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Nice, le 16 mars 2014, par Jean-Luc Vannier ——

Lumineuse « Adriana Lecouvreur » à l'Opéra de Nice

adriana lecouvreurAdriana Lecouvreur. Opéra de Nice mars 2014. Photographie © D. Jaussein.

Avant d'être un opéra en quatre actes de Francesco Cilea créé au Teatro Lirico de Milan le 6 novembre 1902, le personnage de Mademoiselle Adrienne Lecouvreur fut cette actrice adulée par Voltaire qui lui confia le rôle-titre pour la première de son « Artémire » le 15 février 1720. Le philosophe de Ferney disait à son propos qu'elle ajoutait « de nouveaux charmes à Racine » après l'avoir entendue dans « Bérénice ». Il écrivit, par surcroît, à son ami Thiériot au lendemain de l'étrange mort, en 1730, de la tragédienne sans doute empoisonnée par une rivale, son « indignation, peut-être trop vive sur son enterrement mais indignation pardonnable à un homme qui a été son admirateur, son ami, son amant » (Pierre Milza, Voltaire, Perrin, 2007, p. 77).

adriana lecouvreurCristina Pasaroiu (Adriana Lecouvreur) et Bruno Ribeiro (Maurizio). Photographie © D. Jaussein.

D'où, peut-être, la décision — heureuse quant au résultat de la première, dimanche 16 mars à l'opéra de Nice de cette nouvelle production d'Adriana Lecouvreur — d'une mise en scène réalisée par Francesco Micheli et centrée sur un immense plateau dénudé : histoire d'abîmer le public dans l'envers profondément humain, heureux et triste, des décors de la comédie, de le baigner en outre dans une luminosité aussi éclatante que de le perdre dans une inquiétante pénombre par de fascinants jeux de lumières signés Nicolas Bovey. En témoigne la scène fantasmatique du panneau éblouissant, pivot de la rivalité amoureuse entre les deux héroïnes. Fabriqués à la Diacosmie de Nice, les costumes quasi féériques d'Alessio Rosati complètent l'indiscutable envergure de ce dispositif dramatique.

adriana lecouvreurCristina Pasaroiu (Adriana Lecouvreur). Photographie © D.Jaussein.

Très germanique, la direction musicale de Roland Böer possède l'éminent avantage de son inconvénient : une minutie passionnée tant dans la conduite millimétrique de l'orchestre philharmonique de Nice que dans le lancement et l'accompagnement tout aussi implacables des acteurs sur la scène, à la parole près. Nous ne nous en plaindrons guère : le maestro soutient le rythme d'une dramaturgie qui ne procure jamais le sentiment de lassitude ou l'impression de longueurs. Revers de cette honorable médaille : un forçage des pupitres qui, parfois, avoisine les pressions d'un Léonard Berstein et qui, surtout, prive le public de manifester son enthousiasme par des applaudissements spontanés après certaines arias.

adriana lecouvreurBruno Ribeiro (Maurizio). Photographie © D. Jaussein.

Brillante, la distribution est sans conteste dominée par le ténor portugais Bruno Ribeiro dans le rôle de Maurizio, chanteur que nous avions déjà encensé dans un apothéotique « Stiffelio » de Verdi à l'opéra de Monte-Carlo en avril 2013. Encore faut-il signaler l'intervention du directeur artiste Marc Adam venu implorer, avant le lever de rideau, l'indulgence du public pour l'état de convalescence de celui qui poursuivit ses études de chant en Afrique du sud. Nous aimerions toujours apprécier des convalescents de cet acabit : émission vocale d'une rare puissance, voix étonnamment stable, aux larges assises et dotée d'intonations charnues sans perdre une seule once de sensibilité et d'émotion. Que nous réserve donc ce ténor lorsqu'il jouit de tous ses moyens ? De son duo émouvant avec la princesse de Bouillon à l'acte II « Mon âme est lasse » au compte rendu de ses exploits militaires sur le champ de bataille à l'acte III où il parvient à dépasser les tutti de l'orchestre, l'ancien élève de la soprano Emma Renzi à Johannesburg a légitimement suscité les acclamations du public lors des saluts.

adriana lecouvreurAdriana Lecouvreur. Opéra de Nice mars 2014. Photographie © D. Jaussein.

Ses divers partenaires masculins méritent eux aussi de solides compliments : très applaudi, le baryton italien Davide Damiani campe un Michonnet dont les justes accents intimistes, chaleureux malgré la déception amoureuse, ne peuvent que provoquer la vive émotion de la salle. La basse grecque Christophoros Stamboglis convainc sans peine par de magnifiques graves dans le personnage du prince de Bouillon. Quant au chanteur américain Steven Cole, toujours remarquable pour son incarnation de caractères excentriques comme celui de Goro dans une Madama Butterfly à l'opéra de Nice, ses acrobaties chorégraphiques magnifient le libertinage drolatique de l'Abbé de Chazeuil.

Dans le rôle-titre d'Adriana Lecouvreur, la soprano Cristina Pasaroiu suscite quelques réserves. Ses notes aiguës sont certes irréprochables mais la jeunesse de sa voix l'handicape dans les médiums et les graves qui en deviennent le plus souvent inaudibles. Outre le déséquilibre vocal flagrant dans ses deux duos avec Maurizio où elle ne parvient pas à s'imposer, sa déclamation d'un extrait du monologue de Phèdre à l'acte III « Juste ciel, qu'ai-je fait aujourd'hui ? » pèche par sa faiblesse. Même si le parterre de l'opéra de Nice demeure plus restreint que celui de la Bastille à Paris, il est à craindre que cette tirade tout comme certains passages de son grand air du dernier acte « poveri fiori », sauf dans les notes élevées, n'aient pu être entendus au-delà du cinquième rang. Éloges mérités, en revanche, pour la prestation lyrique de la mezzo-soprano Laura Brioli, princesse de Bouillon plus vénéneuse que jamais et dont les cascades de beaux graves annonciateurs de maléfices au début du second acte méritent des félicitations. Aux côtés des chœurs de l'opéra, grimés et sollicités physiquement, quatre figurants (Clément Sollier, Alain-Louis Jacquet, Marc Domesor et Nicolas Houssin) ont leur part au succès de cette production.

Nice, le 16 mars 2014
Jean-Luc Vannier


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