite, à l'exception de la Canzon doppo l'Epistola della Domenica… ». Cela est curieux mais plausible et cette idée semble être acceptée, sinon unanimement, du moins de façon générale. Ensuite, le sujet et le contre-sujet respectivement des Canzons dopo l'Epistola della Domenica et Della Madona semblent se saluer mutuellement (voir Ex. 21, 22 et commentaires). Comme cela a déjà été mentionné, l'intentionnalité serait confirmée, entre autres, par les fonctions thématiques. Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ce constat ? Prenons un autre exemple : le deuxième Kyrie delli Apostoli est construit, souligne Lescat, sur des fragments du Kyrie Cunctipotens. LESCAT, p. 49, 50. Comment expliquer cependant la présence récurrente, avec fonction thématique, d'un motif semblable au troisième fragment du même Kyrie grégorien dans le Recercar alio modo della Domenica (voir Ex. 38 et 40) ? Selon nous, il n'est pas prouvé qu'il s'agisse à chaque fois, ou systématiquement, de la migration vers d'autres pièces et, a fortiori causa, vers d'autres Messes, de fragments du cantus firmus. Que dire aussi des exemples 25 à 27 ? Si Frescobaldi fait souvent des allusions d'une pièce à l'autre, et c'est tout cela qui est intéressant pour notre étude, il semblerait que, dans certains cas, et outre les variations thématiques, certaines ressemblances soient la conséquence soigneusement recherchée de variations rythmiques et mélodiques. Ce sont là des procédés dont le potentiel et la méthode ont inspiré Bach. Cela, de façon non exclusive évidement, mais certainement remarquable et singulière. Signalons encore que Jacques Viret voit dans la Canzon doppo l'Epistola un morceau « sans rapport aucun avec le chant liturgique ». VIRET, p. 247. Voir aussi dans le texte : Coda (complément d'information).

30. A. Pirro cite d'abord la Canzon dopo l'Epistola dans PIRRO II, p. 78 à 87 puis, le Christie delli Apostoli dans PIRRO I, p. 418, puisque le sujet et le contre-sujet s'y trouvent.

31. Au sujet des formes musicales : BUKOFZER, p. 59, 60, 381 et s. ; WILLIAMS I, p. 273 ; BITSCH et BONFILS I, p. 9, 22, 24 ; HAMMOND, p. 117 et s. ; WALKER, p. 283 et s. ; MACHABEY. Il y a aussi un détail, dont l'importance reste relative, mais il est révélateur de la cohérence stylistique : dans les mesures 293-294 de la fugue BWV 1005, le contre-sujet chromatique est présenté dans une variante qui est comparable à certains sujets typiques de canzones (chromatisme précédé de notes répétées et au rythme caractéristique). Dans la Canzona de Bach, la construction en forme de variation thématique intégrée aux sections (et non polythématique comme dans la plupart des canzoni multisectionnelles), et la cadence en forme d'adagio semblent confirmer son appartenance à ce type de canzone développé par Frescobaldi. Lire à ce sujet : BASSO I, p. 519- 520 ; BUKOFZER, p. 60, 61 ; SPITTA I, p. 419 ; SCHULENBERG, p. 397 (Art de la Fugue), 211, 470, 471 note 32 (Prélude BWV 847) ; WILLIAMS I, p. 272, ex. 238. Williams témoigne de cela en comparant les variations thématiques de la fugue BWV 849 et le Ricercar Primo de Frescobaldi (1615), ainsi que les sections de la Fugue BWV 552 et celles de la Canzona BWV 588 et fait référence aux Fiori Musicali. WILLIAMS VII, p. 188, 194, -195 ; WILLIAMS I, p. 187, 188.

32. Dans les parties en question, les variations restent thématiques et la construction reste structurée ; ce qui rendrait peut-être inappropriée l'ancienne dénomination de stylus phantasticus. Lire à ce sujet : WALKER, p. 346, 445-446. Tandis que les parties contrapuntiques sont composées essentiellement alla Diritta, dans les parties « libres » il s'agit d'une écriture linéaire très aérée, avec des intervalles espacés et proches - des « sauts » - salto - et des « pas » - alla diritta - qui caractérisent un « bon contrepoint » (BUELOW et MARX, p. 297 ; MATTHESON III, p. 563, 564 § 19, 20). C'est une écriture qui cache une polyphonie complexe avec ses sous-entendus de retards de résolutions et de syncopes —   syncopes qui sont, d'après Wolff, une des caractéristiques du stile antico — WOLFF I, p. 126. Il s'agirait d'une adaptation moderne et instrumentale de l'écriture allabreve. Bach insère aussi un divertissement contrapuntique sur une basse écrite à la manière d'un point d'orgue. HAUSSWALD, p. 313. Ainsi, les deux formes du ricercare ou de la fantasia, la forme contrapuntique et la forme « libre », se complètent dans leurs spécifications et dans leur application, par une progression du discours jusqu'au Da Capo qui les combine. Cette définition semble mieux décrire la structure de la fugue BWV 1005, plutôt qu'un sectionnement de la dualité ancien-moderne présente tout au long de l'œuvre ou encore, plutôt qu'une structure de type concertato, laquelle nous a été aimablement suggérée par Jean Claude Zehnder. L'utilisation de deux formes du ricercare a déjà été proposée dans les ricercari de l'Offrande musicale (lire à ce sujet : BASSO II, p. 786 et s.). Pour expliquer ces deux aspects du ricercare présents dans le ricercare à 3 de l'O.M., Albert Schweitzer a cru voir une reconstitution de l'improvisation réalisée devant le roi, ce qui n'est pas contradictoire et ne peut pas être exclu. SCHWEITZER, p. 132. Concernant « l'homophonie cachée » lire : FORKEL, p. 31 ; BUKOFZER, p. 335, 336 ; LEONHARDT, p. 27 et suivantes. Mattheson précise encore, dans les pages citées, que le traitement alla diritta convient autant à un thème de choral qu'à la mélodie librement inventée.

