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Par Bernard Dewagtere

L'interprétation selon le geste de direction : Stabat Mater, Krzysztof Penderecki

Il convient, de s'interroger sur la spécificité et le but de l'analyse pour le chef. Qu'est-ce qui, en d'autres termes, différencie son travail d'analyse de celui de tout autre interprète ?

Ce travail est donc, par essence, un travail personnel entièrement lié à la personnalité du chef, à l'évaluation des qualités ou possibilités de son ensemble musical et aux particularités que présente la partition. Il s'agit à chaque fois d'une rencontre unique entre un homme, un groupe de musiciens et une œuvre. C'est pourquoi, ne pouvant répondre à la multitude de situations susceptibles de se présenter, je me propose de livrer ici ma méthode de travail basée sur les questionnements et les propositions survenus au cours de l'analyse d'une œuvre : le Stabat Mater de Krzysztof Penderecki.

1.  Le geste silencieux de direction, en tant qu'outil méthodologique d'analyse et de déchiffrage

Je pars du constat que le geste de direction agit sur l'ensemble des paramètres musicaux à l'exception de la hauteur du son. Le son a-t-il une valeur signifiante absolue en soi ou est-ce plutôt le contexte dans lequel il s'inscrit qui lui donne un sens musical ? Y a-t-il, parmi les éléments qui transposent la « note » en « son », un paramètre qui se distingue des autres par son importance et qui doive être systématiquement décodé en premier lieu ? Je me pose cette question dans la mesure où la pratique musicale semble démontrer qu'il existe bel et bien une hiérarchisation des paramètres musicaux appliqués au déchiffrage des éléments typographiques de la partition. Il suffit pour s'en convaincre d'observer le processus de déchiffrage usuellement suivi par les musiciens.

La première étape consiste généralement à évaluer la hauteur de la note en déduisant son nom. Cette option répond-elle à une quelconque raison rationnelle, laquelle lui apporterait une incontestable légitimité, ou serait-elle plutôt le fruit d'un enseignement largement perpétré et inconditionnellement perpétué sans réel fondement, et qu'aucune remise en cause ne soit jamais venue en modifier la sacro-sainte méthode de déchiffrage solfégique ?

Les difficultés éprouvées notamment par les chanteurs en ce qui concerne le déchiffrage vocal avec texte ne semblent en tous cas pas apporter l'assurance que cette méthode soit incontestablement irréprochable. C'est peut-être parce qu'une hauteur ou un intervalle, ou encore une harmonie n'ont de sens que lorsqu'ils s'inscrivent dans le déroulement du discours musical.

Fort de ce constat, j'ai pris pour principe de considérer la notion de hauteur comme un élément secondaire et non fondamental du discours musical, de le positionner comme une étape terminale et non première du déchiffrage musical. Tout ceci m'a conduit à proposer une autre alternative de déchiffrage que j'ai pu longuement expérimenter au cours de mes activités en tant que chef de chœur.

Lorsqu'il s'agit d'une pièce vocale, ce qui est le cas du Stabat Mater, je pars en premier lieu du support textuel, celui-ci étant l'élément fondamental sur lequel repose la musique vocale. Plus qu'un support, il est l'argument premier de la démarche compositionnelle. Une méconnaissance du texte est, à mon sens, une sérieuse lacune et peut conduire à d'irrémédiables erreurs d'interprétation (absence de conceptions, contresens, voire non sens). Il est donc indispensable qu'un travail approfondi puisse y être consacré au cours d'une première approche.

Observons les mesures 57 à 61 du Stabat Mater :

(2)  Constats et déductions

Sens de la lecture

L'usage musical conditionne un sens général de lecture qui s'effectue de bas en haut. La première information perçue devrait donc être le texte et non le dessin musical placé au-dessus.

Effet de substitution

On encourage les musiciens à solfier les notes. Une autre méthode consiste à vocaliser les sons, en chantant « la, la, la, etc. ». N'est-ce comme si, l'on obligeait les élèves en cours de langues à s'exprimer dans leur langue originelle avant de pouvoir formuler la phrase en langue étrangère ? Quelle association sémantique peut-on plaider entre les codes secondaires, « ré, ré, mi, fa » ou un « la, la, la, la » et le code principal, « Eia mater fons amoris » ?

Influence du texte sur le discours musical

En solfiant la partition, je suis enclin à accentuer l'ensemble des temps forts :

-mi-mi, -mi-mi-fa-mi-ré, mi-mi-mi [en gras : syllabes accentuées]

Dans le cas présent, comme dans la plupart des cas, l'accentuation du texte prévaut sur les appuis métriques. Seuls ces appuis donnent un sens à la compréhension et à la direction du discours musical. De plus, contrairement à la prononciation latine, la prononciation française a pour usage d'accentuer la dernière syllabe d'un mot bi syllabique (bâ-teau, ca-mion, de-main, etc.).  L'addition des deux usages « accent métrique + accent syllabique à la française » donne pour résultat cette première version :

Ré-mi-mi, ré-mi-mi-fa-mi-ré,    mi-mi-mi

Ma pensée musicale s'habitue donc à entendre les appuis suivants :

 E-e-ia, Ma-a-ter-e-e-er fons a-mo-ris

Il me faudra entièrement les modifier au moment de l'ajout du texte afin d'obtenir les appuis corrects :

E-e-ia, Ma-a-ter-e-e-er fons a-mo-ris

Outre une évidente perte de temps, cela peut conduire à une version erronée du phrasé musical, le « naturel » reprenant généralement le dessus.

Ce risque d'erreur est d'autant plus marquant au passage polyrythmique « in tanto supplicio » (mes. 50 à 56). Le sens de déchiffrage usuel donnerait, pour les cinq rythmes composant la polyrythmie, les accents suivants :

1.

2.

3.

4.

5.

Il va de soi que la polytythmie musicale ne peut avoir d'effet que si l'ensemble des voix accentue le texte de façon identique, quels que soient les appuis métriques que leur suggère la partition, en l'occurrence : In tan-to sup-pli-ci-o.

Influence de la méthode de déchiffrage sur la durée des notes

De façon générale, un texte récité ou chanté présente une succession de durées qui varient en fonction du rythme musical sous lequel il s'inscrit, mais surtout en fonction de la prosodie (protase et apodose) qui conditionne l'élan et l'élasticité de la phrase.

En aucun cas, une succession de nom de notes parlées ou chantées ne peuvent rendre compte de la rythmique intrinsèque de chacune des phrases du discours musical.

La pratique usuelle d'enseignement du déchiffrage consistant à « solfier » la partition ne peut donc favoriser de façon satisfaisante le sens musical de l'élève, condition pourtant indispensable à toute culture préalable à l'interprétation.

b)  Proposition d'une méthode

(1)  Silence des hauteurs

Je propose ici quelques hypothèses de travail :

J'en déduis que le décodage des hauteurs doit s'effectuer, non pas en premier lieu, mais comme ultime étape du déchiffrage musical. Ce principe, ainsi que la méthode présentée ci-après pour le déchiffrage vocal avec paroles, peut s'adapter et s'appliquer au déchiffrage instrumental, dès lors où l'on admet que l'interprétation instrumentale ne relève pas uniquement de questions solfégiques et techniques, mais consiste à « chanter instrumentalement la partition2 »

(2)  Lecture en « zoom avant »

 

Première étape : contexte

Repérer tout ce qui est ou n'est pas inscrit autour du  « corps de partition » (auteur, compositeur, époque, style, indications de caractère, phrasé, tempo, tonalité, etc.). L'ensemble de ces éléments caractérise chacune des notes dans leur contexte spécifique et définit un mode d'expression particulier qui leur donne un sens esthétique.

Deuxième étape : texte

Troisième étape : rythme

Il est souhaitable, à ce stade du travail de lecture, de demander l'ajout de l'expression et de la tension vocaliques en fonction de la position des notes sur la portée. Les choristes effectueront une sorte de Sprechgesang favorisant la déclamation et évitant une intonation grave et monocorde.

Quatrième étape : nuances

Appliquer les nuances d'intensité sans émission des hauteurs permet de mettre en relief les différentes voix de façon critique et objective, et ce, sans que les pupitres « favorisés » ou « défavorisés » par leur propre tessiture ne viennent perturber l'équilibre général souhaité.

Dernière étape : hauteurs

La lecture chantée, ultime étape de ce déchiffrage, peut enfin s'effectuer dans une compréhension globale de la pièce musicale. Ce procédé de déchiffrage peut être réintroduit en cours de répétition. Lorsqu'un pupitre n'est pas sollicité, il peut lui être demandé d'interpréter sa partie sans émettre les hauteurs, mais en revendiquant totalement l'ensemble des autres paramètres musicaux. Ceci est l'une des nombreuses illustrations de l'utilisation du silence – dans le cas présent, « silence des hauteurs » – comme procédé stratégique de répétition. La lecture est un travail d'observation qui procède du plus large au plus précis. Afin de ne pas passer à côté de l'essentiel, je conseille aux étudiants qui ont la fâcheuse habitude de plonger directement dans le déchiffrage des notes de regarder en premier lieu tout ce qui n'est pas signe musical sur la partition.

