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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte.

I. De la Renaissance au premier xviie siècle : Allemagne et Pays-Bas

Samuel Scheidt (1587-1654)

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Avec ses contemporains Schütz et Schein, il forme le fameux « trio des S » qui réunit les pères fondateurs de la musique allemande. Si le premier s'est presque exclusivement consacré à la musique vocale sacrée, les deux autres ont partagé leur activité entre musique vocale et musique instrumentale, celle-ci prenant chez Scheidt – le seul des trois à avoir eu des fonctions d'organiste - une importance toute particulière. Ce n'est pas pour rien qu'on voit en lui le grand créateur de l'école d'orgue allemande, une image qui d'ailleurs n'est pas sans effets pervers car elle rejette dans l'ombre un catalogue d'œuvres vocales  (Cantiones sacrae, Geistliche Concerten) souvent superbes.

Cet élève de Sweelinck, dont l'activité se déroula d'un bout à l'autre dans la cité saxonne de Halle, passerait lui-même pour un grand sédentaire s'il n'était allé, à l'âge de vingt et un ans, passer un long moment à Amsterdam pour parfaire son métier au contact du grand maître. Pour autant, n'allons surtout pas imaginer que sa fidélité à la ville de Halle lui ait été dictée par le goût du confort : luthérien comme Schütz et Schein, il eut comme eux à surmonter nombre d'épreuves professionnelles et personnelles durant les années noires de la guerre de Trente Ans, en particulier pendant la période 1625-1642 où la cour du margrave de Brandebourg dut fuir à l'étranger pour soutenir la cause protestante.

Pour l'essentiel, les œuvres instrumentales qu'il nous a léguées ont été écrites et publiées entre 1621 et 1624, donc avant cette période noire et alors qu'il était devenu Kapellmeister de la cour.

Ludi musici (1621) 

Ce recueil, dont seule la première partie publiée en 1621 a été intégralement conservée, « fait figure de divertissement. Scheidt y rassemble une série de mouvements instrumentaux calqués sur les danses en usage : pavane/gaillarde, allemande/courante, ainsi que la canzone (ou thème varié), dans une disposition à quatre ou cinq voix pour consort de violes et continuo. »1  Dans cette succession de pièces, ce sont les canzone et les pavanes qui captent le plus vivement l'attention, que ce soit par leur densité d'écriture ou —  parfois — par leur magie ténébreuse.

« Dans ces Jeux musicaux, Scheidt se livre comme à une opération de sauvegarde d'un répertoire en passe de devenir obsolète en ce début de xviie siècle… »2  Et il le fait en maître ayant parfaitement assimilé le génie harmonique et chromatique de la musique anglaise aussi bien que la manière virtuose des Italiens. In fine, cette musique captive par « son ambiguité fondamentale, l'esprit de la Renaissance y cohabitant avec une humeur expérimentale qui devine les trouvailles et les volte-face du monde baroque à venir. »3

Paduan a 4, Leonhardt Consort; par Gustav Leonhardt.


Courant Dolorosa, Capriccio Stravagant, par Skip Sempe.


Galliarda la Battaglia, His Majestys Sagbutts and Cornetts.


Tabulatura nova (1624)

« Voici l'un des premiers monuments du clavier germanique. Artisan de génie, Scheidt extrait des merveilles à partir d'un matériau brut … avec un climat mystique qui évoque le souvenir des maîtres flamands les plus anciens. Plus la matière initiale semble simple, rebelle à l'ornement, plus la démonstration est éblouissante. »4

Un monument en effet que ce corpus de 800 pages environ divisé en trois parties, les deux premières comportant des œuvres variées, tant religieuses que profanes, alors que la troisième est totalement dévolue à la musique liturgique.

Dans les deux premiers volumes, dont la destination instrumentale (orgue ou clavecin ) n'est pas précisée, Scheidt alterne œuvres libres (canons, échos et surtout fantaisies, parmi lesquelles les absolus chefs-d'œuvre que sont la Fantasia super Io son ferito lasso et la Fantasia super ut, re, mi, fa, sol, la)méditations sur des chorals allemands ou variations sur divers psaumes,  et enfin variations ou inventions sur des chants profanes et des airs de danses. Dans ce dernier lot, une mention toute spéciale s'impose pour les éblouissantes variations sur un thème de Passamezzo ; pour le cycle sur la fameuse chanson française Est-ce Mars ? où Scheidt tente de dépasser son maitre Sweelinck ; pour les variations sur la Cantio Belgica : Ach Ei, du feiner Reiter ; ou encore celles sur la chanson néerlandaise Wehe, Windgen, Wehe ; toutes œuvres où la structure à variation se trouve portée à un degré d'ingéniosité remarquable.

Variations sur la Cantio Belgica, « Ach Ei, du feiner Reiter », par Klaus Eichhorn, orgue renaissance de Stellichte.


Variations sur une gaillarde de John Dowland, Sergey Myasoedov (clavecin).


Dans le troisième et dernier volume,  qui, lui, est expressément destiné à l'orgue, on trouve essentiellement des versets d'hymnes latines, des Magnificat et diverses pièces pour l'ordinaire de la messe. Ici, à l'exception du grand choral « Jesus Christus, unser Heiland », Scheidt se plie largement aux exigences fonctionnelles des pièces destinées au culte. Il prévient du reste que cette troisième partie « s'adresse tout particulièrement à ceux qui aiment jouer à l'orgue la musique dans sa pureté et sans les passages très rapides des colorations », et de fait on ne peut qu'être frappé par cet abandon des effets de virtuosité ou de coloration. « A la suite de Sweelinck, il enracine ainsi dans l'école d'orgue allemande un style strictement contrapuntique, en tournant ostensiblement le dos au passé. Mais loin d'appauvrir l'écriture instrumentale, il développe l'usage du pédalier et introduit ce qu'il nomme lui-même l'imitatio violistica, un phrasé nouveau renouvelant les pouvoirs expressifs du clavier par emprunt à la technique des instruments à archet : toute la musique d'orgue en sera fécondée jusqu'à J.S. Bach. »5 

Variations sur « Jesus Christus, unser Heiland », Martin Lewkovitch, orgue de l'église de Vestervig, Danemark.


Magnificat noni toni, Dietrich Wagler, orgue Silbermann de la cathédrale de Freiberg.

Görlitzer Tabulaturbuch (1650)

Longtemps après la Tabulatura nova, Scheidt publia sous ce titre un dernier recueil comprenant « cent cantiques spirituels et psaumes ». Il s'agit en réalité d'un ensemble de brefs chorals allemands destinés à alterner avec les chants de l'assemblée, et dont les visées purement fonctionnelles ne pouvaient sans doute permettre à Scheidt d'exprimer tout son talent.

Notes

1. Marc Desmet, dans « Le Monde de la musique » (209) avril 1997.

2. Roger Tellart, dans « Diapason » (435) mars 1997.

3. Ibid.

4. Marc Desmet, dans « Le Monde de la musique » (275) avril 2003.

5. Michel Roubinet et Gilles Cantagrel, dans Gilles Cantagrel (dir.), Le guide de la musique d'orgue, Fayard, Paris 2003, p. 704-705


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Mardi 19 Septembre, 2023