33. MATTHESON III, p. 507 § 16. Mattheson avait déjà utilisé cet exemple en 1737 : MATTHESON IV, p. 145-147 (avec clé d'ut première et troisième lignes dans l'original, ainsi que le symbole : allabreve) ; NEUMANN und SCHULZE, NBA, Doc II, p. 294, 295, 375, 376, Doc III, p. 656. La conclusion formelle du sujet semble avoir échappée à Mattheson à cause de la présence du pont. Néanmoins, Mattheson signale d'un astérisque, absent dans la réédition de 1999, la fin de l'exposition, et écrit : « là où se trouve l'astérisque il y a certes une petite coupure, comme une virgule, mais en tout cas rien de tel qui ressemblât à un point final, une conclusion formelle ou un paragraphe » (Da ist zwar, woder asteriscus stehet, ein kleiner Einschnitt, wie ein Comma ; aber nichts weniger, als ein förmlicher Schluss oder Absatz, wie ein Punctum.). MATTHESON IV, p. 146. Ce qui a attiré l'attention de Mattheson est la conséquence d'un choix volontaire qui est confirmé par des multiples expositions renouvelées à chaque fois. C'est un procédé prisé par Frescobaldi qui l'utilisait avec beaucoup de liberté. Mattheson n'aurait-il pas compris le choix stylistique de Bach ? Comparé au manuscrit original, nous constatons dans cet exemple cité par Mattheson que la tonalité est en sol majeur, que le sujet est d'abord exposé à la 1re voix, qu'il écrit sur deux portées, qu'il manque une altération à la 5e mes. 2e voix, que le rythme est altéré à la 1re voix aux mes. 4 et 7. Ces différences sont trop nombreuses et pas assez pertinentes pour qu'on les suppose voulues par le compositeur. Nous en concluons qu'ici, Mattheson fait une citation de mémoire plutôt qu'une allusion, mais pourquoi pas, à une autre version, comme par exemple pour l'orgue (note 46 ; Ex.63). Dans les chapitres XX, XXII et XXIII Mattheson traite de fugues simples, du double-contrepoint et de doubles-fugues. Il cite la BWV 1005/2 parmi les fugues simples et la Fugue BWV 1003 dans les chapitres XX et XXII, mais en faisant cette fois allusion au renversement. MATTHESON III, p. 508 § 21, p. 560, 561§ 9. Outre la question du nombre de sujets, Mattheson disait des fugues simples que leurs sujets ne sont pas renversés. MATTHESON III, p. 505 § 5. C'est un peu ce que dira plus tard Marpurg concernant le simple contrepoint. Cela ne veut pas dire nécessairement que, de la Fugue BWV 1005, Mattheson ne se souvenait que de la phrase citée, et qu'il ignorait le renversement et les deux contre-sujets. Or, dans ce cas, cela voudrait dire qu'il n'y aurait aucun rapport entre les exemples 48 et 63 de ce texte. Il est plus probable que sa seule intention était d'illustrer ses propos sans prendre en compte d'autres considérations.

34. J. N. Forkel indiquait « la communion » comme étant le moment où les sonates d'église étaient sensées être jouées (voir note 12) ; la Canzon alio modo post il Comune de Frescobaldi aussi. Dans l'hypothèse où les sonates pour violon de Bach étaient destinées au culte, nous aurions deux placements éventuels (voir note 49). Que l'on défende ou non cette théorie, cela méritait d'être signalé.

35. Le « concurrent » est le sixième prélude d'Ariadne Musica de J. C .F. Fischer. L'aspect thématique et l'aspect formel ne sont pourtant pas plus pertinents que ceux de Frescobaldi mais certaines ressemblances mélodiques et harmoniques le sont. Le caractère de la Canzone de Frescobaldi plaide, dans un premier temps, en faveur de l'hypothèse « Fischer ». Le « cas » Fischer est particulièrement intéressant. Ces vingt préludes et fugues d'Ariadne Musica ont assurément inspiré Bach pour le CBT. Or, ce Prélude et Fugue en mi phrygien, dont la fugue est basée sur le Choral « Aus tiefer Noth schrei' ich zu dir », est écrit alla Frescobaldi (voir ex. 11). Soulignons que des motifs de canzones ainsi que le style ancien du ricercare sont aussi présents chez Fischer ; alors que par ailleurs, il écrit également dans un style français inspiré de Lully. La destination de l'Ariadne Musica est liturgique et l'instrument est évidement l'orgue. Fischer a aussi écrit une série de suites intitulées Blumenstrauss (bouquet de fleurs). Les courts mouvements qui composent cette œuvre, écrite sur les huit tonalités ecclésiastiques, s'intercalaient avec le chant grégorien, telles les Fiori Musicali dont elle serait peut-être inspirée. WILLIAMS I, p. 275, 276 (écriture alla brève) ; WILLIAMS II, p. 188 (influences des Fiori) ; FROTSCHER I, p. 522-527 ; WOLFF I, p. 26, WILLIAMS VI, p. 86 (compositeur ayant influencé Bach dans la tradition de Frescobaldi) ; BUKOFZER, p. 115, 294 ; BASSO I, p. 683. Concernant la version BWV 539, lire WILLIAMS I, p. 96 à 103 ; FROTSCHER II, p. 889 ; BASSO I, p. 639 ; BASSO II, p. 638 ; FORKEL, p. 59, 71 (original), 10 à 14, 103 (historique) ; SCHULENBERG, p. 362. Quant au tempérament égal, signalons à titre de curiosité que cette idée était déjà défendue par Frescobaldi en dépit des critiques qui lui ont été adressées pour cela. Lire à ce sujet : MACHABEY, p. 46.

36. Lire au sujet du modernisme dans l'Art de la Fugue : BILLETER I.

37. Lire à ce sujet : MACHABEY, p. 68 ; HAMMOND, p. 117 à 140 ; SCHWEITZER, p. 26 et 27 ; EM II, p. 173, 186. WALKER, p. 121. Machabey souligne que les grands changements du Baroque n'ont pas apporté ce que l'on pourrait appeler « le progrès ». La mort de Frescobaldi marque le début d'une période de déclin d'un art abouti qui n'est en rien inférieur à ce qui a suivi. En ce sens, l'Art de la Fugue et les Fiori sont également à mettre en parallèle. Concernant l'énumération de types de fugues, lire : WALKER, p. 424 et s; BASSO I, p. 691 ; MATTHESON III, chapitre XX et s.. Bukofzer disait même que comme la fugue est en soi un procédé, il n'y a pas deux fugues de Bach qui aient exactement le même plan. BUKOFZER, p. 392-393. Cette liberté de la forme, qui n'en est pas une, selon l'auteur, Bach l'a mise à profit, par des choix appropriés, pour donner à chaque œuvre la cohérence du discours qui lui est propre et que la rend unique. Ce débordement de créativité, plutôt que de représenter une contrainte supplémentaire à l'exégète, peut, entre autres, laisser transparaître des influences qui participent justement à cette cohérence du langage.

38. MACHABEY, p. 138, 51, 57 et 58 ; HAMMOND, p. 209, 210 ; GALLICO, p. 143, note 17, 150, 151 ; BUKOFZER, p. 57. Au sujet de « Prélude » et « Toccata » lire : WALKER, p. 286, 287, 442, 446.

39. Lire à ce sujet : SCHWEITZER, p. 113, 218 et s. ; GAILLARD, p. 67 et s. ; KœHLHœFFER, p. 102 à 116 ; CHARRU et THEOBALD I ; Id. II, p. 217 et s. ; BASSO II, p. 643 et s.. Signalons encore que le grand sujet de l'Art de la Fugue aurait peut-être été pris du Credo "Wir Glauben all an einen Gott". DUPARCQ, p. 72, 79 ; CHARRU et THEOBALD I, p. 51.