« Face au texte écrit, la première attitude doit être « conservatrice » par une mise en situation historique et stylistique (l'époque, le compositeur, l'œuvre). La seconde sera « novatrice » face à un texte « mort » puisqu'elle implique l'imagination sonore et temporelle de l'œuvre créée (et volontairement, je ne dis pas re-créée). La lecture initiale est donc une analyse musicale traditionnelle qui ne se différencie guère de celle qu'effectue n'importe quel autre musicien, interprète, musicologue, etc. A partir d'une approche sensible, d'imprégnation esthétique et poétique, on va, par resserrements, tendre à une analyse de plus en plus fine, en une démarche qui ira généralement du plus grand élément vers le plus petit. »5

Etendons à présent cette méthode au travail d'analyse du Stabat Mater qui, en finalité, devra mettre en évidence les éléments issus de ces recherches afin de fournir des choix précis d'interprétation et dont la directionnalité  se résume ainsi :

2. Contexte général de l'œuvre

a) Texte

(1) Origine du texte

La prière du Stabat Mater est extraite des Sept Douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie. Le texte a longtemps été attribué au poète et moine franciscain Jacopone da Todi, également connu sous le nom de Jacome ou Jacopo de Benedetti (vers 1220-1306). Cette source, usuellement admise dans l'Italie franciscaine de la fin du xiiie siècle est contestée de nos jours. Des recherches récentes laissent, en effet, supposer qu'il a été écrit par Saint Bonaventure (1221-1274), Général de l'Ordre des Franciscains.

C'est l'imprimerie qui, à partir de 1480, entraîne la diffusion du manuscrit dans les missels diocésains européens marquant le début d'une popularité internationale. Initialement prière à usage privé, le Stabat Mater évolue en tant que séquence chantée durant les célébrations et processions notamment le vendredi de l'ancienne semaine de la Passion.

Le Stabat a pourtant failli disparaître de façon définitive au xvie siècle.  Le Concile de Trente, inquiet de voir se multiplier le nombre de séquences chantées au détriment des textes récités, décide les proscrire. Cependant, grâce à son immense popularité, le Stabat Mater survit à cette interdiction. Le pape Benoît xiii le réintroduit officiellement dans la liturgie, en 1727, dans le cadre de la fête de Notre-Dame des Sept Douleurs célébrée le 15 septembre. L'office religieux actuel adopte la mélodie grégorienne de Dom Fontein, chantre de Solesmes (milieu du xixe siècle).

(2) Structure du texte

Le Stabat Mater est composé de vingt strophes de trois vers (dont les rimes suivent le schéma suivant : aab ccb ...) :

Il existe maintes variantes de cet oratio meditativa. Le poème, assujetti aux conjonctures de la transmission orale, se modifie, se développe ou se réduit selon les circonstances. C'est ainsi que durant la grande épidémie de peste de 1348, la prière finale devient Christus mundi redemptor sis mee mortis protector de morbo pestifero. Il en est de même pour les compositeurs qui ont utilisé le texte, l'adaptant à leur propre construction musicale. Krzysztof Penderecki réduit l'intégralité du texte à six strophes :

L'analyse structurelle du texte permet d'ores et déjà, avant même d'avoir effectué l'analyse musicale formelle, de dégager une conception directionnelle de l'œuvre. Il ressort des six tercets trois grandes parties distinctes :

Description de l'ineffable union entre l'offrande du Verbe incarné et celle de Marie :

Conscience de l'homme devant cette Révélation où le Sang divin et les larmes de la Mère coulent ensemble et se mêlent pour la rédemption du genre humain :

(3) Prononciation en I.P.A. (International Phonetic Alphabet)

Dans un souci de clarté et de gain de temps, j'ai recours lors des séances de travail, à l'utilisation de la phonétique internationale, ce qui suppose que les choristes en aient également une solide maîtrise. Si tel n'est pas le cas, une formation préalable est nécessaire. L'investissement en temps consacré à cet apprentissage sera parfaitement rentable pour l'œuvre elle-même, mais aussi et surtout pour tout le répertoire à venir. L'I.P.A. est un système de transcription phonétique exploité par les linguistes pour figurer les sons du langage. Ce système de codification est constitué de :

(5) Transcription des six strophes de la partition en I.P.A.

Strophe 1

Stabat Mater dolorosa juxta crucem lacrimosa dum pendebat Filius.
[stabat] [matεr] [doloroza][juksta] [krut ʃ εm] [lakrimoza][dum] [pεndebat] [filijus]

Strophe 5

Quis est homo qui non fleret Matrem Christi si videret in tanto supplicio ?
[kwiz] [εst] [ɔmo] [kwi] [nɔn] [flerεt] [matrεm] [kristi] [si] [viderεt] [in] [tanto] [suplit ʃ  io]

Strophe 9

Eia Mater, fons amoris, me sentire vim doloris fac ut tecum lugeam.
[eja] [matεr] [fɔns] [amɔris] [me] [sεntire] [vim] [dolɔris] [fak] [ut] [tekum] [ludʒeam]

Strophe 10

Fac ut ardeat cor meum in amando Christum Deum ut sibi complaceam.
[fak] [ut] [ardeat] [kɔr] [meum] [in] [amando] [kristum] [deum] [ut] [sibi] [kɔmplat ʃ  eam]

Strophe 19

Christe, cum sit hinc exire, da per Matrem me venire ad palmam victoriae.
[kriste] [kum] [sit] [ink] [εgzire] [da] [pεr] [matrεm] [me] [venire] [ad] [palmam] [viktɔrie]

Strophe 20

Quando corpus morietur fac ut animae donetur Paradisi gloria
[kwando] [kɔrpus] [morijetur] [fak] [ut] [anime] [donetur] [paradizi] [glɔria]

b) L'auteur et l'œuvre

(1)     Penderecki et la Passion

« Je ne tiens pas à la façon dont la critique qualifiera la "Passion", si elle est traditionnelle ou avant-gardiste. Pour moi, elle est tout simplement authentique. Et cela me suffit. »

Krzysztof Penderecki est né à Debica, au sud de la Pologne, en 1933. Après avoir étudié la composition avec Franciszek Skolyszewski, puis à l'Académie de musique de Cracovie avec Artur Malawski et Stanislaw Wiechowicz, il apparaît comme un véritable prodige, en 1959, lors du concours national de jeunes compositeurs au festival  « L'Automne de Varsovie », avec la création de Strophes pour soprano, speaker et dix instruments.

En 1960, sa pièce Anaklasis, pour 42 instruments à cordes, est créée par l'Orchestre du Südwestfunk. Viennent ensuite, Dimensions du temps et du silence, Thrène, à la mémoire des victimes d'Hiroshima (Prix de l'Unesco 1961), Polymorphia, le Quatuor à cordes n° 1 et Fluorescences. Il est alors salué comme l'un des plus grands compositeurs contemporains.

Tout le monde peut alors identifier un  « style Penderecki ». C'est du moins ce que l'on croit jusqu'au 30 mars 1966 lorsque, pour célébrer le 700e anniversaire de la Cathédrale de Münster, est donnée la Pasja Wedlug sw. Lukasza en  « première mondiale ».

L'œuvre marque une profonde rupture avec le style antérieur inspiré du sérialisme intégral de Pierre Boulez, des explorations musicales de John Cage ou encore des expérimentations électroniques de Karlheinz Stockhausen. Tournant le dos à ces spéculations d'ordre formel, il opère un retour à la tradition en s'inspirant des thèmes religieux et humanistes. Au cours d'une conférence de presse tenue pour la création de l'œuvre, Penderecki déclare :

« Je suis catholique romain, mais, selon moi, il n'est pas nécessaire d'appartenir à une Église pour composer de la musique religieuse : l'essentiel est d'avoir à exprimer une foi. Partant, vous pouvez considérer ma musique comme une confession sans que j'y voie d'inconvénient. Sous ce rapport, je suis un romantique. »6

(Grand Prix d'Art du Land de Nordrhein-Westfalen 1966 et Prix Italia 1967) est en ce sens une œuvre charnière. La part essentielle de son inspiration est d'essence religieuse et catholique.

Bien que sa musique soit riche d'effets sonores et que l'oratorio présente une dimension monumentale, l'écriture est simplifiée et efficace, comme le sera l'année suivante le Dies Irae à la mémoire des victimes d'Auschwitz (Prix Italia en 1968).

(2) La Passion selon St Luc, descriptif

Titre

Effectifs

Création

Divers

(3) Le Stabat Mater dans la Passion

La Passion écrite pour une très large formation orchestrale (84 instrumentistes) et vocale comporte quatre choeurs a capella :

  • Ut quid, Domine, recessisti longe ? (Pourquoi, Seigneur, restes-tu si loin ?
  • Miserere mei, Deus (Pitié pour moi, ô Dieu)
  • Domine, in pulverem mortis deduxisti me (Tu me couches dans la poussière de la mort)
  • Stabat Mater (Debout, la Mère…)
  • Tandis que l'essentiel du récit emprunte le texte à l'Évangile selon saint Luc, Penderecki a pris dans saint Jean les paroles du Stabat Mater. La pièce, composée de manière indépendante pour trois chœurs a cappella en 1962, un an avant que Penderecki n'entreprenne l'écriture de la Passion selon saint Luc, y fut ensuite intégrée et pris sa place en vingt quatrième position, soit quatre parties avant la fin de l'œuvre.

    Cela signifie que le Stabat Mater peut être interprété indépendamment du reste de la Passion. Dans ce cas, la notion d'intégration future de la pièce a capella dans l'œuvre pour chœur, solistes et orchestre est un élément à prendre en considération lors du travail d'analyse proprement dit.

