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Dijon, Opéra, Auditorium, 14 novembre 2014, par Eusebius —

Rameau, maître à danser : délicieusement futile

Arts florissants Rameau, maître à danser. Photographie © Philippe Delval 2014.

Avant de gagner la Cité de la Musique, ce spectacle créé à Caen en juin dernier est donné à Dijon. Les 1600 places de l'auditorium sont occupées. Depuis longtemps, plus une place de libre. Contagion d'une désinformation à la mode ? La rumeur circulait que Paul Agnew dirigeait. Un premier motif de satisfaction : William Christie, attendu comme … Jupiter, est dans une forme resplendissante.

Le spectacle s'articule autour de deux œuvres tardives (1753-1754) de l'enfant du pays : Daphnis et Eglé, et La Naissance d'Osiris. Girdlestone, la première colonne du temple ramiste (la seconde étant Sylvie Bouissou), range ces pièces dans les œuvres mineures et nous dit : « Daphnis et Eglé n'est, je crains, susceptible d'aucune reprise, sous quelque forme que ce soit… » . Il ne consacre que 11 lignes, pour 620 pages de texte, à La naissance d'Osiris. Ces œuvrettes, fadaises de circonstance1, sur des livrets inintéressants, sont totalement dépourvues de ressort dramatique.  L'intrigue, si intrigue il y a, est-elle le prétexte des danses, ou le contraire ? On ne sait. La seule certitude est l'absence de toute action, le recours aux clichés, aux poncifs (le temple de l'Amour, la tempête, les chants d'oiseaux…) et l'importance des nombreuses danses. Si Rameau emprunte aux Italiens (l'ouverture de la Naissance d'Osiris), il persiste à juxtaposer de brefs et nombreux morceaux sans autre lien que le livret pour les pièces vocales2. Les symphonies « trésors enfouis » (Girdlestone), tout comme l'ouverture et les danses, les quelques pièces vocales (les duos en particulier) méritent notre attention, car chacune est remarquable.  Rameau y épouse les frivolités d'une aristocratie insouciante et avide de plaisirs. Le raffinement est extrême. Mais la musique sent trop souvent la colle : ces œuvres brèves semblent juxtaposées sans souci de cohérence et de continuité. Rameau ignore ici l'art des transitions, la fluidité d'un discours soutenu3. On est en droit de s'interroger sur le choix de William Christie : après avoir si longtemps fréquenté l'œuvre de Rameau, est-ce un désir d'exhaustivité, ou la recherche de l'inédit ?

Après cette note discordante dans le concert de louanges qui saluait le retour de William Christie et des Arts Florissants à Dijon, il convient de souligner les séductions du spectacle qui est offert. La mise en scène de Sophie Daneman, avec les lumières de Christophe Naillet, excelle à donner du sens à ces collages qui en ont bien besoin. Une mise en scène intelligente, inventive, servie par des éclairages latéraux et des costumes ravissants d'Alain Blanchot : les couleurs d'un Watteau. Chanteurs, choristes et danseurs forment une véritable troupe, et la direction d'acteurs, avec une gestuelle raffinée, d'un soin tout particulier, nous ravit.

Reinoud van Mechelen,  ténor vaillant et sensible, d'une voix bien projetée (c'était un haute-contre chez Rameau) ne mérite que des éloges. L'Aglae d'Elodie Fonnard est également convaincante. La voix de Magali Léger (L'Amour, Pamilie),  agile, avec de beaux aigus, souffre d'un medium et de graves qui passent mal. Le Jupiter puissant et clair de Pierre Bessière est prometteur, alors que le berger pâlot  de Sean Clayton se caractérise par son insignifiance. Comme attendu, les Arts Florissants, en fond de scène, ont la dynamique, la puissance, la rondeur et les couleurs qui en ont fait le renom.

Le programme imprimé est de qualité, comportant le livret de chaque ouvrage, mais on regrette l'absence de surtitrage, l'intelligibilité étant parfois difficile malgré l'excellente diction de chacun des chanteurs.

Une soirée dont on sort ravi mais perplexe : Futilité ou légèreté ? Insignifiance ou poésie ? La grâce, le raffinement, la délicatesse ou la vacuité sidérale ?

Eusebius
16 novembre 2014

1. La première, commandée pour la cour, fut donnée à Fontaibleau ; la seconde salue la naissance du futur Louis XVI (choix surprenant de l'assimilation à Osiris, dont la mort fut également violente, assassiné par Seth).

2. « À soixante ans, l'on sent qu'il faut rester ce que l'on est. L'expérience dit assez ce qu'il faut faire, mais le génie refuse d'obéir ». Rameau, cité par Grétry.

3. Elles justifieraient la vigueur des critiques de la musique française du temps si nous n'avions eu Dardanus, Castor et Pollux , Hippolyte et Aricie et autres chefs-d'œuvre. Pourquoi voudrait-on que les compositeurs ne produisent que des œuvres immortelles ?


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