40. WILLIAMS II, p. 192. Après nos premières analyses, nous avons été heureux de découvrir que Williams était déjà arrivé aux mêmes conclusions concernant la combinaison entre rectus et inversus. Nos observations concordent de façon indépendante et par des chemins différents. Voir Ex. 53 et 54. Wolff affirme que la combinaison des éléments chromatiques du stile antico remonte au début du xvii siècle ; il cite le Recercar Cromatico de Frescobaldi et précise que le chromatisme du Kyrie BWV 671 ne se conçoit pas en dehors des considérations stylistiques. Basso évoque aussi les toccatas de durezze e legature. WOLFF I, p. 60, 91, 139 et s. ; BASSO II, p. 650; WILLIAMS IV, p. 82 ; CHARRU et THEOBALD II, p. 229. Soulignons que la Toccata Cromaticha de Fiori est, elle aussi, per la Leviatione. Chez Frescobaldi, il y a le chromatisme que Jacques Chailley appelle « chromatisme d'expression ». Frescobaldi utilise aussi un autre type de chromatisme qui serait peut-être basé sur celui « antique », du tétracorde grec (de « démonstration », selon Chailley) ; chromatisme qui était cher à Vicentino et qui inclut l'intervalle d'une tierce mineure. CHAILLEY V, p. 141 et s. ; WILLIAMS IV, p. 7 et s. ; HM I, p. 89 ; EM II, p. 335. Dans les Fiori, Frescobaldi utilise un motif similaire dans le Recercar dopo il Credo della Domenica inséré dans le sujet et en mode rétrograde, dessin analogue à celui de la Fantasia Decima, cité par Williams. WILLIAMS IV, p. 9 (d'autres exemples semblables : Toccata terza — 1637, Capriccio Cromatico — 1626). Un motif comparable se trouve dans la Toccata Cromaticha, en rajoutant deux notes : « mi, do dièse, do bécarre, si, sib, la », qui est une variante, par le procédé de inganno, de : « la, do dièse, do bécarre, si, sib, la ». En plus de la variante citée et de l'utilisation des motifs équivalents dans la pièce précédente, dans le premier Kyrie della Madonna, ainsi que dans d'autres œuvres du compositeur, l'idée de l'origine antique de cette combinaison trouve un renfort dans les mots de J. Chailley qui signale, sans citer Frescobaldi, que les mutations du modèle étaient la norme et que la tierce majeure avait déjà été employée par Lassus. CHAILLEY V, p. cit. Williams voit une double origine. WILLIAMS IV, p. 11, 38, 39. Ceci semble également appuyer les propos de Roland Jackson concernant le Recercar Cromatico. JACKSON, p. 262 et s.. Le Recercar Cromatico est, lui, construit sur deux séries de deux demi-tons chacune ; série qui, toujours d'après Chailley, a supplanté, en premier, le « chromatisme parfait » et où « chaque degré supporte son harmonie ». Néanmoins, la disposition de ces deux séries qui constituent le sujet pose des problèmes de traitement comparables à ceux de la Toccata Cromaticha, puisque Jackson se demande si ce sujet se prête également à une interprétation basée sur le tétracorde grec et que, d'après Bukofzer, « l'audace des intervalles mélodiques semblent défier l'affirmation de tout mode ou de toute tonalité ». BUKOFZER, p. 60. Dépassant les techniques, Frescobaldi donne magistralement un sens musical à ce sujet, apparemment intraitable et certainement osé, mais qui est, finalement, conforme aux modèles en usage (Gesualdo, Trabaci). JACKSON, p. 266-7. Tagliavini trouve dans le chromatisme de ce recercar une explication subjective liée aux Mystères de la Passion (voir note 49). TAGLIAVINI, p. VI. Ainsi, le Recercar Cromatico, pas plus que la Toccata Cromaticha, ne saurait être considéré comme une démonstration savante, ni même une pièce d'avant-garde. Le chromatisme des dernières mesures du Prélude BWV 671 n'est pas celui des anciens, ni celui au sens de « lamento », mais le passage en question est marqué par cette tension harmonique qui est la conséquence de l'enchaînement chromatique en forme de pas, proches donc, du Recercar Cromatico, avec une structure rythmique (syncopes, en particulier) et harmonique d'un type également proche, par le principe d'utilisation, de la Toccata Cromaticha. Ainsi, dans la Toccata Cromaticha, probablement de par la nature du sujet traité (référence au genre antique ?), de par sa fonction et son sens liturgique « per la Leviatione », ainsi que par sa structure modale, somme toute traditionnelle (voir BERGER), la question qui se pose à Frescobaldi est moins celle de conserver la tension harmonique que de la résoudre ou de l'éviter ; alors que dans le Kyrie Gott, Bach arrive, probablement pour des raisons comparables, à maintenir et à justifier musicalement cette tension dans l'esprit du stile antico ; d'où la comparaison avec la Toccata Cromaticha. Le résultat recherché n'est pas exempt d'une forte signification symbolique et, aussi stylistique. Tout cela ne prouve pas la relation de cause à effet mais, du moins, démontre que les affirmations de Williams et que l'observation de Wolff sont loin d'être dépourvues de sens. Signalons encore que J. Chailley n'était probablement pas familiarisé avec les Fiori, car il n'aurait pas trouvé mieux que les trois Ricercari doppo il Credo pour illustrer ses trois types de chromatismes.

41. Selon Williams, « une nouvelle clef de la conception du Clav.Ü III est l'influence des Fiori Musicali de Frescobaldi » (A further key to the concept of Clavierübung III is the influence of Frescobaldi's Fiori musicali). WILLIAMS II, p. 184. Voir aussi : Id. p. 185, 186, 207, 208 ; WILLIAMS I, p. 187, 188 (voir note 31). Albert Schweitzer propose, lui, l'idée que certains de ces chorals soient plus anciens. Dans les deux cas, cela nous ramène à la période de Weimar, et peut-être même plus loin, car Spitta évoque d'autres influences et cite Buxtehude, Böhm et Pachelbel. SCHWEITZER, p. 113 ; SPITTA II, p. 692 à 698. Lire à ce sujet : KOBAYASHI II, p. 44 ; BASSO II, p. 643 à 659 ; HAMMOND, p. 211, 212 ; WOLFF I, p. 59, 60, 97, 103, 104, 105, 146 et des nombreuses autres références au Clav.Ü III. Concernant le prélude BWV 685 voir note 8. Gregory Butler (voir BUELOW et MARX) propose que le Clav.Ü III soit une réfutation musicale à la critique de Scheibe (1737) qui, avec d'autres compositeurs de sa génération, « refusait le dialogue avec le stylus antiquus » (Basso). BUELOW et MARX, p. 295 ; BASSO I, p. 51 ; CANTAGREL I, p. 169 § 166 (commentaries), 195, 196 § 198 (Mizler). Butler propose encore que Bach ait pu trouver dans Der vollkommene Capellmeister de Mattheson un stimulus pour l'écriture contrapuntique de ses œuvres tardives et notamment pour l'Art de la Fugue. BUELOW et MARX, p. 293 à 305. De son côté, George Stauffer donne la liste des œuvres de Bach citées par Mattheson. BUELOW et MARX, p. 357. Voir aussi la citation — note 65.

