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Ambroise Kua-Nzambi Toko — mai 2014.

Musique africaine et répertoire choral

La musique africaine

Berceau de l'humanité et terre de la diversité culturelle par excellence, l'Afrique n'a plus le droit d'assister impuissante à la disparation de son patrimoine artistique, notamment le fond musical non moins riche ayant pu se conserver malgré les vicissitudes historiques, les pressions continues et croissantes des cultures « dominantes » ainsi que les diverses transformations dues au brassage humain, culturel et social ayant caractérisé son histoire.

Les innombrables résidus de chants issus de diverses traditions, véritables vestiges d'une intense activité artistique, faisant à l'heure actuelle l'objet de plusieurs études ethnomusicologiques, devraient nous interpeller au plus haut niveau.

Par rapport aux époques, aux aires géographiques, aux groupes ethniques et aux pratiques religieuses, il ressort que l'art africain a toujours présenté une diversité immense de modes d'expressions artistiques bien que possédant en général une logique créatrice et une esthétique qui lui est propre.

Ainsi, comme on le sait tous, l'expression « Musique africaine » pose d'énormes difficultés tant dans sa description que dans sa définition, à cause de toute la complexité qu'elle présente. Il faudrait nécessairement se situer dans l'espace et dans le temps pour parler de la musique africaine. D'où toute l'importance de circonscrire le sujet qui exige que l'on tienne compte des singularités propres à chaque source productrice. En occurrence, la musique négro-africaine, la musique afro-arabe, la musique afro-américaine, les musiques produites par les africains, les musiques interprétées par les africains, la musique ouest-africaine, la musique congolaise, la musique sud-africaine, la musique des bantous, des zoulous, etc., sont donc autant d'exemples des « Musiques d'Afrique ».

Les musiques d'Afrique

L'Afrique est le continent de la diversité linguistique, culturelle et religieuse. Outre ses 2011 langues, ses plusieurs milliers de tribus, elle constitue l'un de grands carrefours des religions au monde, y compris les innombrables sectes qui, au jour le jour, ne cessent d'y proliférer.

On se rappellera que le continent africain a aussi été le lieu de convergence d'un grand nombre de courants coloniaux et postcoloniaux desquels il a subi, très souvent de façon unilatérale et passive, des influences culturelles et diverses.

En termes de religion, de langue, d'architecture, de culture et d'art, l'Afrique moderne, surtout « chorale » a donc plus importé qu'exporté. Ce qui justifie en majeure partie, les multiples tendances et expressions actuelles des musiques d'Afrique. on citera entre autre : Les musiques urbaines (modernes), qui sont celles jouées dans les villes, les grandes métropoles. Très séduites par la modernité, elle résulte de l'interaction quotidienne et incessante des formes, des genres et styles tant importés que locaux. Elle domine la scène musicale ; la musique tradi-moderne, qui est celle qui s'inspire de la musique traditionnelle et qui associe les instruments modernes ; la musique folklorique, qui est le fruit du métissage entre la musique traditionnelle et celle qui est importée, elle est issue du folklore ; la musique traditionnelle pure, qui est celle liée aux traditions. Elle se réfère à une aire géographique, à une peuplade et, est dénuée au maximum de toute influence extérieure ou moderne ; la musique ethnique, qui est propre à une ethnie donnée ; la musique populaire, dont le répertoire est commun, accessible à tous ; etc.

Les différentes expressions des musiques d'Afrique jouissent enfin d'une singularité liée tantôt à une aire géographique, à une peuplade, à une époque ou soit à un courant philosophique ou religieux.

Les musiques traditionnelles d'Afrique

Sources potentielles, Caractéristiques essentielles, thématiques

Au départ très liée aux traditions, la musique en Afrique, accompagne la vie. Elle représente comme la langue, la religion ainsi que certaines pratiques traditionnelles, l'une des bases importantes de la société traditionnelle. Elle est en générale d'essence circonstancielle, fonctionnelle et rituelle.

Dans un monde moderne ou l'évolution a atteint sa vitesse de croisière, les sources les plus sûres et les plus authentiques des musiques traditionnelles ont tendance à disparaître.

La tradition orale, qui a longtemps constituée le moyen le plus aisé utilisé pour la conservation de la musique ainsi que d'autres traditions, ne peut elle-même nous assurer que d'un faible degré de fiabilité quant à l'information transmise car, il est bien clair qu'aujourd'hui certains vestiges de chant et musique traditionnels nous provenant du fond des âges nous sont transmis dans des versions variées, chacune se réclamant parfois être plus originale.

