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Jean-Luc Vannier

Un Tristan und Isolde de qualité à l'Opéra de Nice

Cinq heures de représentation sans une seule minute d'ennui. Étonné  presque, à deux reprises, de voir le rideau tomber et l'entracte de trente minutes annoncé. Impatient surtout d'entendre la suite, l'incomparable duo d'amour de l'acte ii ou le transcendant Liebestod de la scène finale : autant d'impressions certes fugaces ou subjectives mais qui témoignaient, mardi 3 avril lors de la première, des impressionnantes qualités de cette nouvelle production par l'Opéra de Nice du Tristan und Isolde de Richard Wagner.

Tristan und isolde, Opéra de Nice La soprano Catherine Foster (Isolde) et le ténor Jon Fredric West (Tristan). (photographie © D.Jaussein)

Créé au Königliches Hof und National Theater de Munich le 10 juin 1865 sur un livret du compositeur, Tristan und Isolde s'inspire d'une des nombreuses légendes enfantées en même temps que les récits arthuriens des Chevaliers de la Table ronde : en buvant un philtre d'amour qu'ils pensent être un philtre de mort, le héros médiéval et la jeune vierge projettent leur destin dans un « au-delà du désir » humain, inextinguible et que seule la mort est à même de combler : « Ô béatitude pleine de trahison, Ô fidélité vouée à l'illusion », se lamente Tristan à l'acte i. « Ainsi mourrions-nous sans séparation », lui répond en écho Isolde à l'acte ii. Qui s'embrase se consume. La dramaturgie wagnérienne attise cette incandescence pulsionnelle où la cascade de superlatifs enflammés et chantés par les artistes lyriques dans leur magnifique duo « Ivresse de l'amour » à l'acte ii, est rendue plus orgasmique encore par le déchainement du chromatisme musical et la tension récurrente portée à son paroxysme par les instruments à cordes : à l'image des vagues successives qui caractérisent l'inexorable progression du plaisir sexuel féminin, les violons, altos et violoncelles alternent, ensemble ou en solo, assouvissement et frustration. Un summum extatique entre les amants sur lesquels plane l'ombre du « Prenez garde » murmuré par Brangäne : une menace, condition sine qua non d'un « plus de jouir » dont la mélodie esquisse déjà celle de l'ultime « mort d'amour » de l'acte iii.

Tristan und Isolde, Opéra de Nice La mezzo-soprano Michelle de Young (Brangäne). (photographie © D.Jaussein).

Saluons la magistrale direction musicale de Sir Richard Armstrong : si le monolithisme de son exécution — une succession de rondeurs sans discernement — inquiète un peu au début de la performance, le maestro britannique connu pour sa prédilection particulière à l'égard des répertoires de Wagner, Strauss, Janácek et Verdi, insuffle à partir du second acte à l'Orchestre philharmonique de Nice en très grande forme, davantage de densité dans le phrasé et de variations dans le rythme. Une interprétation de la partition chaleureusement accueillie par le public et par des musiciens affichant leur satisfaction. De facture très classique, la mise en scène et la conception des lumières signées Hans-Peter Lehmann de même que les décors et les costumes d'Olaf Zombeck demeurent comme en retrait, soucieux de ne pas porter ombrage aux artistes.

Tristan und Isolde, Opéra de Nice La soprano Catherine Foster (Isolde) et le ténor Jon Fredric West (Tristan). (photographie © D.Jaussein).

D'envergure internationale, la distribution des voix triomphe des défis imposés par le marathon vocal wagnérien. Habitué du rôle- titre de la Tétralogie sur les plus grandes scènes internationales — au point d'être parfois plus Siegfried que Tristan — le ténor américain Jon Fredric West impressionne par sa résistance vocale : alors qu'il donne quelques signes de fatigue à la fin du second acte, il tient sans encombre dans l'acte iii ses quarante minutes d'un monologue exalté et ponctué de bouffées délirantes sur le retour espéré d'Isolde. On regrettera néanmoins son maquillage outrancier qui, au premier acte, semble lui fait arborer un masque funéraire des plus lugubres. Plus homogène, plus sobre aussi dans son interprétation, la soprano anglaise Catherine Foster campe une Isolde dont la soif de vengeance à l'acte i « Maudit sois tu scélérat » subit les apaisantes métamorphoses de l'idylle dans la scène 2 de l'acte ii « Descends sur moi, nuit d'amour ». Très attendu, son Liebestod nous laisse un peu sur notre faim : malgré une très belle voix qui domine aisément le fortissimo de l'orchestre, il lui manque cette exultation, cette ferveur qui transporte Isolde hors du temps et de l'espace des mortels. Hors d'elle-même aussi.

Tristan und Isolde, Opéra de Nice La soprano Catherine Foster (Isolde) et le ténor Jon Fredric West (Tristan). (photographie © D.Jaussein).

Dans le rôle de Brangäne, la mezzo-soprano américaine Michelle de Young ne déçoit pas non plus. Ovationnée pour son interprétation du roi Marke, la basse finlandaise émeut lorsque sa voix s'étrangle de douleur à la découverte des amants enlacés. Sa plainte de la dernière scène de l'acte ii « Où sont l'honneur et la loyauté ? » est tout simplement poignante d'authenticité. Signalons la belle prestation de l'autre basse finlandaise Jukka Rasilainen dans le personnage de Kurwenal et celle, aussi brève que prometteuse, du baryton Clemens Unterreiner dans celui de Melot.

Tristan und Isolde, Opéra de Nice Le ténor Jon Fredric West (Tristan) et la basse Jukka Rasilainen (Kurwenal). (photographie © D.Jaussein).

Une soirée wagnérienne de qualité dont on regrettera qu'elle ait laissé quelques sièges vides au parterre et dans les loges de l'Établissement de la rue saint-François-de-Paule.

Tristan und Isolde, Opéra de Nice Le ténor Jon Fredric West (Tristan), la soprano Catherine Foster (Isolde), la basse Jukka Rasilainen (Kurwenal) et la mezzo-soprano Michelle de Young (Brangäne). (photographie © D.Jaussein).

Nice, le 4 avril 2012
Jean-Luc Vannier


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