42. Voici quelques exemples sans distinction de recueil : « Nun komm' der Heiden Heiland » BWV 599, 659, 660, 661. « Komm, Gott, Schöpfer, Heiliger Geist » BWV 631, 667. « Wer nur den lieben Gott lässt walten » BWV 642, 647, 690, 691. « Herr Jesu Christ, dich zu uns wend » BWV 655, 709, 726. « Allein Gott in der Höh' sei Ehr » BWV 662, 663, 664, 675, 676, 716, 717. Dans le Clav.Ü III, Bach donne ses versions musicales du Grand et du Petit Catéchisme de Luther. Sans que cela influe dans nos raisonnements, signalons que G. Cantagrel et J. Chailley contestent cette définition du Clav.Ü III. CANTAGREL I, p. 483 note 151 ; CHAILLEY VI, p. 21 et s.

43. MACHABEY, p. 98-100, 138 ; WILLIAMS I, p. 257, 261. Dans l'hypothèse que les Sonatas et Partitas auraient été composées dans l'ordre de l'échelle des quintes et espacées dans le temps, cela rapprocherait également dans la chronologie la chaconne BWV 1004 de la passacaille BWV 582. Ces morceaux sont aussi à mettre en parallèle avec les chaconnes et les passacailles de Kerll et de Buxtehude. WILLIAMS IV, p. 95, 96. Au sujet des formes chaconne, passacaille et variations : SPITTA II, p. 649 et s. (BWV 988). Concernant les Variations Goldberg, rappelons que l'une des deux chansons du quodlibet final (Kraut und Rüben) est une « proche parente » de la bergamasca. Or, la bergamasca est aussi l'une de deux mélodies populaires qui terminent les Fiori Musicali. Cela est intéressant à signaler même si Basso rappelle que la bergamasca apparaît souvent dans le répertoire allemand. Pour Hammond, « la citation de la bergamasca dans Kraut und Rüben est, pour ainsi dire, comme une fleur cueillie dans les Fiori » (the quotation of the Bergamasca as Kraut and Rüben in the Goldberg Quodlibet is, as it were, a blossom plucked from the Fiori). En outre, et cela ne semble pas avoir été signalé, le Capricio sopra la Girolmeta qui termine les Fiori comporte des éléments (mes. 4, 7, 9, etc.) proches du thème de la chanson Ich bin so lang nicht bei dir g'west du quodlibet de Bach. Cette ressemblance, anecdotique en soi, pourrait-elle avoir un sens dans ce contexte, sachant que la Bergamasca et la Girolmeta sont aussi construites sur des variations et des sections ? BASSO II, p. 765 ; HAMMOND, p. 211, 212 ; SCHULENBERG, p. 387, 388, 487 note 43 ; WILLIAMS VI, p. 90-92 ; WILLIAMS V, p. 84.

44. SCHWEITZER, p. 125, 265. D'autres exemples sont donnés : Id. p. 191, note 1 (clavecin et violon). Lire aussi à ce sujet : GUILLARD, p. 38 ; DUFOURCQ I, p. 142 et 143 ; DUFOURCQ II, p. 105. Gilles Cantagrel fait état d'une hypothèse selon laquelle la fugue, de la Toccata et Fugue en ré mineur BWV 565, pourrait être une transcription d'une œuvre pour violon. Néanmoins, l'éditeur de Cantagrel confond le classement (simple faute de frappe) et cite le BWV 552. CANTAGREL II, p. 98. Ce sujet est traité par Williams : WILLIAMS I, p. 214 à 221. Williams fait aussi le rapprochement entre la Fantaisie BWV 542 et le premier mouvement de la Sonata BWV 1001. WILLIAMS V, p. 151 ; WILLIAMS I, p. 121, 122.

45. NEUMANN und SCHULZE, NBA, Doc III, p. 292, 293 puis 124 (Adlung) ; CANTAGREL I, p. 280 § 310, p. 500, 501, note 43. Ce témoignage est précieux. Outre les précisions instrumentales, Agricola atteste d'une certaine constance de la pratique de ces œuvres par le compositeur. L'auteur de ce témoignage fut élève de Bach de 1738 à 1740. BASSO I, p. 18. Cela concorde, par exemple, avec la datation de l'autographe BWV 1006a. (1736/37). KOBAYASHI I, p. 209. La fin de la décennie 1730 a été marquée par les questions liées aux conceptions stylistiques (Clav.Ü III ; A.d.F., entre autres), période dans laquelle l'affirmation de la tradition se manifeste aussi par un regard sur le chemin parcouru. Des exemples de cela ne manquent pas comme celui, cité dans la note 8, sur les BWV 79 (1725) et BWV 236 (1738/39). KOBAYASHI I, p. 196, 205. Concernant la date de conception de l'A.d.F. lire WOLFF IV, p. 271. Les parutions, en 1737, de Kern Melodischer Wissenschaft et, en 1739, de Der Vollkommene Capellmeister, qui traitent longuement de la composition des fugues ainsi que des questions stylistiques et où, justement, deux fugues pour violon solo de Bach sont citées, dont la Fugue BWV 1005, peuvent également être prises en considération. Naturellement, le chercheur doit rester prudent lorsqu'une preuve n'est pas apportée, mais l'intérêt avéré de Bach pour les œuvres théoriques et ce, d'autant plus que son nom y est cité (voir notes 33 et 46), nous oblige à en tenir compte. Cela concorde avec le témoignage d'Agricola et avec les observations de Butler en relation au Clav.Ü III et l'A.d.F. (voir note 41).