De toute évidence, les musiques traditionnelles ont donc comme sources potentielles :

- Les airs des contes, comptines, fables, fabliaux et mythes anciens,

- Les villages les plus enclavés dans lesquels persistent encore certaines pratiques,

- Les sages et grands chefs traditionnels, qui sont les dépositaires des traditions,

- Les contenus des répertoires des groupes folkloriques et traditionnels existants,

- Les lieux et sites historiques dont l'histoire est étroitement liée à la pratique de la musique,

- Les événements et rassemblements populaires qui constituent des moments d'intenses émotions et des occasions propices pour entonner ou improviser le chant, la danse,

- Les instruments anciens reproduits ou conservés jusqu'à ce jour,

- Les sectes et religions d'Afrique dans lesquelles se conservent et se perpétuent les traditions artistiques les plus anciennes, car les pratiques dites sacrées ont souvent l'avantage de résister aux influences et donc de se transmettre de génération en génération.

Thématiques

Dans une perspective comparative, il paraît clair que les musiques traditionnelles d'Afrique abordent des thèmes variés dans lesquels l'Homme, la nature, les Esprits ainsi que les Divinités en constituent les centres principaux d'intérêt.

Elles relatent souvent de façon lyrique ou dramatique, toutes les péripéties de la vie (naissance, décès, intronisation, initiation, rite de passage, exorcisme, divination, proclamation des oracles et prophéties, divertissements, mariage, pêche et chasse collective, cérémonies à caractère cultuel ou festif, jugements...), mettant ainsi en relief toute sa quintessence ainsi que sa propriété singulière de « Musique-objet », une musique véritablement au service de l'humanité pour la régénération des âmes, et dont l'homme se sert principalement pour des fins pures et sacrées. Les thèmes et sujets tels que les berceuses, les divertissements tant infantile que juvénile, les complaintes, les satires, les palabres, les épilogues, la séduction, la jalousie, la provocation, la dénonciation, la confession, l'égoïsme, les épopées, les chants moralisateurs, les élégies, les chansons funèbres, les chants et cris des opprimés, les chansons narratives, les chants des cultivateurs, les chants des sages, les chants de louange pour vénérer les grands chefs, etc., en fournissent des preuves.

Echelles, modes, caractères, rythmes

Les musiques traditionnelles d'Afrique sont construites sur plusieurs échelles et modes. Elles sont plus à tendance modale que tonale. On devra reconnaitre à l'Afrique son attachement à la modalité par rapport à la musique occidentale qui elle, est partie de la modalité à la tonalité, défiant même l'atonalité jusqu'au sérialisme.

Néanmoins, on y retrouve aussi d'autres modes identiques ou proches aux modes anciens comme le dorien, le myxolydien, etc., des échelles diverses (bi-tonique, tri-tonique tétra-tonique ainsi que d'autres ; l'échelle pentatonique étant celle qui prédomine). On notera le rarissime emploi du chromatisme et du dodécaphonisme.

Les chants les plus anciens sont souvent de type responsorial et antiphoné.

Les monodies accompagnées, les structures canoniques ainsi que les homophonies ayant fait l'objet d'un usage courant dans le passé.

L'un des points forts et communs des musiques traditionnelles d'Afrique est leur dimension lyrique et dramatique. Loin d'être insipide, elles sont pleines de caractère et traduisent les émotions avec un maximum d'intensité.

La musique africaine tant vocale qu'instrumentale, héritées de nos traditions, est très mobilisatrice, participative, interactive et suggestive. Elle fait souvent appel à l'être tout entier, mobilisant toute son énergie et ne laissant indifférent tant ses acteurs que ses spectateurs.

L'utilisation de façon singulière de la percussion est l'une des caractéristiques les plus remarquables sinon les plus saillantes de l'organologie africaine.

Les divers instruments de percussion d'usage courant dont les idiophones et les membranophones tout comme certains cordophones et aérophones, offrant des variétés de rythme, de sonorité et de caractère, laissant libre-cours à l'improvisation et inspirant une expression totale et collective, incarnent de façon éloquente toute la force et la puissance du lyrisme africain.

Au commencement était le rythme, le rythme accompagne tout et inspire tout. Le rythme, c'est de la musique. Il y a des « rythmes » congolais, sud-africains, togolais, manianga, yombe, mbunza, etc.

