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Théâtre Roger Barat d'Herblay, 26 mai 2012, par Frédéric Norac

Le triomphe de la persévérance Vanessa de Samuel Barber

Samuel Barber, VanessaPhotographie © Alexandre Ah-Kye.

Il y maintenant quelques années que le Théâtre Roger Barat d'Herblay (Val d'Oise) monte chaque année une production d'opéra, avec des moyens modestes mais une persévérance et une volonté de démocratisation méritoires. Cette expérience s'accompagne du reste d'un très important travail en direction des scolaires du département. Jusque là, c'était essentiellement parmi les grands classiques — Rigoletto, Carmen, Le barbier de Séville — que cette initiative allait chercher son répertoire. Pour cette saison, le nouveau directeur Vincent Lasserre a posé très haut son ambition en montant, en collaboration avec l'Opéra-théâtre de Metz qui la reprendra en 2014, une nouvelle production de Vanessa, le premier opéra de Samuel Barber, très rarement vu en France.

Sameul Barber, VanessaPhotographie © Alexandre Ah-Kye

Le choix est judicieux. Sans être sur le versant le plus avancé des langages du xxe siècle, l'œuvre de Barber, compositeur popularisé par son célèbre Adagio, possède une incontestable modernité, notamment dans son travail orchestral où bois et cuivres jouent un rôle prépondérant. C'est du reste dans les intermèdes orchestraux — comme le prélude du dernier acte — et les moments dramatiques que se révèle sa véritable originalité car, pour l'écriture vocale, elle en reste à un style conversationnel quelque part en Strauss et Puccini qui a un petit air de déjà entendu.

Vanessa de Samuel BarberPhotographie © Alexandre Ah-Kye.

D'évidence Barber a été très marqué par le style dominant de la musique de film et les moments purement lyriques manquent un peu de souffle. Passé un premier élan, souvent assez beau, son inspiration dans les airs comme dans les duos retombe rapidement dans une sorte de premier degré un peu frustrant. L'invention mélodique comme les harmonies — peu renouvelée — génèrent parfois un sentiment de monotonie mais, d'un tableau à l'autre, le compositeur sait varier les climats et créer des contrastes efficaces. On se souvient en sortant du magnifique thème du quintette en canon qui réunit les protagonistes en une sorte de finale précédant l'ultime scène confiée à Erika, le second personnage de l'histoire.

Le livret — dû à Giancarlo Menotti — s'inspire d'un des Contes gothiques de Karen Blixen et met en scène trois générations de femmes confrontées à leur destin. Un destin qui passe bien sûr par une conception de la relation amoureuse. Vanessa, l'héroïne, a attendu l'homme qu'elle aimait pendant vingt ans, refusant de vivre afin de rester jeune pour lui. Quand il revient, elle découvre qu'il n'est plus le même puisqu'il s'agit en fait du fils de son amant mais surtout que ce séducteur est un être superficiel, opportuniste et sans sentiments authentiques. Elle accepte pourtant de se tromper elle-même et de partir avec lui tandis qu'Erika, sa nièce qu'il a également séduite, refuse elle de transiger sur ses exigences et préfère s'enfermer dans la solitude, auprès de la vieille baronne - la mère de Vanessa — qui la désavoue et s'enferme dans le mutisme. La fin plutôt pessimiste évoque un peu Tchekhov ou Strindberg tout à la fois.

Théâtre Roger Barat d'Herblay , Vanessa de Samel BarberPhotographie © Alexandre Ah-Kye

Pour incarner ces trois femmes qui sont peut-être la même, Herblay a réuni trois chanteuses de talent. Hélène Delavault impressionne dans le rôle de la Baronne qui lui donne l'occasion de s'affirmer comme un grand mezzo dramatique et évoque par son autorité la figure de la Kostelnicka dans Jenufa de Janácek, un rôle où à n'en pas douter elle ferait merveille. On ne sait trop finalement qui de Vanessa, personnage un peu lointain et énigmatique joliment incarné par le soprano lyrique léger Yun Jung Choi ou d'Erika, à qui Diana Axentii prête sa chaleureuse voix de mezzo, est l'héroïne de ce drame un peu irréel.

Face à elles, l'Anatol du jeune ténor Thomas Gudbrandsoy dont le timbre un peu rugueux d'ancien baryton évoque singulièrement Peter Pears, maîtrise avec beaucoup de talent les chausse-trappes d'une écriture vocale très tendue, mais il lui manque scéniquement un peu du chic que réclamerait son personnage de dandy superficiel. Jacques Bona — vétéran des grandes années héroïques du baroque naissant — fait valoir dans le rôle du docteur un beau timbre de baryton intact et joue avec subtilité dans sa scène d'ivresse du deuxième acte, d'un petit accent « frenchy » qui donne du piquant à son personnage. Aurélien Pernay en majordome complète bien la distribution.

Vanessa, Théâtre Roger Barat d'Herblay Photographie © Alexandre Ah-Kye.

Bérénice Collet joue avec beaucoup d'intelligence du très efficace décor à transformations de Christophe Ouvrard pour mettre en scène sans aucune lourdeur cinq tableaux où les mêmes éléments scéniques —  quelques simples verrières, un ensemble de lustre en cristal et deux miroirs encadrant la scène — lui permettent d'évoquer tour à tour toutes les pièces de la grande demeure aristocratique hors du monde où se joue ce huis clos. Tout ici est stylisé et les remarquables lumières d'Alexandre Ursini contribuent au climat de rêve éveillé que génère ce conte plus symboliste que psychologique. Renforçant le sentiment d'étrangeté qui s'attache à toute l'œuvre, la scène du bal et ses invités aux masques animaux utilise judicieusement, à défaut de la profondeur de scène nécessaire, des arrière-plans situés en contrebas du plateau.

Le jeune chef Inaki Encina Oyon mène de main de maître l'Orchestre-Atelier OstinatO en très grande formation (60 instrumentistes), renforcé par les élèves du Conservatoire pour la banda de la scène du bal. Les interventions des chœurs en coulisses ne sont pas toujours parfaitement audibles, en grande partie sans doute à cause d'un déséquilibre entre les forces en présence et les dimensions réduites d'une salle de 500 places.

Samuel Barber, VanessaPhotographie © Alexandre Ah-Kye.

A n'en pas douter dans l'espace d'un théâtre traditionnel comme l'Opéra de Metz, resserré par un véritable cadre de scène qui manque un peu ici, ce spectacle très réussi devrait se déployer dans toute ses dimensions, musicale et scénique. N'oublions pas que l'œuvre avait été conçue et créée en 1958 pour l'ancien Metropolitan de New York.

Frédéric Norac
26 mai 2012


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