width="100%" musicologie

Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte.

La musique instrumentale de Girolamo Frescobaldi

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A l'évidence, c'est une des plus grandes figures de son époque. Déjà en son temps, il jouissait d'une immense notoriété, au point — exemple souvent cité – qu'un Froberger, organiste à la Cour de Vienne, tint à se rendre à Rome pour travailler avec lui et allait y rester quatre ans.

Formé dans sa ville natale de Ferrare par Luzzaschi, un organiste et  madrigaliste célèbre, le jeune Girolamo est admis comme organiste et chanteur à l'Académie Sainte Cécile de Rome. En 1607, il part pour les Flandres dans la suite du nonce apostolique dont il est devenu le protégé, un séjour prolongé qui lui permettra de s'imprégner des traditions anglaise et flamande aussi bien que de l'art de la chanson polyphonique française. A son retour à Rome en 1608, il est nommé organiste à Saint Pierre, un poste prestigieux qu'il conservera jusqu'à sa mort, si toutefois on fait abstraction d'un passage  à Mantoue  et d'un long séjour à Florence où, de 1628 à 1634, il officiera au service des Médicis en tant qu'organiste.

C'est essentiellement à ses œuvres pour clavier (clavecin et/ou orgue) que Frescobaldi doit la place majeure qui est la sienne dans l'histoire de la musique. En cela, il se démarque clairement de Monteverdi, son aîné de seize ans, mais s'en rapproche par sa fabuleuse maîtrise de l'art du contrepoint hérité de Palestrina, et peut-être également par son talent à faire vivre les tourments et les passions de l'âme humaine.

Il reste que par ses nombreuses audaces, son goût pour les dissonances acerbes (les fameuses « durezze »), sa subtilité harmonique et ses jaillissements virtuoses, Frescobaldi imprime à sa musique une marque très personnelle. Au risque — parfois — de déstabiliser les auditeurs les moins prévenus. C'est dire que sa musique est de celles qui demandent une fréquentation prolongée pour être appréciées à leur juste valeur. 

Fantaisies (1608)

Il primo libro delle Fantasie, a 2, 3 e 4

D'une forme dérivée du motet vocal, ces douze fantaisies de jeunesse, qui mettent en œuvre une polyphonie à quatre voix maximum, sont des partitions savantes et austères qui s'inscrivent dans une tradition de musique spéculative remontant à l'ars nova et dont la polyphonie pratiquée par Palestrina constitue le dernier maillon avant Frescobaldi. Elles manifestent déjà la maîtrise du compositeur, mais on n'y trouvera guère le foisonnement inventif des grandes œuvres à venir.

Frescobaldi, Fantasia nona sopra 3 soggetti (1608), Gustav Leonhardt (clavecin)

.

Livre de Ricercari et Canzoni (1615)

Les dix Ricercari de ce recueil relèvent eux-mêmes d'un genre réputé austère. Frescobaldi y montre toutefois une grande habileté : « ce sont des tours de force, utilisant toutes les ressources du contrepoint, emplis de surprises magistrales, d'imprévus déroutants »1.

Les cinq Canzoni de ce même livre , début d'une série qui s'élargira avec les six du Second Livre de Toccatas et les onze alla francese de l'édition posthume de 1645, ont la souplesse de la chanson française dont est issue cette forme plus alerte et avenante. La plus remarquable de la présente série est probablement la Canzone III en sol mineur.

Frescobaldi, Ricercar nono con quattro soggetti (1615), Gustav Leonhardt (clavecin).
Frescobaldi, Canzona terza, Enrico Baiano (clavecin).

Premier Livre de Toccatas (1615)

Toccate e Partite d'Intavolatura di cimbalo

A sa parution initiale en 1615, ce premier livre de Toccatas comportait douze toccatas et trois séries de variations (partite) sur des airs connus (Ruggiero, la Romanca, la Monicha). Son succès fut tel qu'il connut plusieurs éditions successives, l'édition ultime (1637) comportant diverses pièces supplémentaires (balletti, capricci, corrente, passacagli) et surtout deux nouvelles séries de variations (sopra Follia et Cento partite). Autre point remarquable : alors qu'à l'origine, le recueil était  destiné au seul clavecin, à partir de l'édition de 1628, il s'adresse à la fois au clavecin et à l'orgue.