Pour l'Afrique profonde, le rythme est essentiel, il paraît même comme l'élément primordial, il est très suggestif et inspirateur, il agit parfois comme une corde liant acteurs et spectateurs. Son magnétisme est fort.

Si l'occident a porté la polyphonie à son plus haut point, l'Afrique défend sa musique liée au rythme allant du simple au complexe (arythmie et polyrythmie).

Nous ne donnons pas ici raison à Pierre Desproges qui a affirmé que l'africain a le rythme dans son sang mais il s'agit d'une composante de la musique que l'Afrique a intégré dans la culture.

Le triade incontournable « chant-danse-instrument » a plus cédé sa place à la magie du triade «rythme-danse-percussion ».

Le répertoire choral africain

Plusieurs missionnaires arrivés en Afrique se sont intéressés à la production artistique locale et ont donc pu transcrire certains chants, les adapter et les arranger.

Il va de soi que les polyphonies chorales africaines soient plus issues, soit des mélodies anciennes arrangées pour le chœur ou soit des œuvres contemporaines produites par les africains en s'inspirant des formes et styles tant locaux qu'importés.

En toute logique, le mouvement choral en Afrique s'est plus enrichi d'un répertoire religieux et ce, surtout pendant la deuxième moitié du siècle passé. Séduit par les œuvres d'anthologie de la renaissance, de l'époque baroque et classique, le mouvement choral africain a donc coopté ces chants importés en les intégrants dans son repertoire. Il y a plus de deux décennies, seuls les chœurs capables d'interpréter Mozart, Haendel, Bach, Beethoven, Saint-Saëns, Haydn et autres étaient considérés comme des chœurs de premier plan alors que ceux exploitant les styles traditionnels ou interprétant les pièces répertoire contemporain produit par les compositeurs africains de la première génération, étaient vite relégués au bas de l'échelle.

Notons qu'il existe jusqu'à l'heure actuelle d'innombrables mélodies, anciennes ou populaires, à forte vocation polyphonique qui par des arrangements musicaux contextuels et très subtils, peuvent se révéler être considérée comme de grandes œuvres chorales d'Afrique pouvant naturellement figurer dans le cercle fermé des œuvres chorales mondiales d'anthologie.

Imaginez des chœurs interprétant avec brio des chants bien adaptés et arrangés tels que : Malaika (Tanzanie), Anigye abao (Ghana), Wallaye (Sénégal), Umahlalehla (RSA), Zangalewa (Cameroun), Iso e Iso e et Ngiele ngiele (RDC).

Voilà un projet majeur qui devrait intéresser tous les acteurs et chercheurs du monde choral. Les arrangements de légende qu'ont faits les contemporains comme Moses Hogan, Robert Shaw, William Dawson et autres, à partir de bon nombre des negro-spirituals traditionnels ne peuvent que nous inspirer davantage.

Le répertoire choral africain est comparable à un puzzle dont les éléments sont éparpillés. L'Afrique possède des styles de chant sacré, traditionnel, populaire identifiables dans leur forme, leur fond, leur sonorité, leur rythme, leur type de polyphonie ainsi que dans les éléments organologiques qui les caractérisent. Il est temps donc que ces œuvres composées par les africains soient cataloguées et mises à a disposition de l'humanité pour les générations à venir et que les techniques d'innombrables styles de chant authentiquement africains soient étudiés et maitrisés pour des fins artistiques très utiles car, comment interpréter une œuvre africaine (sonorité, prononciation, rendu, attitude, gestuelles …), comment la diriger et qu'est ce qu'il y a d'africain dans tel ou tel autre chant dit africain ? Voilà des questions qui nous sont souvent posées par des européens et d'autres non-africains ayant eu l'occasion de participer à différents ateliers et master classes que nous avons animés et dirigés plusieurs fois sur la musique africaine.

Ayant tout pour produire une musique chorale richissime, qu'on se le dise, l'Afrique a beaucoup à donner au monde.

Ambroise Kua-Nzambi Toko
Mai 2014

Chef du Chœur Africain des Jeunes (2012-2014)
Chef de Chœur la Grace de Kinshasa (depuis 1985)
Vice-président de la Fédération Congolaise de Musique Chorale
Membre du Conseil International d'À Cœur Joie et de World Choir Games
Directeur de l'Académie Africaine de Musique Chorale


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