46. Nous devons d'abord détacher deux concepts distincts, bien qu'indissociables : l'idée d'une probable version pour orgue de la fugue BWV 1005 et celle du rapprochement de cette fugue avec le choral « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott ». Mattheson ne cite expressément ni le nom de Bach, ni le Choral « Komm, Heiliger Geist ». Néanmoins il annonce que son thème est construit sur les huit premières notes du choral qui suit. Les allusions au chromatisme, au renversement, aux strettes, l'indication « allabreve » ainsi que le « contrepoint strict » déduit de ces précisions faites par Mattheson, soutiennent l'idée que ce thème serait bien celui de la Fugue BWV 1005. Cela malgré le fait qu'aucun des exemples proposés par Mattheson ne soient directement tirés de l'œuvre telle que nous la connaissons. Le concours d'organistes de 1727 auquel Mattheson fait allusion (Ex. 63) est postérieur à celui auquel Bach aurait dû participer (1722 selon la Nécrologie et Forkel et établi par la suite en 1720. Mattheson cite le thème de la fugue BWV 542 pour le concours de 1725). Spitta propose qu'une version pour orgue précède celle pour violon, notamment à cause des contraintes techniques qu'impose cette version. Les exemples musicaux donnés par Mattheson dans Grosse General-Bass-Schule et dans Der Vollkommene Capellmeister sont en sol majeur (voir note 33, Ex.48). Cette tonalité conduit forcément à faire le rapprochement avec l'adagio BWV 968 (transcription pour clavecin de l'adagio BWV 1005) qui est aujourd'hui attribué à une autre main, probablement celle de W.F.Bach malgré le fait que la copie soit d'Altnickol. Dans ces conditions, nous ne pouvons faire que des suppositions. Pourtant, une chose est certaine : Mattheson a forcement entendu cette fugue quelque part ! En tout cas, en 1737 celle-ci lui était connue. Spitta suppose que Mattheson l'aurait connue lors du concours d'organistes de 1720 à Hambourg. La Nécrologie précise que Bach a joué pendant plus de deux heures mais, la seule œuvre citée est « An Wasserflüssen Babylon » qu'il aurait jouée dans le style des organistes du nord, pendant plus d'une demi-heure. Depuis, on cite aussi la Cantate 21. En étudiant les écrits de Mattheson, George Stauffer (voir BUELOW et MARX) expose les propositions concernant la façon dont Mattheson a pu entrer en possession des œuvres de Bach (Telemann, Schwanberg) et ne fait aucune allusion au Choral « Komm, Heiliger Geist ». Basso ne fait pas d'allusion au Choral « Komm, Heiliger Geist » dans l'épisode de Hambourg, mais lie ce Choral à la fugue BWV 1005. Cela peut sembler incohérent, car la proposition de Spitta découle de l'exemple musical de Mattheson. Néanmoins, cela s'explique car la preuve n'est pas faite qu'il existe une liaison entre les Fugues BWV 1005 et BWV 542 avec le concours de 1720, même si Basso admet ne pas avoir lu Mattheson dans le texte. BASSO II, p. 635. Pour sa part, Gilles Cantagrel lie la fugue BWV 542 à l'épisode de Hambourg. Le thème de la fugue BWV 542 est pris d'un air de danse hollandais (entre autres, selon BASSO, p. cit.), et la citation de ce thème par Mattheson démontre que des œuvres profanes étaient également demandées lors de ces concours. L'origine populaire de ce thème placerait-il la comparaison entre l'exemple de Mattheson et la Fugue BWV 542 à un niveau d'incertitude comparable à celui concernant la bergamasca (voir note 43) ? MATTHESON I, p. 36 à 39 puis 34, 35 ; MATTHESON III, p. 507 (page 368 de l'original) ; MATTHESON IV, p. 145-147 ; BUELOW et MARX, p. 353 à 360 ; SPITTA I, p. 689, 690, 691 puis 634, 635 ; SCHWEITZER, p. 124, 125 puis, 34, 35 ; NEUMANN und SCHULZE, NBA, Doc II, p. 219, 220, 295 ; HAUSSWALD und GERBER, NBA, VI/1, p. 64, 65 ; BUKOFZER, p. 318 ; KILIAN II, NBA, IV/5 et 6, p. 455. Lire au sujet du séjour de Bach à Hambourg : BASSO I, p. 559 et s. ; BASSO II, p. 635 ; BASSO I, p. 637 et 643 (BWV 1005 et choral) ; NEUMANN und SCHULZE, NBA, Doc I, p. 27, Doc II : p. 77, 78, 79, Doc III : p. 111, 112, 247, 248 ; CANTAGREL I, p. 343, 344 (Nécrologie) puis, p. 70 à 74 § 53 à 56 (textes d'époque), p. 466, 467 note 86 (commentaires) ; CANTAGREL II, p. 101, 102 ; FORKEL, p. 8, 22, 23 ; SPITTA I, p. 627 et s.; SCHRAMMEK, p. 65 à 70 ; WOLFF III, p. 231et s. ; KELLER I, p. 88, 100 ; WILLIAMS I, p. 119, 120 ; WILLIAMS III, p. 43 à 47 ; WILLIAMS V, p. 147 à 153. Lire au sujet de la version BWV 968 : SCHULENBERG, p. 356 et s., 484 notes 35 à 37 ; BASSO I, p. 326, 327, 639. Lire au sujet de Böhm, de Reincken et de sa version de « An Wasserflüssen Babylon » : BILLETER II (BWV 1128). Voir aussi : Bach, Choral-Gesänge, p. 14, 148 à 150 : ressemblances entre les sept premières notes du choral « An Wasserflüssen Babylon » et celles du « Komm, Heiliger Geist, Herre Gott » ; PAPILLON, p. 62. Selon Basso, les versions BWV 653 « a » et « b » ne correspondraient pas aux possibilités instrumentales de l'orgue de la Catherinenkirche. BASSO II, p. 665. Le style de Reinken pourrait également être pris en considération, si l'on tient compte du témoignage de C. P. Emanuel (voir CANTAGREL I, p. cit. — Nécrologie). Ainsi, les précisions de Mattheson et celles de la Nécrologie mises en rapport avec le caractère de la Fugue BWV 1005, semblent contredire Lester qui propose le Choral « An Wasserflüssen Babylon ». LESTER, p. 84-86.

Lire au sujet de Marpurg : MARPURG, p.36, planches TAB XXXII et XXXI, fig. 13 et suivantes ; BASSO I, p. 55 (œuvres de Bach citées par Marpurg) ; CANTAGREL I, § 303 ; WOLFF III, p. 461, p. 553, à la note 9. Signalons encore que Basso, qui est un grand défenseur de l’hypothèse du choral et qui donne la liste des œuvres de Bach citées par Marpurg, n’a pas signalé la présence de l’exemple de Mattheson dans le traité de Marpurg, prouvant par là qu’il n’a décelé aucune ressemblance avec le sujet de Bach.

47. Basé sur le modèle de la Sonata da Chiesa en quatre mouvements institué par Corelli. BUKOFZER, p. 317 (Sonates pour violon de Bach), 256 à 259 (Sonates d'Eglise) puis, 55, 64, 65 ; FORKEL, p. 60, 61 ; BASSO I, p. 642. Id. p. 637, 638, 641, 642 puis, 730 à la note 154 ; HM II, p. 187 et s. ; SCHULENBERG, p. 358. Voir aussi notes 34 (Forkel) et note 49 (Viret et Bukofzer).