Genre emblématique de son auteur, les Toccatas sont – à quelques exceptions près comme la dernière de ce 1er Livre, au caractère très méditatif - des pièces souvent brillantes dans lesquelles Frescobaldi laisse libre cours à son imagination avec une stupéfiante fantaisie créatrice, évoluant sans cesse entre introspection et haute virtuosité, et donnant fréquemment l'impression de s'adonner à de géniales improvisations. Il est d'ailleurs significatif que, dans ses conseils à l'interprète, il ait tenu à inviter à la spontanéité et à une certaine liberté vis-à-vis du respect de la mesure.

Dans ces douze Toccatas, aucune n'est à négliger même si certaines, au premier rang desquelles les Toccatas IX et XI, retiennent tout spécialement l'attention. Parmi les autres pièces, d'un intérêt plus inégal, on distinguera avant tout les Cento partite sopra passacagli, un des chefs-d'œuvre de Frescobaldi. Dans cette série de variations, il réalise une impressionnante démonstration en manifestant ici encore une incroyable richesse d'invention.

Frescobaldi, Toccata undecima (xi) (1615), Gustav Leonhardt (clavecin).
Frescobaldi, Toccata settima (vii), Rinaldo Alessandrini, orgue.
Frescobaldi, Cento Partite sopra Passacagli, Pierre Hantai (clavecin).

Deuxième Livre de Toccatas (1627)

Il secondo libro di toccate, canzone, verse d'hinni, magnificat, gagliarde, correnti e altre partite d'intavolatura di cembalo e organo

Comme l'indique le titre, ce deuxième recueil contient des pages pour clavecin et des pages pour orgue, l'instrument-roi se voyant notamment confier quatre des onze toccatas (les n° III à VI), dont deux (les III et IV, indiquées per l'Elevazione) se signalent par un climat très méditatif. A sa sortie, Frescobaldi le présenta comme l'illustration de sa « nouvelle manière ». A dire vrai, dans ces nouvelles toccatas, qui constituent les joyaux du recueil, il poursuit dans la veine de celles du premier livre, mais avec une écriture plus fouillée, une plus grande variété rythmique, et surtout la maîtrise d'un style arrivé à sa pleine maturité. « La clarté, la lucidité, la concision toutes latines le disputent dorénavant au stile fantastico et à l'ancienne imagination débridée qui frôlait l'instabilité pathologique »2

Pourtant, ces onze nouvelles Toccatas regorgent d'imagination, les exemples les plus frappants étant sans doute fournis dans les Toccatas VIII et IX . Comme l'écrit Guy Sacre, « la plus étonnante est peut-être la Toccata IX, en fa majeur, qui bouillonne des idées les plus diverses, juxtaposées de la manière la plus fantasque… » Et le même de souligner l'originalité de sa voisine : « La Toccata VIII, en fa majeur, est célèbre pour ses durezze e ligature ; ici aucune prouesse digitale, mais, dans une austère écriture de rondes et de blanches, le jeu singulier des syncopes, des retards, des fausses relations, des frôlements d'harmonies. »3

Comme l'a souligné Norbert Dufourcq à propos de ce second Livre de toccatas, ces pages sont de merveilleuses « improvisations d'une émouvante liberté, musique de rêve, d'une inégalable variété de figurations rythmiques par lesquelles le clavecin perd toute la sécheresse qu'on pourrait lui reprocher et acquiert une souplesse, une poésie qui en font l'instrument des confidences. »4

En marge des toccatas, on accordera une attention  particulière aux variations de l'Aria detta la Frescobalda – tout un symbole - ainsi qu'aux Canzoni de ce même recueil.

Frescobaldi, Toccata III  per l'Elevazione, Ton Koopman (orgue).


Frescobaldi, Toccatas VIII & IX, Pierre Hantai (clavecin).


Frescobaldi, Aria detta la Frescobalda, Fabio Bonizzoni (orgue).


Frescobaldi, Canzon I, Pawel Siwszack (clavecin).