    3. Analyse de la partition : trois approches complémentaires et fusionnelles

    a) Eléments thématiques, agogiques, dynamiques et plastiques

    (1) Eléments thématiques

    L'analyse thématique ne se limite pas à une simple étude du vocabulaire musical, mais doit en outre s'attacher à observer et intégrer la grammaire musicale du compositeur. L'adjectif  « thématique », emprunté au grec θεματικός « qui sert de thème grammatical », renvoie au substantif τόθεματικόν « sorte de mode de musique ». De ce point de vue, l'analyse devra donc dépasser le simple repérage « du » ou « des » thèmes principaux, en s'intéressant de plus près à la façon dont le compositeur exploite son matériau pour engendrer, organiser et conduire son discours. David Hogarth note au sujet de la construction de la cellule principale, présente dans toute la Passion selon Saint Luc :

    « L'élément de base de toute la structure mélodique et harmonique découle du célèbre motif B.A.C.H. qui, dans la notation allemande, correspond au si bémol, la, ut, si naturel. Ce dessin de quatre notes a été utilisé par un grand nombre de musiciens depuis la mort de J. S. Bach, mais, ici, il s'agit d'une véritable reconnaissance de dette. En dehors de son usage tel quel et sous de nombreuses formes transposées ainsi que dans des séries dodécaphoniques, le motif B.A.C.H entre dans le schème général de trois autres séries de 12 notes, ce qui élargit considérablement les possibilités thématiques dont peut disposer le compositeur . »7

    Ce dessin mélodique présenté dès le début est exposé sans aucune indication de caractère ni de tempo. Seule est indiquée la nuance piano :

    Ainsi que nous montre le tableau, ci dessous, cette formule est présente tout au long du Stabat Mater. Les variantes du schème – en mouvement initial ou renversé – sont données à titre indicatif jusqu'à la mesure 77. Elles s'intensifieront tout au long du déroulement de la partition.

    Cette phrase de départ, comment l'interpréter ? Doit-elle, par la triple répétition de la cellule rythmique « deux brèves / une longue », être large et solennelle ? Doit-elle, au contraire, être recueillie comme peut le laisser entendre l'intervalle exigu de seconde ? Faut-il la chanter avec désolation ainsi que nous y invite la courbe mélodique du mélisme, où trois petites notes en vocalise viennent s'infléchir tristement ? Ou alors et de manière plus ambiguë et plus subtile encore, cette phrase ne rappellerait-elle pas le ton de l'Annonciation ? C'est peut-être ce qui expliquerait l'impression que l'on a, lorsque on l'entend cette phrase pour la première fois, que quelque chose a déjà commencé. C'est comme si l'histoire avait été prise en cours de route : La musique commence par parler au passé – exactement comme le fait l'épopée8, selon l'expression d'Adorno parlant de la Neuvième Symphonie de Gustave Mahler.

    Un autre argument vient étayer cette hypothèse et me suggère une idée d'interprétation. Si l'on considère que la tonalité du Stabat se dirige vers le majeur, il faut en déduire que le schème se présente sous une forme transposée à la quarte augmentée, ce qui nous invite à l'envisager comme un non début, mais plutôt en tant que suite d'un préexistant. Si donc le Stabat Mater peut être interprété dans le cadre de la Passion selon saint Luc, où il se place entre le Stabant autem iuxta crucem et le  Erat autem fere hora sexta (en quatrième partie avant la fin de l'œuvre), je propose que les ténors prennent en compte les arguments pré cités pour l'interprétation du schème de départ et ce, même lorsque le Stabat est donné seul en concert. Pour traduire cette impression d'absence d'ictus, le départ doit être le plus discret possible :

    (2) Eléments agogiques

    Cette approche concerne l'ensemble des paramètres liés à la notion de temps :

    L'analyse devra aboutir aux choix suivants :

    La partition n'indique aucun tempo, ni au départ ni au cours de la partition. Les seuls éléments agogiques concernent l'élasticité du tempo (modification de la vitesse d'exécution). Ils fixent explicitement deux parties, dont le premier mouvement va en s'accélérant vers la fin du second vers (in tanto supplicio) et, dont le second mouvement reprend le tempo primo jusqu'au Gloria final :

    Oui, mais en l'absence de toute indication, quel tempo de départ choisir ? De plus, l'indication métrique n'est précisée qu'à la mesure 28. Trois paramètres convergents et complémentaires apportent des éléments de réponse :

    La principale difficulté rythmique concerne à mon sens le passage des in tanto supplicio, allant de la mes. 51 à 54. Penderecki utilise cinq formules rythmiques, dont trois partent en contre-temps (1-2-3) et deux sur le temps fort (4-5) :

    Grand est le risque de confusion et de décalage dû à la proximité des formules rythmiques entre les différents pupitres. Il est donc souhaitable d'habituer les pupitres, dont les formules sont très voisines, de travailler ensemble, par exemple :

    Enfin, l'analyse agogique consiste à repérer les subtilités rythmiques, tel le rythme inversé des mesures 40 et 47 pour les sopranos et les altos (noire pointée/noire, puis noire/noire pointée).

    (3) Eléments dynamiques

    L'analyse concernera ici les différences d'intensité sonore (dynamique, du grec adj. δυναμικός fort, puissant). Les nuances d'intensité, les crescendo et decrescendo, bien sûr, mais au-delà, les fonctions dynamiques concernent tous les paramètres étroitement liés aux questions d'intensité :

    Les choix liés à l'analyse des éléments dynamiques induiront :

    L'échelle d'intensité va du sussurando (chuchotté) au fortissimo, en passant par toute la gamme des nuances. Penderecki exploite ainsi l'ensemble des intensités expressives mises à sa disposition, soit en l'utilisant de façon progressive, pour obtenir un effet de tension (mes. 72 à 86), soit en juxtaposant des nuances extrêmes afin d'obtenir un effet de surprise (mes. 28 et 87). Il ne suffit pas de demander à une voix de « chanter fort » ou de « chanter doucement » pour obtenir l'intensité indiquée sur la partition. L'analyse dynamique se doit d'être plus subtile, en adaptant la nuance désirée, d'une part au contexte musical dans lequel elle s'inscrit, et d'autre part, aux dispositions vocales du pupitre concerné. A titre d'exemple, je prends les entrées du chœur III aux mesures 84 et 85 :

    ci encore l'analyse devra permettre d'observer en détail les subtilités de l'écriture. On voit ainsi que toutes les voix sont en forte sur l'attaque du complaceam, sauf pour les basses qui ne sont véritablement en forte que sur la seconde syllabe « pla ».

    (4) Éléments plastiques

    Penderecki use des phonèmes, comme éléments plastiques privilégiés d'une expression et d'une représentation dramatique du texte. Pour illustrer ce qui différencie les deux grandes catégories de phonèmes, une très belle image est utilisée par Pierre Kaelin qui les compare à un vitrail dont « les verres de couleur sont les voyelles, les plombs d'assemblage sont les consonnes. »9 Afin que le vitrail soit « d'autant plus lumineux, que les plombs de jointures seront plus étroits  »10, Pierre Kaelin donne le conseil suivant :

    Cette « règle d'or » semble ne devoir souffrir d'aucune exception ; cependant, j'accorderai quelques restrictions dans le cas de l'œuvre qui nous occupe. Car, s'il est vrai que les voyelles participent généralement à la nature du son tandis que les consonnent participent plutôt à la nature du bruit, l'utilisation de ces dernières en tant que son me parait justement propice à participer aux divers climats émotionnels que suscite par endroits la partition.

    Deux exemples illustrent mon propos : les gutturales occlusives et les dentales fricatives.

    (a) Gutturales occlusives

    Elles ont une fonction motrice dans le processus du déclenchement dynamique des tutti (Quis, mes. 28 et 40 ; Complaceam, mes. 84 et 85 ; Christe, mes. 86, 88 et 90). De même, l'évocation du glas (écho des basses II sur les alti I) se construit à la mes. 105 à partir du mot Quando.

    Consonnes dites d'arrière, produites au plus profond de la cavité buccale, dans le gosier, leur rôle sémantique remplit une véritable mission figurative, symbolisant tout à la fois la cruauté primale de l'homme, le cri et la douleur corporelle du Christ.

    On notera que pendant le déroulement de la pièce, ces dorso-vélaires sont sourdes [k] et que ce n'est qu'à l'issue de l'œuvre – sur l'accord parfait du Gloria final – qu'une gutturale sonore [g], expression de la vie mise en œuvre par la vibration du larynx, se fait entendre.

    On veillera à prononcer [gə-lɔ-ri-a] et non [glɔ-ri-a] afin que le public n'ait pas à entendre Loria, mais bien Gloria. Se posera alors la question de savoir si l'on décide de placer le [lɔ] ou le [gə] sous l'accord :

    (b) Dentales fricatives

    Elles devront être accentuées afin de renforcer l'évocation de murmure que je réclame aux mes. 49 à 56. Toute voyelle peut être accentuée de trois façons : la force, la durée et le ton (hauteur d'émission). Ici par con-tre, les consonnes sourdes [s] et [t ʃ ], démunies de vibration laryngée, ne pourront être accentuées qu'en fonction de leur force ou de leur durée, la hauteur n'intervenant pas.

    Ayant choisi d'interpréter le passage des in tanto supplicio de façon psalmodique, j'exclus d'emblée tout recours aux accents d'intensité qui viendraient briser l'impression monocorde escomptée. Il ne reste donc qu'un seul point sur lequel je puis agir : la durée.

    C'est pourquoi il sera demandé aux choristes d'allonger le « s » et le « c » de supplicio afin d'obtenir, par la superposition polyrythmique, l'effet de chuchotement collectif recherché.