48. Même si l'hypothèse « Pisendel » était confirmée, cela ne mettrait pas en cause l'hypothèse d'une datation antérieure à 1720 puisqu'avant Köthen, le violoniste a rendu visite à Bach en mars 1709 à Weimar. Selon Wolff, ils auraient joué ensemble à Weimar et à Eisenach le concerto en sol majeur pour deux violons de Telemann. CANTAGREL I, p. 41 § 20, p. 459, note 68, p. 542 ; WOLFF III, p. 148, 149. En outre, cela supprimerait les contraintes liturgiques liées à la cour de Köthen. Voir note 51. Basso indique d'autres solutions possibles concernant l'éventuel destinataire des œuvres pour violon solo. BASSO I, p. 637, 638, 247, 248. Voir aussi note 12.

49. « à la place du Graduel ». Son emplacement dans l'ordre du culte est important. L'exemple proposé par Luther lui-même est « Nun Bitten wir den Heiligen Geist ». Cité par Alberto Basso ; BASSO I, p. 114, 128, BASSO II, p. 50. Dans la Messe en si BWV 232, le « Cum Sancto Spiritu » précède directement le Credo. Il existe un document de la main de Bach sur le manuscrit autographe de la cantate 61 (Weimar 1714). Ce document indique l'ordre du culte pour le premier dimanche de l'Avent 1722 ou 1723 à Leipzig. CANTAGREL I, p. 80 § 62, p. 468, 469 note 90. Pour le sujet qui nous concerne, ce document reste approximatif puisque ce choral est prévu pour la Pentecôte. Bach suggère aussi l'ordre musical du culte ou plutôt, de la messe luthérienne, dans les Chorals dits « du Dogme » ; œuvre qui, ne l'oublions pas, se termine par une fugue. CHAILLEY VI, p. 22 à 24. Signalons encore que les trois Canzon dopo l'Epistola de Fiori se jouaient à la place du Graduel. Selon Adriano di Bologna, contemporain de Frescobaldi, une fugue pourrait être entendue à ce moment-là, suivie de l'Alleluia et du Credo. LESCAT, p. 43, 44. Il en va de même pour les Sonatas da Chiesa pour violon et basse continue de Corelli et d'autres auteurs, nous dit Jacques Viret. VIRET, p. 247. Selon Bukofzer, le continuo de sonates de Corelli était réalisé par l'orgue. BUKOFZER, p. 256. Signalons encore que les Recercar dopo il Credo ne se substituent pas au Credo mais lui succèdent. Il est intéressant de constater que Frescobaldi n'a pas nommé ces Ricercari « pour l'offertoire », par exemple, mais bien « doppo il Credo », indiquant par là leur liaison intrinsèque à celui-ci. C'est du moins notre avis, contrairement à Tagliavini, qui interprète ces Ricercari comme étant une introduction aux Mystères de la Passion, en faisant allusion au chromatisme. Pourtant, ces visions sont-elles en contradiction ? CHAILLEY VI, p. 23, 24 (place de l'offertoire dans l'Office liturgique) ; TAGLIAVINI, p. VI. Voir aussi : HAMMOND, p. 209 ; KELER, p. 307 ; CANTAGREL II, p. 103, 104 ; CANTAGREL III, p. 22 à 24 ; BASSO I p. 107 à 172 ; BASSO II, p. 37 à 52, 811 note 13 ; GUILLARD, p. 60 ; SCHWEITZER, p. 45.

50. …S'il ne fallait que cela pour être à la place de Bach ! Il ne convient certainement pas d'adopter cette attitude. Néanmoins, concernant les Fiori Musicali, Bukofzer écrit : « Il semble révélateur que, de toutes les œuvres de Frescobaldi, Bach choisisse celles qui sont les plus étroitement liées à la liturgie (catholique). De toute évidence, le respect de la liturgie, qu'elle soit catholique ou protestante, lui importe davantage, que les différences existant entre diverses confessions ». BUKOFZER, p. 298.

51. NYS II, p. 189, 190. Les exemples de Smend et de Dürr sont cités par Basso : BASSO I, p. 538, 545, 546, 581 à 588. La Cantate citée par Dürr c'est la BWV 134a (fin 1718, Kobayashi I). Lire aussi : BUSZIN ; BASSO II, p. 270 (parodies profane et sacrée) ; BASSO I, p. 161, 162 (musica domestica), 306 ; NEUMANN, p. 67. Concernant la théologie « piétiste ou orthodoxe » de J.S.Bach lire : KRAEGE, p. 553 à 572. Gilles Cantagrel suggère l'idée que les Préludes et Fugues pour orgue pourraient avoir une destination liturgique. CANTAGREL II. Anne Leahy va plus loin dans le raisonnement « œuvre profane - sens sacré », en s'interrogeant si le Prélude, Fugue et Allegro BWV 998 pouvait être considéré comme une représentation de la Trinité. LEAHY ; WOLFF III, p. 423 (style du BWV 998). Les diverses propositions liées à la ressemblance thématique entre le chorus 68 (NBA) de la Matthäus Passion et la sarabande BWV 997, très probablement plus tardive, se confrontent à la problématique de direction « œuvre sacrée — adaptation profane », malgré une similitude évidente dans le développement. Lire aussi l'analyse numérique de Jean-Jacques Duparcq concernant les Canons du Clav.Ü IV. DUPARCQ, p. 74 et s.

52. Le style archaïque de la fugue n'est pas exactement celui défini par Wolff, au sens restreint, mais le choix du compositeur semble insuffisant pour privilégier l'hypothèse « profane » (voir note 23). La mise en garde de Wolff concernant les choix stylistiques de J.-S.Bach se trouve dansWOLFF I, p. 146 ; celle de Spitta, dans SPITTA II, p. 673. Christoph Wolff dresse tout de même une liste de compositeurs dont les œuvres étaient connues de J.-S.Bach et qui est représentative de différents styles adoptés par le compositeur. Concernant sa bibliothèque, même si elle est avérée, cette liste ne saurait être exhaustive, nous dit l'auteur. WOLFF III, p. 358 ; BUKOFZER, p. 298. Même si les influences extérieures sont à considérer le plus souvent comme des stimulants plutôt que comme des modèles, dès 1741, Pischel remarquait ces influences dans l'œuvre de Bach. Pour Pischel les idées de Bach étaient nourries par celles des ses pairs ; idées avec lesquelles il faisait quelque chose de supérieur à partir de quelque chose d'inférieur. CANTAGREL I, p. 201 § 205, p. 484 note 158. La réflexion de Pischel nous dit deux choses : premièrement que les influences extérieures dans l'œuvre de Bach étaient remarquées de son vivant et donc, qu'on a pu les reconnaître et les nommer ; deuxièmement, que cela ne nuisait nullement à l'image de ses propres capacités créatrices.

