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Par Jean-Marc Warszawski —— 2013

Regards sur la tonalité

Regares sur la tonalité

Gonnard Henri (direction), Regards sur la tonalité / Perspectives on Tonality. « Pensée musicale », Éditions Delatour, Sampzon 2013 [290 p. ; ISBN 978-2-7521-0158-7 ; 27,00 €].

Cet ouvrage, au titre parfaitement approprié, collationne les articles d'une quinzaine de spécialistes.

Dans son usage, « tonalité » est relative à une longue durée (trois siècles) de la musique savante, dont on place l'origine dans la seconda prattica de Claudio Monteverdi (1600), quand la musique savante s'échappe de l'église et de ses huit modes traditionnels, pour adopter les modes inusités de do (mode majeur) et accessoirement de la (mode bien nommé mineur). À mi-parcours (1750), Rameau y apporte une théorisation cohérente. Vers 1900, les compositeurs, dans ce qui semble une dialectique hégélienne de négation de la négation (tout ce qui vit se développe et meurt en donnant naissance à autre chose), semblent avoir atteint les ultimes possibilités expressives du système. Soit pour avoir poussé le chromatisme et enrichi l'harmonie au point de rendre les principes premiers inaudibles, soit en ne se souciant pas des frontières imposées par les règles à l'exemple de Charles Ives. L'émergence de musiques atonales provoque réflexions et polémiques sur la tonalité.

D'autre part « tonalité », par sa logique sémantique, est relative aux musiques à tons d'intonations, donc à bien des musiques étrangères à ce système tonal adopté par la musique savante occidentale (1600-1900).

D'autre part, ce système en évolution permanente sur ses trois siècles d'existence historique, est organisé à partir de ce qu'on appelle la gamme majeure (un mode), et des hiérarchies qu'on installe entre les notes qui la composent (celles qui finissent, qui dominent, qui suspendent, qui dissonent, qui consonent, ce qui doit être préparé, et ce qui doit être résolu), la musique tonale, de ce point de vue peut aussi être considérée comme une musique modale.

Les compositeurs de la table rase d'après 1945, particulièrement les compositeurs sériels, ont poussé l'expérience jusqu'à bannir toute trace de ton d'intonation dans leurs œuvres. Relançant d'autant les polémiques.

Il est donc question de regards, qui souvent ne ce croisent pas, car on ne sait si on parle ensemble de tonalité à propos d'un respect du système tonal académique après et d'après Monteverdi et Rameau, ou de la présence ou de l'absence de tons d'intonation (on dit aussi polarisation tonale, mise en valeur d'une note).

Mais pourquoi faire simple quand cela peut être compliqué ? La longue durée du système tonal et les difficultés de sa théorisation pour en faire un système fondé (à tort) sur des légitimités physiques — on se demande au passage, avec Ricœur, s'il est pertinent d'introduire dans les sciences sociales les méthodes de validation des sciences exactes — sont marquées par une autre longue durée, celle de l'autorité des philosophes et des mathématiciens de la Grèce antique. Ceux-ci, observateurs de génie, ont remarqué la proportion directe entre la hauteur des sons (grave-aigu) et la masse des corps qui les produisent. Cela ne les intéressait pas en réalité pour la musique, ils voulaient par analogie — ce qui permet de parler des choses qu'on ne connaît pas selon Aristote — parfaire leur savoir de l'organisation céleste, dont ils tiraient les présages et dont le silence paradoxal des planètes en mouvement étonnait.

Ils ont ainsi numérisé les hauteurs des sons musicaux, l'alogrithme est simple, ce ne sont que des calculs de proportion. Ils ont attribué à chaque note un nom de planète et l'idée de la planète avec : ses influences sur le caractère, la maladie, la couleur etc., ce qu'on appelle l'ethos. Cette musique du monde ou musique mondaine a été enseignée dans les universités jusqu'aux bouleversements intellectuels du XVIIe siècle.

Malgré ce bouleversement, le positivisme des XIXe-XXe siècles aidant, l'importance des nombres, la nécessité de lois sous-jacentes à l'art des musiciens dont il difficile d'admettre le génie irrationnel, l'imagination (le rêve fait peur, il faut l'interpréter rationnellement !), le goût de l'ordre dans des formules sonnantes et trébuchantes, chiffrées ou géométriques, font que les théories musicales sont liées à des attitudes d'être au monde en général, à des cosmogonies. C'est d'ailleurs pour cela qu'Artusi s'opposait à la seconda prattica de Monteverdi (il n'était pas un imbécile, comme on le répète en boucle). Monteverdi, pas plus que son frère Giulo Cesare, cela malgré les promesses faites, n'a pu justifier théoriquement la nouvelle musique qu'il inaugurait.

Au bout du compte, « tonalité » est devenu un concept abstrait. Contrairement à d'autres concepts, abstraits comme « fruit » ou « légume », qui embrassent les spécificités communes à des objets concrets (pomme, poire, céleri, tomates), « tonalité », concept abstrait est le receptacle d'autres concepts tout aussi abstraits.

L'ouvrage présente donc un florilège de regards : recherches d'un ordre caché, formulations ramassées, voire essentialistes, sur-théorisation, démonstrations géométriques, mais aussi réflexions générales et analyses musicales concrètes qui permettent de saisir comment les compositeurs (« tonaux ») construisent leur musique ou certains de leurs effets.

Le tout est d'un très bon niveau, souvent passionnant, mais tout de même plutôt réservé aux spécialistes. Espérons que ces regards puissent nous amener à affiner nos oreilles, car comme le pensait sagement Karl Marx, la question n'est pas de d'expliquer le monde, mais de le transformer.

Jean-Marc Warszawski
22 octobre 2013


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