    Deux choix de prononciation latine se présentent selon qu'il s'agit d'un style germanisant [suplitsio] ou italianisante [suplit ʃ io]. Les arguments pour l'une ou l'autre des versions se valent : l'argumentation de la langue originale polonaise, en faveur de la prononciation germanisante ou l'influence de l'Eglise catholique romaine, pour la prononciation italianisante.

    Il faudra par contre garder à l'esprit, qu'une fois décidé, l'ensemble de la prononciation se devra d'être conforme et uniforme.

    b) Analyse directionnelle

    Chanteurs et instrumentistes pratiquent couramment la lecture horizontale et verticale. Il est en outre une direction de déchiffrage et d'analyse qui concerne les musiciens pratiquant un instrument comme le piano : la lecture diagonale. L'écriture polyphonique oblige l'exécutant à considérer la partition, non plus seulement sur un plan horizontal (mélodique) ou vertical (harmonique), mais en outre, sur un plan diagonal (enchaînements). Il va sans dire que ce type de lecture prévaudra sur tout autre pour le chef d'orchestre pour qui la lecture et l'analyse du conducteur est un va-et-vient constant d'une partie à l'autre. Les lectures horizontale et verticale auxquelles il est confronté possèdent néanmoins leurs spécificités.

    (1) Analyse horizontale

    (a) Registres vocaux

    L'inventaire de l'ambitus des voix, c'est-à-dire les hauteurs minimales et maximales, est nécessaire dans la mesure où il va permettre de déterminer la répartition des choristes dans les douze pupitres. Cette répartition ne doit tenir compte, ni des passages où les chœurs et pupitres sont à l'unisson, ni des clusters (mes. 86 et 88).

    L'analyse serait incomplète si elle ne s'accompagnait d'une étude sur :

    L'étendue moyenne des registres, c'est-à-dire sur les hauteurs les plus fréquemment sollicitées.

    Les modes d'émission vocale. La partition ne donne aucune indication particulière, sauf pour les ténors (mes. 29 à 33), auxquels il est demandé de chanter falsetto, soit « en voix de fausset », les sopranos I (mes. 37 à 39) qui ont l'indication quasi recitando et le tutti dont le timbre se transforme en chuchotement, sussurando, aux mesures 52 à 54.  

    La fréquence d'intervention des pupitres (rôles principaux et secondaires, en quelque sorte) exprimée dans le tableau ci-dessous en pourcentage du nombre total de mesures.

    Une fois cette étude effectuée, le chef, en fonction de la quantité et de la qualité des choristes, peut procéder à la répartition des chanteurs dans les pupitres respectifs.

    Celle-ci n'est pas immuable ; il peut, par exemple, demander à telle ou telle voix non sollicitée à certains moments, de venir « renforcer » tel ou tel pupitre. Il peut également, pour des raisons de choix de couleurs d'émission vocale ou de densité, augmenter ou au contraire restreindre le nombre d'intervenants.

    (b) Intervalles délicats

    Il n'y a pas, dans l'absolu, d'intervalles faciles ou difficiles à exécuter. Tout dépend du contexte mélodique, rythmique et harmonique dans lequel s'inscrit l'intervalle à effectuer. Une quarte juste, d'ordinaire si simple à produire, peut parfois poser de très grandes difficultés. De même, un triton, que l'on redoute communément, peut dans certains cas se chanter très aisément.

    Cette étude, si elle relève a priori d'une analyse horizontale, ne peut donc être dissociée du travail d'analyse verticale et diagonale. Un examen attentif de la partition permet toutefois de pressentir quelques difficultés d'intonation pour les mesures suivantes :

    Le chef peut pallier ces difficultés par des exercices préparatoires. Voici quelques exercices d'intonation créés pour la circonstance :

    (2) Analyse verticale

    On associe généralement l'analyse verticale à l'analyse harmonique. Loin de se résumer à cette simple dimension, l'analyse verticale doit permettre de repérer les registres vocaux facteurs de déséquilibre ainsi que les variations de densité, soit l'orchestration chorale proprement dite. En outre, la partition ne s'appuyant pas sur un mode tonal, l'étude consistera plutôt dans le cas présent à observer comment se superposent les différents agrégats harmoniques et rythmiques et quels sont les moyens à utiliser pour parvenir à justesse polyphonique de l'ensemble vocal.

    J'ai imaginé les exercices qui suivent en préparation à ces difficultés. Je les ai appelés : exercices de « lecture polyphonique verticale ». Ils peuvent s'effectuer sur n'importe quel phonème jugé opportun par le répétiteur :

    Pour ces exercices, on pourra procéder de la façon suivante :

    (1) Analyse diagonale

    De façon générale, le chef doit réduire le conducteur à deux portées, afin de situer les masses sonores qu'il dirigera de l'une ou l'autre de ses mains. Afin d'illustrer au mieux la façon dont s'effectue la lecture diagonale de la partition, en fonction du geste silencieux de direction, je prends les mesures 90 à 93 du Stabat Mater  et les réécris, comme s'il s'agissait d'une « réduction-clavier » :

    J'absorbe ensuite les quatre voix, réparties sur deux portées, en une seule mélodie. Pour ce faire, j'effectue une lecture sélective sur une portée unique en réduisant l'ambitus sur une seule octave et en procédant à un tuilage de chacune des entrées successives. J'y adjoins le texte découpé en fonction des entrées. J'obtiens alors une lecture diagonale qui peut être destinée aux exercices préparatoires pour l'ensemble des choristes :

    J'adapte ce principe de lecture diagonale à ce que j'entends et vois en tant que chef. Je procède à un choix sélectif des événements, car mon rôle en tant que chef ne consiste nullement à restituer l'ensemble des événements sonores, mais à indiquer uniquement ceux qui ont un caractère utile pour la conduite de l'œuvre. Ce choix sélectif, différent pour chaque chef, porte la marque de l'interprétation de l'œuvre.

    Dans ce cas précis, je perçois un dialogue entre deux masses sonores : les sopranos et les trois autres pupitres. Mon geste, et donc la répartition des tâches attribuées à chaque main, vont rendre compte de ce dialogue. Pour transcrire les quatre mesures, je procède de la façon suivante :

    Nomenclature

    Pupitres : indiqués au moment de leur entrée ; lorsqu'il y a plusieurs voix sur la même portée, correspondance entre le dessus ou le dessous de la ligne et queues des notes en bas ou en haut.

    Main 1 et 2 : ainsi réparties afin qu'au départ, les mains (gauche ou droite) puissent indifféremment être affectées à l'une ou l'autre des portées ; la précision « ou 8 » placée sous la clé de sol permet de lire et d'entendre l'ensemble des voix de façon relative ou à leur octave réelle.

    Phrasé, intensité, accentuation

    L'écoute sélective ne dispense pas restituer l'ensemble des paramètres dynamiques et plastiques ; aussi, l'ensemble des indications d'origine est transcrit sur la partition.

    Chaque main rend individuellement compte de ces paramètres.

    Texte

    Main 1 : le texte est suivi dans son ensemble.

    Main 2 : le texte est découpé en fonction des entrées des pupitres.

    Dans cet exemple, la main 1 conduit les sopranos. Elle peut ainsi donner :

    La main 2 donne également le tempo et les schémas de battue. Cependant les événements sonores qui s'y déroulent étant différents, le geste de battue, bien qu'inscrit dans un schéma identique, présentera des longueurs, des vitesses et des tensions de levées et de posés distincts. En l'occurrence, la main 2 agit ainsi :

    Comme la main 2 s'adresse à plusieurs pupitres, la spatialisation du geste, mais surtout, le regard va permettre aux exécutants de connaître la destination des indications gestuelles.

    Afin de démontrer qu'il existe maintes façons de percevoir et d'exprimer – donc de déconstruire et de reconstruire mentalement – la partition, voici un autre exemple de lecture sélective, parmi tant d'autres, sur ces quatre mesures du Stabat Mater :

    Cet exemple conserve la notion de dialogue entre deux masses sonores, mais il s'agit ici d'un dialogue opéré entre les voix dites « féminines » et les voix dites « masculines ». Chacune des voix est restituée dans son ambitus réel sur les deux portées. La tenue des sopranos ne peut être indiquée en fin de phrase. Cet exemple s'apparente à une réduction clavier qui ferait apparaître les différentes voix en tuilage.

    Cette méthode de lecture en diagonale peut être appliquée aux choristes dans le but de leur permettre d'insérer au mieux leur partie vocale au sein du tutti, en particulier aux mesures 28 à 49, où le discours atonal jaillit brusquement d'une voix à l'autre dans une polyphonie complexe :

    Cette lecture diagonale consistera à lire le texte :

    1. De façon continue en passant d'un pupitre à l'autre
    2. En réduisant les octaves au registre medium
    3. En favorisant l'essentiel du discours

    c) Analyse formelle

    La partition présente une impressionnante variété d'effets sonores très contrastés. On serait tenté, si l'on n'y prêtait guère attention, de s'enthou-siasmer de ces effets à l'instant où ils s'opèrent et de se contenter de les restituer dans le détail sans se soucier du contenu dans lequel ils s'inscri-vent. Leur simple juxtaposition conduirait à une interprétation totalement erronée, étant dépourvue de l'une des qualités essentielles : l'unité.

    Toutefois, le Stabat Mater, loin de présenter une forme classique, ne révèle pas au premier abord de structure identifiable. Il m'a donc fallu, pour parvenir à une synthèse, rechercher les divers éléments de l'organisation formelle de l'œuvre, ainsi que les rapports étroits qui s'établissent entre eux.