53. SCHWEITZER, p. 114 ; GUILLARD, p. 59 ; WOLFF III, p. 359, 360 ; BASSO I, p. 169, 170. Du point de vuemusical, les différences religieuses n'ont jamais représenté un obstacle à J. S. Bach. Concernant sa religiosité, lire : KRAEGE ; BONNET ; SCHWEITZER, p. 46, 101 et s. ; PIRRO I, p. 441 et s. ; DUFOURCQ I, p. 120 à 122, CHARRU et THEOBALD II (Chorals de Leipzig) ; BASSO II, p. 643 à 659, CHARRU et THEOBALD I, Id. II, p. 221 et s. (Clav.Ü III) ; SPITTA II, p. 506 et s. (Messes luthériennes) ; NYS II ; BUKOFZER, p. 88 à 91 (interactions entre répertoire catholique et protestant), citation à la note 50. Voir aussi note 62.

54. Frescobaldi a néanmoins composé sur le thème « Veni Creator Spiritus » Hinno della Pentecoste. Keyboard Compositions, American Institute of Musicology, Hänssler, Tome III.

55. Ce même motif est encore présentdès les premières mesures du Credo de la Missa Papae Marcelli, de Palestrina, ainsi que dans le Christe et l'Agnus Dei de la MissaSine Nomine à 6. Cette messe est également citée par Wolff comme étant une œuvre essentielle à la base du style antico de J.-S. Bach. Dans le Veni Sancte Spiritus à huit voix de Palestrina, quelques notes suffiraient-elles à rappeler le thème d'origine ? Concernant les ressemblances thématiques dans le chant grégorien, Jean de Valois, en citant un recueil « Victorin » précise que d'une pièce à l'autre, les emprunts musicaux sont fréquents. Il existerait selon l'auteur, près de 4.500 séquences ou proses. L'auteur parle ici des mélismes « alléluiatiques », d'où la fréquence des emprunts mélodiques. Quant aux Kyrie, l'auteur avance que « dans la succession des époques — les changements frappants de physionomie et les tendances évolutives témoignent d'une construction mélodique recherchée : de quoi garnir un traité d'analyse ». VALOIS, p. 37, 32, 40 et s., 71 et s.. Jacques Viret pense, en citant Dom Pothier, que les hymnes et les séquences étaient des chants métriques et qu'ils utilisaient, à l'image du Credo, un rythme à base de notes longues et brèves selon la métrique du texte. VIRET, p. 60, 61, 143, 144, 212, 213, 220-222 et p. 431, 432 à propos des mélismes. Jacques Viret fait aussi une analyse (très) critique de l'histoire de l'étude grégorienne. Bien qu'il adopte une position tranchée sur la question, il prend soin de discerner avis personnels et faits. Il démontre au demeurant un savoir magistral sur le sujet. Au sujet de l'utilisation précise des termes : plain-chant, grégorien, ambrosien, byzantin, etc., lire EM II, p. 347 et s.. L'EM précise à la page 348 : « Bien que les séquences et les hymnes ne soient pas du plain-chant, encore moins du grégorien, leur notation n'est pas différente des autres pièces ». Au sujet du Rythme Grégorien lire: Dom André MOCQUEREAU ; VIRET.

56. Outre les Fiori Musicali, Frescobaldi utilise ce motif avec des fonctions thématiques ou comme partie intégrante de son langage mélodique dans les Fantasias prima, seconda, quinta, sesta, ottava, decima, duodecima (Bärenreiter I), la Canzon quinta a due Canti (Schott), le Recercar Chromatico (MS. Chigi ; Hänssler II), l'Hinno dell'Apostoli verso secondo e terzo (Breitkopf ; Bärenreiter IV), Verso di G. F. (n° 5, Hänssler III), Recercar nono con quattro soggetti, Recercar decimo sopra la, fa, sol, la, re (Breitkopf ; Bärenreiter I), capriccio decimo (Breitkopf), Capriccio de G. F. (n° 6, partie ternaire, Hänssler II), Capriccio sopra la, sol, fa, mi, re, do, Capriccio sopra Il Cucho, Capriccio Cromatico, Recercar secondo, Recercar settimo sopra sol, mi, fa, fa, sol (Bärenreiter II), la Toccata 3 (MS. Chigi ; Hänssler I, n° 8). L'utilisation récurrente d'un motif basé sur le tétracorde grec (voir note 40) dans des conditions similaires semble démontrer une logique qui peut être comparable dans la méthode, mais avec des intentions et peut-être aussi des évocations particulières et appropriées à chaque cas.

57. Comme N. Dufourcq n'a pas développé son raisonnement, nous supposons qu'il doit être le suivant : « si la Canzone est inspirée de Fiori, alors elle serait inspirée de l'un de ses versets grégoriens ». DUFOURCQ II, p. 97, 104. Lire aussi au sujet des versets grégoriens : WOLFF I, p. 173 à 181.

58. Ceci par exemple, comme dans le choral « Christ ist Erstanden ». Lire à ce sujet : BASSO I, p. 118 et s. ; VIRET, p. 158 et s.. Selon Basso, on appelait également sous le seul terme de Kyrie, la Missa luthérienne composé du Kyrie, du Gloria et du Sanctus. BASSO II, p. 556.

59. Ainsi, par exemple, la version pour clavecin (BWV 968) de l'Adagio BWV 1005, comporte 43 mesures jusqu'à la cadence en sol majeur qui termine le discours, avant la dernière phrase en forme de Coda. Or, ce chiffre correspond au mot « CREDO ».. Ceci n'est qu'une constatation. Néanmoins il serait plus simple d'essayer d'expliquer la suppression de la 17e mesure pour des raisons d'équilibre métrique (46 mesures au total ; 47 pour le violon). Par ailleurs, la Toccata Cromaticha per la Leviatione della Domenica suit directement le Recercar dopo il Credo et le Recercar Cromatico degli Apostoli se joue post il Credo. Le chromatisme caractérisé de l'adagio BWV 968 aurait-il un rapport avec cela ? Du point de vue musical cela pourrait être l'explication que l'on ne trouve pas en suivant d'autres modèles, mais ceci en dépit du contrepoint de type luxurians. Lire à ce sujet : SCHULENBERG, p. 356 à 359. Ces idées peuvent-t-elles constituer des indices en faveur de l'authenticité de cette version ? Pourtant, Williams signale que certaines œuvres de W. F. Bach, C. P. E. Bach et Krebs sont marquées par le chromatisme qui leur aurait été appris par J.-S.Bach. WILLIAMS I, p. 273. Ce sont là des pistes tout aussi intéressantes que délicates à exploiter. Pourtant, ce ne serait pas la première fois que l'on attribue à Wilhelm Friedemann, le fruit du travail de son père (BWV 596. Lire à ce sujet : BASSO I, p. 478, 479).

60. Ses propres mots le prouvent : « Le sujet est pris de la première phrase du Veni Sancte Spiritus ».

61. Outre l'exemple de Mattheson, nous n'avons pas trouvé la confirmation de cela dans les écrits d'époque jusqu'à Forkel, ni dans ceux du xxe et du xxie siècles.

