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5 octobre 2013, par Jean-Luc Vannier ——

« Marco Polo » entre père et fils aux Ballets Nice Méditerranée

Fondé sur « Les villes invisibles », ouvrage du romancier Italo Calvino publié en 1972, le ballet en deux actes « Marco Polo » dont l'Opéra de Nice présentait la première, vendredi 4 octobre, en réouverture de saison des Ballets Nice Méditerranée, se déroule à la cour de l'empereur Kublaï Khan. Cette version profite d'une triple influence : celle d'une chorégraphie de Luciano Cannito, remontée par Luigi Neri, celle des arrangements musicaux de Marco Schiavoni inspirés par les partitions de Francis Poulenc, celle enfin des décors, des costumes et des lumières de Jean-Pierre Laporte.

Éric Vu-An (Kublaï-Khan) et Alessio Passaquindici (Marco-Polo).
Photographie © D. Jaussein.

Tout le monde connaît la fabuleuse légende de Marco Polo. Mais le fil rouge du ballet se concentre sur le déroulement d'un duel complice : celui du célèbre explorateur vénitien et de son hôte l'empereur Kublaï Khan l'invitant à sa cour pour écouter le récit de ses périlleuses aventures. La chorégraphie revêt alors la forme d'un dialogue compulsif sur fond d'une inexorable tension entre les deux protagonistes. Et où la relation expressive du corps à l'espace construit l'architecture des arguments ponctuant cette frénétique conversation. À la gestuelle martiale, géométrisée et sous contrôle du vindicatif Khan s'oppose l'évanescence douce, onduleuse, aérienne et sans entrave des évolutions scéniques de « Marco Polo ».

Marco Polo, Ballets Nice Méditerranée. Photographie © D. Jaussein.

Le beau travail de Luciano Cannito subit néanmoins une fascinante mutation, peut-être même un détournement involontaire de dimension en raison du choix particulier des interprètes : Eric Vu-An, le directeur artistique des Ballets Nice Méditerranée danse lui-même l'empereur, figure altière à la fois curieuse et insatisfaite, irascible et bienveillante et dont la jalousie très humaine le dispute à la posture isolée de dignité imposée par l'étendue de son pouvoir. Aux antipodes de cette maturité d'âge, le jeune soliste Alessio Passaquindici incarne un « Marco Polo » d'autant plus juvénile, personnage pubère qui semble à peine sorti de l'adolescence. Le contraste en devient encore plus saisissant. Et se fait porteur d'une autre échelle, plus intime, plus bouleversante. Enfouie sous l'histoire apparente des narrations du voyageur à son exigeant protecteur, pointe un enjeu plus redoutable : la recherche d'une filiation.

Paula Acosta Carli (Chloé), Alessio Passaquindici (Marco-Polo)
et Éric Vu-An (Kublaï-Khan). Photographie © D. Jaussein.

En multipliant en vain les tentatives destinées à séduire l'empereur par le récit de ses pérégrinations et ce, au moyen d'un nouveau symbole puisé à chaque fois dans son sac de voyage, Marco Polo dont le caractère semble osciller entre l'enthousiasme et la mélancolie, se désespère d'obtenir la reconnaissance, voire l'amour paternel de Kublaï Khan. Partagé entre son enfermement dans l'incommensurabilité de son empire et la conscience — affleurée mais toujours déniée — de sa propre vacuité, le désir ambivalent du Khan ne parvient pas à lui faire accepter la perspective de sa déchéance : celle-là même que reproduit en miroir l'insolente jeunesse de l'aventurier rêveur. « Sa Reine » a beau danser à la scène 4 de l'acte II suscitant l'espoir d'un heureux dénouement, l'impérial « lâcher prise » n'aura finalement pas lieu.

Paula Acosta Carli (Chloé) et Alessio Passaquindic (Marco-Polo).
Photographie © D. Jaussein.

Malgré de fort beaux moments, surtout lors des tableaux de la deuxième partie qui accentuent la dramatisation des destins individuels contrariés, certaines faiblesses de la chorégraphie, notamment en première partie, instaurent un regrettable déséquilibre : au cours de l'acte I, le spectateur subit un décrochage entre l'extraordinaire intensité scénique en présence de Eric Vu-An dans son affrontement intérieur avec « Marco Polo » et les rêveries composées d'évolutions et de mouvements dépourvus d'originalité créatrice et de ferveur artistique. Signalons au passage une erreur culturelle : les derviches (Baptiste Claudon, Joshua Costa, Cesar Rubio Sancho et Claude Gamba) tournent certes sur eux-mêmes mais oublient l'essentiel : une paume orientée vers le ciel, l'autre vers la terre puisqu'ils sont censés s'extasier dans la liaison entre le cosmique et le tellurique.

Éric Vu-An (Kublaï-Khan). Photographie © D. Jaussein.

Une mention spéciale pour la soliste Paula Acosta Carli (Chloé, ville du théâtre) dont le regard pénétrant irradie la scène 2 de l'acte II, pour la soliste Gaëla Pujol dans l'exécution majestueuse de sa « danse royale » à la scène 4 de l'acte II ainsi que pour le danseur Giacomo Auletta dont la vivacité et la légèreté tranchent avec bonheur sur des corps parfois trop lourds à force d'être musculeux.

Éric Vu-An (Kublaï Khan) et Alessio Passaquindici (Marco Polo).
Photographie © D. Jaussein.


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