    (1) Polytructure

    Tout semble indiquer la mesure 57, comme étant l'espace central de l'œuvre :

    Néanmoins, le véritable « cœur » se situe, pour ma part, aux strophes 9 et 10 dans leur ensemble (mes. 57 à 85), miroir du déroulement complet de la pièce en réduction, aboutissant au Christe de la mesure 86, point culminant de l'œuvre.

    Durant ces deux strophes, la texture s'étoffe dans une lente progression. Les voix se superposent dans des tons de plus en plus vifs. Parvenues au complaceam, les couleurs vocaliques rougeoyantes et saturées font démesurément sortir le Christe du tableau sonore. Emergence monolithique qui transperce la trame conductrice, le Christe s'établit comme le point de tension suprême de l'œuvre. Embrasant le ciel obscur de sa silhouette cruciforme, il est l'appel pessimiste dont le caractère expressionniste obtenu par l'effet de cluster, lui confère une puissance implorante et prémonitoire. Cette prémonition n'est pas sans me rappeler l'appel de l'innocent dans l'opéra Boris Godounov de Moussorgski :

    Coulez, coulez larmes amères,
    Pleure, pleure âme chrétienne,
    Bientôt viendra l'ennemi et la nuit tombera,
    Une nuit noire et impénétrable…

    Ce cri sonne comme Le Cri d'Edvard Munch qui dira à propos du mouvement Die Brücke : « Dieu nous protège ! Une heure de malheur se prépare. »13 Cet hurlement déchirant résonne dans une nuit tumultueuse et va se perdre au cœur d'un tourbillon vertigineux. Et c'est parce que personne ne peut ou ne veut l'entendre que ce cri, comme celui du Stabat Mater, est exécuté de façon tellement exorbitée. C'est sans doute cela qui me procure, à l'instant précis du cluster vers lequel convergent toutes les énergies, cette sensation extraordinaire d'accomplir le geste déclencheur des influx nerveux canalisés en chacun des choristes, lorsque après avoir, tel un medium, absorbé et catalysé la tension générale grandissante, le corps tout entier vient provoquer cette formidable libération vocalique. C'est pour cette raison que je demande aux choristes de ne pas se restreindre aux hauteurs proposées par la partition, mais d'effectuer ce cri en le considérant comme un Sprechgesang exclamé.

    (2) Une tonalité de majeur en devenir

    La pièce ne présente pas de tonalité apparente. Pourtant une analyse plus poussée nous conduit à dégager une tonalité en trame de fond dont la directionnalité tend vers Ré majeur, et dont parcours s'opère ainsi :

    (3) Détente et tension

    L'analyse consiste à rechercher la manière dont le matériau sonore est traité. On peut en cela comparer une œuvre musicale à une réalisation picturale et la démarche du compositeur à celle de l'artiste peintre. Ainsi, la longue aprosodie des basses (mes. 1 à 14) fait figure de toile de fond, délibérément laissée à découvert. Elle est le socle sur lequel vont venir s'échafauder tour à tour les différentes épaisseurs, tels des aplats de couleurs que le peintre rajouterait au fur et à mesure, en laissant volontairement apparaître les anciennes traces en surexposition12.

    L'œuvre achevée porte ici la marque du temps, témoignage vivant du travail de l'écriture du manuscrit. Aux mesures 14 à 25, ainsi que dans tous les passages où l'artiste procède de la sorte (mes. 57 à 80 et mes. 94 à 117), les épaisseurs dépendantes les unes des autres font figure de « camaïeu vocal ». Durant cette première strophe (mes. 1 à 27), la trame grégorienne progresse lentement dans des harmonies de demi-tons / demi-teintes modulés et transparents. L'arrière et l'avant plan se confondent, exerçant par l'absence de perspective provoquée, une sensation de « flou sonore ». J'ai recours à une gestique souple et calme, ce qui ne signifie pas pour autant passive, car il est très difficile de parvenir à ce juste équilibre entre les voix ; cela réclame une grande attention afin de maîtriser les intensités des masses sonores en jeu. L'activité gestuelle doit toutefois s'exercer de façon effacée et sereine afin de favoriser un climat de détente.

    Au contraire, durant la seconde strophe (mes. 28 à 56), ces couleurs rabattues font place à un matériau brut. Les touches de couleur pures, tantôt froides, tantôt chaudes, s'enchaînent de manière vive et contrastée. Les traits sont elliptiques, les lignes à peine esquissées s'entrecroisent. Dans cette scène où le mouvement s'anime piu mosso, l'intensité émotionnelle des interprètes doit faire écho à l'exaltation des sentiments du compositeur. Les incessants changements de mesures peuvent être effectués de façon rigoureuse. Cependant, je préconise que la précision métrique ne soit pas un frein à l'élan expressif général.

    […] la continuité du tempo que je réclame ne doit comporter aucun élément de contrainte, ni de rigidité métronomique. Un tempo qui est toujours juste, parce qu'il épouse le contenu mouvant de la musique par des modifications presque imperceptibles, coulera avec vie et naturel, et ne pourra en aucun cas être rigide.

    Les moments de détente et de tension sont étroitement liés à la notion de directionnalité et de statisme. Au déferlement d'énergies du premier Christe (mes. 86), succèdent deux passages parlés entourant un second Christe en écho. Ces trois extraits juxtaposés contrastent pleinement par l'intensité extrême qui les sépare (pianissimo – fortissimo – subito piano). Un trait commun leur confère pourtant une unité : le statisme ! Pour obtenir un résultat sonore « quasi irréel », hors du temps, je demande aux chanteurs d'effectuer la première récitation en chuchotant avec une grande intensité de souffle et sans vibration laryngée, contrairement à la seconde récitation où je demande que le canon laisse entendre une légère vibration laryngée qui se rapproche de l'indication demandée quasi una litania. Cependant, je réclame dans les deux cas une psalmodie réglée mécaniquement, tandis que durant les trois Christe repris en écho, leurs résonances s'éparpillent librement en myriades d'étincelles.

    Comme on le voit, l'œuvre ne révèle pas une forme unique, mais plusieurs. Selon l'angle sous lequel l'analyste l'observe (texte, éléments thématiques, agogiques, dynamiques, plastiques, formels), la partition divulgue de multiples facettes.

    Libre à chacun de rechercher laquelle de ces facettes doit être privilégiée, afin d'en dégager une structure. Je préfère, pour ma part, tenir compte de l'ensemble de ces facettes en les fusionnant et en revendiquant l'aspect « polystructurel » comme une force pour l'interprétation. L'unité de la pièce résultera d'un souci constant d'équilibre entre les moments de tension et de détente, ainsi que les mouvements de directionnalité et de statisme précédemment évoqués.

    4.Organisation et planification des répétitions

    a) Options de travail

    Chaque partition présente une approche particulière d'organisation et de planification des répétitions, donnant lieu à des choix portant entre autres sur :

    Lieu(x) de répétitions

    Les sons entrant en résonance mutuelle jouent un rôle essentiel dans l'écriture du Stabat Mater. De plus, la partition utilise de très nombreuses longues tenues de notes servant de socle à un imposant édifice musical. C'est pourquoi, il est essentiel d'adapter le lieu de répétition à la spécificité acoustique de l'œuvre. Choisir une église ou, à défaut, une salle avec suffisamment de réverbération répond à cette nécessité et permet en outre de ne pas trop fatiguer les voix durant les longues heures de répétition. Accompagnement

    Il est fréquent qu'un accompagnement au clavier apporte une contribution certaine au montage d'une pièce vocale a capella. Les choristes bénéficient d'un soutien harmonique non négligeable au cours du déchiffrage. Le tempérament égal du clavier ne me paraît pas adapté aux circonstances dans le cas présent. Aucun support ne peut ici remplacer l'écoute polyphonique qui est le seul gage de réussite pour que les choristes puissent s'entraîner à situer leur propre voix au sein du groupe.

    Encadrement musical

    La partition présente de nombreuses exigences vocales dont le chef doit tenir compte :

    Ces difficultés nécessitent une solide formation vocale, mais également un entraînement constant exercé parallèlement aux répétitions. La présence d'un ou plusieurs chefs de chant me paraît donc indispensable. Il est également souhaitable, dans l'intention d'un gain de temps et d'énergie, de s'entourer du concours d'un ou plusieurs répétiteurs.

    Cependant, c'est au chef qu'il appartient d'organiser et de planifier au mieux l'ensemble des répétitions. Il lui faut pour cela procéder à une étude minutieuse des différents cas de figure que présente l'orchestration chorale de l'œuvre.

    b) Diversité des cas de figure

    Ce qui rend difficile l'élaboration des répétitions du Stabat Mater réside dans l'extrême diversité des situations qui se produisent tout au long de la partition :

    Il m'est donc apparu comme nécessaire et prioritaire de procéder à un découpage de la partition, non plus en fonction de la forme, mais en fonction des options qui se présentent, et ce, afin d'organiser le plus efficacement possible les répétitions. Il en ressort trois types de séance de travail :

    D'une façon générale, l'ordre croissant des interventions est le suivant : chœur I, puis chœur II et enfin, chœur III. L'étude comptable de la partition permet de constater néanmoins que les douze voix ne sont jamais sollicitées de la même façon. Il faut donc prévoir un nombre d'heures de travail adapté aux besoins de chaque pupitre en veillant toutefois à :

    Dans ce fragile équilibre, tout est question de contraintes et de choix. Ces choix de départ, bien que modulables en fonction de l'évolution de la mise en place du projet, vont fixer de façon certaine l'efficacité du travail.

    c) Découpage en vue d'une planification des répétitions

    (1) Épaisseurs

    (2) Types d'écriture

    Pour clore ce chapitre consacré au travail à la table, je souligne, qu'aussi consciencieux que puisse être le travail préalable à toute répétition, le chef ne pourra jamais présager avec une quasi certitude l'exact déroulement des séances de travail ; et c'est bien souvent là où il s'y attendait le moins que les difficultés risqueront de surgir.

