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Jean-Marc Warszawski, 24 janvier 2006

La célébration de Noël du XVIIe au XXe siècle. Liturgie et traditions

« Siècles » no 21 (2005/1), Cahiers du Centre d'Histoire, « Espaces et Cultures », Presses universitaires Blaise-Pascal [124 p. ; ISBN 2-84516-283-9 ; 11 €].

« Finalement » écrit Bernard Dompnier, « ce qui fonde l'intérêt de l'historien pour la liturgie, c'est la capacité de celle-ci à rendre compte d'autre chose de ce que dit en première lecture la succession des rubriques ou des textes de l'office » [p. 5] parce que le culte «traduit dans ses modalités à la fois les systèmes de représentation de la divinité, de l'Église, et du rapport au sacré. Il constitue un révélateur des modalités selon lesquelles une société pense le religieux. » [p. 4].

Le titre de cette livraison de la revue «Siècles» ne doit pas faire illusion. Il ne s'agit pas pour les auteurs engagés dans sa rédaction de donner une histoire, ou de servir une histoire de la liturgie de Noël, mais plutôt de questionner les témoins du passé dans ce qu'ils engagent  quant à la manière de se mettre en représentation, qui plus est dans la mise en scène spectaculaire de représentations mentales, mélangées nécessairement de populaire et de religieux, de théologique et de ce qui provient de la vie du siècle. On est donc plus proche des travaux sur les mentalités engagées par un Michel Vovel, justement à partir de la religiosité, que d'une histoire, somme toute documentaire, de la mise en scène liturgique de Noël, ou même que d'une histoire de théologie.

On se rendra compte à la lecture des différents articles de la difficulté rencontrée pour soumettre le documentaire à un questionnaire propre à problématiser, à se dégager justement au-delà de ce que dit à la lettre le texte, pour aller vers ce qui le motive et lui donne sens historique ; pour aller de la simple constatation des divergences entre textes à ce que cela peut dire. Car le simple ici est déjà un travail difficile et patient de spécialiste.

Pourtant, des constatations sont là qu'il serait peut-être possible retourner en questions. Noël, naissance du Christ marque depuis le 3e siècle le début de l'année liturgique, parce que de compréhension populaire. Mais ce qui fonde la liturgie catholique, c'est Pâques, la mort du Christ, sa descente en Enfer, et le mystère de sa résurrection. Et cela ne peut être absent d'une célébration.

On ne peut s'empêcher de penser à un texte d'Olivier Cullin (Laborintus, Fayard, 2004, p. 49-71) sur cette liturgie de Noël comme mémoire de celle de Pâques qui marquait à l'origine le début de l'année.

Il y a aussi contradictions. Nöel qui tire vers le populaire est-il peut-être sous la surveillance de Pâques qui ramène à la pureté (imaginaire) du dogme. Peut-être encore que la misère de l'étable, du berger et de l'âne doit-elle être contrebalancée par des attributs de puissance, et la puissance, c'est la richesse. De même manière, comment fêter une naissance sans fêter la mère et le père. Là on voit le problème, d'autant que ces pauvres gens comptent pour rien dans l'histoire. Ils sont justement le populaire.

Il y a aussi, comme le pensait lui-même Henri-Irénée Marrou (De la connaissance historique, Seuil 1954), le fait que la religion catholique peut se donner comme historique. Les auteurs des traités liturgiques de la fin du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle, se tournent vers les écrits anciens (c'est la mode à l'époque), pour fonder leurs normes savantes. Cela ne paraît pas grand-chose, mais le recours à l'histoire est tout autre chose que la rationalisation de commentaires théologiques sur le Livre et que le respect ou le recours (aux bricolages) de la tradition.

L'histoire du «Noël des grands jours» composé par George Onslow, ou plutôt l'histoire du texte qui a été mis en musique, pour anecdotique qu'elle soit est intéressante, puisque faisant remonter aux « grands jours », c'est-à-dire aux cessions extraordinaires du Parlement de Paris en province sous Louis XIV.  Mais je ne suis pas certain de partager les conclusions des auteurs, ni sur la musique dont il me semble difficile de dire qu'elle emprunte au folklore auvergnat, ni sur le sens du texte, qui a tout l'air d'être un appel à la révolte contre le diktat central :

Et la, Noël prend un sens populaire, celui du cri de délivrance, de « vivat », et en même temps masque un propos trop ouvert.

On connaît par exemple le mécontentement et les conflits que créaient, bien avant Louis XIV, les lieutenants particuliers, envoyés royaux dans les provinces pour administrer les finances en place des élus des parlements locaux.

Autre texte qui pourrait aussi sembler anecdotique, est celui qui est consacré aux petits mendiants ou chanteurs de Noël en Bourbonnais au XIXe siècle : à Moulins des enfants chantent les jours de l'Avent, aux portes bourgeoises où il reçoivent, quand elles s'ouvrent, de la monnaie, de la nourriture, du bois de chauffage… ou des insultes. L'auteur cherche à juste titre des filiations documentaires à cette pratique qui est apparue comme elle a disparu autour des années 1850. Si l'origine peut être une passation de pratiques ininterrompues, elle peut aussi être mémoire (les traditions enfantines ont une extraordinaire solidité au temps), elle peut également s'enraciner dans des représentations mentales, ou des pratiques sociales plus insidieuses, à laquelle il ne faut qu'une petite étincelle, un hasard fortuit des événements pour se concrétiser. Ce qui serait la parfaite illustration du propos de départ.

Ces enfants ne se comportent-ils pas comme des enfants de chœur en procession. Il prient ou simulent la prière à chaque calvaire, chaque croix ou objet pieux public. Mieux, ils chantent chaque jour un nouveau verset : ils organisent leur liturgie… sous la direction d'une femme, une véritable mégère… mais aussi maître de chapelle. L'origine est peut-être dans la fantasmagorie, le besoin matériel et moral, le besoin d'identité et en même temps, pourquoi pas, de moquer le modèle.

De nos jours, à Aix-la-Chapelle, mais certainement dans bien d'autres lieux, la pratique enfantine des chansons de mendicité est courante. À l'Épiphanie, le prêtre forme, organise et répartit ses troupes de quêteurs (théoriquement). Par imitation peut-être, après le défilé populaire aux lampions de la Saint-Martin, les enfants vont chanter de porte en porte pour recevoir de petites oboles très symboliques.  Fait nouveau lié à l'importation via les médias de la fête d'Halloween et à l'arrivée de populations très démunies des pays de l'Est : on observe, dans certains quartiers d'Aix-la-Chapelle des troupes d'enfants assez agressifs et braillards chantant et quêtant de porte en porte et salissant celle-ci ou les façades de jets d'œufs quand ils n'obtiennent pas satisfaction.

Jean-Marc Warszawski
24 janvier 2006

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