62. Elle le serait peut-être d'autant plus, dans la mesure où nous prendrions en compte l'aspect symbolique des thèmes de la Foi et du Saint-Esprit, qui sont quelquefois traités avec le chromatisme (« Wir Glauben… », « Kyrie Gott… »). En effet, le thème de la foi serait parfois accompagné par celui, symbolique, du Péché (CHARRU et THEOBALD) ou de la Souffrance (SCHWEITZER). Lire aussi : BASSO et BUKOFZER aux chapitres consacrés à l'Orgelbüchlein ; HARNONCOURT I, aux chapitres consacrés à la Passion selon saint Matthieu ; CANTAGREL III, p. 62 à 64 ; CANTAGREL I, p. 205 § 213 (l'Art d'interpréter le choral à l'orgue), p. 275, 276 § 304, p. 500 note 29 (témoignage de Marpurg), 485,486 ; MATTHESON III, p. 627 § 25. L'interprétation subjective du chromatisme est très ancienne et Marsenne (1636) l'avait déjà utilisée pour représenter la tristesse et la douleur. WILLIAMS IV, p. 61 ; LESCAT, p. 49 ; CHAILLEY V, p. 44 à 46. En son temps, Mattheson avait mis en garde les compositeurs contre les dangers de dépeindre des mots isolés. Lire à ce sujet : BUKOFZER, p. 422 et précédentes. Par ailleurs, une analyse théologique appliquée à la fugue BWV 1005 exigerait au préalable la confirmation sans équivoque de son caractère sacré (sauf considérations exposées). Elle devrait être postérieure à cette validation plutôt que de constituer un argument en faveur de ce même sens sacré. Dans ce cas,nous aurions, peut-être, pu trouver dans la pensée de Philippe Charru, une justification à l'idée du « retour à l'Esprit », suggérée par le Da Capo. Nous aurions, peut-être aussi, pu développer l'analyse de sa rhétorique, basée sur les idées d'élévation, d'éternité, etc. Même si l'analyse théologique se montre pertinente, sa liaison avec les intentions du compositeur relève quelquefois, ou même souvent, du domaine des propositions. Cependant, l'analyse théologique est intrinsèque aux œuvres sacrées. Elle est complémentaire et indissociable de l'analyse traditionnelle, souligne Philippe Charru. Lire aussi à ce sujet, le témoignage de Carl De Nys concernant le CBT ainsi que des considérations sur le style fugué. NYS II, p. 195 ; BASSO II, p. 769.

63. Cela n'est pas toujours suffisant, en particulier à cause de « l'inertie » culturelle. Que dire par exemple, lorsque deux géants que sont Jacques Chailley et Gustav Leonhardt s'affrontent par thèses interposées au sujet de la destination de l'Art de la Fugue sinon que, dans le pays du solfège, quoi de plus naturel que de la considérer exclusivement comme une œuvre théorique ? CHAILLEY I ; CHAILLEY III, p. 25 à 42 ; LEONHARDT ; BITSCH II, p. 32 ; CANTAGREL I, p. 503, 504 notes 53 à 56, p. 295 à 297 § 329 (Marpurg) ; HOFMANN, NBA, VIII/2, p. 104 ; WOLFF II, NBA, VIII/1, p. 117, 118 ; BASSO II, p. 789 à 800 ; SPITTA II, p. 677 et s. ; SCHULENBERG, p. 391 et s.

64. Comme dans le cas de Williams, nous avons pris connaissance de l'ouvrage de Wolff pendant nos recherches, mais seulement après nos premières analyses qui se trouvèrent ainsirenforcées. Ce travail ne contredit pas l'ouvrage de Wolff (WOLFF I) et, finalement, celui-ci semble soutenir nos propositions.

65. BASSO II, p. 648 à 652. Alberto Basso reprendra mot par mot une partie de cette réflexion pour souligner « l‟expérience de l‟ancien » dans l‟Offrande Musicale. BASSO II, p. 780.

66. Cette argumentation ne fait, en fin de compte, que rajouter une œuvre, si importante soit-elle, à une liste déjà existante. Nous nous souvenons de cet élève au Conservatoire qui, après avoir entendu « la Grande Fugue » pour la première fois, a fait la remarque suivante : « cette Fugue ne ressemble pas aux autres (pour violon) ; elle paraît plus ancienne ». Ce qui restait encore à démontrer.

Sources, abréviations

Bibliographie

LIVRES

ARTICLES

Partitions

J.- S. BACH :

G. FRESCOBALDI :

D. BUXTEHUDE *

A. CORELLI

J. DUNSTABLE

J.C.F. FISCHER

J. FROBERGER

J.P. KIRNBERGER

J.L. KREBS

C. MERULO

D. ORTIZ

J. PACHELBEL

J.P. PALESTRINA

G.B.PERGOLESI

T. DE SANCTA MARIA

S. SCHEIDT

H. SCHÜTZ

J.P. SWEELINCK

G. M. TRABACI *

Œuvres de

Chorgesangbuch, geistliche Gesänge für ein bis fünf Stimmen, Bärenreiter.

Graduale Triplex, Solesmis, Abbaye Saint-Pierre de Solesmes, MCMLXXIX, 918 p.

Antiphonaire Dominicain de Poissy, 1335-1345, facsimile, La Trobe University Library (voir lien internet)

Parchemin, milieu du xie siècle, facsimile, Saint-Gall, Stiftsbibliothek (voir lien internet)

* Partitions Libre de Droit

Sites Internet

ww.bach-leipzig.de

www.bach-cantatas.com

hcl.harvard.edu

www.jstor.org

www.musicologie.org

www.lib.latrobe.edu (Poissy, Folio 147 R)

https://www.e-codices.unifr.ch (Saint-Gall, Cod. Sang. 376: 296)

https://www.freidok.uni-freiburg

/www.peiresc.org/Clerc.pdf

Mattheson : https://archive.org ; https://archive.org

Marpurg :

https://archive.org ; https://archive.org ; https://gallica ; https://gallica ; https://gallica ; https://books.google.ch ; Bayerische Staatsbibliothek

Références complémentaires hors sources

Alexander Silbiger (Project Director), Frescobaldi Thematic Catalogue Online.

Ladewig James, « Bach and the Prima prattica : The Influence of Frescobaldi on a Fugue from the Well-Tempered Clavier », The Journal of Musicology, vol. 9, n° 3 (Summer, 1991), University of California Press, pp. 358-375.

Billeter Bernhard, Bachs Klavier- und Orgelmusik. Amadeus Verlag, Winterthur, 2011.


rectangle textes
logo gris

À propos - contact | S'abonner au bulletin Biographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences |  Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

paypal

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910

Dimanche 10 Mars, 2024

cul_1802