    Tout l'art du chef dépendra de sa faculté à répondre efficacement à chacun des problèmes inopinés. Son outil le plus précieux sera l'intuition, fruit de l'expérience acquise.

    Parvenu, au terme de l'analyse, à intégrer la pensée musicale d'un autre (le compositeur), recherchant toujours à parfaire ce juste équilibre entre réflexion et intuition, ayant donné sens musical aux caractères typographiques de la partition muette, il lui faudra parvenir à l'accomplissement de cet acte prodigieux : lui insuffler la vie !

    Il ne lui faudra jamais perdre de vue que c'est dans cette unique perspective que le travail à la table devra se concrétiser lors du travail au pupitre.

    5. Déconstruction et reconstruction mentale et intuitive de la partition

    a) La question de l'objectivité

    Une question fondamentale se pose comme un pont entre le travail d'ana-lyse et celui de l'exécution : quelle distanciation vais-je pouvoir me permettre de prendre par rapport aux intentions du compositeur ? Cette interrogation renvoie à la question de l'objectivité de l'interprète. En réaction au subjectivisme exacerbé des interprétations romantiques de la fin du XIXe siècle, s'est posée la question du devoir d'objectivité de l'interprète dont la personnalité ne devait plus interférer entre la partition et l'auditeur.

    […] elle se borne à transmettre le message écrit, sans distorsion aucune. C'est évidemment un point de vue suscité par une génération d'interprètes en fin de romantisme, qui prenait des libertés extrêmes avec le texte au point de le rendre absurde. […] Je suppose qu'agacée par cette exagération interprétative, la génération Ravel-Stravinski s'est rebellée.17

    Ce contre courant, quel qu'il puisse paraître extrémiste de nos jours, a tout au moins eu le mérite de soulever cette question fondamentale : le chef doit-il prendre ou non du recul face aux éléments dits « objectifs » qui se dégagent de l'analyse ? La notion d'interprétation se réduit-elle à une traduction objective et scrupuleuse des paramètres de la partition, comme le réclame Igor Stravinski : « Je ne désire pas que l'on change ma musique, qu'on l'embellisse ou qu'on l'améliore, mais qu'on la joue pure (telle quelle) »18 ou nécessite-t-elle nécessairement un engagement personnel et intuitif de l'interprète ? Une écoute attentive des enregistrements parus chez Sony, de l'intégrale des œuvres de Stravinski dirigée par lui-même permet de constater de réelles disparités entre les paramètres dits « objectifs » des partitions et leur réalisation sonore, particulièrement en ce qui concerne les tempi. Doit-on en déduire que le « chef Stravinski » était incapable de restituer les tempi du « compositeur Stravinski » ou la réponse se trouve-t-elle ailleurs ? Pierre Boulez nous apporte un élément de réponse :

    Il n'y a qu'à comparer les différents enregistrements qu'il a faits d'une même œuvre. Que voit-on ? Une personnalité qui change. Moi aussi je change : mes enregistrements manifestent une évolution sensible. Heureusement que nous changeons parce que la musique est une chose organique qui ne se reproduit pas mécaniquement comme une photocopie.19

    L'objectivité ne serait-elle donc que pure utopie ? Je pense que oui et partage l'opinion de Pablo Casals, exprimée en ces termes :

    L'artiste doit être assez fort pour se sentir affranchi de tout ce qui s'est fait – et de tout ce qu'il a appris – […] Ce qui compte, c'est ce que nous ressentons, et c'est cela que nous avons l'obligation d'exprimer. […] l'exécutant, à travers la partition qu'il a devant lui, doit s'efforcer de reconstituer, non pas une prétendue objectivité, mais la variété des états d'âme qui engendrèrent cette partition, et cela selon la résonance profonde qu'ils éveillent dans son propre esprit. […] L'exécutant qu'il le veuille ou non, est un interprète et ne restitue l'œuvre qu'à travers lui-même.20

    Cette restitution est en définitive fonction de la façon dont le chef perçoit l'œuvre, c'est-à-dire de la façon dont il la lit, dont il l'entend, et dont il parviendra à rendre compte aux exécutants au moyen de son activité gestuelle.

    b) Délié et relié

    Toute tentative de transcription des gestes de direction sur une partition serait vaine. Hormis le problème de l'outil typographique, il est impossible de rendre entièrement compte de la physiologie, de la dimension, de la destination, de l'intention et de l'expression du geste. La faisabilité se corse plus encore si l'on considère la gestuelle du chef dans son ensemble : regard, attitude, déplacements, etc. Je puis, par contre, tenter de traduire la relation étroite qui s'opère entre la lecture, l'audition interne et la gestuelle, ces éléments interagissant entre eux, s'influençant tantôt par induction, tantôt par déduction.

    […] Ce que le perçu a lié, le faire esthétique le délie pour le relier autrement. Cette différence s'explique pour ce que le perçu, en liant le sensible, vise à constituer l'étant ; sa fin n'est pas le sensible, dont il prend seulement appui pour prononcer le faire-Un de l'étant ; le faire esthétique, lui, saisit le sensible, la matière du sensible, dans son immanence et, ce faisant, délie le perçu, pour relier à soi le sensible dans sa matière même. C'est dire qu'il n'emporte pas moins que le perçu une opération intellectuelle, qu'il ne revêt pas moins la forme d'un énoncé, mais celui-ci à découvert parce qu'inscrit, toute la difficulté est là, dans la seule matérialité du sensible.21

    Ici, le « faire esthétique » du chef consiste à délier le « perçu » c'est-à-dire la partition « telle qu'elle se présente », afin de la relier autrement « comme elle s'exprime à lui », en fonction de ses gestes. L'écoute et le regard deviennent alors sélectifs, pour se concentrer sur les événements informatifs de sa conduite musicale. Il procède à une déconstruction mentale et intuitive de la partition, pour la reconstruire en fonction des choix d'interprétation :

    Cependant, chaque chef possédant une image personnelle d'une œuvre, chaque pièce présentant des particularités et donc des approches gestuelles visuelles et auditives spécifiques, je ne puis relater de façon générale l'ensemble de ces interactions. Et même s'agissant d'une même pièce, ces approches sont nécessairement amenées à évoluer au fur et à mesure des répétitions. Je ne puis donc établir de généralité, mais je puis néanmoins partir de mon expérience afin de traduire, non pas seulement  «ce que j'entends » ou  «ce que je vois » lorsque je dirige, mais surtout  «comment j'entends et vois », c'est-à-dire comment je perçois, comment je sélectionne les tâches gestuelles à accomplir : ce qui relève tantôt de la redondance et ce qui relève tantôt de l'information.

    c) Information et redondance

    On appelle  « information », la grandeur mathématique de la communication. Plus le contenu de l'information est improbable et inattendu, plus cette valeur augmente. Pour qu'une information gestuelle soit comprise, il faut qu'il y ait un équilibre entre la richesse mesurable de l'information et la redondance : une trop grande quantité d'informations gestuelles perd de son impact et se transforme immanquablement en redondance. Ainsi, plus je souhaite que mon geste soit susceptible de déclencher une réaction immédiate et fidèle à mes intentions, plus je dois l'inscrire dans un cadre de gestes redondants.

    Si l'on appelle également redondance, la quantité de ce qui est superflu dans le message (bruits gestuels) ainsi que le gaspillage de symboles accomplis par un geste défectueux, mal à propos ou imprécis, la redondance est cependant nécessaire car elle permet de ne pas soutenir continuellement l'attention et fournit une garantie contre les erreurs de la transmission (système pré-correcteur de l'erreur). Selon les situations ou les finalités recherchées, un même geste peut être envisagé comme redondant ou informant. Prenons une battue simple, un tactus, par exemple : si j'exécute ce geste d'un point de vue uniquement contextuel, c'est-à-dire de façon passive, comme dans le cas d'un tempo et d'une rythmique  « sans surprises » la pulsation y est redondante et, dès lors, le moindre geste s'y juxtaposant aura pouvoir d'information ; si, par contre, ce geste s'inscrit dans le cadre d'un tempo variable, difficile à  « tenir », il deviendra actif et sera considéré comme informant.