Livre de Caprices (1624)

Capricci sopra diversi soggetti

Ces douze Caprices, auxquels on peut rattacher les trois autres figurant dans l'ultime édition du Premier Livre de Toccatas, représentent un genre hybride entre le Ricercar (genre savant) et la Canzone (genre plus séduisant). Les connaisseurs y voient, à côté des toccatas, un sommet de la production de Frescobaldi. C'est à eux qu'il destine ces pièces « d'une perfection savante et pleine de difficultés ». A cet égard, une mention spéciale s'impose pour le prodigieux Capriccio sopra La Sol Fa Mi Re Ut, le plus développé de tous les caprices et sans doute le plus magistral. Mais la science et l'ingéniosité, on les trouve aussi dans des pièces inspirées par des thèmes populaires de l'époque comme Il Cucho, ou bien sûr dans le remarquable Capriccio di durezze. Et on s'en voudrait de ne pas évoquer la poésie du Capriccio cromaticho, authentique madrigal de la déploration et de la souffrance.

Frescobaldi, Capriccio sopra la sol fa re mi, Liuwe Tamminga (orgue).


Frescobaldi, Capriccio di Durezze (1624), Gustav Leonhardt (clavecin),[cf votre CD Philips].
Frescobaldi, Capriccio cromaticho, Leonardo Garcia Alarcon (clavecin).


Frescobaldi, Capriccio  sopra il Cucco, Simone Stella (orgue).


Fiori musicali (1635)

Fiori musicali di diverse compositioni, toccate, Kyrie, canzoni, capricci e ricercari, in partitura a 4

Voici un des recueils les plus justement célèbres de Frescobaldi, et une de ses compositions majeures pour orgue. L'œuvre est constituée de trois messes (Messa della Domenica, Messa delli Apostoli, Messa della Madonna)auxquelles l'auteur a ajouté deux pièces profanes (Bergamasca et Capriccio sopra la Girolmeta). Si chacune des trois messes comporte bien un Kyrie, pour le reste Frescobaldi s'est affranchi des contraintes en vigueur en portant son choix sur ses genres de prédilection que sont la toccata, le ricercar et la canzone. « Mais à la rhétorique exubérante de la jeunesse succède l'économie de moyens, la ferveur orante de l'âge mûr. La gravité des ricercari s'applique à l'offertoire, et les toccate, dépouillées de leurs dentelles festonnées au profit d'une sobre polymélodie contemplative, favorisent le recueillement des fidèles à l'Elévation. Par contraste, avec quelle joyeuse clarté sonnent les canzoni qui courent comme un ruisseau et brillent d'une lumière toute franciscaine… »5

A l'écoute de cette musique d'une si haute spiritualité, on se refuserait presque à croire les témoignages de l'époque qui nous décrivent son auteur comme un homme particulièrement fruste, voire grossier.

Caution suprème — s'il en était besoin — du génie de Frescobaldi : en 1714, un certain Jean-Sébastien Bach devait scrupuleusement recopier de sa main ces Fiori musicali de façon à pouvoir en faire son miel, et on en trouve des traces — parfois sous forme d'hommage affiché — dans certaines de ses œuvres pour orgue, voire dans L'Offrande musicale.

Frescobaldi, Messa della Domenica : Toccata cromaticha per l'Elevazione, Lorenzo Ghielmi (orgue).
Frescobaldi, Messa della Domenica : Canzon post il Commune Lorenzo Ghielmi (orgue).
Frescobaldi, Messa degli Apostoli : Recercar cromatico post il Credo, Maurizio Croci (orgue).
Frescobaldi, Bergamasca, Lorenzo Ghielmi (orgue).

Notes

Biographie de Frescobaldi

1. Sacre Guy, La musique de piano , Robert Laffont, Paris 1998 , p.1166

2. François-Sappey Brigitte, dans Gilles Cantagrelle (dir.), Le guide de la musique d'orgue , Fayard, Paris 2003, p.379

3. Sacre Guy, op. cit., p. 1165-1166

4. Dufourcq Norbert, cité par Adelaïde de Place dans Fr. R. Tanchefort, Le guide de la musique de piano et de clavecin, Fayard, Paris 1998, p. 372.

5. François-Sappey Brigitte, op. cit., p. 380.


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Mardi 20 Octobre, 2020