    Prenons, de façon plus concrète, les six dernières mesures du Stabat Mater. Dans un souci de lisibilité de la démonstration, j'extrais uniquement les pupitres concernés que je dispose sur deux portées : l'une pour les événements informatifs, l'autre pour les éléments redondants. Afin d'être en mesure de placer à souhait toutes les voix impliquées sur l'une ou l'autre mesure, toutes les notes seront écrites en clé de sol. Observons les mesures 112 et 113 : outre l'entrée des sopranos 2, altos et ténors 3 sur le troisième temps, la mesure 112 présente une nouvelle information rythmique : l'entrée des sopranos 2 sur la cinquième croche, dont chaque syllabe accentuée s'effectuera ensuite en syncope :

    Cette information doit être d'autant signalée qu'elle s'oppose radicalement à la redondance rythmique des accents métriques placés sur les temps et entendus jusqu'alors. Cependant, au bout de deux mesures, les croches syncopées des sopranos 2, étant perçues à l'avant plan de la masse sonore, sont elles-mêmes devenues redondance. Aussi, à la mesure 114, il conviendra de « délaisser » ces syncopes, afin que l'information gestuelle s'adresse aux différentes voix qui interviennent sur les temps forts :

    d) Répartition des mains

    (1) Plastique de la main

    Le geste de la main, muni ou non d'une baguette, offre bien plus d'indica-tions qu'une simple pulsation, qu'un départ, une tenue ou un arrêt ou encore qu'une accentuation. Outre ces éléments agogiques et dynamiques, la gestuelle se livre à un véritable modelage du son que j'appelle « plastique ». La question de l'usage ou non de l'utilisation de la baguette, prolongement du bras du chef, a depuis toujours été débattue. L'usage réserve son utilisation a priori aux chefs d'orchestre, tandis que les chefs de chœurs ont coutume de ne pas s'en servir. On voit cependant de nombreux chefs de chœurs, en particulier ceux issus du continent américain – sans doute moins asservis à une longue tradition musicale qu'en Europe – avoir recours à la baguette. Certain chefs d'orchestre laissent de côté leur baguette lorsque le discours musical nécessite une activité « plastique » de la main droite. Certains autres chefs, comme Pierre Boulez, font le choix de diriger sans baguette. Quoi qu'il en soit, chaque main, munie ou non d'une baguette doit être apte à répondre aux besoins d'expression du chef :

    (2)Main agogique et main dynamique

    L'idée généralement véhiculée, concernant la répartition des rôles pour chaque main, est la suivante : la main droite « bat la mesure », la main gauche « donne les nuances ». Ceci tient au fait que l'hémisphère droit du cerveau, qui commande les sensations et les mouvements survenant dans la partie gauche du corps, a toujours été considéré comme étant celui de la « raison » correspondant aux mécanismes de segmentation, ordonnancement, reconnaissance et dénomination, etc., tandis que l'hémisphère gauche du cerveau, qui commande les sensations et les mouvements survenant dans la partie droite du corps, serait celui des sentiments, de l'ex-pression du désir et renverrait aux indications des nuances d'intensité. Prenons les mesures 20 à 23 du Stabat Mater et reconstituons la partition en fonction de cette distribution des tâches :

    Une telle direction ne donnant que la battue et les nuances d'intensité serait pour le moins réduite à sa plus simple expression. En réalité, lorsqu'on fait appel à ce type de direction, les mains ne se limitent pas à « battre  la mesure » ou à « donner les nuances ». La main droite indique l'agogique (pulsation, schéma de battue, tempo) et la main gauche, la dynamique (intensité, accents, départs). La main droite, peut même venir au secours de la main gauche lorsque celle-ci est déjà sollicitée. Prenons l'exemple ci-dessus : la rythmique des altos et basses fait déjà partie de la redondance puisqu'elle est restée inchangée depuis la mesure 16. Par contre, à partir de la mesure 20, les informations rythmiques concernent les ténors dont les départs ou ré-articulations se situent sur des temps différents :

    La distribution des tâches agogiques et dynamiques réparties entre les deux mains a induit, au xixe siècle, la disposition de l'orchestre. Les voix et instruments graves portant les bases harmoniques et rythmiques ont été placés à la droite du chef, tandis que les voix et instruments à caractère mélodique se sont situés à sa gauche.

    Hormis cette disposition que l'on rencontre le plus fréquemment, il existe bien d'autres façons de répartir les effectifs, que ce soit pour des raisons de style, d'époque ou de nomenclature vocale ou instrumentale.

    Dans le cas du Stabat Mater, par exemple, les voix sont réparties en trois chœurs mixtes :

    Cet agencement sépare les trois groupes en conservant la disposition classique du chœur mixte :

    Il est possible d'agencer les pupitres de diverses façons :

    Exemple 1 : je centre le chœur I (chœur principal) et inverse la disposition des voix :

    Cet agencement sépare les trois groupes en conservant la disposition classique du chœur mixte :

    Exemple 2 : je dispose les voix non plus en fonction de l'ambitus de l'orchestre, mais – comme cela se fat souvent dans les chœurs des pays d'Europe orientale – en fonction de l'ambitus du clavier (aigus à droite, graves à gauche) :

    Exemple 3 : je ne tiens plus compte de la séparation des trois chœurs et place les voix en fonction de leur ambitus (comme à l'orchestre) :

    Cette répartition qui place les « voix graves rythmiques » à droite et « les voix mélodiques » à gauche ne reflète plus les intentions de l'auteur concernant la spatialisation éparse du son. Elle est donc à proscrire. En conséquence, la répartition des rôles des deux mains, telle qu'exprimée précédemment, ne peut plus systématiquement servir de base de travail pour l'exécution.

    La question se pose de savoir par quelle méthode la remplacer. Un chef suffisamment entraîné peut à loisir « interchanger » les fonctions attribuées à l'une ou l'autre main.

    En effet, le corps calleux qui sépare les deux hémisphères cérébraux leur permet en fait d'être à l'écoute l'un de l'autre, de communiquer entre eux, d'être interreliés, avec un effet d'entraînement tel que le bras gauche peut très bien se mettre au diapason pulsatoire du bras droit et le bras droit devenir expressif.22

    Il existe quantité d'exercices pour acquérir l'indépendance et « l'interchan-geabilité » des deux mains. Voici, à titre d'exemple, un exercice que je donne souvent à mes étudiants :

    Dessiner un rectangle d'une main et un triangle de l'autre en partant et en revenant aux points de départ du geste.

     Cependant le meilleur entraînement consiste à se familiariser à une direction guidée tantôt par la main droite, tantôt par la main gauche et en effectuant, tout au long de l'apprentissage, l'ensemble des exercices en position normale et inversée.

    De plus, une solide technique de direction permet à chacune des mains de pouvoir donner plusieurs indications en même temps, par exemple :

    Une fois ces techniques acquises, je puis indépendamment et en toute liberté utiliser selon les circonstances l'une ou l'autre main pour donner quelle qu'information que ce soit.  Dès lors, libéré de toute contrainte, je ne vais plus considérer la répartition du groupe comme une simple dichotomie « grave / aigu » ou « rythmie / dynamie », mais comme un véritable dialogue entre les pupitres. Cela me permet de faire ressortir les éléments informatifs du discours musical des éléments redondants en procédant à une écoute et une lecture diagonale.

    Ce « fil conducteur », ultime résultat de mon audition et de ma lecture sélectives et internes, va révéler – par les priorités musicales que traduit ma gestuelle – le sens réel de mon interprétation.

     C'est pourquoi, je ne parle pas de main gauche et de main droite, mais de « main 1 » et de « main 2 », de telle sorte qu'elles puissent agir sur l'ensemble musical n'importe où, de n'importe quelle façon et, en n'importe quelle circonstance.

     On peut en cela comparer la gestuelle au langage verbal. Plus le chef aura acquis de « vocabulaire gestuel », plus s'offrira à lui un large choix de possibilités d'actions au travers de ce qui est communément appelé le code gestuel.

    e) Code gestuel

    L'information présuppose que le chef ait une intention construite (travail à la table : projet d'interprétation) déterminée, cohérente et animée (travail au pupitre : mise en place de l'interprétation). Elle réclame également des codes gestuels et des facultés de codage / décodage parfaitement adaptés aux circonstances de la partition et lisibles par tous les musiciens. Le code gestuel réside à construire une convention plus ou moins arbitraire entre l'interprétation enjointe et le geste qui la dessine. On distingue deux espèces de codes : le « code fort » déchiffrable par tout à chacun et le « code faible », s'exprimant dans la spécificité des situations et présupposant une connivence absolue entre les interprètes.

    Deux exemples illustreront mon propos. Une main en position de supination (paume de la main vers le haut) invite à jouer à l'inverse de la position de pronation (paume de la main vers le bas). Nul besoin d'explication ou de professionnalisme : le conditionnement inscrit dans la mémoire collective répond à un « code fort ». A l'opposé, et toujours à titre d'exemple, seul un initié peut comprendre un geste de tenue correspondant à un point d'orgue effectué sur « la troisième croche d'un triolet dans un schéma de battue quadruple ». On parle alors de « code faible ». Quelle que soit la nature du code, le chef dispose d'une quantité de signes, d'actions et de formules corporelles qui composeront son vocabulaire gestuel. Plus ce dernier sera riche, plus le chef pourra communiquer sans limites. Si le code n'est pas commun, on ne comprend pas (étymologiquement, communication signifie : mettre ensemble, en commun). Lorsque les codes utilisés deviennent contradictoires, on parle alors de communication paradoxale : par exemple, la main gauche reste en supination (main ouverte) alors que la main droite effectue un geste de césure. Si un geste n'est pas efficace (mal adapté ou mal compris), le chef a la faculté de le remplacer par un autre. La nomenclature comportementale gagne donc à être enrichie d'un maximum de « synonymes gestuels », auxquels le chef aura recours, le cas échéant. Quel que soit le geste choisi, celui-ci est toujours sensé rendre compte de l'image accomplie présumée par le chef23 . Aussi, son geste devra refléter le plus fidèlement possible l'idée qu'il souhaite exprimer, c'est-à-dire le « comment il entend et voit » la partition.

    C'est ce « comment j'entends et vois » en tant que chef, que je me propose d'expérimenter. Pour tenter de démontrer au mieux comment fonctionne cette relation étroite entre l'audition, le visuel et la gestuelle, il me faut déconstruire la partition afin de la reformuler en fonction des éléments musicaux qui composent ma lecture diagonale et sélective.

    […] Le sujet doit projeter hors de lui la source sonore du concert insensé c'est à dire rendre extérieurement visible sa propre voix, comme Jeanne d'Arc matérialisait la sienne en personnages extérieurs angéliques. Ainsi la baguette magique du chef d'orchestre saisit au vol tout un mouvement symphonique et le matérialise sous nos yeux dans un trait impérieux et étincelant. Dès que ce résultat est obtenu et que notre production vocale évolue devant nos yeux comme notre propre corps, il faut continuer d'évacuer le plus de matière possible de ce dernier, enfin totalement volatilisé sur la confondante baguette. Une fois le corps ainsi transféré, le musicien ou le maître de chant devra figurer l'être humain rematérialisé en ce bâton volant, mode et support de l'être analectique : il devra inventer des formules qui favorisent cette dématérialisation-rematérialisation par une imagerie sonore de passage d'une structure de limitation, analogue au corps organique, à un segment sonore illimité, véritable microcosme, onde sonore, trait de morse, flûte enchantée dont l'agilité tiendrait de l'ubiquité24 .

    f) Reconstruction graphique de la partition

    La reconstruction graphique du Stabat Mater a pour objectif de tenter de traduire le plus clairement possible les priorités gestuelles (départs, tenues, arrêts, métrique, phrasé, tempo, nuances, etc.) qui s'imposent en fonction des moyens mis à ma disposition.

    Cette transcription a ses limites et ne peut en aucun cas rendre compte du geste dans son ensemble sur un plan qualitatif et expressif. De plus, il s'agit d'une version parmi tant d'autres qui n'a nulle prétention pédagogique (chaque interprétation étant une rencontre privilégiée entre une œuvre et un musicien), mais dont l'unique but est de laquo; visualiser » le passage mental et intuitif qui s'opère entre le conducteur et le chef.

    Pour ce faire, la partition d'origine a été rassemblée sur quatre lignes, correspondant aux deux mains du chef chacune des main pouvant correspondre à l'une ou l'autre des deux portées et aux deux lignes réservées aux interventions différents pupitres.

    Afin que la lecture puisse être effectuée par tout type de voix, il sera toujours précisé, sous la clé de sol, la mention « ou 8 ». Les notes seront tantôt écrites dans leur hauteur réelle, tantôt écrites dans leur hauteur relative. Pour illustrer ce qu'il faut entendre par « hauteur relative », prenons l'exemple d'un la chanté par les altos dans le registre médium et le même la chanté par les ténors dans le registre aigu. Les deux la sonnent exactement à l'unisson; cependant, l'effet sonore ressenti entre les deux la est totalement différent : celui des ténors émis dans le haut de l'ambitus paraît sonner, de fait, plus aigu que celui des altos.

    À l'absence de toute précision du tempo ou du caractère, s'ajoute l'absen-ce d'indication métrique. Le premier chiffrage métrique n'apparaît qu'au bout des 28 premières mesures. Par cet acte, Penderecki affirme d'entrée de jeu son attachement à une écriture empreinte d'esprit grégorien. L'introduction du ténor peut ainsi être dirigée de façon chironomique, c'est-à-dire libérée de tout schéma de battue, exprimant sereinement les élans et les appuis de la monodie. En ce qui concerne les mesures suivantes, l'absence de précision senza mesura laisse à envisager une proportion de durées relatives entre les notes tenues des basses dans un caractère rubato. Le schéma peut-être alors simple (à la ronde), double (à la blanche), quadruple (à la noire), ou tout simplement abandonné. Dans ce cas, les mains expriment uniquement l'intensité, les départs, les césures et les tenues. Elles peuvent également intervenir sur la plastique des sons (couleur de voix, attaque et résonance du son, illustration phonétique du texte), et ce, particulièrement dans le cas où le chef choisit de personnaliser chacune des interventions, recherchant ainsi une hétérogénéité déclamative dans laquelle chaque voix émet une couleur de son spécifique. Il peut au contraire opter pour un lissage vocalique afin d'obtenir un ensemble homogène.  

    La seconde voix peut être attribuée à l'une ou l'autre des mains. On peut même imaginer l'utilisation d'une seule main pour les départs, tandis que l'autre main indique la tenue des sons. Le geste peut être ou non spatialisé en fonction des départs. Dans ce cas, il faut éviter de « croiser », en veillant à ce qu'aucune des mains ne vienne cacher le geste de l'autre main :

    Le regard peut suffire à indiquer aux choristes à quel pupitre s'adresse le geste. Dans ce cas, les deux mains peuvent être situées sur le même plan :

    Comme le montrent ces schémas, il existe maintes façons de concevoir la direction de cette page et, de façon plus générale, la direction de toute œuvre musicale.

    Cette reconstruction n'a donc pas pour objet de présenter “la” façon dont je perçois la partition d'origine, mais au contraire, d'illustrer différentes possibilités de perception de la pièce.

    Poursuivons à présent la reconstruction du Stabat Mater.

    Les barres de mesures en « plein » indiquent un changement de carrure, une nouvelle section.

    A partir de la mesure 19, les rythmiques des basses 2 et 3 sont reproduites à chaque mesure.

    Mes. 36 : le passage d'une voix d'une portée à l'autre ne signifie pas un changement de main ; il est uniquement opéré pour la clarté de l'écriture.

    Mes. 40 (et suite) : le signe de liaison indique que la note est prolongée. La main indiquera dans ce cas la tenue de la note (supination) jusqu'à ce qu'elle soit sollicitée pour une autre indication musicale.

    Mes. 49 à 56 : l'une des mains donne les départs « sur les temps », l'autre main donne les départs «  contretemps ».

    Dans cette page, la répartition des mains permet à l'une d'indiquer la tenue des notes, tandis que l'autre conduit la mélodie des autres voix.

    Le resserrement et la multiplication des entrées successives réclame que les départs des deux mains soient inscrits dans un schéma de direction, afin que les gestes demeurent lisibles pour chacun des choristes.

     Mes. 86 et 88 : les Christe sont perçus comme des clusters.

    Mes. 88 : les deux mains donnent tour à tour les départs, les tenues et l'indication de changement d'intensité pp dans la résonance du son.

    Mes. 97 (et suite) : ici, une main indique la redondance rythmique, l'autre main agit sur l'information des différents départs.

    Mes. 113 : les syncopes du soprano 3 ont un caractère « informatif » et doivent être mises en évidence. Cependant, perçant l'épaisseur sonore, elles deviennent rapidement « redondantes ». A la mes. 114 : les attaques « sur les temps » doivent être indiquées de façon claire et prioritaire car ce sont elles qui ont désormais un caractère informatif.

    Notes

    1. Fantapié Henri-Claude, « L’analyse de la partition dans la pratique du chef d’orchestre », Analyse musicale (10), 1er trimestre 1888, p. 26, 27.

    2. Camille Roy, inspecteur général à la Direction de la Musique me faisait remarquer en 1991, à quel point la formation vocale des instrumentistes était primordiale pour l’exercice de leur pratique. Il affirmait que lors des concours de percussionnistes – même s’agissant des timbales – celui qui avait pratiqué le chant « s’élevait au dessus du lot ».

    3. On veillera, à titre d’exemple, dans la petite cantate de chambre, Un soir de neige de Francis Poulenc, à prononcer correctement le [ə] de la phrase « Nous, nous n’avons pas de feu», afin d’éviter de donner à entendre « Nous, nous n’avons pas deux feux »

    4. L’accent d’insistance prévaut sur l’accent tonique ; exemple, accent tonique : « C’est magnifique »; accents d’insistance : C’est magnifique (désignation), C’est magnifique (contemplation), C’est magnifique (exclamation), C’est ma-gni-fique (affirmation).

    5. Fantapié Henri-Claude, op. cit., p. 27.

    6. Hogarth A. David, “Commentaire discographique”, Passio et mors domini nostri Jesu Christi secundum Lucam – Chœur de garçons, chœur mixte et Orchestre de la Philharmonie de Cracovie – Henryk Czyz (dir.) – Muza, Polskie Nagrania – SX 325/0326, Ed. française, Philips -802. 771/772 LY.

    7. Hogarth David, op. cit.

    8. ADORNO Theodor W. Mahler, une physionomie musicale, Mayenne, Ed. de minuit, coll. Le sens commun, trad. et prés. par Jean-Louis LELEU et Theo LEYDENBACH, 1978, p. 226.

    9. KAELIN Pierre, op. cit., p. 51.

    10. Id., p. 53.

    11. Ibid.

    12. Penderecki use du même procédé au début de Troparion, dans la première partie “La mise au tombeau du Christ” de son oratorio Utrenja.

    13. Munch Edvard, cité dans L’Art moderne 1905/1945, Edina Bernard, Paris, Bordas, Collection Connaissances artistiques, 1988, p. 20.

    16. Corredor Jose-Maria, Conversations avec Pablo Casals, Souvenirs et opinions d'un musicien, Paris, Albin Michel (1955), Hachette coll. Pluriel, 1982, p. 263.

    17. Boulez Pierre, op. cit., p. 72, 73.

    18. Stravinsky Igor, 1882-1971, The Edition, Sony Classical, Véra Zorna Lieberson, directrice artistique, Préface à l’édition de disques Igor Stravinsky de 1982, p. 133.

    19. Boulez Pierre, op. cit., p. 73, 74.

    20. Corredor Jose-Maria, op. cit., p. 257, 258.

    21. Wahl François, “Le geste musical mis à nu - La singularité de Schoenberg de François Nicolas”, Samedi d'Entretemps, 1999, IRCAM.

    22. Senart Jean-François, op. cit., p. 31.

    24. Moussempès Jacques, Lettre de commande. Musique analectique, Bibliothèque du Lion, 2002, p. 41.

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    Mardi 26 Décembre, 2023